-LA VIGNE EN ALGÉRIE
--Mais l'élan était donné officiellement. En 1853 le général Randon, gouverneur général, autorisait la création d'un demi -hectare de vignes expérimentales dans l'enceinte du pénitencier de Berrouaghia. Dans la même logique, en 1861, un autre militaire gouverneur, le maréchal Pélissier, ouvrait deux fermes modèles, à Birmandreïs et à Birkadem sur l'oued Kerma.
afn-collections, n°28 Juillet 2001
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sur site le 24/12/2002

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-----Le 14 juin 1830, à l'aube, les troupes du général comte de Bourmont débarquaient sur les plages de Sidi Ferruch, à l'Ouest d'Alger. Le même jour, des barriques de vin étaient mises à terre dans le même temps que les équipements légers et les munitions, et bien avant les chevaux et les canons.

-----Le vin et le tabac étaient considérés comme essentiels à la parfaite condition physique et à l'équilibre moral des soldats. Ils étaient, avec le pain et le bœuf salé, parmi les priorité de l'Intendance.
-----Le " gros bleu " embarqué à Toulon et à Marseille, avait été complété de vin d'Espagne, moins cher, chargé dans des navires qui avaient rallié la flotte de Duperré lors de l'escale prolongée de Palma de Majorque.

-----Le 14 juin le Service des Subsistances et le personnel de la Manutention avaient suivi à terre les premiers régiments. Une cohorte de vivandières et de cantinières leur emboîtait le pas. Dans la presqu'île de Sidi-Ferruch le Génie construisait un camp retranché. L'Intendance, sans tarder, montait ses tentes et ses baraquements de bois. Une guinguette civile, " Le Pourvoyeur de Nantes ", autorisée à accompagner l'expédition, dressait un chapiteau de toile et servait à boire.

-----Depuis la plus haute antiquité la vigne existait en Algérie. Des vignes sauvages, dans les collines préservées du feu et des troupeaux, s'accrochaient aux arbres. Leurs petites grappes aux grains compacts, noirs, et au goût âpre, étaient cueillies et consommées, fraîches ou séchées au soleil.

-----Les Phéniciens dans leur progression vers la Méditerranée occidentale, apportaient des boutures de " viniferas " , multipliées par les Carthaginois dans le Cap Bon, puis autour de leurs comptoirs le long des côtes. Les Romains avaient négligé la culture de la vigne dans un souci de protection de leur propre production et par besoin de développer l'élevage et le blé dont ils manquaient.

-----Le glas de la viticulture d'Afrique du Nord sonnait au VIIème siècle avec l'invasion arabe. Le Maghreb devenait musulman et dépendait de l'Orient pour plus de onze siècles.
-----La vigne continuait à subsister dans les jardins et dans les refuges berbères où l'Islam avait du mal à pénétrer. De nombreux voyageurs racontaient avoir trouvé dans les fondouks des vins " de dattes, de miel et de raisins secs ", et un vin très doux obtenu à partir de raisins bouillis et fermentés.

-----L'installation des Espagnols en Oranie et dans le Rif marocain donnait une nouvelle impulsion à la vigne. L'occupation turque la confortait irrémédiablement.
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-----Depuis les villes de la côte, ouvertes sur le commerce extérieur, on exportait des vins cuits, des sirops, des confitures, du miel de raisin, des raisins secs et des eaux de vie. Les juifs avaient le monopole des boissons fermentées et distillées, vins, eaux de vie de figues et de dattes. Ils produisaient du vin " kashir " avec des raisins achetés aux berbères, à Médéa, Miliana, Tlemcen et Taza.

-----Les consommateurs devenaient plus nombreux. De riches arabes à l'abri derrière leur " moucharabieh ", les janissaires turcs, les esclaves astreints à des travaux extérieurs, les Espagnols des " presidios " , les Chrétiens des consulats, les commerçants juifs, les renégats des villes, des équipages des navires, buvaient du vin.

-----Après avoir investi et pris Alger le 5 juillet, les troupes du Corps Expéditionnaire prenaient positions sur les hauteurs voisines et s'enfermaient dans les camps fortifiés. Elles attendaient des décisions politiques.

-----Des arabes vendaient le raisin mûrs aux soldats, " des paniers de 10 à 12 livres pour un demi boudjou, moins d'un franc ". Il y avait des variétés blanches à gros grains sphériques et juteux, le " Faranah " et le " bezzoul el Kelba ", moins sucrés et aux longues baies arquées ; des raisins noirs; " l'Aneb Lekhal ", et des raisins rouges à peau épaisse, plus tardifs, " l'Ahmeur bou Ahmeur ".

-----A Médéa les soldats avaient goûté du vin blanc de Faranah, pas cher, 9 sous le litre, de bonne qualité et à fort degré d'alcool. A Bab Ali, près de Mascara, ils avaient découvert la vigne personnelle d'Abd El Kader, plantée en " Chaouch ", raisin d'origine égyptienne d'un beau jaune doré.

-----Des colons civils venus en Algérie à titre individuel achetaient aux Maures d'Alger leurs jardins couverts de treilles. Des soldats démobilisés recevaient, enclavés dans leurs concessions, de petits carrés de vignes sur les collines qui entouraient Alger. Ils faisaient un mauvais vin qu'ils vendaient bien, à la population et aux militaires.

-----Très vite ils avaient l'idée d'agrandir leurs parcelles quand elles étaient à proximité et sous la protection des garnisons. Ils plantaient, sans préparation du sol et par simple bouturage, des cépages indigènes, choisis parmi ceux qui avaient le meilleur rendement en jus. C'étaient leur seul critère de sélection. Progressivement ils diversifiaient leur encépagement avec des boutures apportées de France par des parents, des amis, des voyageurs, candidats à l'installation.

-----Le maréchal Bugeaud faisait un premier pas et sollicitait la Société d'Agriculture d'Algérie nouvellement créée afin qu'elle examine l'opportunité de planter de la vigne.
-----A son tour Auguste Hardy, nommé en 1842 directeur du jardin d'essai du Hamma, faisait la même recommandation.

-----L'idée de la vigne s'imposait depuis les échecs constatés d'acclimatation d'espèces végétales tropicales. Les cultures souhaitées par le gouvernement et ses conseillers, " Pour qu'une colonie soit utile, il faut qu'elle produise des denrées autres que celles que produit la métropole ", avaient données des résultats désastreux. Ni le cacao ni le café, ni les arachides, ni la canne à sucre, perdue avec l'indépendance de Saint Domingue, n'avaient réussi.Pas plus d'ailleurs que le poivre, la vanille, la cannelle, le manioc et quinquina, dans " cette façade menteuse de l'Algérie " qu'était au bord de la mer, le Jardin d'Essai.

-----Dom Joseph Marie, vicaire général de la grande Trappe d'Aiguebelle dans la Drôme, était contacté en 1840 pour fonder une colonie agricole en Algérie. Après une minutieuse recherche il choisissait le plateau de Staoueli et commençait à défricher et à planter, au trou, 45 hectares de vignes avec des plants ramenés de France.

----D'autres vignobles, dans les mêmes conditions rudimentaires et sans préparation en profondeur du sol, s'établissaient sur les pentes du Zaccar, dans la vallée du Chéliff, à Miliana, à Médéa. On en trouvait également plus à l'Est à Philippeville, Valée, Guelma, Sétif et Constantine.

-----En Oranie, un breton, Jules Dupré de Saint Maur, un " gant jaune ", colon disposant de gros capitaux, achetait en 1884, quatre cents hectares de terre à Arbal au pied des monts du Tessalah au Sud d'Oran. Il installait des familles venues de France, engageait des travailleurs marocains et des " cuadrillas " d'Espagnols. Il défrichait la " brousse ", arrachait les racines à la charrue " déboiseuse ", creusait des tranchées parallèles, et plantait les premières vignes modernes, écartements et intervalles réguliers. Il les conduisait en taille basse, en " gobelets ", et s'équipait en matériels.

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-----Un colon de Kléber, Michel Bastoul, plantait une petite vigne, dans une barrique défoncée de " gros bleu " il avait trouvé des copeaux de bois de campêche destinés à donner un peu de couleur à la " vinasse " importée de France. Le vin manquait et on le payait cher pour ne pas boire, par crainte des épidémies, l'eau des sources et des puits infectée de miasmes. La tentative de Michel Bastoul avait été accueillies avec scepticisme. La terre ne se prêtait pas à la culture de la vigne. Le colon avait persévéré, gagné un peu d'argent, avait acheté d'autres terrains. Les critiques avaient cessé. Kléber, Renan, Saint Leu, Saint-Cloud plantaient.

-----Les premières statistiques fiables paraissaient en 1864. Elles faisaient état de 3.148 hectares appartenant à des Indigènes, raisins de table essentiellement, et de 6.567 à des Européens.
-----En 1867, malgré l'opposition des viticulteurs méridionaux, l'Algérie exportait d'Alger sur Marseille ses premières barriques de vin.
-----Cette année là, pendant l'Exposition Universelle de Paris, les délégués algériens proclamaient : " L'Algérie a le plus grand intérêt à cultiver la vigne et elle doit s'efforcer de conserver chez elle les 8 millions qu'elle dépense annuellement en achats de vin ".

-----Après avoir rencontré pendant près de 25 ans une hostilité ouvertement déclarée, la culture de la vigne finissait par être admise officiellement. Mercier Lacombe, directeur des Services Civils à Alger, à une époque où la Colonie était en pleine banqueroute économique, avait prophétisé dès 1861, que la vigne s'imposerait comme culture incontournable et il avait ajouté : " L'Algérie sera un jour un des plus grands pays viticoles du monde " .

-----C'est alors que la destruction presque totale du vignoble français par un puceron, d'origine américaine encore, le " phylloxera " , permettait au vignoble algérien de prendre irrésistiblement son essor.
-----Les religieux n'étaient pas en reste. En 1868 les pères blancs de la Mission d'Afrique plantaient de la vigne à Oulid-Adda près de Maison Carrée, et les sueurs du Bon Pasteur à Misserghin en faisaient autant.

-----L'année suivante, le Cardinal Lavigerie, soucieux d'assurer le financement de ses missions et de ses oeuvres caritatives, autorisait les sueurs de Notre Dame d'Afrique à diffuser et commercialiser leurs " Vins de l'Orphelinat ". Par le même temps, de gros investisseurs, banquiers à Saint- Etienne, faisaient l'acquisition d'un vaste domaine à Mondovi sur la Saybousse. D'autres colons les imitaient. Les Bertagnas dans la plaine de Bône devenaient les plus gros propriétaires de la province. La famille Berthoin plantait en 1872 le domaine de Ste Eugénie à Oran. La vigne gagnait la région d'Aïn-Temouchent et les villages voisins de Sidi-bel-Abbes. Saint Cloud atteignait ses limites à Sainte Adélaïde, en bordure du lac " el mellah ". En moins de 20 ans le vignoble algérien avait doublé sa superficie. Il recouvrait 17.000 hectares.

-----En 1885 à Tlemcen, en 1886 à Philippeville, le phylloxera était découvert. Un syndicat de défense contre le parasite était créé à Oran dés février 1887. Les traitements préconisés d'extinction du parasite par des injections de produits chimiques étaient onéreux et peu efficaces. Ils rebutaient les colons. Certains renonçaient et abandonnaient leurs vignes, découragés. La parade était pourtant connue, mise au point en France dés 1873 et autorisée en 1880. Elle utilisait la technique du greffage des cépages de viniféras sur des porte?greffes résistants de vigne sauvage d'origine américaine. Après des atermoiements le gouvernement autorisa. Malgré l'extension du phylloxera la superficie du vignoble ne cessait d'augmenter et passait de 95.000 hectares en 1889 à 165.000 en 1904, mais il devait atteindre 373.000 hectares en 1933 pour cumuler en 1938 avec prés de 400.000 hectares.

-----Depuis le début du siècle la viticulture Algérienne suivait les vicissitudes de celle de la métropole avec des périodes d'euphorie et d'autres de mévente. En 1954 l'Algérie déclarait aux services fiscaux 19.000.000 d'hectolitres de vins, récolte inférieure de 3.000.000 à son record de 1934. Elle devenait le 4è producteur mondial, en 1962 elle rétrogradait au 6è rang pour très vite descendre tout en bas des tableaux statistiques.

-----Emile Moatti président du syndicat de vins du Zaccar, déclarait à Oran, le 24 mai 1930, " En augmentant le patrimoine national par la qualité de ses vins, l'Algérie aura bien mérité de la Mère Patrie ".

Paul BIREBENT
(St Cloud-Bastia-Fréjus)