Guy Hazzan
Histoire des Juifs
Les origines des juifs d'Algérie.
Selon les légendes populaires, les
origines remonteraient à plus de deux millénaires. Les juifs
d'Algérie sont-ils, comme le pensent certains historiens, les Gergéséens
expulsés de Canaan par Josué au XIIe av. J.-C ? Sont-ils
des colons issus des tribus d'Israël installés avec les Phéniciens
fondateurs de Carthage ( 814 av. J.-C) ? Enfin, sont-ils des déportés,
des esclaves, des exilés par Nabuchodonosor, destructeur du premier
Temple, au VIe siècle avant J.C.? (Oliel
Jacob, Les Juifs au Sahara. Le Touat au
Moyen-âge, CNRS éditions, Paris, 1994.
On peut dire que la présence des Juifs est attestée dès
le Ve et VIe siècle en Egypte puis en Libye et au Maghreb. Bien
que les preuves manquent, il apparaît possible que des minorités
juives soient représentées dans la Carthage punique"'.
Les sources archéologiques et épigraphiques attestent vers
320 av. J.-C les premières grandes colonies juives sur les côtes
d'Afrique du Nord. Après l'invasion de la terre d'Israël,
Ptolémée Soter, fondateur de la dynastie des Lagides, déporte
100 000 captifs juifs en Afrique ( Egypte, Cyrénaïque...).
En 256 av. J.-C, les Romains s'installent sur les côtes africaines
et découvrent que, dans les ports, des colonies judéo-romaines
étaient déjà constituées "). Dans le
cadre de l'Algérie actuelle, dès le 1er siècle apr.
J.-C, une présence se confirme dans diverses régions et
cités : Constantine, Henchir Fouara, Tebessa,
Sétif,
Cesarea ( Cherchell
), Tafsa ( Tipasa
), Ausia ( Aumale ), Rouaiha ( région de Tiaret ). Dès
lors, on peut avancer que les origines géographiques des communautés
présentes à l'époque romaine sont la Palestine, l'Italie
( Rome ), l'Egypte et la Cyrénaïque et qu'elles remontent
sans doute à la destruction du second Temple, qui entraîne
la déportation des premiers juifs en Afrique du Nord comme prisonniers
de guerre ou esclaves en 70 apr. J-C. En revanche, pour les périodes
précédentes, on manque de données suffisamment crédibles.
( Musée d'Art et d'Histoire du judaïsme
(MAHJ), Juifs d'Algérie, catalogue de l'exposition, sous la direction
d'Hoog Anne-Hélène, Paris, 2012.)
La question berbère.
" L'origine palestinienne des Berbères est une légende
tenace même si l'on admet la profonde sémitisation du monde
africain au cours du millénaire de la domination carthaginoise.
Les autochtones au Maghreb, par leur langue et leurs moeurs, étaient
devenus des Phéniciens, des Sémites, étroitement
apparentés aux Hébreux de Judée " (
Chouraqui André, Histoire des Juifs d'Afrique du Nord, Hachette
Littérature, 1985.).
Traqués, poursuivis ou expulsés, beaucoup de juifs ont trouvé
refuge chez les Berbères auprès desquels ils se seraient
livrés au prosélytisme, ce que dénonce Tertullien
au He siècle apr. J.-C, ce Berbère latinisé et converti
au christianisme. A cette même période, le christianisme
se développe en Afrique du Nord. " Les Kabyles et les Berbères
sont alors majoritairement juifs et latinisés ". (24 On trouve
des tribus plus ou moins gagnées au judaïsme, surtout en Tripolitaine,
dans l'Aurès, le Touat et dans les ksour du Sahara. ") Ibn
Khaldoun décrit la vie de la Kahéna, cette reine juive berbère
considérée par d'autres comme une simple légende.
Certains historiens avancent l'hypothèse d'une judaïsation
massive alors que d'autres la récusent ( H.Z. Hirschberg ), dénonçant
des hypothèses fragiles. ") On a face à face deux mouvements
complémentaires : " des Berbères qui se judaïsent
et des juifs qui se berbérisent... Le judaïsme algérien
s'est trouvé, dès son origine, à la fois spécifié
par sa vieille option pharisienne et associé étroitement
aux destinées des populations indigènes "(Ayoun
Richard et Cohen Bernard, Les Juifs d'Algérie, deux mille ans d'histoire,
collection judaïque, une bibliothèque juive, J. Lattès,
Paris, 1982).
Les juifs d'Algérie face à la chrétienté et
à l'islam.
----Les Vandales. : Ve-VIe siècles.
En 406, les Vandales quittent l'Espagne et se répandent dans tout
le Maghreb jusqu'en 533 en semant partout la destruction et l'anarchie,
ce qui va donner une forte impulsion au nomadisme et à la puissance
de tribus dont certaines sont judaïsées. La lutte fratricide
des Vandales ariens contre le catholicisme romain en Afrique du Nord permet
aux juifs de connaître un peu de tranquillité. (
Chouraqui André, Histoire des Juifs d'Afrique du Nord, Hachette
Littérature, 1985.).
--- Byzance : 534-680
Au VIe siècle, l'Empereur byzantin Justinien ( 527-565 ) reprend
l'Afrique aux Vandales et s'empresse de rétablir la puissance de
l'Eglise et d'éliminer les lieux de culte païens, hérétiques
et juifs. C'est une période particulièrement troublée
pour les Juifs d'Afrique du Nord. Les mesures libérales du code
théodosien reconnaissant l'existence légitime du judaïsme
et la protection de la personne et des biens juifs sont supprimées.
Il met les juifs et le judaïsme hors la loi.(
Chouraqui André, Histoire des Juifs d'Afrique du Nord, Hachette
Littérature, 1985.).
La conquête arabe et la Dhimma.
Les Arabes sont les nouveaux conquérants dès le Vile siècle.
Le calife Al Malik conquiert le Maghreb et, en 711, Tarik Ibenzyad emporte
l'Espagne wisigothique. Les vainqueurs réduisent brutalement la
résistance des tribus berbères ainsi que celles des populations
juives et chrétiennes. Rappelons la résistance ( légendaire
?) de Dihya el Kahena ( vers 674-704 ), reine de la tribu zénète
judéo-berbère des Djeraoua qui avait pris la tête
des tribus des Aurès contre l'invasion arabe dirigée par
Hassan ben Amor et qui y trouva la mort. La reddition des tribus berbères
est allée de paire avec leur conversion à l'islam préparée
par le prosélytisme juif et chrétien. (
Chouraqui André, Histoire des Juifs d'Afrique du Nord, Hachette
Littérature, 1985.).
Sous la domination arabe, les juifs acquièrent une condition légale
fondée sur la dhimma imposée à tous " les Gens
du Livre ( juifs et chrétiens ) en terre d'Islam. '3) Ce statut
discriminatoire de " protégés ", régi par
la Charte dite d'Omar ( calife Omar, successeur de Mahomet ) les relègue
au rang de sujets de seconde zone. Le statut leur reconnaît la liberté
de culte, la sécurité, la protection de leurs biens et une
réelle autonomie juridique en toute matière relevant du
droit privé. En contrepartie, il leur est interdit, entre autres,
de critiquer le Coran, de parler du Prophète et d'Allah avec insolence,
de toucher aux femmes musulmanes, de faire du prosélytisme, d'ériger
des lieux de culte plus élevés que ceux des musulmans, de
monter à cheval. Ils doivent s'acquitter du paiement d'un impôt
de capitation et d'un impôt foncier, porter des signes vestimentaires
particuliers.( Chouraqui André, Histoire
des Juifs d'Afrique du Nord, Hachette Littérature, 1985.).
Mais ces règles ont été appliquées de façon
plus ou moins rigoureuse selon les époques, les lieux, les souverains,
leur clémence ou leur tyrannie. Malgré tout, ils restent
l'objet d'humiliations, d'un profond mépris et sont considérés
comme inférieurs.
Apogée ( IXe-Xe ) et déclin( XIe-XIIe
)
" Dans le Maghreb central du Moyen-Age, de Babylone à Cordoue,
les juifs sont fédérés par la Dhimma, le Talmud de
Babylone ( Babli ), matrice culturelle et religieuse du monde séfarade
et par la langue arabe... outil scientifique " Grâce à
cet ensemble s'épanouit une civilisation séfarade. (Cohen-Tannoud
JI Denis)
" Alliée à la dimension berbère, l'identité
séfarade constitue bien la matrice originelle des juifs d'Algérie
et ce, bien avant 1492 et l'exil juif espagnol en Afrique du Nord. Le
Maghreb joue bien un rôle prépondérant, dès
le IXe siècle, dans l'avénement de l'identité séfarade
". (Cohen-Tannoud JI Denis)
Les IXe et Xe siècles sont une période de développement
pour les juifs du Maghreb qui se trouvent géographiquement situé
au carrefour entre l'Orient, le pourtour méditerranéen et
l'Espagne musulmane. En contact avec la ville de Kairouan, haut lieu culturel,
scientifique, philosophique et religieux, les communautés d'Algérie
sont parmi les plus brillantes de la Diaspora à l'exemple de celles
de Tlemcen et Tahirt, importants foyers rabbiniques. Parmi les lettrés,
citons Isaac Al Fasi, né dans la région de Constantine en
1013 et qui est devenu très célèbre pour avoir mis
en forme la première codification du droit talmudique permettant
aux communautés maghrébines et andalouses de s'émanciper
des autorités babyloniennes. Des liens étroits avec la Terre
Sainte unissent les communautés. L'âge d'or séfarade
connait son apogée avec la chute du califat omeyyade de Cordoue
en 1012 et la conquête de l'Andalousie et du Maghreb par les Almoravides,
chassés eux-mêmes par la tribu berbère venant du Haut-Atlas,
les
Almohades au XIIe siècle.
D'une orthodoxie rigoureuse et intolérante, les Almohades persécutent
les juifs et les forcent à la conversion dans l'ensemble de l'Afrique
du Nord et de l'Espagne musulmane. Certains juifs maghrébins s'enfuient
en Egypte ou en Sicile, mais la plupart opte pour une acceptation de l'islam,
souvent en observant secrètement le judaïsme. Maïmonide,
installé à Fès ( 1161 ) après être parti
de Cordoue occupée par cette dynastie, compose un "traité
de la sanctification du nom" destiné aux musulmans judaïsants
où il justifie qu'une conversion " simulée et provisoire
" est permise car l'islam est monothéiste et les musulmans
n'exigent qu'une déclaration de conformité sans vraiment
préciser l'abandon des pratiques juives au contraire des Chrétiens.
La situation s'aggravant, Maïmonide se réfugie en Egypte en
1165.
Abraham Ibn Ezra, fin lettré andalou, réfugié en
1147 en Castille évoque dans une élégie le sort des
communautés juives détruites en peu de temps. En 1146, c'est
le massacre des juifs de Tlemcen, de Marrakech et de Fès. Al Moumin
accentue le processus de conversion. La fin des Almohades ( 1230 ) permet
aux communautés de se reconstruire. Elles ressuscitent grâce
à l'arrivée des survivants de l'expulsion des juifs d'Espagne
en 1391.
Les expulsions de 1391 et de 1492 par les rois
catholiques espagnols.
1391 marque la fin de l'Espagne judéo-chrétienne. Meurtres
et pillages frappent les judérias en Castille, en Aragon, en Catalogne
et aux Baléares. Ils sont le fait des chrétiens et provoquent
une forte émigration vers le Maghreb central et l'installation
des réfugiés en Algérie, à Honayn, Mostaganem,
Oran, Alger, Bougie, Tlemcen, Miliana, Constantine. Ils se joignent aux
juifs autochtones ( appelés aussi les Tochavims ).
Parmi ces réfugiés espagnols ( Megorashim ), se trouvent
des lettrés séfarades qui contribuent à la renaissance
du judaïsme maghrébin. Ce sont Simon Ben Tsemah Duran, Isaac
Bar Sheshet à Alger, Ephraim Ben Israël Enkaoua à Tlemcen
et la famille Najar à Constantine. En majorité, les réfugiés
sont originaires de Majorque ou de la région de Valence. Ces lettrés
introduisent d'importants changements dans la vie sociale et religieuse
des indigènes juifs. Tlemcen, perle du Maghreb appelée aussi
« la Jérusalem occidentale », devient un foyer spirituel
dont le rayonnement se perpétuera grâce aux rabbins de la
famille Duran. A la suite de l'Edit d'expulsion des juifs d'Espagne en
1492 par les rois catholiques, Isabelle et Ferdinand, l'Algérie
est une destination secondaire par rapport au Maroc. De fait 1391 a plus
compté que 1492. Ce n'était qu'une simple étape vers
la Terre Sainte. En 1492 les Juifs expulsés partent vers le Portugal,
l'Italie et l'Afrique du Nord ( Tlemcen ). Exaspérés par
les pirates barbaresques, les Espagnols occupent Oran de 1509 à
1708 et Bougie de 1509 à 1555. Quelques familles juives sont autorisées
à s'y installer. (Kriegel Maurice)
Au Touat, porte d'accès maghrébine vers le Soudan, la communauté
locale a été épargnée par les Almohades et
a multiplié ses activités surtout aux XIVe et XVe siècles,
quand l'axe caravanier Tlemcen-TouatNiger est devenu une des principales
voies d'échanges du commerce transsaharien. La prospérité
du Touat et de sa capitale Tamentit, est telle qu'on en parle aussi bien
en Orient qu'en Occident.
Face aux Ottomans : 1505 - 1830 (Lafit
Nora)
En 1520, les frères Barberousse placent sous la protection du sultan,
l'institution de la Régence à Alger.
A Alger et dans l'Empire, les populations sont diverses ainsi que les
langues et les traditions. Une institution, le Millet, fondée sur
le concept de dhimmi, est consacrée aux non- musulmans de religion
biblique. Le Muqqadem, chef de la nation juive, est nommé par le
dey. Il est toujours le représentant d'une des grandes familles
livournaises ( aristocratie juive d'Alger ), chargé des prélèvements
de l'impôt.
Dans la ville les juifs habitent deux quartiers : la hara médiévale
et le mellahim près de Bab el Oued.
Population plus urbaine que rurale, on distingue les juifs de l'intérieur,
descendants de berbère tis ou de migrants berbérisés,
et les villes de la côte, d'origines variées. Fortement militarisé
le pouvoir tun s'imposer et les moeurs politiques y brutales.
Tous les juifs sont tenus en basse est on a besoin de leur puissance finar
jouissent d'un droit de pétition et d de recours aux tribunaux
musulr bénéficient semble-t-il d'une insert grande et participent
à de nombre' porations. Quelques-uns ont une audience. Cependant
les persécu déchaînent et la dhimma se dégrad
relever l'aspect humiliant des vêtem les juifs doivent porter. L'Alliance
dénonce une situation extrêmeme Fenton et Littman notent
que, si la et la liberté sont supérieures à c Maroc
" avant la conquête française subissent de nombreuses
mesures discriminatoires et avilissantes de la part des musulmans ",
les juifs craignent toujours un massacre ; en 1805, éclate une
émeute à Alger. En 1815, le Grand Rabbin d'Alger Isaac Aboulker
est décapité.
Prêt d'argent et change sont les activités traditionnelles
des juifs. Cependant il faut noter " la dimension impériale
ottomane du négoce juif " selon, Nora Lafi, pour qui il est
difficile de saisir l'exacte réalité de la vie juive sous
l'empire ottoman, aussi faut-il " relativiser le cliché d'une
communauté juive algérienne arriérée et opprimée
". Néanmoins, de nombreux témoins constatent l'extrême
avilissement de la population juive. En 1827 Bacri et Busnach, juifs livournais
en relations commerciales avec le dey d'Alger, ne peuvent se faire régler
le blé fourni au Directoire. A l'occasion d'une entrevue, le consul
français Deval reçoit le fameux coup d'éventail du
dey d'Alger. La conquête de la Régence d'Alger par les Français
commence alors en 1830.
Alger est conquise le 5 juillet. L'arrivée des Français
est accueillie avec soulagement. A partir de cette date l'avenir du judaïsme
algérien est étroitement lié à la France.
La dhimma est supprimée et l'égalité de droit avec
les indigènes musulmans est prononcée. La nature de la communauté
juive va aussi changer.
L'Emancipation : 1830 - 1845 - 1865 - 1870
(Assan Valérie)
Les juifs de France, ardents défenseurs de leurs coreligionnaires,
veulent sortir les juifs algériens de la situation d'abaissement
dans laquelle les ont mis les Ottomans. L'origine orientale apparaît
comme la cause principale de leur retard culturel. Ils sont également
persuadés que les juifs d'Algérie ne peuvent se régénérer
seuls.
Le système consistorial voulu par les dirigeants du judaïsme
est un élément déterminant dans l'accession des juifs
à l'émancipation. Le 9 novembre 1845 le Consistoire central
d'Alger est créé avec autorité sur les consistoires
provinciaux d'Oran et de Constantine. Ceux-ci doivent veiller aux besoins
cultuels et aux devoirs d'obéissance et de fidélité
aux lois françaises. Ce sont aussi les intermédiaires entre
la puissance administrative et la société juive traditionnelle.
Il faut aussi s'occidentaliser en portant le vêtement européen,
en envoyant les enfants à l'école israélite française
et en abandonnant les rites spécifiques.
Les consistoires manquent de moyens et de pertinence dans le choix des
chefs spirituels venus, le plus souvent, de France. De fait, ce sont les
membres laïcs " indigènes " des consistoires qui
ont su être les plus efficaces. A Paris les membres du Consistoire
central s'efforcent d'obtenir l'émancipation. Ainsi, le Sénatus-Consulte
du 14 juillet 1865 permet aux indigènes musulmans et juifs, désormais
reconnus comme sujets français, de demander la citoyenneté
à titre individuel. Le décret Crémieux du 24 octobre
1870 permet aux 35 000 juifs algériens d'obtenir collectivement
le titre de citoyens français. Les juifs sortent définitivement
de la dhimmitude et de " l'histoire musulmane du Maghreb ".
Ce décret est violemment attaqué par une partie de la communauté
européenne. Adolphe Crémieux, né en 1796 dans une
famille de vieille souche comtadine, est l'archétype distingué
et parfait de l'israélite français du XIXe. (Abitbol
Michel, Le passé d'une discorde : Juifs et Arabes du Vile à
nos jours, Perrin, Paris, 2003.) Il est l'apôtre infatigable
de la naturalisation des juifs d'Algérie et de " leur sortie
d'Egypte ". En 1880 on pose la première pierre de la grande
synagogue d'Oran. La population juive d'Algérie triple entre 1881
et 1931 et passe de 35 000 à plus de 100 000 habitants.
De l'Affaire Dreyfus à Vichy : Face à
un antisémitisme violent (Oriol
Philippe)
En 1895, des incidents et des violences contre les juifs éclatent
à Alger. En 1897 des manifestations se multiplient en France quand
l'Affaire Dreyfus reprend. Mais la situation est plus grave en Algérie.
Des boutiques sont détruites à Oran et de violentes émeutes
éclatent dans les principales villes de l'Oranie. Pour une partie
de la communauté européenne le juif est l'intrus qu'il faut
rejeter. Ils craignent que ceux-ci ne s'expriment pour la gauche républicaine.
Les anti-juifs ont peur de les voir occuper des postes dans l'administration.
Les causes de cette haine sont racistes, politiques, sociales et économiques.
(Oriol Philippe). De plus,
le décret Crémieux qui peut inciter les musulmans à
réclamer la même chose, est au coeur du débat. Ils
réclament son retrait. De graves émeutes ont lieu en janvier
1898. A cette même date Max Régis, antisémite reconnu,
prend la mairie d'Alger ( mais doit démissionner ), tandis que
Ed. Drumont entre au Parlement, d'autres antisémites sont élus
à Oran, Constantine et Alger.
La guerre de 1914-1918 est pour les juifs le moyen de montrer leur patriotisme.
Ils font preuve de beaucoup de courage : 2850 morts.
L'antisémitisme persiste néanmoins dans les casernes. Les
droits civiques ne sont pas respectés et des exclusions des listes
électorales ont lieu à Alger et à Oran. Pour s'opposer
à cet antisémitisme, le docteur Henri Aboulker crée
le Comité juif d'action économique et sociale. Mais des
émeutes éclatent encore à Alger en 1929 tandis que
les Jeunesses Patriotiques et les Croix de Feu se manifestent violemment.
Le 5 août 1934, de nouvelles émeutes se produisent à
Constantine avec des confrontations entre les juifs et les arabes ( 23
juifs assassinés et 3 musulmans tués ). Sentiment antijuif,
propagande des ligues, animosité entretenue par une partie de la
communauté européenne, profitent de la passivité
des autorités (Landau Philippe).
En 1939 est publié le décret- loi dit " Marchandeau
" qui condamne toute incitation à la haine raciale et religieuse.
Il est supprimé le 27 août 1940 et les antisémites
vont se réactiver sous Vichy. Sans pression allemande, l'abrogation
du décret Crémieux est prononcée en octobre 1940.
Les juifs redeviennent indigènes et la mention " juif indigène
" est portée sur la carte d'identité pour répondre
à la promulgation du statut des juifs.
En 1941, le Service algérien des questions juives est créé.
L'aryanisation de l'économie et de l'enseignement conduisent à
l'exclusion des personnels et des élèves avec application
d'un numerus clausus. Cette exclusion est ressentie très douloureusement
par la communauté. Des camps d'internement pour soldats juifs sont
également établis. Pour aider les troupes américaines
à débarquer en Afrique du Nord,
l'opération Torch est lancée.
Un groupe de résistants, dont des juifs, organise et prépare
le débarquement du 8 novembre 1942 sous l'autorité d'Henri
d'Astier de la Vigerie. C'est une réussite. Le général
de Gaulle arrive à Alger le 30 mars 1943. Par communiqué
du Comité Français de Libération Nationale ( CFLN
), le décret Crémieux est rétabli le 20 octobre 1943.
( Laloun Jean)
Les juifs d'Algérie face au FLN : négociations
et attentats 1954-1962.
Il est difficile en si peu de place de traiter des événements
de la guerre d'Algérie. Ainsi, c'est face au FLN et à ses
actions qui commencent en novembre 1954 que vont devoir se déterminer
les juifs d'Algérie. Par le décret Crémieux de 1870,
les Juifs sont français depuis plusieurs générations.
Ils sont très attachés à la nation française
et n'imaginent pas qu'il puisse y avoir une nation algérienne indépendante
de la France. Ils se rappellent que les nationalistes arabes ont accepté
une alliance avec les puissances de l'Axe ; ils ont aussi constaté
que la solidarité arabe fonctionnait. De nombreux attentats éclatent.
Le 20 août 1955 une insurrection générale dans le
Constantinois fait de nombreuses victimes. Le 12 mai 1956 de nouveaux
incidents graves ont lieu à Constantine.
Parallèlement, des contacts sont établis par le FLN entre
1954 et 1959. Quelles sont les dispositions d'esprit des juifs ?
Ils ne veulent pas prendre position. Silencieux, ils souhaitent l'égalité
pour tous. D'un autre côté, ils sont traumatisés par
les incidents de mai 1956. Camus écrivait déjà dans
" l'Express " du 21 octobre 1955 : " Ces populations juives,
coincées depuis des années entre l'antisémitisme
français et la méfiance arabe... ".
Aux Assises du Judaïsme algérien, Jacques Lazarus déclare
: " Que pouvons-nous faire? Etre vigilants, ne jamais provoquer,
mais tout tenter pour éviter de subir ".
Dans le cadre des négociations et des prises de position le 20
août 1956, le FLN lance un appel à la communauté juive
d'Algérie et adresse une lettre publique, datée du ler octobre
1956, au Grand rabbin d'Alger ( lettre entrée dans l'histoire comme
" l'appel de la Soummam " ), exigeant que la communauté
se défasse de son attentisme " au dessus de la mêlée
", qu'elle condamne " sans rémission le régime
colonial agonisant ", et se déclare " pour la nationalité
algérienne " ( Stora Benjamin
)
Henri Chemouilli s'interroge : " Indigènes, allions-nous rejoindre
la grande tribu des Berbères ? Français, allions-nous trahir
la France ? ". (Chemouilli Henri,
Une diaspora méconnue: Les Juifs d'Algérie, Imprimerie Moderne
de la Presse, Paris 1976.)
De son côté le Comité juif algérien d'études
sociales répond, fin novembre 1956, qu'il se veut neutre à
la recherche de l'égalité entre les citoyens. Il est favorable
à la paix et au respect des droits de l'homme. C'est une fin de
non recevoir et un basculement vers la thèse de l'Algérie
française. En 1958, André Narboni traduit la position de
la communauté à ce moment : " Vous nous demandez de
trahir une patrie dont nous sommes citoyens, la France, pour une patrie
qui n'existe pas encore. Nous entendons rester fidèles à
la France, fidèles aux idéaux de la justice et de la démocratie
".
Les contacts entre 1954 et 1959 ont échoué et les nombreux
attentats ont conduit, au début de 1960, la communauté juive
à rejoindre le camp favorable au maintien de l'Algérie française.
Le 22 juin 1961 Raymond Leyris ( Cheikh Raymond ), célèbre
chanteur et musicien, est assassiné à Constantine. A la
fin de la même année les violentes manifestations du FLN
provoquent en quelques semaines le départ du pays.
130 000 juifs sont rapatriés en France. Leur intégration
socio-professionnelle a été une réussite.
Guy Hazzan
Historien
" Ce dossier est la synthèse
de plusieurs sources dont la principale est le catalogue de l'exposition
Juifs d'Algérie ".
(a) sémitisation : langue punique et culture sémitique
(b) Séfarade : Selon Victor Malka, la Bible désigne par
ce mot le continent ibérique. C'est à partir du XIVe siècle
que l'on a pris l'habitude d'appeler les juifs vivant en Espagne, les
juifs séfarades. A partir de 1492, ils commencèrent à
essaimer dans tout le bassin méditerranéen. (Victor Malka
"Les juifs sépharades" Que sais-je, Paris, 1991).
Bibliographie
Autres ouvrages disponibles sur ce thème :
- Fenton Paul et Littman David, L'exil au Maghreb, la condition juive
sous l'Islam 1148-1912, PUPS Paris, 2010.
- Kaspi André, Les Juifs pendant l'Occupation, Seuil, Paris, 1991.
- Leroy Béatrice, L'expulsion des juifs d'Espagne, Berg International,
Paris, 1990.
- Schaub Jean Frédéric, Les juifs du roi d'Espagne; Oran
1509-1669, Hachette Littératures, Paris, 1999. - Les juifs dans
l'histoire, de la naissance du judaïsme au monde contemporain, sous
la direction d'Antoine Germa, Benjamin Lelouch et Evelyne Patlagean, Champ
Vallon, Paris, 2011.
- Jésus Pelaez del Rosal, Les juifs à Cordoue (Xe-X11e),
Ediciones el Almendro, Cordoba, 2003.
- Jean Laloum et Jean-Luc Allouche, Les Juifs d'Algérie, Edition
du Scribe, Paris 1987.
- Georges Meynié, Les Juifs en Algérie, Editeur Albert Savine,
Paris 1888.
|