Au générique : Raymond HERMANTIER
"BEAU-SANG"
de Jules ROY
L'uvre de Jules Roy
que nous présentera au Petit Théâtre Raymond Hermantier
pendant les premiers jours de l'année nouvelle, s'impose à
l'admiration du public par la grandeur du sujet et des sentiments exaltés.
Albert Camus a écrit à propos de notre concitoyen Jules
Roy :
" Il a pris place comme naturellement parmi les écrivains
français qui comptent aujourd'hui. Il a pris la langue droite
et ferme que nos grands siècles nous ont léguée.
Son culte de l'honneur qui devrait le séparer de son temps, en
fait au contraire un des témoins les plus instructifs. On comprend
alors que cet Africain difficile à domestiquer rêve d'une
chevalerie. Et en vérité, il a fait mieux qu'en rêver,
il l'a trouvée et lui a voué sa vie. Il travaille seulement
à l'étendre... Voici maintenant que cet écrivain
vient au théâtre avec un sujet qui lui ressemble et un
langage qu'il faut saluer. Ce n'est pas seulement son vieux camarade
qui s'en réjouit ici, mais la scène française tout
entière, s'il est vrai qu'à chaque écrivain de
race qui vient à lui et alors seulement, le théâtre
fait un pas de plus vers le rang suprême qui est le sien dans
les arts de la littérature.
" Beau sang ", première pièce de Jules Roy est
un des plus beaux moments du théâtre contemporain ".
Devant interpréter le drame de
Jules ROY " BEAU SANG "
Raymond HERMANTIER et sa troupe sont arrivés hier à Alger
Arrivés hier par
le S/S "
Kairouan ", de la Compagnie mixte, Raymond Hermantier et;sa
troupe
ont tout spécialement quitté Paris et le " Théâtre
de l'humour " où leur " Marie Stuart " a connu
le
succès que l'on sait. pour nous présenter le drame de
Jules Roy " Beau Sang ".
C'est au C.R.A.D. que l'on doit ce premier séjour à Alger
de ce " génie dramatique ", comme l'a appelé
J.-J. Gautier, que d'aucuns considèrent, déjà,
comme l'héritier spirituel de Charles Dullin !
La réputation des " spectacles Hermantier " n'est plus
à faire, ce " démon du théâtre "
a réussi. en
effet, a créer un style : son style et à le faire apprécier
par sa " présence ".
Tous les critiques sont unanimes sur ce point,
Gageons donc que " Beau Sang " qul sera donné sur la
scène du " Petit Théâtre " le 3 janvier
à 17 h. et 21 h. 15, et le 4 janvier à 17 heures, et "
Marie Stuart " qui sera présenté à la
salle Bordes le
5 janvier à 18 heures connaîtront en Afrique du Nord le
même succès que dans la capitale.
Après Alger, cette jeune compagnie se produira à Oran,
toujours sous l'égide du CRAD, puis au Maroc où elle sera
reçue par la " Scène française et marocaine
".
Nous avons demandé à Raymond Hermantier de nous parler
de ses projets d'avenir : A son retour de tournée, tout d'abord,
il inaugurera le nouveau théâtre de Nîmes, avec "
Marie Stuart ".
On sait que c'est à Hermantier que cette dernière ville
doit d'avoir eu son festival. Malheureusement des
" incidents
municipaux " l'ont empêché d'assurer cette manifestation,
cette année encore. Et les Nimois sont les premiers à
1e déplorer.
Une fois à Paris, il montera " La vle sauve " ou "
Le rempart de coton ", de Jean Mogin. l'auteur de
" A chacun selon sa faim ". Cette dernière pièce
a été un des plus beaux succès d'Hermantier, qui
rêve également de mettre sur pied " la présentation
d'Egmont ", sans doute avec Alain Cuny.
" Cette uvre de Goethe sera adaptée par Pierre Sabatier,
nous dit-il, et la musique de Beethoven accompagnera, sur disques, la
représentation ".
Parmi les interprètes de " Beau Sang " qui sont arrivés
hier avec Hermantier, nous avons noté Muriel Chaney, Jeanne Pérè,
Robert Bousquet. Jean Allain et Jean Lamandé. Ceux-ci joueront
également dans " Marie Stuart " avec Jean Mauvais,
Charles Chanes, Dullin, Frank Estange, Elan Lavigne et Paul Pesquer
qui n'arriveront à Alger que le 5 janvier.
Au petit théâtre du C.R.A.D.
" BEAU SANG "
a été magistralement interprété par Hermantier
et sa troupe
" J'ai eu la sensation
d'une grande chose pénétrant au plus lointain de mon âme
", avait déclaré Raymond Hermantier, après
sa première lecture du " Beau Sang ". Ce fut là,
assurément, " l'impression type " de tout spectateur
ayant assisté, mercredi soir, à la première présentation
à Alger sur la scène du petit théâtre du
C.R.A.D., de cette bouleversante pièce de Jules Roy.
Communiquer au public, par une parfaite réalisation et une juste
interprétation, le même sentiment que l'on a éprouvé
soi-même en prenant connaissance du manuscrit, n'est-ce pas la
plus noble aspiration de l'artiste, n'est-ce pas la preuve que "
la rude tache de servir le texte " a été
magnifiquement accomplie ?
" Bravo donc, sans restriction, à notre tenace Hermantier
", comme l'écrivait dernièrement Mme Dussane dans
l'hebdomadaire " Samedi Soir ".
Comment, en effet, ne pas être ébranlé,. conquis,
fasciné, par ce templier mystique et persécuté
qu'incarne Hermantier ? Comment ne pas participer à son accablement,
à ses souffrances morales et physiques, à ses luttes intérieures,
à ses révoltes soudaines, à ses repentirs, à
son exaltation, lorsque vous avez, à quelques mètres de
vous, sur une scène minuscule, dans un décor qui donne
le frisson, un être de chair et de sang qui vit son rôle
avec une telle intensité ?
Une pièce qui fait mal, oui sans doute, mais de ce mal salutaire
qui fait réfléchir.
Le thème : un chevalier du temple, fuyant les sbires de Philippe
le Bel, se réfugie dans un château
délabré du XIVe siècle. Malgré ses voeux
de chasteté, il s'éprend de la jeune châtelaine,
épouse d'un triste mari. Pleine d'admiration pour son courage,
elle a pansé ses blessures après lui avoir donné
l'hospitalité.
Dans cette demeure seigneuriale se trouve également la mère
du mari, femme méchante qui a pris Anne, la jeune épouse,
pour victime.
Cette mégère, ayant découvert d'idylle naissante,
n'hésite pas à dénoncer le soldat à ses
ennemis. Mais, ramené à sa vie d'austérité
par un ancien camarade de combat, celui-ci quittera le château
avant le retour de la délatrice.
Pièce à cinq personnage donc, à l'action limitée,
mais palpitante d'intérêt, grâce aux multiples drames
humains qu'elle expose. Parmi ceux-ci la lutte entre le bien et le mal
et entre l'amour et la parole donnée, la vanité de nos
jugements et leurs conséquences, et la nocivité de certains
préjugés. ne sont pas les moindres.
Entourant Hermantier, Muriel Chaney incarne avec succès une jeune
châtelaine émouvante, sensible et incomprise ; Jeanne Pérès,
une méchante vieille mère déçue ; Robert
Bousquet, un mari paysan, superstitieux, crédule et peureux ;
Jean Allain, un croisé, blessé dans sa chair et dans son
âme, qui trouve la force dans sa foi ; Jean Lamande enfla tient
le rôle d'un garde du roi.
Pour souligner en terminant la qualité exceptionnelle de ce spectacle,
disons avec A. Fraigneau, de " Opéra " : " Beau
Sang ? une uvre qui honore le théâtre français.
"