L'ATMOSPHÈRE à la fois trépidante
et étouffante d'Alger se prête mal, semble-t-il, à
l'existence
d'un " Eden" saturé d'oxygène et de joies campagnardes,
dans la cité même, à deux pas de la chaleur, du bruit
et des embouteillages.
Surprenante gageure, qui nous vaut une belle surprise lorsque nous découvrons,
à vingt minutes de la Grande Poste, le Centre Familial de Ben Aknoun,
oeuvre maîtresse de la Caisse Interprofessionnelle des Allocations
Familiales du Commerce de la Région d'Alger (Inter A.F. Alger).
Son historique révèle une longue gestation. Nous saurons
ainsi que les premières réalisations du Centre Familial
retardées par les aléas du dernier grand conflit, prirent
seulement forme en 1946, bien que l'idée en datât de 1942;
il fallut encore attendre le 20 janvier 1950, pour voir apparaître
les dix premiers appartements implantés dans la zone réservée
au village et qui furent durant l'été mis à la disposition
des familles. Au cours de cet été de pré-inauguration,
33 familles groupant 257 personnes : 68 parents et 189 enfants, les occupèrent
successivement. Puis dans la mesure où le permettait l'achèvement
des travaux en cours, ce furent en 1951, 96 familles réunissant
578 personnes dont 384 enfants. Enfin, en 1952 les organisateurs du Centre
purent faire étalage de toutes les possibilités normales
de réception.
Ainsi il avait fallu dix années pour parvenir pleinement au but
hautement social que s'étaient fixé, dans la tourmente de
la fin de guerre, les promoteurs, fondateurs et membres du Conseil d'administration
de la C.I.C.A.F. D.A. Au premier rang de ceux-ci se distinguèrent
MM. Jacques Chevallier, (dernier maire d'Alger), Mustapha Tamzali, Edouard
Fermaud, Jean Meley, ainsi qu'Alexandre Chaulet, directeur de la Caisse.
Un coin de campagne dans
Alger.
Faisant partie d'Alger, depuis 1959, inscrit dans le 7è arrondissement
(El-Biar,
Climat-de-France, Dély-Ibrahim) au Sud-Ouest du centre-ville,
distant d'environ 7 km, le Centre familial étale ses 20 ha sur
les premières hauteurs du Sahel algérois.
A 250 mètres du niveau de la mer, il bénéficie, en
comparaison des températures caniculaires relevées dans
les basses zones urbaines d'Alger, d'un climat exceptionnellement frais
et sec. Cause heureuse due aussi en grande part à la bonne orientation
du site, à la nature luxuriante et aux ombrages de quelque 8 ha
de bois constitués par des pins et des eucalyptus aux arômes
puissants.
L'accès et la liaison avec les autres parties de la ville sont
faciles : il suffit d'emprunter la route en direction de Dély-Ibrahim
et de dépasser le centre de Ben-Aknoun. Hier encore
en marge du développement des périphéries résidentielles
malgré ses grandes écoles et sa cité universitaire,
cette localité est atteinte aujourd'hui, à son tour, par
la fièvre d'édification des grands ensembles de l'habitat
et de l'industrie. Facilement repérable, le Centre a une longue
façade sur la route de Dély-Ibrahim. Sitôt entré
le visiteur a devant lui le ravissement d'un mamelon verdoyant, planté
d'arbustes, de tonnelles fleuries où s'insère, dans une
heureuse disposition, le pavillon d'accueil. Gravissant l'un de ces petits
chemins au tracé irréprochable, on découvre, un peu
plus haut, le bloc-restaurant et sa large baie vitrée, dévoreuse
de lumière.
Accueilli par le directeur Jacques Despins et les deux principaux collaborateurs,
l'économe Roland Bevilacqua et le secrétaire général
Alexandre Bugnet nous ferons bien vite l'expérience de leur hospitalité.
" Ici, nous dit M. Jacques Despins, nous avons conçu une formule
qui offre à chacun le cadre et les plaisirs de son choix, sans
compromettre l'autonomie familiale, si difficile à réaliser
en période de travail."Et cette définition, cette doctrine,
à tout instant et partout nous sera confirmée par de nombreux
exemples.
Nous commençons par le "village" base essentielle, pour
la cellule familiale où suivant le moment, on peut assister dans
les allées et les ruelles, au flux et au reflux de ses habitants.
Voici, sur une pente nord du domaine, zone de fraîcheur, une succession
de pavillons bordés d'arbustes, dispersés harmonieusement,
ceinturés de plates-bandes, comprenant une centaine d'appartements.
L'architecte Lathuillière a su exécuter une oeuvre attrayante
d'une composition analogue à celles des petites cités anglaises
de banlieue.
A chaque famille son appartement.
Voisinage sans promiscuité, tel est, par le principe
adopté, le but. Chaque appartement est conçu pour recevoir
commodément un groupe familial allant jusqu'à dix personnes,
ce qui est assez fréquent parmi les salariés algériens.
A peine franchi le seuil d'un de ces appartements, on se trouve dans une
salle de séjour. On y remarque un mobilier abondant et complet
: table, chaises, chaises longues, chaise d'enfant, petite table pour
chauffe-biberon et bouillies et deux couchettes superposées. Elément
décoratif supplémentaire une cheminée est prévue
pour l'hiver, le bois étant fourni. Centre de distribution de l'appartement:
on trouve d'un côté de cette salle deux cabines pour quatre
lits, tandis qu'à l'opposé c'est la chambre des parents
où en plus de la literie normale et la disposition d'un grand placard-penderie,
on peut installer un lit d'enfant de trois à quatre ans et un berceau.
A côté de cette chambre, toujours par l'accès salle
de séjour, le bloc hygiène équipé d'un ensemble
lavabo et douche à eau froide et chaude, un w: c. et éventuellement
une baignoire pour jeunes enfants.
La surface habitable totale, remarquable, étant de 52 m2.
Le processus de l'occupation des lieux est des plus brefs.
A son arrivée, la famille après des formalités extrêmement
simplifiées, car auparavant le service social se sera enquis du
nombre et de l'âge des enfants, est rapidement dirigée à
l'appartement désigné où auront été
mis par le service d'accueil la literie et la lingerie ainsi qu'un nécessaire
d'entretien ménager correspondant.
Les organisateurs, n'ont rien laissé au hasard et le moindre détail
a été minutieusement étudié dans le but de
satisfaire chaque particularité des exigences familiales.
Dans cet esprit, on a réparti dans le village, en tenant compte
des distances, des buanderies avec séchoirs et coins de repassage,
pourvues d'installations individuelles.
Pour les mêmes raisons en plus de l'indispensable infirmerie, les
vacanciers ont à leur disposition un bazar, une bibliothèque
où chacun suivant son âge et ses goûts peut se procurer
la lecture et le quotidien de son choix. De même a été
construite une vaste salle de réunion pour les assemblées
de parents, les conférences et les séances de cinéma,
l'hiver.
La vaste salle
de la restauration, avec sa large façade. ici sans verrière,
de plain-pied avec la nature.Chaque famille occupe une table et
reçoit les services des élèves de l'école
de formation hôtelière.
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Les distractions.
Parcourant le domaine, nous irons de découverte en découverte
en suivant les sentiers, les chemins et les petites routes, tout ceci
parfaitement entretenu, jalonné la nuit par un éclairage
au sol horizontal ; ici, les terrains de football, de basket et de volley
ainsi qu'un plateau d'éducation physique. Plus loin pour les tout
petits confiés à des jardinières d'enfants, aménagé
dans une clairière, un parc de jeux comportant manèges,
balançoires, toboggan, et jusqu'à la " roulette "
d'entraînement au saut des parachutistes. Dans un coin boisé,
accoté à un versant, voici le royaume des parents. Pour
tout le monde c'est " Robinson ", ainsi dénommé
parce qu'on y a recréé en quelque sorte, avec minutie, une
" guinguette ", avec sa piste de danse en béton, à
l'ombre des grands ormeaux, encerclée de tables et de bancs sans
oublier le petit bar tenu par un jeune étudiant musulman, où,
si l'on ne vous sert pas de " petits vins blancs " vous aurez
par contre une assez grande diversité de boissons rafraîchissantes,
non alcoolisées, à des prix modiques.
On s'y rassemble chaque fois qu'il n'y a pas de séance de cinéma
ou de veillée dans le cinéma-théâtre de plein
air aménagé à quelques pas de là.
La plus grande animation y règne alors : à l'intention des
danseurs, un électrophone impartial distille, selon les goûts
de la génération, " rocks", cha-cha-chas ",
valses ou tangos.
D'autres " pétanquent " dans un coin, sous les lampes,
étouffant, dans le bruit des boules de fer carambolées,
le martèlement léger des balles de ping-pong échangées
un peu plus loin par les plus dispos. Enfin, ceux qui n'aiment ni la danse,
ni les boules, ni le ping-pong, iront " taper la carte " au-tour
des tables de jeux du club des parents.
Plaisirs
de la matinée voici le coin des parents qui loin de leurs
tracassiers rejetons, "tapent la carte"
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Voilà l'essentiel de ce qu'on a su concevoir, et
inscrire parfaitement dans le paysage.
Mais cette promenade nous amène bientôt dans la partie du
domaine réservée aux grands enfants. Sous la conduite de
moniteurs et de monitrices, dont le chef est un directeur d'école
du bled, garçons et filles retrouvent l'ambiance et les loisirs
propres aux colonies de vacances.
En résumé, dans l'esprit des dirigeants, tout est mis en
oeuvre pour que les membres d'une famille puissent à la fois vivre
entre eux et se disperser aussi, à leur gré, dans les groupes
distincts de l'échelle des âges, qui disposent de domaines
séparés.
Autre témoignage, bien significatif de la sollicitude qui est l'un
des traits dominants des hôtes : on a réparti judicieusement
de nombreuses fontaines distribuant une eau constamment réfrigérée
par des blocs de glace.
L'appoint précieux de
l'Ecole Hôtelière.
Mais, incontestablement, la plus magistrale réalisation, c'est
la création de l'Ecole de Formation professionnelle hôtelière
en symbiose avec le Centre Familial (').
Comme nombre d'idées originales elle est le fruit du hasard, ayant
germé à la suite d'une rencontre fortuite, au Centre, des
dirigeants de la Fédération Algérienne et Saharienne
de l'Indus-trie Hôtelière (FASIH) venus exposer leurs doléances
à M. Jacques Chevallier.
Les dirigeants de la Fédération cherchaient alors comment
fonder une école en vue de former un personnel qualifié,
si nécessaire en Algérie, tant pour le service cuisine que
celui de salle. Tandis que les responsables du Centre Familial avaient,
eux, à résoudre le problème de la meilleure alimentation
aux prix les plus modiques.
Au Centre Familial, on avait su voir grand ; les cuisines étaient
suffisamment vastes, parfaitement installées en matériel
et pourvues en outre d'une pâtisserie. Il fallait aussi compter
avec les locaux annexes qu'on transforma facilement, par la suite en salles
de cours, dortoirs et appartements pour les moniteurs.
L'accord fut aisé : il ménageait à chaque partie
contractante la résolution la meilleure à leurs difficultés.
Aux dirigeants de la F. A. S. I. H. l'héberge-ment et l'instruction
de leurs élèves sans frais. Au Centre Familial en échange
le Centre de Formation offrait gratuitement ses services pour l'entière
restauration des vacanciers.
Si les avantages financiers qui en résultent sont des plus intéressants
pour chacun des contractants, il n'est pas douteux que la répercussion
la plus sensible est celle qu'en retirent les commensaux du Centre Familial:
Menus de la meilleure restauration, mets recherchés préparés
sous la direction de moniteurs-cuisiniers ou pâtissiers, régime
spécial pour les jeunes enfants, service remarquable assuré
par les élèves sous la surveillance et les conseils d'un
moniteur chevronné : soit, autant de motifs de satisfaction pour
tous et de fierté pour les promoteurs.
Aussi tous les visiteurs s'accordent-ils à applaudir cette expérience
unique et à reconnaître la valeur d'un exemple, même
pour les Etablissements métropolitains similaires.
Eté comme hiver : ouvert.
Une des multiples impressions favorables que perçoit le visiteur,
c'est la dilution dans le domaine des 700 personnes journellement enregistrées
en période d'été (ler juin au 30 septembre).
Pendant ces quatre mois, on admet seulement les allocataires et aussi
dans la mesure des disponibilités des salariés provenant
d'autres Caisses.Pour tous, les conditions générales sont
les suivantes : obligation du chef de famille d'être en congé
payé, de résider de 15 jours à 3 semaines avec sa
famille (la composition de celle-ci devant être d'au moins trois
enfants bénéficiaires d'allocations familiales, ou bien
de 2 enfants de moins de 5 ans - l'attente d'un troisième enfant
étant aussi une condition suffisante).
Pendant les autres mois de l'année (octobre à fin mai) l'admission
est très large. Elle est étendue à toutes les familles
en congé payé, quel que soit le nombre des enfants. Elle
est aussi possible pour une personne ayant besoin de repos et de calme,
à condition qu'elle soit accompagnée. La durée de
séjour est alors de 8 jours seulement, avec possibilité
de prolongation dans la mesure des capacités d'hébergement.
Dans le but d'élever leur oeuvre sociale au niveau national les
dirigeants, ont en outre engagé des pourparlers avec l'Union Nationale
des Caisses d'Allocations Familiales et autres organismes sociaux similaires
métropolitains. Ces pourparlers ont pour but d'inclure des salariés
métropolitains en saison d'hiver, favorable au tourisme en Algérie.
Pour ce qui est des projets?...
A la question posée sur l'éventualité d'une augmentation
des capacités d'accueil au Centre, le directeur Jacques Despins,
unanimement approuvé par les autres responsables répond
ceci: " A première vue, il semble que nous ayons la surface
et peut-être les moyens d'augmenter la capacité du Centre.
Cependant, expérience faite, nous nous y refusons. Pourquoi? Parce
qu'en premier lieu l'effectif constitué par une centaine de familles
nous semble être un maximum (aucune maison familiale de vacances
ne l'atteint en France) si l'on veut conserver à ces familles une
ambiance de vacances, faite de tranquillité et de liberté.
En outre parce qu'à l'échelle de cet important effectif,
nous avons réalisé
progressivement un ensemble d'installations et de services qui à
l'usage s'avèrent assez harmonieusement équilibrés
et que cet équilibre qui con-courre à créer l'atmosphère
de vacances paisibles au Centre serait rompu par l'augmentation du nombre
des familles reçues à la fois.»
Si la Caisse des Allocations avait à développer sa formule
de vacances familiales elle pourrait le faire dans une autre région,
car nous recevons des vacanciers de toutes les villes d'Algérie.
Toutefois, nous avons en projet, déjà en cours d'exécution,
l'établissement d'un grand camping sur un terrain mitoyen avec
toutes les commodités inhérentes au confort des jeunes ménages.
De même envisageons-nous un centre de plein air ou Centre aéré
pour les enfants de nos collaborateurs.
Deux interviews convaincantes.
Mais la véritable conclusion nous l'avons demandée à
deux chefs de famille :
Le premier, nous le rencontrons sur les dix heures parmi ses amis, au
terme d'une partie de boules. C'est M. Mohamed Sari, chauffeur-mécanicien
aux Etablissements Tamzali. " J'ai 8 enfants dit-il, mais deux sont
en colonie de vacances en Métropole. Toutefois, suivant leur désir,
ils viendront ici terminer avec moi le séjour. C'est dire la satisfaction
de ma femme, qui peut se reposer ici, et de moi-même mais aussi
celle de tous mes enfants. Du reste c'est la troisième année
que nous venons. Pour cette année, je n'ai eu à débourser
que 510 NF et encore parce que l'un de mes fils, âgé de 20
ans, sapeur-pompier salarié de la Ville d'Alger, paye plein tarif
".
Dans le village, devant leur appartement, nous faisons la connaissance
du second chef de famille: M. Dugard, employé à l'Hôtel
de Ville. Autour de lui et de son épouse, leurs 6 enfants dont
les âges s'échelonnent de 14 ans à 4 mois.
C'est l'un des anciens, il en est à son 7' congé au Centre.
" Etant allocataire - nous dit-il - bénéficient en
outre des avantages de l'aide aux vacances pour mes enfants, ma note de
séjour, cette fois-ci, s'élève seulement à
410 NF.
" En plus des avantages unanimement reconnus, pour ma femme et moi,
c'est spécialement la tranquillité sous tous ses aspects
qui nous incite chaque fois à revenir. En ce qui me concerne particulièrement,
j'ai la joie de pouvoir passer mon congé avec tous mes enfants,
donc de les mieux connaître. .
Ces appréciations sincères suffisent à justifier
l'avis hautement qualifié de Mlle P. Tournier, présidente
de l'Association Nationale des Assistantes Sociales : " Ben -Aknoun
réalise vraiment l'idéal du Service social: per-mettre à
chaque famille de vivre dans un cadre harmonieux, de retrouver le sens
du foyer, de l'intimité et en même temps de participer à
une vie collective bien conçue ».
A. G. REBAUD.
Sous
les eucalyptus, occupations de l'après-midi. Pris en charge
par des monitrices certains enfants s'adonnent au tissage du rafia,
tandis qu'un groupe écoute les explications du moniteur-chef
sur les intéressantes façons d'utiliser les bouts
de laine.
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