Histoire des Juifs d'Algérie : des origines à 1962
Guy Hazzan
Historien

extraits du numéro 54 , 3è trimestre 2013 , de "Mémoire vive", magazine du Centre de Documentation Historique de l'Algérie, avec l'autorisation de son président.
www.cdha.fr
sur site : août 2013

+ à la suite : Souvenirs algériens : les quatre décrets Crémieux

Un troisième décret ordonnait la naturalisa: fion collective des juifs indigènes d'Algérie. Il était ainsi conçu :
« Les israélites indigènes des départements « de l'Algérie sont déclarés citoyens français ; -Ir en conséquence, leur statut réel et leur sta« tut personnel seront, à dater de la promulgation du présent décret, réglés par la loi t française, tous droits acquis jusqu'à. ce jour « restant inviolables. »

Echo d'Alger du 24-10-1913 - Transmis par Francis Rambert
février 2015

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Guy Hazzan
Histoire des Juifs


Les origines des juifs d'Algérie.

Selon les légendes populaires, les origines remonteraient à plus de deux millénaires. Les juifs d'Algérie sont-ils, comme le pensent certains historiens, les Gergéséens expulsés de Canaan par Josué au XIIe av. J.-C ? Sont-ils des colons issus des tribus d'Israël installés avec les Phéniciens fondateurs de Carthage ( 814 av. J.-C) ? Enfin, sont-ils des déportés, des esclaves, des exilés par Nabuchodonosor, destructeur du premier Temple, au VIe siècle avant J.C.? (Oliel Jacob, Les Juifs au Sahara. Le Touat au
Moyen-âge, CNRS éditions, Paris, 1994.


On peut dire que la présence des Juifs est attestée dès le Ve et VIe siècle en Egypte puis en Libye et au Maghreb. Bien que les preuves manquent, il apparaît possible que des minorités juives soient représentées dans la Carthage punique"'. Les sources archéologiques et épigraphiques attestent vers 320 av. J.-C les premières grandes colonies juives sur les côtes d'Afrique du Nord. Après l'invasion de la terre d'Israël, Ptolémée Soter, fondateur de la dynastie des Lagides, déporte 100 000 captifs juifs en Afrique ( Egypte, Cyrénaïque...). En 256 av. J.-C, les Romains s'installent sur les côtes africaines et découvrent que, dans les ports, des colonies judéo-romaines étaient déjà constituées "). Dans le cadre de l'Algérie actuelle, dès le 1er siècle apr. J.-C, une présence se confirme dans diverses régions et cités : Constantine, Henchir Fouara, Tebessa, Sétif, Cesarea ( Cherchell ), Tafsa ( Tipasa ), Ausia ( Aumale ), Rouaiha ( région de Tiaret ). Dès lors, on peut avancer que les origines géographiques des communautés présentes à l'époque romaine sont la Palestine, l'Italie ( Rome ), l'Egypte et la Cyrénaïque et qu'elles remontent sans doute à la destruction du second Temple, qui entraîne la déportation des premiers juifs en Afrique du Nord comme prisonniers de guerre ou esclaves en 70 apr. J-C. En revanche, pour les périodes précédentes, on manque de données suffisamment crédibles. ( Musée d'Art et d'Histoire du judaïsme (MAHJ), Juifs d'Algérie, catalogue de l'exposition, sous la direction d'Hoog Anne-Hélène, Paris, 2012.)

La question berbère.

" L'origine palestinienne des Berbères est une légende tenace même si l'on admet la profonde sémitisation du monde africain au cours du millénaire de la domination carthaginoise. Les autochtones au Maghreb, par leur langue et leurs moeurs, étaient devenus des Phéniciens, des Sémites, étroitement apparentés aux Hébreux de Judée " ( Chouraqui André, Histoire des Juifs d'Afrique du Nord, Hachette Littérature, 1985.).

Traqués, poursuivis ou expulsés, beaucoup de juifs ont trouvé refuge chez les Berbères auprès desquels ils se seraient livrés au prosélytisme, ce que dénonce Tertullien au He siècle apr. J.-C, ce Berbère latinisé et converti au christianisme. A cette même période, le christianisme se développe en Afrique du Nord. " Les Kabyles et les Berbères sont alors majoritairement juifs et latinisés ". (24 On trouve des tribus plus ou moins gagnées au judaïsme, surtout en Tripolitaine, dans l'Aurès, le Touat et dans les ksour du Sahara. ") Ibn Khaldoun décrit la vie de la Kahéna, cette reine juive berbère considérée par d'autres comme une simple légende. Certains historiens avancent l'hypothèse d'une judaïsation massive alors que d'autres la récusent ( H.Z. Hirschberg ), dénonçant des hypothèses fragiles. ") On a face à face deux mouvements complémentaires : " des Berbères qui se judaïsent et des juifs qui se berbérisent... Le judaïsme algérien s'est trouvé, dès son origine, à la fois spécifié par sa vieille option pharisienne et associé étroitement aux destinées des populations indigènes "(Ayoun Richard et Cohen Bernard, Les Juifs d'Algérie, deux mille ans d'histoire, collection judaïque, une bibliothèque juive, J. Lattès, Paris, 1982).

Les juifs d'Algérie face à la chrétienté et à l'islam.


----Les Vandales. : Ve-VIe siècles. En 406, les Vandales quittent l'Espagne et se répandent dans tout le Maghreb jusqu'en 533 en semant partout la destruction et l'anarchie, ce qui va donner une forte impulsion au nomadisme et à la puissance de tribus dont certaines sont judaïsées. La lutte fratricide des Vandales ariens contre le catholicisme romain en Afrique du Nord permet aux juifs de connaître un peu de tranquillité. ( Chouraqui André, Histoire des Juifs d'Afrique du Nord, Hachette Littérature, 1985.).

--- Byzance : 534-680
Au VIe siècle, l'Empereur byzantin Justinien ( 527-565 ) reprend l'Afrique aux Vandales et s'empresse de rétablir la puissance de l'Eglise et d'éliminer les lieux de culte païens, hérétiques et juifs. C'est une période particulièrement troublée pour les Juifs d'Afrique du Nord. Les mesures libérales du code théodosien reconnaissant l'existence légitime du judaïsme et la protection de la personne et des biens juifs sont supprimées. Il met les juifs et le judaïsme hors la loi.( Chouraqui André, Histoire des Juifs d'Afrique du Nord, Hachette Littérature, 1985.).

La conquête arabe et la Dhimma.

Les Arabes sont les nouveaux conquérants dès le Vile siècle. Le calife Al Malik conquiert le Maghreb et, en 711, Tarik Ibenzyad emporte l'Espagne wisigothique. Les vainqueurs réduisent brutalement la résistance des tribus berbères ainsi que celles des populations juives et chrétiennes. Rappelons la résistance ( légendaire ?) de Dihya el Kahena ( vers 674-704 ), reine de la tribu zénète judéo-berbère des Djeraoua qui avait pris la tête des tribus des Aurès contre l'invasion arabe dirigée par Hassan ben Amor et qui y trouva la mort. La reddition des tribus berbères est allée de paire avec leur conversion à l'islam préparée par le prosélytisme juif et chrétien. ( Chouraqui André, Histoire des Juifs d'Afrique du Nord, Hachette Littérature, 1985.).

Sous la domination arabe, les juifs acquièrent une condition légale fondée sur la dhimma imposée à tous " les Gens du Livre ( juifs et chrétiens ) en terre d'Islam. '3) Ce statut discriminatoire de " protégés ", régi par la Charte dite d'Omar ( calife Omar, successeur de Mahomet ) les relègue au rang de sujets de seconde zone. Le statut leur reconnaît la liberté de culte, la sécurité, la protection de leurs biens et une réelle autonomie juridique en toute matière relevant du droit privé. En contrepartie, il leur est interdit, entre autres, de critiquer le Coran, de parler du Prophète et d'Allah avec insolence, de toucher aux femmes musulmanes, de faire du prosélytisme, d'ériger des lieux de culte plus élevés que ceux des musulmans, de monter à cheval. Ils doivent s'acquitter du paiement d'un impôt de capitation et d'un impôt foncier, porter des signes vestimentaires particuliers.( Chouraqui André, Histoire des Juifs d'Afrique du Nord, Hachette Littérature, 1985.).

Mais ces règles ont été appliquées de façon plus ou moins rigoureuse selon les époques, les lieux, les souverains, leur clémence ou leur tyrannie. Malgré tout, ils restent l'objet d'humiliations, d'un profond mépris et sont considérés comme inférieurs.

Apogée ( IXe-Xe ) et déclin( XIe-XIIe )

" Dans le Maghreb central du Moyen-Age, de Babylone à Cordoue, les juifs sont fédérés par la Dhimma, le Talmud de Babylone ( Babli ), matrice culturelle et religieuse du monde séfarade et par la langue arabe... outil scientifique " Grâce à cet ensemble s'épanouit une civilisation séfarade. (Cohen-Tannoud JI Denis)

" Alliée à la dimension berbère, l'identité séfarade constitue bien la matrice originelle des juifs d'Algérie et ce, bien avant 1492 et l'exil juif espagnol en Afrique du Nord. Le Maghreb joue bien un rôle prépondérant, dès le IXe siècle, dans l'avénement de l'identité séfarade ". (Cohen-Tannoud JI Denis)

Les IXe et Xe siècles sont une période de développement pour les juifs du Maghreb qui se trouvent géographiquement situé au carrefour entre l'Orient, le pourtour méditerranéen et l'Espagne musulmane. En contact avec la ville de Kairouan, haut lieu culturel, scientifique, philosophique et religieux, les communautés d'Algérie sont parmi les plus brillantes de la Diaspora à l'exemple de celles de Tlemcen et Tahirt, importants foyers rabbiniques. Parmi les lettrés, citons Isaac Al Fasi, né dans la région de Constantine en 1013 et qui est devenu très célèbre pour avoir mis en forme la première codification du droit talmudique permettant aux communautés maghrébines et andalouses de s'émanciper des autorités babyloniennes. Des liens étroits avec la Terre Sainte unissent les communautés. L'âge d'or séfarade connait son apogée avec la chute du califat omeyyade de Cordoue en 1012 et la conquête de l'Andalousie et du Maghreb par les Almoravides, chassés eux-mêmes par la tribu berbère venant du Haut-Atlas, les
Almohades au XIIe siècle.

D'une orthodoxie rigoureuse et intolérante, les Almohades persécutent les juifs et les forcent à la conversion dans l'ensemble de l'Afrique du Nord et de l'Espagne musulmane. Certains juifs maghrébins s'enfuient en Egypte ou en Sicile, mais la plupart opte pour une acceptation de l'islam, souvent en observant secrètement le judaïsme. Maïmonide, installé à Fès ( 1161 ) après être parti de Cordoue occupée par cette dynastie, compose un "traité de la sanctification du nom" destiné aux musulmans judaïsants où il justifie qu'une conversion " simulée et provisoire " est permise car l'islam est monothéiste et les musulmans n'exigent qu'une déclaration de conformité sans vraiment préciser l'abandon des pratiques juives au contraire des Chrétiens. La situation s'aggravant, Maïmonide se réfugie en Egypte en 1165.

Abraham Ibn Ezra, fin lettré andalou, réfugié en 1147 en Castille évoque dans une élégie le sort des communautés juives détruites en peu de temps. En 1146, c'est le massacre des juifs de Tlemcen, de Marrakech et de Fès. Al Moumin accentue le processus de conversion. La fin des Almohades ( 1230 ) permet aux communautés de se reconstruire. Elles ressuscitent grâce à l'arrivée des survivants de l'expulsion des juifs d'Espagne en 1391.

Les expulsions de 1391 et de 1492 par les rois catholiques espagnols.

1391 marque la fin de l'Espagne judéo-chrétienne. Meurtres et pillages frappent les judérias en Castille, en Aragon, en Catalogne et aux Baléares. Ils sont le fait des chrétiens et provoquent une forte émigration vers le Maghreb central et l'installation des réfugiés en Algérie, à Honayn, Mostaganem, Oran, Alger, Bougie, Tlemcen, Miliana, Constantine. Ils se joignent aux juifs autochtones ( appelés aussi les Tochavims ).

Parmi ces réfugiés espagnols ( Megorashim ), se trouvent des lettrés séfarades qui contribuent à la renaissance du judaïsme maghrébin. Ce sont Simon Ben Tsemah Duran, Isaac Bar Sheshet à Alger, Ephraim Ben Israël Enkaoua à Tlemcen et la famille Najar à Constantine. En majorité, les réfugiés sont originaires de Majorque ou de la région de Valence. Ces lettrés introduisent d'importants changements dans la vie sociale et religieuse des indigènes juifs. Tlemcen, perle du Maghreb appelée aussi « la Jérusalem occidentale », devient un foyer spirituel dont le rayonnement se perpétuera grâce aux rabbins de la famille Duran. A la suite de l'Edit d'expulsion des juifs d'Espagne en 1492 par les rois catholiques, Isabelle et Ferdinand, l'Algérie est une destination secondaire par rapport au Maroc. De fait 1391 a plus compté que 1492. Ce n'était qu'une simple étape vers la Terre Sainte. En 1492 les Juifs expulsés partent vers le Portugal, l'Italie et l'Afrique du Nord ( Tlemcen ). Exaspérés par les pirates barbaresques, les Espagnols occupent Oran de 1509 à 1708 et Bougie de 1509 à 1555. Quelques familles juives sont autorisées à s'y installer. (Kriegel Maurice)

Au Touat, porte d'accès maghrébine vers le Soudan, la communauté locale a été épargnée par les Almohades et a multiplié ses activités surtout aux XIVe et XVe siècles, quand l'axe caravanier Tlemcen-TouatNiger est devenu une des principales voies d'échanges du commerce transsaharien. La prospérité du Touat et de sa capitale Tamentit, est telle qu'on en parle aussi bien en Orient qu'en Occident.

Face aux Ottomans : 1505 - 1830 (Lafit Nora)

En 1520, les frères Barberousse placent sous la protection du sultan, l'institution de la Régence à Alger.

A Alger et dans l'Empire, les populations sont diverses ainsi que les langues et les traditions. Une institution, le Millet, fondée sur le concept de dhimmi, est consacrée aux non- musulmans de religion biblique. Le Muqqadem, chef de la nation juive, est nommé par le dey. Il est toujours le représentant d'une des grandes familles livournaises ( aristocratie juive d'Alger ), chargé des prélèvements de l'impôt.

Dans la ville les juifs habitent deux quartiers : la hara médiévale et le mellahim près de Bab el Oued.

Population plus urbaine que rurale, on distingue les juifs de l'intérieur, descendants de berbère tis ou de migrants berbérisés, et les villes de la côte, d'origines variées. Fortement militarisé le pouvoir tun s'imposer et les moeurs politiques y brutales.

Tous les juifs sont tenus en basse est on a besoin de leur puissance finar jouissent d'un droit de pétition et d de recours aux tribunaux musulr bénéficient semble-t-il d'une insert grande et participent à de nombre' porations. Quelques-uns ont une audience. Cependant les persécu déchaînent et la dhimma se dégrad relever l'aspect humiliant des vêtem les juifs doivent porter. L'Alliance dénonce une situation extrêmeme Fenton et Littman notent que, si la et la liberté sont supérieures à c Maroc " avant la conquête française subissent de nombreuses mesures discriminatoires et avilissantes de la part des musulmans ", les juifs craignent toujours un massacre ; en 1805, éclate une émeute à Alger. En 1815, le Grand Rabbin d'Alger Isaac Aboulker est décapité.

Prêt d'argent et change sont les activités traditionnelles des juifs. Cependant il faut noter " la dimension impériale ottomane du négoce juif " selon, Nora Lafi, pour qui il est difficile de saisir l'exacte réalité de la vie juive sous l'empire ottoman, aussi faut-il " relativiser le cliché d'une communauté juive algérienne arriérée et opprimée ". Néanmoins, de nombreux témoins constatent l'extrême avilissement de la population juive. En 1827 Bacri et Busnach, juifs livournais en relations commerciales avec le dey d'Alger, ne peuvent se faire régler le blé fourni au Directoire. A l'occasion d'une entrevue, le consul français Deval reçoit le fameux coup d'éventail du dey d'Alger. La conquête de la Régence d'Alger par les Français commence alors en 1830.

Alger est conquise le 5 juillet. L'arrivée des Français est accueillie avec soulagement. A partir de cette date l'avenir du judaïsme algérien est étroitement lié à la France. La dhimma est supprimée et l'égalité de droit avec les indigènes musulmans est prononcée. La nature de la communauté juive va aussi changer.

L'Emancipation : 1830 - 1845 - 1865 - 1870 (Assan Valérie)

Les juifs de France, ardents défenseurs de leurs coreligionnaires, veulent sortir les juifs algériens de la situation d'abaissement dans laquelle les ont mis les Ottomans. L'origine orientale apparaît comme la cause principale de leur retard culturel. Ils sont également persuadés que les juifs d'Algérie ne peuvent se régénérer seuls.

Le système consistorial voulu par les dirigeants du judaïsme est un élément déterminant dans l'accession des juifs à l'émancipation. Le 9 novembre 1845 le Consistoire central d'Alger est créé avec autorité sur les consistoires provinciaux d'Oran et de Constantine. Ceux-ci doivent veiller aux besoins cultuels et aux devoirs d'obéissance et de fidélité aux lois françaises. Ce sont aussi les intermédiaires entre la puissance administrative et la société juive traditionnelle.

Il faut aussi s'occidentaliser en portant le vêtement européen, en envoyant les enfants à l'école israélite française et en abandonnant les rites spécifiques.

Les consistoires manquent de moyens et de pertinence dans le choix des chefs spirituels venus, le plus souvent, de France. De fait, ce sont les membres laïcs " indigènes " des consistoires qui ont su être les plus efficaces. A Paris les membres du Consistoire central s'efforcent d'obtenir l'émancipation. Ainsi, le Sénatus-Consulte du 14 juillet 1865 permet aux indigènes musulmans et juifs, désormais reconnus comme sujets français, de demander la citoyenneté à titre individuel. Le décret Crémieux du 24 octobre 1870 permet aux 35 000 juifs algériens d'obtenir collectivement le titre de citoyens français. Les juifs sortent définitivement de la dhimmitude et de " l'histoire musulmane du Maghreb ". Ce décret est violemment attaqué par une partie de la communauté européenne. Adolphe Crémieux, né en 1796 dans une famille de vieille souche comtadine, est l'archétype distingué et parfait de l'israélite français du XIXe. (Abitbol Michel, Le passé d'une discorde : Juifs et Arabes du Vile à nos jours, Perrin, Paris, 2003.) Il est l'apôtre infatigable de la naturalisation des juifs d'Algérie et de " leur sortie d'Egypte ". En 1880 on pose la première pierre de la grande synagogue d'Oran. La population juive d'Algérie triple entre 1881 et 1931 et passe de 35 000 à plus de 100 000 habitants.

De l'Affaire Dreyfus à Vichy : Face à un antisémitisme violent (Oriol Philippe)

En 1895, des incidents et des violences contre les juifs éclatent à Alger. En 1897 des manifestations se multiplient en France quand l'Affaire Dreyfus reprend. Mais la situation est plus grave en Algérie. Des boutiques sont détruites à Oran et de violentes émeutes éclatent dans les principales villes de l'Oranie. Pour une partie de la communauté européenne le juif est l'intrus qu'il faut rejeter. Ils craignent que ceux-ci ne s'expriment pour la gauche républicaine. Les anti-juifs ont peur de les voir occuper des postes dans l'administration. Les causes de cette haine sont racistes, politiques, sociales et économiques. (Oriol Philippe). De plus, le décret Crémieux qui peut inciter les musulmans à réclamer la même chose, est au coeur du débat. Ils réclament son retrait. De graves émeutes ont lieu en janvier 1898. A cette même date Max Régis, antisémite reconnu, prend la mairie d'Alger ( mais doit démissionner ), tandis que Ed. Drumont entre au Parlement, d'autres antisémites sont élus à Oran, Constantine et Alger.

La guerre de 1914-1918 est pour les juifs le moyen de montrer leur patriotisme. Ils font preuve de beaucoup de courage : 2850 morts.

L'antisémitisme persiste néanmoins dans les casernes. Les droits civiques ne sont pas respectés et des exclusions des listes électorales ont lieu à Alger et à Oran. Pour s'opposer à cet antisémitisme, le docteur Henri Aboulker crée le Comité juif d'action économique et sociale. Mais des émeutes éclatent encore à Alger en 1929 tandis que les Jeunesses Patriotiques et les Croix de Feu se manifestent violemment. Le 5 août 1934, de nouvelles émeutes se produisent à Constantine avec des confrontations entre les juifs et les arabes ( 23 juifs assassinés et 3 musulmans tués ). Sentiment antijuif, propagande des ligues, animosité entretenue par une partie de la communauté européenne, profitent de la passivité des autorités (Landau Philippe). En 1939 est publié le décret- loi dit " Marchandeau " qui condamne toute incitation à la haine raciale et religieuse. Il est supprimé le 27 août 1940 et les antisémites vont se réactiver sous Vichy. Sans pression allemande, l'abrogation du décret Crémieux est prononcée en octobre 1940.

Les juifs redeviennent indigènes et la mention " juif indigène " est portée sur la carte d'identité pour répondre à la promulgation du statut des juifs.

En 1941, le Service algérien des questions juives est créé. L'aryanisation de l'économie et de l'enseignement conduisent à l'exclusion des personnels et des élèves avec application d'un numerus clausus. Cette exclusion est ressentie très douloureusement par la communauté. Des camps d'internement pour soldats juifs sont également établis. Pour aider les troupes américaines à débarquer en Afrique du Nord, l'opération Torch
est lancée. Un groupe de résistants, dont des juifs, organise et prépare le débarquement du 8 novembre 1942 sous l'autorité d'Henri d'Astier de la Vigerie. C'est une réussite. Le général de Gaulle arrive à Alger le 30 mars 1943. Par communiqué du Comité Français de Libération Nationale ( CFLN ), le décret Crémieux est rétabli le 20 octobre 1943. ( Laloun Jean)

Les juifs d'Algérie face au FLN : négociations et attentats 1954-1962.

Il est difficile en si peu de place de traiter des événements de la guerre d'Algérie. Ainsi, c'est face au FLN et à ses actions qui commencent en novembre 1954 que vont devoir se déterminer les juifs d'Algérie. Par le décret Crémieux de 1870, les Juifs sont français depuis plusieurs générations. Ils sont très attachés à la nation française et n'imaginent pas qu'il puisse y avoir une nation algérienne indépendante de la France. Ils se rappellent que les nationalistes arabes ont accepté une alliance avec les puissances de l'Axe ; ils ont aussi constaté que la solidarité arabe fonctionnait. De nombreux attentats éclatent. Le 20 août 1955 une insurrection générale dans le Constantinois fait de nombreuses victimes. Le 12 mai 1956 de nouveaux incidents graves ont lieu à Constantine. Parallèlement, des contacts sont établis par le FLN entre 1954 et 1959. Quelles sont les dispositions d'esprit des juifs ?

Ils ne veulent pas prendre position. Silencieux, ils souhaitent l'égalité pour tous. D'un autre côté, ils sont traumatisés par les incidents de mai 1956. Camus écrivait déjà dans " l'Express " du 21 octobre 1955 : " Ces populations juives, coincées depuis des années entre l'antisémitisme français et la méfiance arabe... ".

Aux Assises du Judaïsme algérien, Jacques Lazarus déclare : " Que pouvons-nous faire? Etre vigilants, ne jamais provoquer, mais tout tenter pour éviter de subir ".

Dans le cadre des négociations et des prises de position le 20 août 1956, le FLN lance un appel à la communauté juive d'Algérie et adresse une lettre publique, datée du ler octobre 1956, au Grand rabbin d'Alger ( lettre entrée dans l'histoire comme " l'appel de la Soummam " ), exigeant que la communauté se défasse de son attentisme " au dessus de la mêlée ", qu'elle condamne " sans rémission le régime colonial agonisant ", et se déclare " pour la nationalité algérienne " ( Stora Benjamin )

Henri Chemouilli s'interroge : " Indigènes, allions-nous rejoindre la grande tribu des Berbères ? Français, allions-nous trahir la France ? ". (Chemouilli Henri, Une diaspora méconnue: Les Juifs d'Algérie, Imprimerie Moderne de la Presse, Paris 1976.)

De son côté le Comité juif algérien d'études sociales répond, fin novembre 1956, qu'il se veut neutre à la recherche de l'égalité entre les citoyens. Il est favorable à la paix et au respect des droits de l'homme. C'est une fin de non recevoir et un basculement vers la thèse de l'Algérie française. En 1958, André Narboni traduit la position de la communauté à ce moment : " Vous nous demandez de trahir une patrie dont nous sommes citoyens, la France, pour une patrie qui n'existe pas encore. Nous entendons rester fidèles à la France, fidèles aux idéaux de la justice et de la démocratie ".

Les contacts entre 1954 et 1959 ont échoué et les nombreux attentats ont conduit, au début de 1960, la communauté juive à rejoindre le camp favorable au maintien de l'Algérie française.

Le 22 juin 1961 Raymond Leyris ( Cheikh Raymond ), célèbre chanteur et musicien, est assassiné à Constantine. A la fin de la même année les violentes manifestations du FLN provoquent en quelques semaines le départ du pays.

130 000 juifs sont rapatriés en France. Leur intégration socio-professionnelle a été une réussite.

Guy Hazzan
Historien

" Ce dossier est la synthèse de plusieurs sources dont la principale est le catalogue de l'exposition Juifs d'Algérie ".
(a) sémitisation : langue punique et culture sémitique
(b) Séfarade : Selon Victor Malka, la Bible désigne par ce mot le continent ibérique. C'est à partir du XIVe siècle que l'on a pris l'habitude d'appeler les juifs vivant en Espagne, les juifs séfarades. A partir de 1492, ils commencèrent à essaimer dans tout le bassin méditerranéen. (Victor Malka "Les juifs sépharades" Que sais-je, Paris, 1991).

Bibliographie

Autres ouvrages disponibles sur ce thème :
- Fenton Paul et Littman David, L'exil au Maghreb, la condition juive sous l'Islam 1148-1912, PUPS Paris, 2010.
- Kaspi André, Les Juifs pendant l'Occupation, Seuil, Paris, 1991.
- Leroy Béatrice, L'expulsion des juifs d'Espagne, Berg International, Paris, 1990.
- Schaub Jean Frédéric, Les juifs du roi d'Espagne; Oran 1509-1669, Hachette Littératures, Paris, 1999. - Les juifs dans l'histoire, de la naissance du judaïsme au monde contemporain, sous la direction d'Antoine Germa, Benjamin Lelouch et Evelyne Patlagean, Champ Vallon, Paris, 2011.
- Jésus Pelaez del Rosal, Les juifs à Cordoue (Xe-X11e), Ediciones el Almendro, Cordoba, 2003.
- Jean Laloum et Jean-Luc Allouche, Les Juifs d'Algérie, Edition du Scribe, Paris 1987.
- Georges Meynié, Les Juifs en Algérie, Editeur Albert Savine, Paris 1888.

Souvenirs algériens : les quatre décrets Crémlieux