La guerre de 1914-1918 en Afrique du Nord
Développement automobile et aérien.
Le 4 août 1914, le conflit débute
en Algérie avec le bombardement de Philippeville et Bône
par les croiseurs allemands Goeben et Breslau. Ce bombardement marque
le cornmencement de la Grande Guerre et met en évidence la volonté
de l'Allemagne d'affirmer sa puissance et de fomenter des troubles parmi
les populations d'Afrique du Nord. Ces croiseurs s'enfuient vers la Turquie
qui entre en guerre contre la France le 31 octobre. La puissante confrérie
sénoussiste prend position en faveur du sultan de Constantinople.
Dès lors, des agitateurs libyens parcourront les confins algérotunisiens
pour pousser les tribus musulmanes à la révolte.
En décembre 1914, les tribus libyennes, menées par Khalifa
Ben Asked, entreprennent de se libérer de la tutelle italienne,
massacrent les garnisons de Mourzouk et Oubari, mettent en fuite la garnison
de Ghat qui se réfugie en territoire français et s'emparent
d'une quantité importante d'armes et de munitions. Des agitateurs
franchissent la frontière et plusieurs tribus Ajjer entrent en
dissidence.
La situation devient grave tout le long de la frontière tripolitaine
et la Métropole peut difficilement venir en aide aux troupes locales,
dont la plus grande partie des meilleurs cadres se trouve au Front où
la bataille de Verdun fait rage. Le 27 mars 1916, les survivants de la
garnison de Djanet sont contraints de se rendre. Djanet sera repris le
16 mai.
L'assassinat du Père de Foucauld, le 1er décembre 1916 à
Tamanrasset,
supprime le dernier lien moral retenant le chef du Hoggar, Moussa ag Amastane,
contre les sollicitations de nos ennemis.
Retour du général Laperrine
La situation administrative complique singulièrement le travail
de pacification. En effet, le Sahara algérien, sous le nom de Territoire
du Sud, dépend du gouverneur général de l'Algérie
qui, lui-même, agit sur délégation du ministère
de l'Intérieur. En Afrique Occidentale, le Sahara dépend
du gouverneur de l'AOF qui relève du ministère des Colonies.
A l'est et à l'ouest, le Sahara passe sous obédience des
résidents généraux de Tunisie et du Maroc qui dépendent
du ministère des Affaires étrangères.
Le général Lyautey, ministre de la Guerre, décide
de donner le commandement unique du Sahara
au général Laperrine, saharien par excellence, et de supprimer
toutes les frontières administratives, plus résistantes
que les frontières naturelles.
Le général Laperrine, pacificateur du Sahara où il
était resté de juillet 1901 à novembre 1910, est
rappelé du Front pour ramener l'ordre au Sahara, qu'il rejoint
le 2 février 1917 à Ouargla. Pour plus d'efficacité,
le gouvernement lui donne un domaine qui dépasse largement le Sahara
algérien et englobe l'Afrique Occidentale jusqu'aux régions
de Gao, Agadès et Bilma.
Le général Laperrine au cours de son commandement en métropole,
avait apprécié l'apparition, dans la guerre moderne, de
l'automobile et de l'avion, et avait compris qu'il fallait les utiliser
au Sahara pour combattre efficacement les rebelles. Le but à atteindre,
en voiture ou en avion, est Tombouctou. Il impose de diriger le tracé
vers le Hoggar pour rejoindre ensuite Tombouctou par le Niger.
Effectifs aéronautiques.
Il n'y a, en septembre 1916 en Algérie, que l'escadrille F 547,
et en Tunisie, que les escadrilles F 541 et F 542, auxquelles se joindront,
en 1917, les escadrilles 543, 544 et 546. L'aviation militaire tunisienne
possède, fin 1917, un parc et une base de ravitaillement à
Gabès et se subdivise en quatre secteurs : Sfax, Monastir, Foum-Tatahouine
et Zarzis.
Aménagement de l'infrastructure
Avant de pouvoir s'aventurer au Sahara en voiture ou en avion, il est
nécessaire d'aménager des routes au long desquelles seront
installés des aérodromes ou, tout au moins, des terrains
de secours. La France est alors à un des moments les plus critiques
de la guerre et le gouvernement a bien d'autres soucis que d'équiper
le Sahara en voies carrossables.
Le général Lyautey, qui avait placé le général
Laperrine à la tête des Territoires sahariens, est cependant
bien obligé de lui fournir les moyens nécessaires pour remplir
sa mission.
Des crédits arrivent qui permettent d'entreprendre le grand projet
de la voie impériale reliant l'Algérie au Niger. Trois hommes
y oeuvreront : le capitaine Sollié, du service géographique
des armées, qui a relevé le meilleur tracé qui doit
également servir à l'établissement du futur chemin
de fer transsaharien, le lieutenant de l'aéronautique Grandperrin,
du service topographique algérien, qui est chargé de reconnaître
et de baliser les emplacements des futurs terrains d'atterrissage, et
le sergent Chapuis, de la Compagnie saharienne du Tidikelt qui, à
lui tout seul, jouera le rôle d'agent voyer, d'entrepreneur de travaux
publics et de cantonnier.
C'est lui qui, avec des moyens rudimentaires et au prix d'un effort considérable,
rendra praticable cette voie Algérie-Niger de 2 000 kilomètres
qui évoluera pour devenir la fameuse " route
transsaharienne ".
Le lieutenant Fenouil et l'adjudant Poivre, quant à eux, mettront
ensuite en place, dans des conditions difficiles, le carburant et les
pièces de rechange nécessaires aux autos et aux avions dans
les postes prévus tout au long du trajet.
Missions d'appui dans l'Aurès.
Fin 1916, l'Aurès s'agite, des dissidents gagnent la forêt
de Béni-Melloul. En 1917, les escadrilles 543, 544 et 546 viennent
renforcer leurs devancières dans l'accompagnement des convois de
ravitaillement pour en assurer la protection des colonnes ainsi que les
missions photographiques.
Le 4 février 1917, une escadrille quitte AinM'Lila pour Biskra
d'où elle effectue des opérations contre les groupes rebelles
dans les montagnes. Trois avions sont perdus accidentellement, mais leurs
équipages sont retrouvés sains et saufs. Les missions consistent
à lancer des tracts et des bombes à proximité des
campements. Des postes de ravitaillement sont créés en de
nombreux endroits et approvisionnés par des caravanes de chameaux
lorsque l'accès en automobile est impossible.
Tout l'Aurès est survolé de façon intensive au départ
de Biskra et des aérodromes de campagne de Batna, Timgad et Zerbet-el-Oued.
Le 3 mars 1917, une escadrille de trois avions, venant de Biskra par Touggourt,
survole toutes les oasis du Souf jusqu'à El- Oued. Le capitaine
Perdiaux, chef d'annexe d'El-Oued, atteste l'impression profonde causée
par cette visite aérienne sur la population locale.
En avril 1917, cinq avions de l'escadrille 546 vont de Biskra
à Laghouat
par le tracé de l'oued Djedi, après escale à Ouled-Djellal.
L'escadrille va ensuite à Ghardaïa qui reçoit sa première
visite d'avions. Le retour à Biskra est effectué par Guerrara
et Touggourt.
Un raid majeur, celui de l'escadrille 546 ".
Du 4 juin au 16 septembre 1917, l'escadrille 546 effectue une campagne
remarquable. Au départ de Biskra, elle atteint Boufarik
en s'arrêtant à M'Sila, rayonne autour de Boufarik vers Ténès,
Duperré, Médéa et Berrouaghia
puis rejoint Tlemcen par Orléansville et Mascara. De Tlemcen, elle
effectue un aller et retour à Oran, rayonne ensuite jusqu'à
Méchéria et Nemours et survole à plusieurs reprises
la frontière marocaine. Elle revient par SidiBel-Abbès,
Relizane et Blida, stationne ensuite à Bouira d'où elle
effectue des vols vers Bougie, Aumale et Aïn-Boucif et survole à
plusieurs reprises la Kabylie avant de se diriger vers Sétif et
Aïn-M'Lila. Elle poursuit jusqu'à Guelma d'où elle
rayonne vers Bône et Souk-Ahras en survolant longuement le Nord-Constantinois.
Elle revient enfin à Biskra par Aïn-Beïda et Batna. Ce
raid, véritable croisière impériale, consacre l'aviation
militaire en Algérie. Avec des avions vétustes, abandonnés
depuis longtemps pour les opérations sur le Front, l'escadrille
a parcouru un chemin considérable en survolant les massifs montagneux
et en affrontant des températures extrêmes. Elle a créé
de nombreux aérodromes, ramené une moisson de photographies
et mis en évidence les possibilités offertes par l'aviation
comme moyen de reconnaissance et comme force de dissuasion.
Le raid Ouargla-In Salah-Ouargla, premier vol postal saharien.
Le 14 mars 1918, le raid Ouargla-In SalahOuargla des vieux Farman préfigure
le raid sur Tombouctou, en accord avec le ministère des PTT qui
étudie un ambitieux projet de ligne aérienne Paris-Marseille-AlgerTombouctou.
L'escadrille 546 de Biskra, commandée par le lieutenant Simian,
rejoint à Ouargla l'escadrille 547 commandée par le lieutenant
Alexandre Bernard. Trois Farman sont engagés pour le raid. Après
une escale à Berkane où les attendent deux camions ravitailleurs,
les avions continuent, à 80km/h de moyenne, vers Hassi-Inifel.
Aïn-Guettara est atteint à 16 heures.
Le trajet de Ouargla à In-Salah, de 600 kilomètres, a été
effectué dans la journée, contre un vent défavorable,
en 7 heures et 22 minutes de vol, contre une quinzaine de jours à
dos de chameau. Le retour commence le 25 mars, Ouargla est atteint le
27 mars au matin. Ce raid Ouargla-In SalahOuargla, premier vol au Sahara
avec du courrier postal, repousse encore la limite de la pénétration
aérienne. La citation à l'ordre de l'Armée d'Afrique
du Nord attribuée aux équipages qualifie ce raid d'exploit
qui a eu dans tout le Sahara un retentissement immense.
Le 18 avril 1918, le général Laperrine reçoit sa
troisième étoile, il est alors à Ouargla, de retour
de Tombouctou.
Retour à la paix.
De retour au Sahara, le général Laperrine qui avait obtenu
des résultats spectaculaires pouvait, dès le mois de juillet
1919, circuler de nouveau sur son territoire entièrement pacifié.
Il avait donné une deuxième fois le Sahara à la France.
Muté à la tête de la division d'Alger, il quittait
le Sahara le 2 octobre 1919 et ne devait y revenir, en avion. que pour
y trouver la mort.
La guerre est terminée, elle a fait faire des progrès
énormes à l'aviation. Avec des équipages valeureux
qui ont su compenser la médiocrité du matériel, les
escadrilles d'Algérie ont mené leur mission à bien.
Les vols exceptionnels sont passés inaperçus dans un monde
en guerre. La conquête aérienne du Sahara, entamée
en silence, se poursuivra dans la paix.
Pierre Jarrige
Texte original réduit par Alain GIBERGUES avec l'aimable autorisation
de l'auteur.
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