On démolit
les Casemates
Pendant l'installation des machines monstrueuses qui coopèrent
au dérasement du bastion XIII, à l'angle du boulevard
Laferrière et de la rue Berthezène, nous eûmes
l'occasion d'entendre une réflexion, les curieux font toujours
des réflexions plus ou moins saugrenues quand ils assistent
à des phénomènes qui bouleversent la norme
établie, une réflexion qui était pour le moins
inattendue de la part du promeneur qui la proférait.
C'était un général, un général
étoilé qui demandait à un ouvrier occupé
au montage de la pelle à vapeur, ce que c'était que
ce bâtiment dont on entreprenait la démolition. Après
que le mécanicien lui eut répondu que ces bâtiments
étaient " militaires " le général
fit : ah ! ah ! très bien ! et partit satisfait.
Cet officier supérieur est excusable, après tout,
d'avoir ignoré pendant toute sa vie la destination de ces
constructions massives, qui n'ont jamais servi a autres choses qu'à
remiser quelques centaines d'obus périmés et du matériel
fortement usagé et dont l'inutilité aurait dû
être, par conséquent, depuis longtemps démontrée.
Aujourd'hui on s'en avise, et les casemates s'envolent en morceaux
pour faire place à de vastes bâtiments, dont la construction
répond à une incontestable utilité.
Les travaux de démolition et de déblaiement ont été
confiés à l'entreprise Bonabeau de Paris, qui a fait
venir tout son matériel de France.
La grande pelle à vapeur, qui assure l'enlèvement
de 500 mètres cubes de terre par jour, les perforeuses automatiques
avec lesquelles, sans grands efforts les énormes blocs qui
constituent les murailles sont descellés proprement machines
à creuser les trous de mines jusqu'à plus de six mètres
de profondeur, pour éviter la projection, que ne manquent
pas de provoquer les mines en surface, enfin toute la machinerie
moderne est en action pour faire disparaître dans le plus
court délai ce bâtiment, dont la malencontreuse esthétique,
gâtait depuis trop longtemps l'harmonie de ce riche quartier.
A sa place va s'ériger un vaste building ou seront réunis
tous les services du Gouvernement général.
Le projet de M. Guiauchain, architecte du Gouvernement général,
primitivement exécuté pour 700 bureaux, a été
modifié par esprit d'économie pour ne recevoir que
525 bureaux.
Ce building à l'usage uniquement administratif sera entouré
de vastes jardins, et flanqué à gauche, dans sa partie
inférieure d'une
vaste salle d'audition musicale, dont l'aménagement,
réalisé d'après les plans remarquables de M.
Guiauchain répondra admirablement à sa destination.
La salle proprement dite affecte la forme circulaire, et sera surmontée
d'une coupole. La paroi sera constitué par des tentures de
riche étoffe aux tons chauds.
Point de cette architecture si chère aux anciennes salles
de spectacles, de ces moulures, de ces avancées en gargouilles
qui dénaturent les sons ; dans la salle d'audition musicale,
dont la ville sera dotée pour les fêtes du centenaire,
il n'y aura rien qui puisse empêcher le recueillement du dilettante.
Et c'est une innovation qui fait honneur au distingué et
talentueux architecte qui la conçue.
Plus loin s'élèvera la Maison d'agriculture, dont
nous parlerons longuement dans un de nos prochains numéros.
En attendant et pour permettre que cette uvre s'accomplisse
on démolit les casemates.
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