les chemins de fer en Algérie
LES CHEMINS DE FER A VOIE ÉTROITE
DEUXIEME PARTIE
AVANTAGES DE LA VOIE ÉTROITE EN ALGÉRIE

CHAPITRE II - EXPLOITATION
PAR M. A. FOUSSET
sur site le 2-12-2008

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CHAPITRE II
EXPLOITATION

1.-Vitesse des trains. -

Il convient tout d'abord de bien distinguer entre la capacité de vitesse d'une ligne, que nous appellerons la vitesse technique et la vitesse moyenne de ses trains, que nous appellerons la vitesse commerciale.

     VITESSE TECHNIQUE. -
La vitesse technique est : fonction du tracé, du profil et de la locomotive.

Pour les trains-éclairs, marchant à 70 kilomètres, il faut :
--- 1° un tracé très large, dont les courbes ne descendent pas au-dessous de 800 à 1,000 mètres; -
--- 2° un profil peu accidenté, ne présentant pas de déclivités supérieures à 5, à 8 millimètres ; -
--- 3° enfin, des locomotives enlevées sur des roues de grand diamètre.

Pour des trains marchant à 40 ou 50 kilomètres, le rayon des courbes pourra descendre à 500 et 600 mètres, et les déclivités être portées à 12 millimètres.

Toutes les lignes (à voie large) qui emploient des courbes de 300 et
400 mètres et des rampes de 18 à 20 millimètres, ne permettront aux trains qu'une vitesse moyenne de 30 à 40 kilomètres.

Or, nous l'avons vu, ce dernier cas est celui de presque toutes les lignes de l'Algérie qui, souvent, même avec la voie large, doivent employer des rayons de 250 et des rampes de 20 à 30 millimètres. - Au point de vue technique, le réseau algérien, même établi à voie large, n'assurera donc, en général, que des vitesses moyennes de 30 à 40 kilomètres.

Mais ces vitesses moyennes de 30 à 40 kilomètres sont fournies avec la même facilité par la voie de 1 m,10 que par la voie de 1 m,45.

En fait, d'après le service journalier au 1er juin 1822, les trains 2 de Saïda à Arzew et 55-56 de Kralfallah à Mecheria, offrent, sur cette voie de 1rn,10, tout récemment ouverte, des vitesses entre les stations atteignant et dépassant même 30 et 35 kilomètres ; et, en dehors du service commercial journalier, des trains spéciaux ont fréquemment circulé d'Arzew à Mecheria, avec une vitesse de marche de 40 et 45 kilomètres.

C'est qu'en effet, sur deux lignes à voie large et à voie étroite, offrant à la traction d'égales résistances, les deux trains, d'un tonnage proportionné à l'adhérence du moteur, marcheront exactement à la même vitesse ; et, si les lignes sont peu accidentées et la charge faible, la vitesse des trains n'aura d'autre limite que la vitesse maxima des organes de la locomotive.

Pour travailler dans de bonnes conditions, le mouvement des bielles, par exemple, ne doit pas dépasser une certaine vitesse. Mais ces bielles étant conjuguées aux roues de la locomotive, leur vitesse est fonction du nombre de tours de roues ; et l'on comprend que, pour une Vitesse déterminée, le nombre de tours de roues sera d'autant plus considérable que le diamètre des roues sera plus faible. - Or, pour assurer à la locomotive la même stabilité dans les deux cas, le centre de gravité doit être abaissé plus près du rail avec un écartement plus faible des points d'appui. Dans les conditions courantes de la construction des locomotives, à l'heure actuelle, cet abaissement du centre de gravité est simplement obtenu par la diminution du diamètre des roues, ce qui abaisse aussi le maximum du vitesse. - Actuellement, les locomotives de la voie de 7 m,10 marchent facilement à des vitesses de 40 à 45 kilomètres, suivant le type de machine.
On pourrait certainement améliorer leur construction et créer quelques types permettant plus de vitesse ; mais serait-ce bien utile en Algérie`?

     VITESSE COMMERCIALE. -
La vitesse commerciale est celle qui se trouve mposée à toute exploitation, par la force même des choses, par l'imporance de la circulation et le tonnage des marchandises, pour permettre .ux trains mis en marche de recueillir un trafic, autant que possible, en tarmonie avec la dépense. Pour que les trains de vitesse, à grande dismce, soient possibles, il faut nécessairement qu'il existe un trafic à grande distance suffisant pour assurer à ces trains un tonnage qui puisse justifier leur mise en marche.

Mais en Algérie, il n'y a aucune relation commerciale de province à rovince, aucun courant de trafic d'Oran à Alger et encore moins d'Alger à Constantine (où la voie ferrée n'est même pas encore faite) ; toutes les relations sont, au contraire, du point de production directement, par le port le plus voisin, avec la France et l'Europe. C'est à peine s'il y chaque jour 4 ou 5 voyageurs et quelques tonnes de marchandises d'Alger pour Oran et réciproquement. Aussi, l'unique train journalier, allant d'Alger jusqu'à Oran , ( 420 kilomètres ) est-il obligé de s'arreter à toutes les stations intermédiaires, pour y recueillir du trafic ; ce qui limite à 30 kilomètres ( arrêts compris ) la vitesse commeciale de ce train, le plus rapide de l'Algérie, sur la principale artère du réseau, alors que cette ligne, établie du reste à voie large et à très grands frais, permettrait une vitesse beaucoup plus considérable.

En fait, nous avons vu que, sur les lignes à voie large de l'Algérie, construites à si grands frais, la vitesse moyenne des trains, du point de départ au point d'arrivée (arrêts intermédiaires compris) est de 23 kilomètres (voir, 1ère partie, le tableau réseau algérien en 1880, ) (retour 1) Or, si nous consultons la iarche officielle des trains de la ligne à voie étroite de 1 m,10, d'Arzew à Mecheria (marche au 1er juin 1882), ligne de montagne remontant tous les échelons du Tell et tout récemment ouverte (1° d'Arzew à Saïda en septembre 1879; - 2° de Saïda à Kralfallah, juin 1881 ;-3°Kralfallah, Mecheria, avril 1882), nous voyons que le train n° 2, partant de Saïda à 11 heures du matin pour arriver à Perrégaux (120 kilomètres) à 4 heures du soir, assure une vitesse moyenne du point de départ au point d'arrivée (arrêts intermédiaires compris) de
24 kilomètres ; et que les trains n° 33 et n° 56 du Kreider à Mecheria (81 kilomètres) assurent entre ces points extrêmes (arrêts intermédiaires compris) une vitesse de 26 kilomètres.

Il est donc bien établi qu'en Algérie la voie étroite peut répondre, aussi bien que la voie large, d toutes les exigences de vitesse nécessaires et pratiques dans ce pays.

Il y a même plus, c'est que, étant donné qu'une vitesse moyenne de 30 à 35 kilomètres, entre les points de départ et d'arrivée (arrêts intermédiaires compris), pour les longues distances, est le maximum qu'on puisse demander et espérer en Algérie ( le tableau réseau algérien en 1880 ((retour 1) montre que les lignes à voies larges actuelles sont loin d'atteindre cette limite), la voie étroite pourra beaucoup plus facilement que la voie large, procurer cette vitesse.

En effet, au point de vue technique nous avons vu que la voie étroite peut, tout aussi facilement que la voie large, fournir des vitesses en pleine marche de 40 à 45 kilomètres ; il est évident, du reste, que la vitesse moyenne du train entre le départ et l'arrivée (arrêts intermédiaires compris) se rapprochera d'autant plus de cette vitesse de 40 à 45 kilomètres qu'on supprimera un plus grand nombre d'arrêts intermédiaires. Or, les trains ne multipliant leurs arrêts que pour chercher dans toutes les stations le trafic direct, qui leur manque aux points extrêmes, plus l'unité du train pourra se contenter d'un tonnage restreint, plus on pourra supprimer d'arrêts intermédiaires et, par suite, plus la vitesse commerciale se rapprochera de ]a vitesse technique de 40 à 45 kilomètres.

Il est de toute évidence que le train plus économique et plus léger de la voie étroite, se prêtera beaucoup plus facilement que le train, plus lourd et plus cher de la voie large, à l'exécution de ce programme.

II. Puissance de transport. -

Nous avons vu, page 27,(retour4) que sur le réseau du Brésil la ligne à voie étroite de 1 m,10, de Cantagallo et embranchement de Rio Bonito, de 211 kilomètres , ouverte à à l'exploitation en 1860 , faisait , en 1879 , une recette brute de 22,100 francs par kilomètre, et que la ligne de Leopoldina, de 217 kilomètres, construite à l'écartement de 1 mètre, ouverte en 1874, faisait en 187, c'est-à-dire cinq ans après, une recette brute de 22,015 francs par kilomètre. Nous savons, du reste, qu'après ces expériences, faites sur un réseau de 6,805 kilomètres, c'est la voie étroite que l'on généralise désormais. On est donc bien rassuré (après expérience) sur la puissance de transport de la voie étroite.

Si, après des faits aussi éloquents, il pouvait subsister le moindre doute, nous ajouterions qu'en Angleterre le petit chemin de fer du Festiniog , établi avec l'écartement de voie démesurément faible de (0m,60) soixante centimètres, à traction de locomotive et ouvert au service public des voyageurs et des marchandises, fait actuellement plus de (30,000 francs) trente mille francs de recette brute par kilomètre.

Après cela, si l'on se reporte au tableau réseau algérien en 1880,(retour 1) indiquant le trafic des lignes d'Algérie en 1880, il sera vraiment difficile de pouvoir craindre que la puissance de transport de la voie de 1m,10, puisse jamais être prise en défaut dans notre colonie.

On peut, du reste, jeter un coup d'oeil sûr la ligne à voie étroite de 1m,10 d'Arzew à Mecheria, qui gravit successivement et perpendiculairement aux chaînes de montagnes, tous les échelons du Tell. Nous voyons que :

--- 1° Sur les sections en rampe de 0 à 10 millimètres, telles que d'Arzew à Perrégaux (50 kilomètres) et de Kralfallah à Mecheria (137 kilomètres), les machines à marchandises remorquent des trains de 250 tonnes brutes, qui peuvent comprendre et qui ont souvent 40 véhicules. La tare d'un wagon à marchandises variant de 2t,3 à 3 t3, et la charge utile étant de 5 tonnes, un train complet (33 véhicules à charge complète) comprend, sur ces sections, 165 tonnes de marchandises, et 85 tonnes de poids mort;

--- 2° Sur les sections les plus montagneuses comportant de longues rampes de 27 millimètres (jusqu'à 9 kilomètres continus), telles que de Bou-Hanifia à Tizi-Mascara (13 kilomètres) et de Saïda au sommet du Petit-Atlas (20 kilomètres), la même locomotive remorque encore des trains de 75 à 80 tonnes brutes (suivant les saisons) soit 78 tonnes comprenant 52 tonnes de marchandises et 26 tonnes de poids mort. Les trains peuvent, d'ailleurs, même dans cette partie, comprendre 24 véhicules.

Il est bien entendu que nous ne parlons ici que du train à traction simple et qu'on peut augmenter ce tonnage sur les sections accidentées, en faisant de la double traction, tout6s les fois qu'il y a utilité de le faire.
On voit par ces deux exemples extrêmes que la capacité du train de la voie étroite, est encore très considérable sur les sections en rampe de 5 à 10 millimètres (40 véhicules, 250 tonnes) et que c'est l'escalade des montagnes qui, seule, diminue sérieusement le tonnage, comme, d'ailleurs, sur toutes les voies de transport, routes de terre ou voies ferrées, à grande ou à petite section. Il est clair, qu'en multipliant les trains suivant les exigences du trafic, on peut donner satisfaction aux mouvements de marchandises les plus considérables qui puissent se produire, d'autant plus qu'en Algérie, pays d'exportation par excellence, les gros tonnages sont généralement en descente, du Haut-Tell vers les ports d'embarquement.

A titre de renseignement nous pouvons donner ici le relevé des transports effectués en 1881 par le chemin de fer d'Arzew à Saïda et Kralfallah, construit comme ligne industrielle et ouvert au public, d'Arzew à Saïda, en septembre 1879, et de Saïda à Kralfallah en juin 1881 seulement. Cette voie étroite, de 1m,10, a été surprise au lendemain de son ouverture et avec un matériel très restreint par l'insurrection des Hauts-Plateaux et par la disette du Tell. - Elle a vu, pendant cette année de perturbation, toutes les lois économiques de l'Algérie et toutes les prévisions renversées : aucun trafic à descendre et tout à monter, grains et farines, troupes, matériel et munitions de guerre. Et cependant, dans ces conditions exceptionnellement défavorables, elle a pu, non seulement faire face aux besoins de l'armée et du public, mais encore transporter en même temps (et toujours en remonte) tout le matériel nécessaire à la construction des 115 kilomètres de la ligne militaire de Modzbah, au Kreider et à Mecheria et à la création des trois établissements militaires du Kreider, Mecheria et Aïn-Sefra. Surprise ainsi à ses débuts, cette ligne n'a pas transporté, en 1881, moins de :
---1° 60,971 personnes ;
---2° 703,732 kilogrammes de bagages;
---3° 545 chiens ;
---4° 11 971, 84 t de marchandises en grande vitesse ;
--- 5° 80,265 125 t ---------------------en petite vitesse ;
--- 6° 1,305 chevaux.

Notons enfin que l'expérience complète que vient de faire cette voie étroite pendant toute la campagne du Sud-Oranais a démontré, de la manière la plus éclatante, que son matériel se prêtait à merveille à toutes les exigences des transports de l'armée, infanterie, cavalerie, train des équipages, artillerie, chevaux et matériel de toutes natures.

Nous y reviendrons, d'ailleurs, plus loin, dans un chapitre spécial (page 55). -


III. Poids mort comparatif. -

Le poids mort qui, sur les voies de terre, ne dépassait pas 30 pour 100 du poids brut (poids utile et poids mort) et 40 à 45 pour 100 sur les voies d'eau, a pris, dans les transports par chemins de fer, une importance vraiment effrayante en raison, d'une part, de l'excédent de résistance des véhicules, exigée par une circulation plus rapide et les dangers de rupture plus graves, et, d'autre part, des obligations du service régulier et à temps compté, qui impose la mise en mouvement de wagons très incomplètement chargés et de nombreux retours à vide.

Comme nous l'avons déjà vu, sur le réseau français, on met journellement en circulation, pour 132,700 tonnes utiles, 570,000 tonnes de matériel, soit 4 tonnes de poids mort pour 1 de poids utile.

En Angleterre, avec une bien meilleure utilisation du matériel, le poids brut s'élève encore à 2',300 kilogrammes par tonne de poids utile pour les marchandises.

    Poids mort des wagons. - En France, les voyageurs transportés n'occupent que 24 pour 100 des places offertes pour les wagons mis en mouvement; aussi un voyageur compté pour 75 kilogrammes utiles nécessite-t-il la mise en marche de 800 kilogrammes de poids mort (moteur non compris).

Une tonne de messageries (transportée par fourgon) met en mouvement un poids de 6,700 kilogrammes.

Enfin, 1,000 kilogrammes de marchandises en petite vitesse entraînent le transport de 1,310 kilogrammes de poids mort de wagon.

    Poids mort total. - Si, à ces poids mort de wagons, nous ajoutons le poids du moteur, nous aurons comme moyenne de l'exploitation générale du réseau français (Voir la remarquable étude de M. Marché, ingénieur, et aussi celle de M. Alfred Léger, Les transports par chemins de fer, imprimerie Storck, à Lyon) :
        1°/ Voyageurs. - Trains de voyageurs :

. Poids mort locomotive. Poids brut total.
Poids utile.(1 voyageur) : 75 kil.
Poids mort wagon : 770 kil. . = 1,357 kil.
Poids mort locomotive : 512 kil
Poids brut total : 1,357 kilogrammes
On transporte donc 1,357 kilogrammes par voyageur ou 18 fois le poids utile.

        2° Messageries en trains de voyageurs. -


:resultats genéraux

Ces résultats généraux, fournis par l'ensemble du réseau français montrent :
---a) Que les transports du poids mort sont un facteur très considérable des dépenses d'exploitation des voies ferrées ;
---b) Que ces charges croissent dans des proportions énormes avec le degré de vitesse employée ;
---c) Que cette exagération du poids mort dépend :
----------1° Du rapport du poids mort du wagon au poids utile qu'il porte à charge complète ;
----------2° Du rapport de la charge offerte à la charge utilisée, dans les nombreux wagons incomplètement chargés;
----------3° Du retour du matériel à vide.

Examinons donc sommairement quelle sera l'influence de la largeur de la voie, sur ces divers résultats si importants :

        Voyageurs. - On peut compter qu'une voiture à voyageurs de 50 places pèse 6,500 kilogrammes pour la voie large et qu'une voiture de 40 places pèse 4,500 kilogrammes pour la voie de 1m,10. Dès lors, à train complet :
        Sur la voie large 1,000 voyageurs emploieront 130 tonnes de voitures ;
        Sur la voie de 1 m ,10, 1,000 voyageurs emploieront 112 tonnes de voitures ;

Si ce train devait faire retour à vide, ces 1,000 voyageurs auraient employé :
Sur la voie large 2 X 130 = 260 tonnes de poids mort.
Sur la voie de 1m,10 2 X 112 = 224 tonnes de poids mort.

        Marchandises. - On peut compter qu'en moyenne, un wagon de la voie large pouvant porter 8 tonnes de marchandises, pèse 4`,800 (la tare varie de 4 à 6 tonnes, suivant le type du wagon), soit un poids mort minimum (en pleine charge) représentant 0,60 du poids utile.

Sur la voie étroite de 1m,10, le wagon portant 5 tonnes pèse en moyenne (de 2t,3 à 3t,3, suivant les types) 2 t ,600, soit un poids mort minimum (en pleine charge) représentant 0,52 du poids utile (Il convient de remarquer qu'en Algérie, où il pleut très raremenl, les wagons découverts, plus légers, sont d'un usage beaucoup plus fréquent que les wagons couverts plus lourds.)

A pleine charge, le transport de 1,000 tonnes de marchandises exigera donc la mise en marche de 600 tonnes de matériel ou poids mort sur la voie large, et de 520 tonnes seulement sur la voie étroite de 1m ,10.

Si ce matériel devait faire retour à vide ces 1,000 tonnes utiles auraient nécessité, sur la voie large 2 X 600 = 1,200 tonnes de poids mort, et sur la voie de 1m,10. . 2 X 520 = 1,040 tonnes de poids mort.

        Chargements incomplets. - Pour les chargements incomplets, l'avantage de la voie étroite est bien plus considérable encore.

En effet, il arrive journellement d'avoir à exécuter un transport de 1,200 à 1,500 kilogrammes et même moins, sur une gare déterminée; on est forcé alors de mettre un wagon en route pour ces 1,200 à 1,500 kilogrammes sans avoir d'autres marchandises de même destination, pour compléter le wagon. Or, un wagon de la voie large pèse en moyenne 4, 8 t, tandis qu'un wagon de la voie étroite ne pèse que
2 , 6 t; pour chaque expédition semblable de 4,200 à 1,500 kilogrammes de poids utile, la voie de 1 m 45, doit donc transporter 4 t 800k de poids mort, quand, pour le même poids utile, la voie étroite ne transporte que 2 t 600k.

On voit, en résumé, que, dans tous les cas possibles, la voie étroite de 1 m 10 économise une très notable partie des poids morts nécessaires avec la voie large de 1m ,45.

IV. Entretien et renouvellement du 'matériel. -

        Matériel roulant et outillage. - Les frais d'entretien et de renouvellement du matériel roulant et de l'outillage seront absolument comparables, sur la voie large et sur la voie étroite, pour un matériel de même importance.

Mais nous avons vu que, pour un même trafic, le matériel de la voie étroite, se prêtant à une meilleure utilisation, pourra offrir une capacité totale moindre que celui de la voie large. Cette capacité de matériel moindre imposera, par suite, des frais d'entretien et de renouvellement moins considérables.

        Matériel de la voie et matériel fixe. - L'entretien de la voie et du matériel fixe comprend les frais de main-d'oeuvre et les dépenses de matières.

On comprend que la main-d'œuvre de dressage et de relevage soit d'autant plus économique que la voie est plus légère et plus facile à travailler. Quant aux matériaux, ils sont naturellement tous moins chers sur la voie étroite que sur la voie large, puisque leur échantillon est plus faible.

L'entretien sera donc toujours plus économique sur la voie étroite que sur la voie large.

En Algérie, il importe de prévoir largement les dépenses de renouvellement du matériel, qui seront toujours considérables. Il n'apparaît pas que le climat ait de l'influence sur les rails ; mais ils seront néanmoins assez vite fatigués dans les rampes de 20 à 30 millimètres, qu'il faudra souvent employer sur le réseau algérien. Quant aux traverses, leur durée est extrêmement limitée ; sous le climat africain, la période de durée des traverses en bois est de :

4 à 5 ans pour les traverses en pin maritime injectées,
5 à 6 ans pour les traverses en chêne.

Ce renouvellement est donc un élément de dépense considérable.

Remarquons toutefois que chacune des parties de la voie coûtant un tiers moins cher, pour la voie étroite que pour la voie large, les dépenses de renouvellement se trouveront réduites dans la même proportion.

        NOTA. - Ce renouvellement si rapide des traverses en bois constitue une dépense vraiment effrayante qui charge les frais d'exploitation en Algérie d'une constante énorme.

On ne comprend pas qu'en présence de pareils résultats, on ne se soit pas encore plus occupé de remplacer le bois par le fer. En Algérie surtout, il faut absolument arriver à la traverse en fer pratique.. - Nous y reviendrons sans doute quelque jour.

V. Économie d'exploitation. -

Après avoir examiné les différentes parties de l'exploitation, nous en résumerons les dépenses, pour la voie de 1m,45 et pour la voie de 1m 1 0, dans un tableau comparatif, comme nous l'avons fait pour les frais de premier établissement. (Voir tableau page 36.)

Nous avons donné en détails,ici et ici, les barêmes des frais d'exploitation garantis par l'État, pour plusieurs lignes concédées à Bone-Guelma et aussi à l'Ouest-Algérien; nous les rappellerons dans le tableau ci-après.

tableau comparatif des frais d'exploitation

La colonne 1 contient les différents chiffres de la recette brute annuelle et kilométrique.
Les colonnes 2 et 3 indiquent, pour chaque recette brute, les frais d'exploitation garantis, comme nous l'avons dit précédemment, au Bone-Guelma, la colonne 2 portant la proportion pour cent des frais d'exploitation par rapport à la recette entre deux sommes déterminées et la colonne 3 le maximum garanti.
Les colonnes 4 et 5 fournissent les mêmes renseignements, en ce qui concerne la ligne de Bel-Abbès à Ras-el-Mil.
Les colonnes 6 et 7 contiennent les moyennes des frais d'exploitation de ces deux lignes à voie large.

Si nous jetons un regard sur ces moyennes, on voit :
---1° Que les frais d'exploitation annuels ainsi garantis à la voie large, ne s'abaissent pas au-dessous de 7,580 francs par kilomètre, et que ces frais sont constants jusqu'à ce que la recette brute dépasse 11,000 francs ;

---2° Que ces frais d'exploitation ne s'abaissent pas au-dessous de 52 pour 100 de la recette brute.

Il résulte de la première de ces données qu'une ligne établie dans ces conditions et dont la recette brute resterait pendant plusieurs années aux faibles chiffres de 4,000 francs, 5,000 francs et 6,000 francs par kilomètre (et nous pourrions en citer déjà quelques-unes dans ce cas, bien qu'on ait vraisemblablement commencé par établir les plus productives), aurait quand même droit au chiffre constant et garanti de 7,580 francs d'exploitation par kilomètre (le Trésor paye la différence).

En regard de ces divers résultats fournis par la voie de 1 m ,45, nous avons placé, dans la seconde partie du tableau, les mêmes renseignements pour la voie de 1 m ,10 :
---1° Sur les tracés montagneux (colonnes 8 et 9) ;
--- 2° Sur les tracés de plateaux (colonnes 10 et 11) ;
--- 3° En moyenne (colonne 12 et 13).

Enfin, la colonne 14 donne les différences entre les frais d'exploitation moyens de la voie large (colonne 7) et ceux de la voie étroite (colonne 13); c'est-à-dire les économies kilométriques et annuelles realisées par la voie de 1 sur la voie de 1 m


Le tableau précédent fournit tous les résultats de l'exploitation, soit de la voie large, soit de la voie étroite, par kilomètre de ligne.

On remarquera en faveur de la voie étroite :
---4° Que les frais d'exploitation, au lieu de rester constants à 7 ,580 francs par kilomètre pour toutes les recettes inférieures à 11,000 francs s'abaissent à 6,400 et même à 6,000 francs, ce qui lui permet d'assurer une économie d'environ 1,400 francs par kilomètre et par an, pour toutes les recettes égales ou inférieures à 8,000 francs ;
---2° Que l'économie, quoique moins considérable, se continue indéfiniment, quelle que soit la recette.

Observation importante. - Nous devons faire remarquer ici que les frais d'exploitation (renouvellement compris) de la voie de 1 m,10 s'abaisseraient certainement au-dessous de 6,000 francs, même en Afrique, où les charges sont beaucoup plus lourdes qu'en Europe, si les dépenses de renouvellement, si considérables en Algérie, comme nous l'avons expliqué chapitre V (économie d'exploitation), ne les grevaient démesurément et d'une manière à peu près constante, que la recette soit de 4,000 francs ou qu'elle soit de 8,000 francs. Pour ces faibles trafics, en effet, l'usure des rails est sensiblement la même; et la détérioration des traverses surtout, cette plaie des lignes d'Afrique, tient beaucoup plus au climat qu'au travail de la voie.

Ajoutons que si, pour la généralisation du raisonnement, nous avons cru devoir nous en tenir au chiffre de 6,000 francs, cette dépense pourra être diminuée souvent sur telle ou telle ligne facile et placée dans une situation favorable. Quiconque connaît la colonie sait combien il est nécessaire que ces deux conditions soient réunies, et quelle énorme différence existe entre deux lignes de plateaux situées, l'une sur le littoral et l'autre dans la région du désert et des chotts, à 300 kilomètres et plus de la côte et à 1,000 à 1,300 mètres d'altitude.

Sur le littoral, on a le matériel, l'outillage et les matériaux de toutes natures, au prix de débarquement ; le personnel et la main-d'œuvre ne sont pas trop onéreux ; l'eau nécessaire pour l'alimentation du personnel, pour les maçonneries et pour les locomotives, se trouve à peu près comme il convient.

Sur les Hauts-Plateaux, au contraire :
---1° Rails, traverses, chaux, ciments, bois, fers, charbons, etc..., sont grevés d'environ 30 francs par tonne (300 kil. à 0 fr. 10);
---2° Le personnel et la main-d'oeuvre atteignent des prix tout à fait exorbitants dans ces déserts inhospitaliers;
---3° Enfin, souvent la voie ferrée traverse des espaces de 90 kilomètres, comme entre Aïn-el-Hadjar et le Kreider, sans trouver une seule prise d'eau; il faut alors qu'un matériel spécial apporte chaque jour l'eau nécessaire aux stations intermédiaires, maisons de garde, alimentations de secours, etc... ; ajoutons que cette eau rare des Hauts-Plaféaux, qu'il faut distribuer à de pareilles distances, est souvent mauvaise et ne se conserve pas dans les citernes ;
---4° Notons aussi que le siroco brûlant et les vents de sables détériorent le matériel bien plus rapidement que sur le littoral.

On voit combien sont différentes les conditions d'exploitation, sur le littoral ou dans le sud de la colonie.

Comme exemple de ligne facile et placée dans des conditions très favorables, nous pouvons citer le projet de " La Senia (Oran) à Aïn- Temouchent, " qui est à l'heure actuelle en discussion devant les Chambres.

Nous voyons dans le projet de loi que, sur cette ligne à voie de 1 m 45 et de 68 kilomètres, l'État garantit à la compagnie concessionnaire, des frais d'exploitation qui s'élèvent, par kilomètre et par an, au minimum de 7,000 francs, chiffre invariable jusqu'à ce que la recette dépasse 9,000 francs par kilomètre, et pour les recettes plus élevées des sommes portées dans la colonne 3 du tableau ci-après.

Or, exécutée à voie étroite de 1m,10, cette même ligne de " La Senia (Oran) à Aïn-Temouchent " permettrait d'abaisser le minimum de garantie à 5,000 francs (renouvellement compris) et d'adopter le barème infiniment plus économique porté dans les colonnes 4 et 5 du tableau, savoir :

recettes brutes au kilomètre

Ainsi, comme l'indique la colonne 6, la substitution de la voie de 1m,10 à la voie de 1m,45 permettrait au. Trésor de réaliser sur la seule garantie d'exploitation, une somme qui varie de 2,000 à 1,000 francs par kilomètre et par an, pour un chiffre de recette inférieur à 8,000 francs et toujours 700 francs pour toutes les recettes supérieures.

Et ces économies d'exploitation, déjà si importantes pour un faible trafic, ne sont pas, à beaucoup près, les seules ; celles de premier établissement qui sont beaucoup plus considérables encore, viennent s'y ajouter. Et, en effet, le projet de loi prévoit, pour ces 68 kilomètres de la Senia à Aïn-Temouchent une dépense de 8,800,000 francs garantie à 4 fr. 85 pour 100; c'est, en chiffre rond, 130,000 francs par kilomètre qui à 4 fr. 85 pour 100 représentent, par kilomètre, une annuité garantie par l'État de 6,305 francs. Cette annuité fixe, ajoutée à la garantie minimum de 7,000 francs, porte donc pour la voie de 1rn,45 à
13,305 francs par an et par kilomètre le minimum garanti par le Trésor public, pour les plus faibles recettes.

Or cette ligne pourrait être construite à voie de 1 m,10 au prix du 6e groupe (voir tableau, )(retour2)soit à 75,000 francs, somme qui, à 4 fr. 85 pour 100 représente une annuité de 3,600 francs. Cette annuité, ajoutée aux 5,000 francs d'exploitation, porte donc seulement, pour la voie de 1m,10, à 8,600 francs la garantie kilométrique totale, au lieu de 13,305 francs, soit une économie annuelle kilométrique de 4,705 francs, pour les faibles trafics, réalisée par la voie de 1 m 10; ce qui représente 35 pour 100 de la garantie accordée à la voie large !

Maintenant que nous connaissons les résultats kilométriques, appliquons-les à un réseau de 6,000 kilomètres ; et comparons les résultats fournis par l'exploitation, sur l'ensemble de ce réseau, soit avec la voie large de 1m,45, soit avec la voie étroite de 1m,10.

frais d'exloitation

Le tableau ci-dessus contient ces résultats d'ensemble, calculés pour une recette brute kilométrique, moyenne sur les 6,000 kilomètres, variant de mille en mille francs , depuis 5,000 jusqu'à 21,000 francs .
La colonne 1 indique le montant de la recette brute.
Les colonnes 2 et 3 donnent les dépenses moyennes de l'exploitation par kilomètre pour la voie de 1 m,45 et pour la voie de 1m,10 et la colonne 4 les économies kilométriques assurées par la voie étroite.
Les colonnes 5 et 6 contiennent, pour chacune des recettes variant ,de 5,000 à 21,000 francs les dépenses totales de l'exploitation du réseau de 6,000 kilomètres, pour la voie de l m,45 et pour la voie ,de 1m,10.
Enfin la colonne 7 indique, pour chaque chiffre de la recette, l'économie totale annuelle assurée par la voie de 1m,10 sur les seuls frais .de l'exploitation garantis par l'État.

Ce tableau montre (colonne 1 et 7) que, sur les seuls frais d'exploitation (intérêts du capital de construction en dehors) :
---1° Pour toutes les recettes kilométriques égales ou inférieures à 8,000 francs, l'économie annuelle assurée par la voie de 1m,10 sur les dépenses garanties par l'État, ne serait pas inférieure à 8,280,000 fr.;
---2° Pour la recette de 9,000 francs donnée par le réseau algérien en 1880 (voir le tableau officiel de la page17), l'économie serait supérieure à six millions ;
---3° Quel que soit le chiffre de la recette, l'économie assurée sur les frais garantis est constamment de deux à trois millions chaque année.