Le grand Lycée d'Alger
Le lycée vers 1912 (coll.B.Venis)
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Des débuts très modestes
Au lendemain de la prise d'Alger et au début de la conquête
les autorités ne se préoccupent que fort peu de la création
d'établissements scolaires, les opérations militaires restant
l'objectif principal.
La première école libre ouvre le 27 mai 1833 à Alger
sur une décision du baron Voirol. D'abord située
rue Socgemah, puis rue du Sagittaire, c'est un modeste établissement
qui compte au plus une vingtaine d'écoliers, fils de fonctionnaires,
de militaires ou de colons de la première heure. Quatre professeurs
y apportent des rudiments de connaissances à des élèves
plus ou moins studieux. Mais le nombre d'élèves va se développer
rapidement et l'humble école devient vite inadaptée. La
recherche de nouveaux espaces devient nécessaire et c'est une maison
mauresque de la rue des Trois Couleurs qui est choisie. Les 115 élèves
qu'elle abrite deux ans plus tard vont se trouver de nouveau très
à l'étroit.
La création du Lycée d'Alger
En 1840 l'humble école, devenue entre-temps collège, se
voit attribuer par le Gouverneur Général Damrémont
une ancienne caserne de janissaires située à l'entrée
de la rue
Bab Azoun. Cette caserne transformée en établissement
d'enseignement par l'architecte
Guiauchain, avait été construite par le dey Hassan
Pacha pour renforcer les défenses d'Alger après l'attaque
de Charles Quint. Les dortoirs, longues salles sombres aux fenêtres
grillagées, qui dominent une falaise battue par la mer, sont particulièrement
lugubres. Les classes des humanités ont été aménagées
dans les anciennes écuries des janissaires.
L'uniforme des collégiens
Pour conserver une apparence militaire à l'établissement,
un vieux tambour va être affecté au collège. Il est
là pour remplacer la frêle cloche qu'on entendait à
peine. A l'heure des cours il donne le signal de l'entrée ou de
la sortie par un roulement sonore, sous l'oeil sévère des
maîtres d'études, tandis que les élèves défilent
d'un air martial.
Les collégiens, qui dépendent encore de l'autorité
militaire, portent un uniforme bleu roi avec une casquette et une capote
à galons d'or. Les boutons sont gravés de l'inscription
" Collège d'Alger " et un ceinturon à écusson
doré complète la tenue. C'est le 7 septembre 1848, dès
la création de l'Académie d'Alger, que le collège
va prendre l'appellation de Lycée.
Des conditions d'études de plus en plus
précaires
En 1855 Napoléon III rend visite aux 500 élèves du
Lycée. C'est l'apothéose ! Après avoir crié
" Vive l'Empereur, vive l'Impératrice ! " ils se voient
gratifiés d'un jour de congé.
Mais le nombre d'élèves s'accroît toujours. En 1859
l'afflux est tel qu'il faut trouver un nouvel emplacement car les lycéens
poursuivent leurs études dans des conditions très difficiles,
malgré l'adjonction de locaux annexes situés dans une ancienne
caserne d'artillerie.
Vers la construction d'un nouvel établissement
En février 1860, après de multiples tergiversations, le
site d'un nouveau lycée est choisi. Il sera situé au-delà
des remparts de la Casbah à l'entrée du pauvre faubourg
Bab- El-Oued. C'est une vaste esplanade au sol inégal, couvert
de broussailles, de décombres, d'immondices et de traces d'anciennes
sépultures. Sur la partie sud on voit encore les vieilles tombes
des pachas et dans la partie basse, un vaste square.
C'est là que les condamnés militaires du Colonel Marengo
avaient aménagé en 1833 un jardin appelé " Jardin
des condamnés " puis "
Jardin Marengo ". Plus bas encore s'élève
le Fort Neuf, appelé aussi " Bordj El Zoubia " (fort
des immondices). Il domine une petite crique où à l'époque
turque on démolissait les bateaux provenant des prises. Devenu
prison militaire en 1843 le bâtiment sera plus tard démoli
pour faire place à la caserne Pélissier.
Cette zone longtemps inoccupée porte le nom de Place Bab-El-Oued
( plus tard place Jean Mermoz ). C'était le lieu où l'on
dressait la guillotine les jours d'exécution des condamnés
à mort.
C'est sur cet emplacement de plus de 12.000 m2 que sera érigé
le nouveau lycée. Il convient de noter au passage que le Maréchal
Bugeaud s'opposa longtemps à la construction de l'établissement
en ce lieu et Napoléon III visitant Alger en 1865, bien que les
travaux fussent bien avancés, blâma lui aussi le choix de
ce terrain.
Les architectes avaient vu grand. Le plan est ambitieux. Il s'agit de
construire un bâtiment imposant, avec une façade à
arcades grandiose avec en son milieu un escalier monumental en haut duquel
s'ouvre la grande porte.
Le monumental édifice sera composé de trois corps de bâtiments
parallèles reliés par des galeries superposées sur
deux niveaux, formant ainsi trois cours.
Un coût particulièrement élevé
De 1854 à 1864 de multiples expropriations ont été
nécessaires pour l'édification du lycée qui va coûter
très cher car, de plus, l'Etat a pris possession de l'établissement
" sans réception préalable des travaux ".
Sa mise en service va être assimilée par les juges à
une " réception définitive sans réserve ".
Ce qui va permettre aux entreprises adjudicataires de facturer tous les
travaux complémentaires imprévus, allant jusqu'à
gagner un procès contre le maître d'oeuvre. Les premiers
travaux de déblaiement commencent le 10 décembre 1861, sur
la base d'un descriptif détaillé et d'un quantitatif précis.
Ce sont les entreprises Charles Martinelli et Pio Maselli qui ont remporté
le marché. Les terrassements et la construction des bâtiments
vont durer six années, de 1862 à 1868. Dès les premiers
coups de pioche des terrassiers, des vestiges de l'occupation romaine
vont apparaître. En juin 1863, à douze mètres de profondeur
les ouvriers vont découvrir une chambre funéraire. Le révérend
Berbrugger va y recueillir de la vaisselle en terre cuite de caractère
artistique. Ce caveau antique sera longtemps conservé dans le sous-sol
du lycée.
L'inauguration
Le lycée sera inauguré, puis mis immédiatement en
service en octobre 1868, tandis que les bâtiments de l'ancien Lycée
Bab-Azoun de plus en plus délabrés seront voués à
la démolition. Auparavant le conservateur de la bibliothèque
impériale, le R.P. Berbrugger, avait pris la précaution
de faire transporter au Musée les inscriptions arabes qui s'y trouvaient,
tandis que les colonnes ciselées et les précieuses faïences
serviront à décorer la salle à manger du Palais d'Eté.
Un mot sur l'horloge que tous les anciens ont bien connue. Elle a été
placée en septembre 1870 et a coûté 2 190 francs.
Le son familier de sa cloche a marqué la vie de générations
d'élèves depuis la création du lycée.
Dans la cour centrale s'ouvre, au deuxième étage la chapelle.
Des centaines d'élèves y ont fait leur première communion.
Au rez- de-chaussée, la salle de permanence accueille, sous l'autorité
d'un appariteur placé sur une haute estrade, les élèves
qui n'ont pas de cours.
Hommage aux morts de la Grande Guerre
:
C'est le 23 novembre 1922 que le Gouverneur Général Steeg
va procéder à l'inauguration des tables de marbre érigées
dans le parloir à la mémoire des 250 professeurs, surveillants,
agents et élèves du lycée tombés au Champ
d'Honneur pendant la guerre 1914-18.
Par les soins de l'association des anciens élèves, organisatrice
de la cérémonie, deux palmes de bronze vont décorer
ces tables du souvenir, oeuvre des architectes Petit et Garnier.
Le bombardement
Document Jean-Claude Thiodet
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Le 24 novembre 1942 le Lycée d'Alger
est la cible d'un bombardement par un avion isolé de la Luftwaffe.
Deux bombes vont atteindre l'aile droite de la façade principale,
entraînant la mort du proviseur Lalande et de sa petite fille adoptive
alors qu'ils étaient réfugiés dans une cave. Le censeur,
son épouse et leurs deux enfants vont également périr
au cours de ce raid tragique.
Après le bombardement, les cours ne purent reprendre. Le lycée
fut alors occupé par les Anglais. Les élèves furent
envoyés pour certains à l'école de la rue Lazerges
et, pour d'autres, à celles de la rue du Soudan et de la rue Rochambeau.
Les cours reprirent normalement en 1945/46.
Le Grand Lycée d'Alger devient Lycée
Bugeaud
Pourquoi Grand Lycée d'Alger et non Lycée Bugeaud ?
Selon Bernard Ducongé, de la " Taupe arabe ", l'appellation
" Lycée Bugeaud " apparaît aux alentours des années
1942. On manque de précisions sur ce qui a motivé ce changement
de nom.
Jusqu'en 1962, le Lycée Bugeaud va conserver le quasi-monopole
de l'enseignement classique et surtout la formation des élites
dans les classes préparatoires aux grandes écoles scientifiques
( la Taupe ), littéraires ( Khâgne ), économiques
( Agro ) et militaires ( Saint Cyr, La Corniche ).
Quelques élèves prestigieux
Charles de Galland (1851-1923 ) professeur de lettres puis maire d'Alger,
Alphonse Juin (1888-1967) Maréchal de France, Pierre Benoit académicien,
Louis Gentil de l'Académie des sciences, Jules Carde Gouverneur
Général de l'Algérie de 1930 à 1935.
Des professeurs et des élèves devenus célèbres
Fernand Braudel, Yves Lacoste, André Grec, Georges Aymé
physicien et océanographe spécialiste de la Méditerranée,
Masqueray, Maurice Wahl, Louis Bertrand, Jules Lemaître, Jean Grenier
y ont enseigné. Mohand Idir Ait Amrane, Dalil Boubakeur, Jacques
Derrida, Alain Vircondelet, Roger Hanin, Mouloud Mameri, Paul Charles
Robert ( dictionnaire ) y ont étudié. Ainsi que deux prix
Nobel : Albert Camus et Claude Cohen Tannoudji.
La liste paraît inépuisable.(
Note du déjanté: bigre! L'on m'a oublié, si je ne
m'abuse! (le docteur?))
L'association des Anciens Elèves
Dès 1859, une association des Anciens Elèves s'est constituée.
Elle organisera de nombreuses manifestations culturelles, littéraires,
théâtrales et commémoratives, des expositions et des
bals.
Après l'Indépendance s'est créée une association
des Anciens Elèves du Lycée Bugeaud.
( Voir le site Bernard Venis : Lycée Bugeaud ). Présentation
de l'A.T.A. ( les Amis de la Taupe Arabe) par Charles Pompéi Président
" Très tôt après l'arrivée des Français
en 1830, les autorités eurent pour souci de créer sur place
des classes d'enseignement supérieur pour éviter que les
étudiants aient à " s'exiler " en métropole,
vu les conditions difficiles des voyages à cette époque.
En 1873, il est déjà fait mention d'une classe de spéciales
" et de classes préparatoires à Saint Cyr et Navale
en 1886 et 1889. Ces classes firent partie intégrante du Lycée
jusqu'en juin 1962.
C'est sans doute dans les années trente que la désignation
familière de " Taupe Arabe " fut attribuée aux
classes de mathématiques supérieures et spéciales
par les élèves eux- mêmes, pour se différencier
de leurs homologues métropolitains avec lesquels s'était
établie une amicale compétition. Les élèves
d'origine indigène y étaient assez peu nombreux, en partie
du fait d'une plus grande attirance pour les filières universitaires,
droit, médecine, pharmacie qui avaient davantage de succès
auprès d'eux.
Après la seconde guerre mondiale et jusqu'en 1962, la " Taupe
Arabe " était l'une des meilleures écoles de France
osant disputer certaines années, à de grands lycées
parisiens ou à Sainte Geneviève à Versailles, les
meilleurs taux de réussite à Polytechnique et Normale Supérieure.
Grâce à des professeurs dévoués, l'apport de
ces élèves aux Académies, Instituts Savants dans
la recherche et l'enseignement supérieur, tout comme les industries
et le nucléaire notamment ne peut être passé sous
silence ".
On peut retrouver mention de ces résultats dans les archives des
Grandes Écoles, et dans le remarquable ouvrage de René Mayer,
ancien élève : " Le Dictionnaire biographique des Français
d'Afrique du Nord " Parmi les plus éminents on compte Claude
Cohen-Tannoudji, Prix Nobel de Physique en 1997.
Albert Camus est là pour rappeler que l'enseignement des lettres
à Bugeaud n'avait rien à envier aux disciplines scientifiques.
Une forte proportion des élèves venait des autres lycées
d'Afrique du Nord. Ils étaient pensionnaires et vivaient en groupes
soudés. Les jeunes filles n'y étaient pas rares à
une
époque où les " Grandes Écoles " étaient
plutôt misogynes ! Certaines ont mené une grande carrière,
en particulier dans l'enseignement. Profondément marqués
dans les années 1950 par la personnalité du professeur principal,
le mathématicien Marcel Saint-Jean, les anciens élèves
ont fondé en 1985 une association, l'A.T.A. qui reste aujourd'hui
très active en dépassant leur naturelle nostalgie des années
passées pour maintenir et développer des liens culturels,
scientifiques ou tout simplement amicaux entre les survivants des classes
de Mathématiques Supérieures et Spéciales du Lycée
Bugeaud. L'A.T.A., s'est ouverte par cooptation à d'anciens élèves
d'autres classes préparatoires de l'enseignement supérieur
d'Algérie jusqu'en 1962 ".
Gérard Séguy
Sources :
Henri Klein, Centenaire
du Lycée d'Alger 1833-1933 -
Feuillets
d'El-Djezaïr.
- Francis Curtes avec la collaboration d'Edouard Pons : Histoire du Lycée
Bugeaud d'Alger -
- Le site Lycée Bugeaud de Bernard Venis
http://lycee-bugeaud.fr
- Les Amis de la Taupe Arabe : Le Sablier de nos souvenirs, histoire d'ATA
des origines à 1962.
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