I. L'Algérie,
sa constitution et ses besoins.
- Aujourd'hui que notre grande Colonie africaine occupe dans l'opinion
publique, comme dans les conseils du gouvernement de la métropole,
la place qui lui revient de droit, par son importance et par l'influence
qu'elle est appelée à exercer sur la puissance, la richesse
et les destinées de la France, on se préoccupe grandement
d'assurer la complète sécurité de sa population et
de développer le plus rapidement possible la colonisation.
L'Algérie proprement dite (Tunisie en dehors) s'étend, de
Nemours à La Calle, sur une longueur d'environ 1,000 kilomètres
et, du littoral à Tougourt ou Moghar, sur une largeur de 500 kilomètres.
Sa superficie de 50 millions d'hectares, est donc celle de la France entière.
Ce territoire comprend trois zones distinctes, qui s'étendent parallèlement
à la mer, savoir :
1°
Le Tell, compris entre le littoral et le Petit-Atlas ; c'est
le versant méditerranéen, particulièrement propre
à la colonisation ;
2°
Les Hauts-Plateaux, compris entre le Petit-Atlas et la chaîne
du Grand-Atlas; c'est le bassin des Chotts, où il ne peut guère
végéter que de l'alfa ;
3°
La région Saharienne, qui s'étend au sud du Grand-Atlas,
vers le centre de l'Afrique; c'est la région des sables et des
oasis.
Ces trois zones, d'un caractère si différent, se partagent
à peu près par tiers les 50 millions d'hectares occupées
par la France; chacune a donc, en chiffres ronds, une superficie de 17
millions d'hectares, égale à celle de 30 départements
français.
Le sol du Tell, très tourmenté, est assez généralement
formé de montagnes de glaises coupées de vallées
profondes ; et les cours d'eau, presque à sec pendant les huit
mois d'été, deviennent des torrents très impétueux
dans les orages violents de la saison des pluies.
Les Hauts-Plateaux ne présentent, an contraire, que très
peu d'accidents. Ce qui caractérise cette région, où
les vallées ne reçoivent que les pluies des orages, très
violents d'ailleurs, c'est la rareté de l'eau : on n'y rencontre
aucun ruisseau, et les puits, fort rares, ne fournissent qu'une eau, en
général, aussi mauvaise que peu abondante.
La région saharienne, plus brùlée encore que les
Hauts-Plateaux, est composée d'immenses solitudes souvent envahies
par les sables mouvants ; mais à travers ce désert, on rencontre
certaines vallées où l'eau coule l'année entière,
et des sources abondantes qui ont donné naissance à des
oasis souvent fort riches.
En chiffres ronds , la population européenne est inférieure
à 400,000 habitants, et la population indigène soumise à
l'autorité française ne s'élève pas à
3,000,000 d'âmes. Si l'on comprend tous les habitants, Européens
et Indigènes, nous avons donc à peu près la population
de huit départements, répartie sur la superficie de la France
entière. Si l'on ne considère que l'élément
européen répandu dans le Tell seulement, nous sommes en
présence de la population d'un département, répartie
sur une superficie de 30 départements.
Voilà le pays dont il faut assurer d'une manière absolue
la sécurité, le pays que l'on veut et que l'on doit rapidement
coloniser.
Sécurité. - Il s'agit
de garantir la tranquillité d'un territoire de 50 millions d'hectares,
sur lequel se trouve disséminée une population d'environ
3 millions d'âmes, dans la proportion de 1 Européen pour
8 Indigènes, et de protéger contre les incursions une ligne
frontière passant par Nemours, Moghar, Tougourt ( Sans
même parler de Ouargla, située bien plus au sud et où
nous devons maintenir notre influence pour assurer la sécurité
du M'Zab, dont nous avons le protectorat) et La Calle, offrant
sur le continent africain un développement de 2,000 kilomètres.
Or, sur cette immense superficie, il n'existe encore, à l'heure
actuelle, que 1,500 kilomètres de voies ferrées, presque
toutes établies, du reste, au bord de la mer et dans le Tell. Ajoutons
que dans l'intérieur, les routes sont très rares et presque
toutes impraticables pendant l'hi- ver, ce qui n'étonnera nullement,
dans un pays où ces voies, souvent dans l'argile, sont fort coûteuses
à établir et où la sécheresse extrême
empêche tout entretien pendant huit mois de l'année.
Dans ces conditions, la troupe est généralement condamnée
à mar"cher péniblement, pendant 25 à 30 jours,
Pour monter par étapes du littoral aux postes avancés du
Sud.
On sait, d'ailleurs, par une expérience de cinquante années,
que la population indigène, indépendante et guerrière,
est sans cesse tenue en éveil par le fanatisme musulman , et que
les peuplades du Sud, véritables pirates du désert, sont
toujours en armes.
On doit comprendre qu'il faudrait une armée énorme, pour
parer à toutes les éventualités, sur un territoire
aussi étendu, aussi dépourvu de ressources et aussi privé
de moyens de communication. Il serait aussi inhumain de condamner nos
soldats à cette guerre perpell-kelle, que puéril de demander
à nos généraux , si habiles et si vigilants qu'ils
puissent être, de ne jamais laisser surprendre aucun de nos postes
avancés, fatalement faibles et forcément isolés.
Colonisation. - Dans l'intérieur
du Tell même, les transports par charrettes, lents et pénibles
sur des chemins qui n'existent souvent que de nom, coûtent sur un
grand nombre de points de '1 franc à. i fr. 50 par tonne de 1,000
kilogr. et par kilomètre, soit de 100 à 150 francs par 1,000
kilogr. pour descendre du Haut-Tell à la gare la phis voisine ou
au port du littoral!
Demander, après cela, que des colons viennent en grand nombre s'installer
dans l'intérieur du Tell n'est-ce pas demander l'impossible?
Ces simples observations ne montrent-elles pas jusqu'à l'évidence
que, aussi bien pour garantir la sécurité du pays et de
nos frontières, que pour assurer le développement de la
colonisation, il n'y a qu'une solution : supprimer les distances par l'établissement
de voies de communication économiques et rapides. C'est le premier
problème à résoudre, c'est même le seul; car
ce point essentiel acquis, le reste viendra de lui- même : l'initiative
individuelle s'en chargerait seule.
Mais, pour atteindre ce résultat, il faudrait établir en
toute hâte un premier réseau qui ne saurait comprendre moins
de 2,000 kilomètres par province, soit 6,000 kilomètres
pour l'Algérie entière (non compris la Tunisie); c'est,
d'ailleurs, tout à fait un minimum pour une superficie grande comme
la France. (Le réseau classé en France, dépasse 44,000
kilomètres.)
Dans la province d'Oran, par exemple, sauf modifications ou variantes,
ce réseau pourrait se distribuer à peu près comme
suit :
|
*1.- Ces lignes ne sont
indiquées que d'une manière générale, pour
bien fixer les idées ; et les longueurs portées ne sont
qu'approximatives.
Dans la province d'Oran, prise pour exemple, les lignes que nous venons
d'énumérer sont toutes classées, en projet ou demandées,
soit par l'autorité militaire, soit par le Conseil général
; toutes sont de première nécessité ; et l'on voit
que leur ensemble dépasse déjà les 2,000 kilomètres
que nous indiquions par province.
II. Les transports tels qu'ils sont nécessaires
a l'Algérie. -
N'oublions pas que l'Algérie est une colonie, un pays neuf où
tout est à créer. Si l'on veut réellement tirer parti
de cette grande et riche colonie, il faut nécessairement procéder
comme en Amérique, faire ce que les Anglais font partout, aux Indes,
en Australie, dans la Nouvelle- Zélande, etc Commencer par sillonner
le pays, en toute hâte, de voies ferrées distribuant la vie
et assurant la sécurité; nous le répétons,
le reste vient tout naturellement ensuite, la colonisation et la richesse
suivent de près : l'initiative individuelle s'en charge.
Il faut procéder rondement et sans hésitation. Dans un pays
neuf, dont l'occupation coûte cher, la première nécessité
qui s'impose est de faire vite; car chaque année de retard impose,
en sacrifices stériles et en richesses perdues, des pertes énormes,
sans compter qu'une action -vigoureuse peut, seule, donner aux colons,
industriels et capitalistes, la confiance et l'entrain nécessaires.
En Algérie, le problème des voies ferrées ne se pose
point, du reste, comme en France et en Europe, les exigences des transports
dans les deux pays n'ayant absolument rien de commun.
Le réseau français, en effet, doit répondre à
des exigences de tout premier ordre :
1°
Transit international, concurrencé
par les pays limitrophes (les lignes du Havre-Paris-Marseille ont un trafic
annuel de 130,000 francs et de 180,000 francs par kilomètre) ;
2°
Grands courants de trafic, qui accumulent
sur certaines voies des mouvements énormes. (La ligne de Paris
à Lille fait un trafic annuel de 130,000 francs par kilomètre,
la ligne de Paris à Bordeaux, de 110,000 francs.)
3°
Trains rapides qui réunissent les
grands centres comme Paris et Lyon, - Paris et Bordeaux ;
4°
Mobilisation générale de toutes
les forces de la France et concentration rapide de centaines de mille
hommes sur une même frontière.
L'Algérie, au contraire, est une colonie entourée de régions
barbaresques et dont les trois provinces ont les mêmes produits
à exporter. Donc ici, point de transit international, presque pas
de trafic de province à province, et encore moins de mobilisation
générale d'un million d'hommes. Le réseau algérien
n'a que deux obligations :
1.
Au point de vue de la colonisation, permettre à chaque centre
agricole ou industriel d'écouler directement ses produits vers
le port le plus rapproché, - et remarquons queo chaque voie ferrée
n'aura ainsi à desservir que le trafic relativement faible de sa
région agricole; ,
2. Au
point de vue militaire, mettre les différents postes du
Sud en communication avec les places du Tell, de manière à
pouvoir les ravitailler et porter, dans les vingt-quatre heures, quelques
milliers d'hommes sur tel ou tel point, où le télégraphe
signalerait l'opportunité d'un renfort, en un mot assurer aux troupes
le ravitaillement et la mobilité.
On voit qu'en France, le réseau des chemins de fer doit rendre
des services de tout premier ordre. On ne devait donc, pour quelques artères
principales surtout, ménager aucun sacrifice; et on le pouvait
d'ailleurs,d'autant mieux, que le trafic desservi est souvent très
rémunérateur sur ces grandes artères.(
Nous ne parlons pas ici, bien entendu, des lignes très secondaires,
pour lesquelles il semble qu'on ait souvent dépassé le but,
même pour la France.)
En Algérie, au contraire, les voies ferrées n'ont à
rendre que des services d'un ordre beaucoup plus modeste, et leur trafic
serait infiniment moins important. Le réseau algérien doit
donc être établi avec la plus stricte économie, d'autant
plus qu'ici, les chemins de fer devant précéder la colonisation,
il faut faire l'avance de toute la dépense sans rémunération
immédiate.
A deux problèmes qui se posent dans des termes si e.ssentiellement
différents, à tous les points de vue, serait-il logique
de donner la même solution?
III. Les premières voies ferrées de l'Algérie.
-
Le com-mencement du réseau algérien date déjà
de quinze ans. - Tout porte à croire qu'à l'époque
où l'on décida la construction de la ligne d'Alger à
Blidah, on ne se demanda guère d'après quels principes généraux
devait être établi le réseau d'ensemble de la colonie,
ni même si l'Algérie devrait jamais être dotée
d'un réseau complet.
Il était de règle pour le gouvernement d'alors de n'établir
qu'un seul type de chemin de fer, comme de n'employer, pour son établissement,
que les six grandes Compagnies françaises. Le principe de construire
un tronçon d'Alger à Blidah admis, la solution ne pouvait
pas même faire question : on chargea de ce travail celle des grandes
Compagnies françaises qui était la plus voisine d'Alger,
et le P.-L.-M. apporta, entre Alger et Blidah, le type de voie ferrée
qu'il avait établi entre Paris et Marseille (On
construisit les stations sur le type adopté pour la Bourgogne).
Puis on prolongea la ligne de Blidah, de proche en proche, jusqu'à
Oran ; on établit, toujours le même type, de Philippeville
à Constantine ; et voilà comment la voie large se trouva
installée en Algérie et fut tout simplement copiée
par les départements, pour les chemins de fer d'intérêt
local du Tlélat à Bel-Abbès, de Maison-Carrée
à l'Alma et
de Bone à Guelma.
Voyons les résultats fournis par ces lignes à grande voie.
Les documents officiels nous donnent les renseignements suivants pour
l'année 1880 :
Ainsi, sur ce réseau d'origine, qui
comprend vraisemblablement les meilleures lignes, la recette brute varie
de 1,552 francs à 21,605 francs pour former une moyenne de 9,401
francs par kilomètre. Quant à la vitesse des trains, sur
ces lignes à grande voie, elle varie de 22 à 30 kilomètres
pour former une moyenne de 23k,8 à l'heure ; et, en effet, le besoin
de vitesse n'existe pas, les relations commerciales de province à
province, même entre Oran et Alger, étant presque nulles.
Ces résultats n'ont assurément rien qui puisse surprendre
; ils sont parfaitement dans la logique des faits et de tous points conformes
avec ce qui se passe, même en France, sur les lignes de même
importance. Prenons, en effet, comme terme de comparaison, le réseau
métropolitain des lignes d'intérêt général
exploitées par l'État, réseau qui comprend 2,230
kilomètres (en 4880). La statistique officielle nous fournit les
résultats suivants :
Résultats
fournis par le réseau de l'État (en France) en 1880.
Nombre de kilomètres. 2,230 kil. .
Recette brute kilométrique : 9,499 fr.
Frais d'exploitation par kil.: 7, 498 fr.
C'est la même recette que sur le réseau algérien.
Nous venons de voir la nature des services rendus par les chemins de fer
en Algérie, l'importance du trafic et la vitesse des trains. Voyons
maintenant quels sacrifices imposent au Trésor les lignes qui rendent
ces services, telles qu'on les établit à l'heure actuelle.
Nous choisirons nos exemples parmi les concessions récentes et
aux deux extrémités de l'Algérie.
La loi du 26 mars 1877 déclare d'utilité publique et fixe
les conditions de construction et d'exploitation de diverses lignes de
la province de Constantine. Ces lignes sont à voie de 1rn,45 ;
le minimum des courbes à employer est abaissé à 250
mètres (extrême limite pour la voie de 1',45), et le maximum
des rampes porté à 25mm par mètre.
Toutes les dépenses de construction et de matériel sont
fixées, et l'intérêt de ces dépenses est garanti
par l'État à 6 pour 100. En outre, les frais d'exploitation
sont fixés à forfait, et ces dépenses kilométriques
sont garanties par l'État.
Pour les dépenses de premier établissement, la loi du 26
mars 1877 nous fournit les renseignements suivants :
Ainsi donc, ces 166 kilomètres de
voie ferrée ont coûté de 200,000 à 400,000
francs par kilomètre, soit en moyenne 267,000 francs qui, garantis
à 6 pour 100 portent à 16,000 francs l'annuité kilométrique,
relative aux frais de construction, annuité garantie par l'État.
En ce qui concerne les dépenses de l'exploitation, pour les mêmes
lignes, nous lisons dans le document officiel ce qui suit :
Pour l'évaluation du minimum de revenu net annuel de six pour cent
(6 pour 100) garanti au capital de premier établissement, comme
il est dit plus haut, les frais d'exploitation seront établis à
forfait, ainsi qu'il suit, par rapport aux recettes brutes moyennes kilométriques,
savoir
Les chiffres ci-dessus ne comprennent pas
l'amortissement des emprunts contractés dans les limites du capital
garanti par l'État. Cet amortissement sera ajouté aux frais
d'exploitation fixés à forfait.
Rien de plus simple, désormais, que de tirer les conséquences
finançières de cette entreprise, pour un chiffre quelconque
de la recette brute kilométrique. C'est ce que fournit le tableau
suivant :
Nous avons vu dans
le tableau du réseau algérien, qu'en 1880, la
recette brute de la ligne de Guelma au Kroubs n'atteignait pas 3,500 francs
par kilomètre. Or, le tableau précédent montre que,
pour une recette de 4,000 francs, l'État doit verser par an et
par kilomètre, comme conséquences des garanties données
, 19 700 francs ; pour une recette de 3 500 F l'État aurait à
verser 20,200 par an et par kilomètre. soit pour les 166 kilomètres
seulement, de Duvivier à Souk -Ahras et de Guelma au Kroubs, indiqués
au tableau
ci-dessus et pour cette seule année, une somme de trois
millions et demi, coinme conséquence de la garantie.
Lorsque ces 466 kilomètres fourniront une recette brute égale
à la moyenne du réseau algérien en 1880, donnée
par le
tableau, soit environ 9,000 francs, l'État aûra
encore à verser, par an et par kilomètre 14,700 francs,
soit pour l'année et pour ces 166 kilomètres seulement,
2,440,200 francs, deux millions et.demi environ.
Lorsque la recette kilométrique atteindra 15,000 francs, la somme
versée par le Trésor sera encore (par kilomètre)
de. . . 9,700 fr. soit, pour l'année et pour ces 166 kilomètres
seulement. 1,612,200 fr. plus d'un million et demi.
Lorsque la recette kilométrique atteindra 20,000 fr. la somme versée
par l'État comme garantie sera de.. 6,100 fr.
soit pour l'année et pour ces 166 kilomètres. 1,062,400
fr. encore plus d'un million.
Le tableau précédent montre, enfin, que ces charges énormes
pour le Trésor s'éteindraient ou, plus exactement, que l'État
cesserait de verser ainsi chaque année, seulement lorsque la recette
dépasserait trente- quatre mille francs (34,000 fr.) par kilomètre.
Quand on voit la ligne d'Alger à Oran produire 12,830 francs par
kilomètre (voir
le tableau ), on peut se demander quand (?) les lignes dont
nous parlons, produiront 34,000 francs, c'est-à-dire trois fois
plus que la ligne d'Alger à Oran ; et, comme conséquence,
on doit se demander aussi dans combien d'années et après
avoir versé quelle quantité de millions, les sacrifices
du Trésor pourraient bien s'arrêter avec ce programme?
Voici un exemple récent (concession de 1877) pris dans l'extrême
Est de l'Algérie. - Nous en prendrons un autre, maintenant, dans
l'Ouest. - Nous choisirons de préférence la ligne d'établissement
très facile, qui doit remonter la vallée de la Mekerra,
de Bel-Abbès à Ras-el-Mâ.
La ligne de Bel-Abbès à Ras-el-Mâ, concédée
en 1881, a été estimée dix-sept millions ; sa longueur
devant être d'environ 100 kilomètres, c'est une dépense
de premier établissement de 170,000 francs par kilomètre.
Ce capital de construction est garanti par l'État à 4 fr.
85 pour 100.
Quant aux frais d'exploitation, ils sont également garantis par
l'État, comme nous l'avons vu dans l'exemple précédent.
- Ces garanties seront calculées suivant le barème ci-après
:
Rien de plus simple, avec ces données
officielles, que de dégager, au point de vue des intérêts
du Trésor public, les conséquences financières de
cette entreprise.
Pour que ces résultats apparaissent aussi clairement que possible,
comme pour l'exemple précédent, nous grouperons dans le
ci-après, les intérêts garantis du capital de construction,
le montant des frais d'exploitation garantis et nous en déduirons
naturellemenle pour une recette variant, par exemple de 4,000 à
25,000 francs montant des charges et, par suite, la perte ou le bénéfice
:
Ce tableau nous montre que, pendant que la
recette de la section de Bel-Abbès à Ras-el-Ma ne dépassera
pas 6,000 francs par kilomètre, l'État, pour compléter
les intérêts et frais garantis, aura à verser une
somme supérieure ou égale à dix mille francs (10,000
fr.) par an et par kilomètre, soit pour cette section de 100 kilomètres
une somme annuelle supérieure ou égale à un million
de francs.
Ce tableau montre, en même temps, que le Trésor aura ainsi
à verser chaque année des sommes plus ou moins considérables,
jusqu'à ce que la recette de la ligne de Ras-el-Mâ, dépasse
18,000 francs par kilomètre.
Or, si l'on comprend que la recette de la section de 52 kilomètres
du Tlela à Bel-Abbès puisse être importante, relativement
du moins, puisque tout le trafic de Bel-Abbès, se dirigeant sur
Oran, parcourt cette section dans toute sa longueur, on ne voit pas comment
et quand la section de 103 kilomètres de Ras-el-Mà (?) à
Bel-Abbès, celle dont nous nous occupons, pourra produire 18,000
francs par kilomètre, alors que la ligne d'Alger à Oran
ne fait que 12,830 francs par kilomètre (voir
le tableau) et que le réseau des chemins de fer de l'État
en France (voir
) ne donne que 9,499 francs.
Il est donc certain que l'État payera une lourde annuité
bien longtemps Et quand sera-t-il couvert de tous ces déboursés,
dans cette combinaison qui ne peut laisser d'excédents un peu appréciables,
que lorsque la recette dépassera 25,000 francs par kilomètre?
Si nous prenons la moyenne des résultats fournis par 10 deux exemples
précédents, nous voyons que pour une recette de :
5,000 F l'État aura à payer comme complément de garantie.
14,702 F.50
10,000 F
9,702 F 50
15,000 F 5,747
F 50
Et, remarquons-le bien, les charges ressortant de ces moyennes sont de
beaucoup inférieures à celles qui pèsent aujourd'hui
sur le Trésor pour le réseau actuel, car nous avons choisi
pour exemples des conventions récentes et plus avantageuses que
plusieurs autres qui ont précédé.
1. On sait que la ligne de Philippeville à Constantine
coûte aujourd'hui près de huit cent mille francs ! par kilomètre,
et plusieurs parties de celle d'Alger à Oran, plus de quatre cent
mille francs!
Or nous avons vu (lignes
en exploitation) que le minimum de l'étendue du réseau
indispensable à l'Algérie, qui a la superficie de la France
entière, pour y assurer la sécurité et y développer
la colonisation, est de 2,000 kilomètres par province,
soit 6,000 kilomètres (sans compter la Tunisie).
Ce réseau minimum de 6,000 kilomètres est absolument indispensable
et son établissement très urgent, tout le monde est d'accord
sur ce point. Mais ce réseau, dont le tiers reliera, sur les Hauts-Plateaux,
les postes militaires, dont un second tiers traversera des territoires
à coloniser et encore dépourvus de tout centre important,
de toute industrie, croit-on qu'il puisse, dans son ensemble, produire
des recettes importantes?
Croit-on que ce réseau, appelé à comprendre des lignes
de moins en moins productives, parcourant même le désert
par nécessité militaire , doive avoir une recette moyenne
pour l'ensemble supérieure à la moyenne de celle des chemins
de de l'État en France, soit 9,499 fr. ou
supérieure à celle de la grande ligne actuelle ger à
Oran, soit 12,830 francs par kilomètre ?
Quoi qu'il en soit, si le programme actuel, dont nous venons d'analyser
les conséquences financières, devait être généralisé
en Algérie, et s'il était appliqué à ce réseau
de 6 000 km , il imposerait au Trésor les charges annuelles suivantes
Ainsi, en généralisant le programme
appliqué actuellement en Algérie, à l'établissement
d'un réseau de 6,000 kilomètres,à l'État,
ce réseau coûte rait encore Plus de trente-quatre millions
par an lorsque recette moyenne de ce réseau atteindrait pour
tout l'ensemble, quinze mille francs par kilomètre, en admettant
que cette moyennr de 15 000 F soit jamais attente.
Lorsque le réseau fournirait, pour tout l'ensemble, une recette
moyenne de 12,000 francs par kilomètre, l'État devrait inscrire
annuellement au budget de l'Algérie une annuité de 50 millions,
comme conséquence de la garantie (on a vu qu'en 1880 la recette
moyenne était de 9,401 francs par kilomètre seulement)!
Ferait-on vraiment de pareils sacrifices? -
Je ne dis pas que l'Algérie n'en soit pas digne ; mais ces sacrifices
énormes sont-ils réellement nécessaires pour assurer
sécurité et richesse à notre grande colonie`?
IV. - Ce qui se fait à l'étranger.
-
Nous venons d'examiner les besoins modestes de transports rapides en Algérie,
le programme grandiose suivi jusqu'à ce jour pour l'établissement
des voies ferrées et l'impasse financière, où la
généralisation d'un programm e hors de toutes proportions
avec les besoins, conduirait infailliblement. Jetons maintenant un coup
d'oeil sur ce qui se passe ailleurs que chez nous; et voyons comment,
dans les grandes colonies notamment, le chemin de fer, qui doit précéder
le colon, pour assurer la sécurité et distribuer la vie,
mais qui n'est appelé à rendre que des services modestes,
a été compris et exécuté.
Nous pourrions noter tout d'abord que, même en Europe, la Suède
et la Norwège avaient en exploitation, en 1880, 1,656 kilomètres
de chemins de fer à voie étroite de 1m ,067 d'écartement.
On sait, d'autre part, que, dans toutes leurs colonies, les Anglais ont
poussé avec la plus grande activité l'établissement
des voies ferrées, en appliquant de préférence la
voie étroite. Actuellement ils n'hésitent pas à construire
647 kilomètres dans la Nouvelle-Zélande, toujours avec la
ligne étroite de 1 rn,067 d'écartement.
La France entre, du reste, aujourd'hui dans la même voie : elle
vient d'établir 132 kilomètres de ligne étroite dans
l'île de la Réunion ; elle établit dans les mêmes
conditions le réséau de la Corse; elle a fait aussi étudier,
au Sénégal, un réseau de 500 kilomètres de
lignes étroites, dont elle poursuit dès maintenant l'exécution.
Mais jetons aussi un coup d'oeil sur l'Amérique, ce grand pays
neuf, qui marche à pas de géants et donne, chaque jour,
de nouvelles leçons à l'industrie de la vieille Europe.
Au ier janvier 1881, le réseau brésilien comprenait 6,805
kilomètres de voies ferrées en exploitation ou eu construction.
La largeur de la voie des chemins de fer brésiliens varie de 1m,68
à 0m 76, savoir :
On voit que dans ce vaste pays, en possession
déjà d'un réseau de près de '7,000 kilomètres,
et où toutes les largeurs de voie ont été expérimentées
sans idée préconçue, la voie étroite entre
pour les trois quarts. Le compte rendu ajoute : "Aujourdhui, presque
toutes les lignes en construction ont 1 m de largeur de voie; seul le
grand réseau " Don Pedro II", appartenant à l'État,
va être prolongé avec sa largeur primitive de 1m,60."
Ces chemins de fer sont établis, pour la majeure partie, par des
Compagnies anglaises, françaises et brésiliennes, avec la
garantie de l'État et des provinces.
Et qu'on ne croie pas que ce soit le manque de trafic qui fasse généraliser
la voie étroite. Ce réseau de création récente
laisse, au contraire, bien loin derrière lui notre réseau
algérien, ainsi que le montre le tableau suivant, qui donne, par
ligne, la date d'ouverture à l'exploitation et la recette brute
kilométrique, soit en 1878, soit en 1879, suivant les renseignements
fournis par les statistiques officielles :
On voit que les lignes du réseau brésilien
donnent jusqu'à 80,000 francs de recette brute par kilomètre,
et que plusieurs lignes à voie étroite fournissaient, en
1879, de 19,000 à 22,000 francs par kilomètre.
De cet ensemble de données officielles se dégagent les enseignements
suivants :
1° Toutes les largeurs de voie,
variant de 0m,76 à 1m 68 (10 largeurs différentes), ont
été acceptées et construites à l'origine,
sans aucun parti pris, comme il convenait pour un réseau nouveau,
qui n'était, d'ailleurs, relié avec aucun autre ;
2° Ces dix largeurs différentes
de voie ont imposé de très nombreux transbordements, dont
on a fait ainsi l'expérience la plus complète et la plus
concluante ;
3° Aujourd'hui, après
ces expériences faites sur un ensemble de lignes d'ailleurs très
productives, on a définitivement adopté deux largeurs de
voie :
a) A titre d'exception, la, voie large de 1m,60, pour le seul prolongement
du grand collecteur qui reçoit le trafic des artères secondaires.
b) A titre général, la voie étroite de 1 mètre,
pour tout le reste du réseau et l'ensemble de ses ramifications
;
4° Ce programme définitif,
dicté par l'expérience même des différentes
largeurs de voie et des transbordements passés à l'état
de règle, est tout en faveur de la voie étroite, même
pour des lignes de fort rendement* et organise franchement le transbordement.(*On
sait, du reste, qu'en Angleterre le petit chemin de fer du Festiniog,
créé en 1832, avec une largeur de voie de soixante centimètres
seulement (0m,60), assure un trafic lesupérieur service public,
voyageurs et marchandises, à traction de locomotive ; et fait face
à un trafic supérieur à trente mille francs (30,000
fr.) par kilomètre.)
Nous verrons, en effet, que pour la généralité
des transports, le transbordement a lieu quatre fois sur cinq, à
tous les embranchements et entre les voies de même largeur, en France,
comme ailleurs, malgré les sacrifices énormes qui ont été
faits, - en pure perte, du reste, sur bien des lignes secondaires, - pour
éviter l'objection banale du transbordement. Mais nous y reviendrons
plus loin avec quelques détails.
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