Alger, Algérie
: vos souvenirs
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Souvenirs de souvenirs -----------La femme
que j'ai épousée se demande ce que je peux bien fabriquer
depuis trois jours, scotché à l'ordinateur jusqu'à
pas d'heure. Elle ne comprend pas, elle dont toute la mémoire familiale
se trouve concentrée à trois heures d'autoroute d'ici, dans
un rayon de 30 kilomètres autour de Lille
" Les gens
du nord
. " Sacré Enrico
. -----------Mon père
s'est accroché comme une moule sur son rocher, jusqu'en 65. Je
pense que si Ben-Bellah était parvenu à restaurer équilibre
et sérénité, il y serait encore. Il se serait même
fait musulman si ça avait pu faciliter les choses. Il est rentré
(quoique le terme soit impropre attendu qu'il n'avait aucun ancrage en
France), quelques jours avant le coup d'état de Boumédienne
(peut-être l'avait-il subodoré ?) Il avait 40 ans. -----------Après,
une nouvelle histoire a commencé. Une histoire pas bien gaie pour
nous, les mômes. " Purée ", ils nous en ont bassinés,
gavés, saturés de l'Algérie
Ma mère,
sur le mode de l'aigreur, mon père, d'un naturel taciturne (rien
à voir avec la caricature du Pied-Noir exubérant et convivial)
sur celui de l'amertume : repli sur soi, mutisme parfois interrompu par
des colères intempestives. |
-----------Une ambiance de déprime chronique, sans cesse nourrie, de nostalgie morbide réalimentée en permanence. Bref, pour nous, ça a été l'over-dose. L'Algérie, fallait plus nous en causer à mon frère, ma sur et moi, et dès que nous avons pu, nous avons pris la tangente, mis les voiles, foutu le camp le plus loin possible. Pour moi ce fut la Corée du Sud, et pour mon frère, l' Equateur, dont il est revenu précipitamment, avec femme et enfant au bout de 15 ans, (il ne supportait plus le climat de violence, la corruption, l'incurie chronique générale) rejouant en pire le scénario parental car lui, il est vraiment rentré avec une valise, sans un rond de côté et sans boulot. -----------Mes parents,
d'un point de vue matériel s'entend, n'ont pas laissé grand
chose en Algérie. Ils ont sauvé l'argenterie, les verres
en cristal, et même le frigo, que nous sommes allés récupérer
au Bourget avec mon père, expédition en 404 break dont je
me souviens comme si c'était hier . J'ai même retrouvé
mes jouets ! Avant de quitter définitivement Alger, il avait pris
le temps de fourguer sa bagnole, le mobilier, et le piano de ma mère,
mais pas le frigo ! Peut-être s'imaginait-il que ces sous-développés
de métropolitains, qui n'avaient pas tous les " commodités
"à l'époque, ignoraient aussi l'usage du réfrigérateur
? Qui plus outre, il a été immédiatement recasé
par la boîte qui l'employait à Alger (International Harvester
, dont les armoiries, I rouge sur H noir, ornaient tracteurs et moissonneuses
batteuses.) -----------Je ne
sais pas ce qui m'arrive depuis quelques temps, une force en moi m'invite
énergiquement à un retour aux sources. Ca commence à
prendre un tour obsessionnel qui m'inquiète. C'est grave Docteur
? Retour du refoulé ? Crise existentielle ? En tout cas, il faut
que je fasse le voyage, pour voir, pour sentir, pour m'imprégner,
et pour transmettre
à mes filles. Je voudrais les convaincre,
et me convaincre, qu'avant de devenir les morts-vivants qu'elles connaissent,
leurs grands-parents ont été heureux
ailleurs -----------Bien, je me suis un peu vidé la tête. Je vais retourner sur votre site voir du côté de Belcourt, (voir ce lieu) si j'y trouve des traces du grand Albert, mon idole. -----------Amicalement, Olivares. Le 17 mai 2006.
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Bonjour, cher Bernard. Je viens
de prendre connaissance de "Souvenirs de souvenirs" de F. Olivares,
et reste un peu perplexe. Si vous le désirez, vous pouvez "publier"
ce petit texte en réponse à ses questions.
Souvenirs encore vivaces Chez les pieds-noirs, la fête de Pâques est indissociable du traditionnel pique-nique en forêt de Sidi-Ferruch ou de Baïnem. La mouna en est l'accompagnement gourmand incontournable. Le Jardin dEssais portait ce nom car il était un centre botanique expérimental. Voilà peut-être quelques réponses à certaines de vos lacunes (dues au fait que vous navez jamais connu Alger si ce n'est du haut de vos 3 ans, sporadiquement et après le grand cataclysme de 1962). Quelle chance pour votre famille de navoir rien laissé là-bas, ni matériel ni affectif ! Ce ne fut pas le cas pour la majorité des autres, ancrés dans ce pays depuis 3 ou 4 générations. Quelle chance pour vous davoir pu apporter en métropole les verres en cristal et l'argenterie (nous navions pas tous, loin de là, lheur de telles richesses !!!) ! Enfin, et lessentiel, quelle bénédiction de navoir eu à déplorer aucune perte humaine ! Lun de mes grands-pères a été assassiné, gratuitement, sauvagement, alors quil revenait chez lui après sa journée de travail dans le champ (il était propriétaire de quelques arpents à Laferrière près dOran oh, non pas un « gros colon faisant suer le burnous », mais un humble paysan vivant chichement de ses quatre ou cinq vaches et de sa terre durement travaillée de ses mains). Mon père doit la vie à un concours de circonstances extraordinaire : il avait été enlevé par le FLN en février 62. Heureusement, Belle-Maman faisait partie du personnel civil de larmée, et a ainsi pu faire intervenir ses connaissances pour le retrouver et obtenir sa libération en octobre de la même année. Jamais il ne nous a rien dévoilé de ces interminables mois dincarcération. Mais il en a gardé les traces physiques (de fort vilaines et longues cicatrices ) et morales jusquà la mort. |
Mes parents, pareillement à tant dautres, nont rien pu amener sur le bateau militaire qui les a déposés sur le quai de Port Vendres en cette fin dété 62. Une valise contenant quelques vêtements, cest tout. Personne pour les accueillir, pas de « cellule de crise », nulle part où aller Et, à quarante ans, une existence à commencer, sur un sol inconnu, parmi des millions dinconnus hostiles. Le hasard de ladministration les établira définitivement à Bordeaux. Les yeux de mon père erreront souvent sur ce ciel nuageux, à la recherche de tous ces amis perdus à jamais, de cette vie perdue à jamais, et des larmes couleront fréquemment sur ses joues. Savez-vous ce que cest que de voir pleurer son père ? Oui, tout était mieux en Algérie : les amis, la famille, le pays que nos ancêtres avaient bâti et que nous continuions à faire prospérer (quoique certains en disent) notre maison, le climat... tout était bien mieux que la métropole, où nous sommes arrivés sans connaissance aucune ni des gens ni des coutûmes, où nous avons dérangé tout un petit monde bien installé dans son confort... . Nos anciens ne se complaisent pas dans la souffrance. Ils ne lont tout simplement jamais surmontée. Cette douleur, cest leur honneur intact ; ils marchent la tête haute. Y renoncer serait accepter de courber léchine, puis mourir dans lindignité. "
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