les chemins de fer en Algérie
LES CHEMINS DE FER A VOIE ÉTROITE
DEUXIEME PARTIE
AVANTAGES DE LA VOIE ÉTROITE EN ALGÉRIE

CHAPITRE PREMIER - CONSTRUCTION
PAR M. A. FOUSSET
sur site le 2-12-2008

116 Ko
retour
 

CHAPITRE PREMIER
CONSTRUCTION

I. Tracé et profil. -

Tout le Tell, c'est-à-dire la partie de l'Algérie vouée tout spécialement à la colonisation, et qui s'étend de la Méditerranée au sommet de la chaîne du Petit-Atlas, est un pays fort tourmenté, formé de montagnes très souvent glaiseuses, qui courent parallèlement, à la mer et s'élèvent par échelons successifs, de 300 à 400 mètres chacun, et généralement très brusques.

Or, ce qu'il faut à l'Algérie, pays d'exportation, ce sont des voies ferrées qui sillonnent son territoire perpendiculairement au littoral, reliant chaque centre de production au port le plus voisin et par le plus court :chemin, voies sur lesquelles le trafic agricole, assez restreint, s'effectuera, d'ailleurs, pour la majeure partie, en descente du Haut- Tell vers le port d'embarquement.

Les voies ferrées qui rencontreront ces échelons accidentés et glaiseux auront donc, en général, de grandes difficultés pour les surmonter, et devront, pour y arriver, avoir recours à l'emploi des fortes rampes et des courbes de faible rayon.

Mais il convient de bien observer que, si l'influence des déclivités sur la capacité de traction d'une voie ferrée, est la même quelle que soit la largeur de la voie, il en est tout autrement du rayon des courbes. On sait en effet, que l'influence exercée par une courbe de rayon déterminé, sur la capacité de traction d'une voie ferrée, est fonction :
--- 1° de l'écartement des roues extrêmes du véhicule, roues qui doivent s'inscrire entre les deux files de rails en courbe, --- 2° et de la différence de longueur de ces deux files de rails, composant le rayon intérieur et le rayon extérieur de la courbe.

Comme la différence de longueur des deux files de rails augmente avec la largeur de la voie, on comprend que, pour un véhicule ayant une distance déterminée entre les essieux parallèles extrêmes, la courbe opposera d'autant plus de résistance à son passage que la voie sera plus large, et d'autant moins qu'elle sera plus étroite.-

Ainsi, d'une part, les deux files de rails qui composent une courbe de 300 mètres de rayon sur une voie de 1 m 50 de largeur, ou une courbe 200 mètres de rayon sur une voie de I mètre de largeur, offrant la ne différence de longueur (soit 0 m,50 par 100 mètres de développement), ces deux courbes opposeront la même résistance au passage d'un véhicule ayant même écartement d' essieux.

Mais on sait que, d'autre part, tout étant proportionné dans le matériel des chemins de fer, l'écartement des essieux extrêmes des véhicules plus petits de la voie étroite, est toujours beaucoup moindre que celui des véhicules plus grands et plus lourds de la voie large. Aussi, une courbe de 150 à 200 mètres, sur la voie étroite de 1 mètre à 1 m,10, est-elle toujours plus avantageuse pour la traction qu'une courbe de 250 m à 300 mètres sur la voie large.

Ceci posé, mettons ces deux voies, chacune avec les ressources qui lui sont propres, en face du problème à résoudre. Trois cas se présenteront fréquemment sur les lignes remontant les échelons du Tell.
        1er cas . - La région est relativement facile et peut être desservie par la voie large en rampe de 0 m ,015 à 0m,018 et en courbe de 300 mètres. Ce problème pourra être résolu plus avantageusement par la voie étroite (Tout ceci s'applique à la voie étroite de 1 m,00 à 1m10. Les différences seraient d'ailleurs d'autant plus accentuées, que l'écartement serait plus réduit )de deux façons :
                a) Le tracé de la voie étroite suivra exactement le même tracé, en plan et en profil, que la voie larges ; alors les courbes de 300 mètres, qui opposent une forte résistance à la traction sur la voie large, offrent, au contraire, toutes facilités sur la voie étroite : un même effort de traction permettra plus de vitesse ou plus de charge sur la voie étroite que sur la voie large, - ou si l'on se contente du même tonnage et de la même vitesse, la traction en sera plus économique sur la voie étroite.

                b) Ou bien les deux tracés seront étudiés dans les mêmes conditions de traction, et , alors , tout en conservant les mêmes déclivités, les courbes de 300 mètres de la voie large seront remplacées par des courbes de 170 à 200 mètres. La voie étroite évitera ainsi tous les travaux de quelque importance et pourra mieux s'approcher des localités à desservir.

        2e CAS. - L'échelon montagneux peut être gravi par la voie large, mais seulement par l'emploi des rampes de 25 à 30 millimètres et des courbes de 250 mètres de rayon. - Dans ce cas, de deux choses l'une :
                a) La voie étroite acceptera exactement les mêmes difficultés de traction ; alors, conservant les mêmes déclivités de 25 à 30 millimètres, elle remplacera les rayons de 250 mètres par des rayons de 150 à 175 mètres, ce qui lui permettra souvent de supprimer les ouvrages les plus longs à construire et les plus onéreux (viaducs, tunnels, grandes tranchées, etc.). La voie étroite évitera également les passages les plus délicats, tels que les éperons de glaises, qu'elle contournera au moyen de courbes de 150 à 175 mètres au lieu de les couper, comme devrait le faire la voie large, avec des courbes de 250 à 300 mètres.
                b) Ou bien, profitant plus encore de sa flexibilité, la voie étroite se développera sur les flancs de la montagne et pourra, tout en évitant les grands travaux, gagner du développement sur la voie large; et alors, composée de courbes d'égale résistance et de rampes sensiblement plus faibles, la voie étroite offrira à la traction tous les avantages d'un profit fictif bien supérieur.

        3e CAS. - Enfin, il arrivera fréquemment que l'escarpement présentera des difficultés telles, que la voie large, qui ne saurait guère employer de courbes inférieures à 250 mètres , devra absolument renoncer à les franchir directement, quelque intérêt qu'il puisse y avoir à le faire. - C'est le cas, par exemple, de la traversée du Petit-Atlas par Saïda, Ain-el-Hadjar et Tafaroua.

Saïda, ville située au pied de la montagne, à 820 mètres d'altitude, est aussi importante comme poste militaire que comme centre de colonisation du Haut-Tell ; c'est même le seul poste important à 40 kilomètres à la ronde; c'était donc bien le moins que cette ville, la seule de ces parages, fût desservie convenablement par la voie ferrée.

Mais Saïda est déjà dans la montagne à l'entrée de la gorge de l'Oued- Saïda qui, par un premier escarpement brusque, se relève de 200 mètres sur une distance de trois kilomètres à peine, pour atteindre le plateau intermédiaire de Aïn-el-Hadjar (sOurce du Rocher), point d'eau tout à fait remarquable et exceptionnellement favorable à la colonisation et à l'industrie de l'alfa; et ce premier escarpement de 200 mètres est immédiatement suivi d'un second de 150 mètres, qui permet à la voie ferrée de franchir le Petit-Atlas à l'altitude d'environ 1,170 mètres.

Et cependant (l'étude a été faite), il était impossible d'atteindre ces points avec la voie large, qui devait laisser Saïda à plusieurs kilomètres sur la gauche et abandonner complètement Aïn-el-Iladjar, pour se préparer, par de longs détours, à franchir la montagne, oubliant complètement les intérêts à desservir, pour ne se préoccuper que de la possibilité technique de gravir le Petit-Atlas.

La voie de 1m,10, au contraire, a très heureusement résolu le problème et donne satisfaction à tous les intérêts. Elle a, d'abord, donné à Saïda la gare à laquelle avait droit ce poste, presque dans la ville même. Puis, s'enfonçant directement dans la montagne, elle a pu, au moyen d'une boucle à peu près complète, très heureusement tracée en courbe de 175 mètres de rayon, trouver sur les flancs de la gorge et sans grands travaux, un développement suffisant pour atteindre, en rampes de 27 millimètres, les belles sources d'Aïn-el-Hadjar, où se développe aujourd'hui un des centres les plus beaux et les plus riches d'avenir de toute la colonie, grâce à cette solution, c'est-à-dire grâce aux ressources offertes par la voie étroite et à leur emploi judicieux.

Cette histoire de Saïda et d'Aïn-el-Hadjar, si intéressante dans un pays à coloniser où aucune ressource ne doit être négligée, sera demain l'histoire d'une foule de centres. Faudrait-il donc, dans une colonie surtout, pour le seul amour de la voie large, sacrifier Saïda, Aïn-el-Hadjar et tous les points similaires ! On ne pensera jamais, assurément, que l'Algérie doive se plier à ce point aux exigences d'une formule ou d'un type immuable, créé en dehors même du pays où on l'applique et pour des besoins absolument différents.

II. Terrassements et ouvrages d'art. -

Toutes proportions gardées, et dans les mêmes conditions de stabilité, la largeur des terrassements en couronne sera toujours plus faible, au moins d'un mètre, pour la voie étroite (voie de 1 mètre à 1m,10) que pour la voie large. En fait, les voies étroites établies gagnent généralement davantage sur la largeur des terrassements. On voit déjà quelle énorme quantité des travaux économiserait l'emploi de la voie étroite au lieu et place de la voie large, sur le même tracé et en suivant le même profil. C'est là un minimum d'économie sur les terrassements et ouvrages d'art, minimum absolu dont on est toujours assuré, même dans les conditions les moins favorables à la voie étroite.

Mais, en réalité, l'économie est toujours bien plus considérable ; car, ainsi que nous venons de le voir, le grand mérite de la voie étroite est précisément de pouvoir suivre un tracé beaucoup plus avantageux que celui qui est imposé à la voie large, tracé plus flexible, supprimant beaucoup de grands ouvrages, évitant les passages délicats et diminuant partout les grands terrassements, en épousant plus facilement les reliefs du sol.

Il est évident, d'après cela, que les économies réalisées sur ce chapitre par la voie étroite, déjà très importantes sur les lignes de plaine, s'accentuent davantage dans une région plus accidentée et deviennent très considérables sur une ligne de montagne.

III. Voie et matériel fixe.-

Les économies sur l'établissement de o la voie et du matériel fixe sont, au contraire, constantes, quel que soit le tracé de la ligne et quelle que soit la région traversée, plaine ou montagne.

Deux lignes établies dans les mêmes conditions de stabilité et de durée emploieront, par exemple, pour la voie large des rails de 30 kilogrammes par mètre courant de barre simple, et pour la voie de 1m ,10 des rails de 20 kilogrammes.

Tout le reste, traverses, éclisses, boulons, tire-fond, etc..., étant proportionné au poids du rail, qui est la véritable caractéristique d'une voie, sera dans le rapport de 3 à 2.

Il en est de même de la quantité de ballast employé au mètre courant, qui varie en raison directe de la hauteur du rail, de l'épaisseur et de la longueur des traverses, pour une même stabilité et les mêmes conditions d'établissement.

Quant aux changements, croisements, plaques tournantes, etc..., leurs dimensions et, par suite, leurs prix, sont également proportionnels à l'écartement de la voie et à sa rigidité pour un même écartement.

On peut donc établir d'une manière certaine que, pour tout l'ensemble de la voie et du matériel fixe, l'économie réalisée par la voie étroite de 1 mètre à 1 m 10, établie dans les mêmes conditions de stabilité et de durée que la voie large de 1 m,45, est du tiers de la dépense totale.

IV. Matériel roulant. -

Dans l'exploitation générale des chemins de fer, en France, on met journellement en circulation, pour 132,500 tonnes utiles, 570,000 tonnes de matériel, soit quatre tonnes de poids mort pour une de poids utile transporté.

Nous reviendrons plus loin, avec quelques détails, sur cette grave question des poids morts, qui grèvent dans une si grande proportion les frais de traction et imposent aux chemins de fer des frais de premier établissement, d'entretien et de renouvellement si lourds, sur ce chapitre du matériel.

Toutefois, notons dès maintenant :
        1° Qu'en pleine charge : (a) Pour transporter 1,000 hommes, la voie de 1m,45 emploie 130 tonnes de poids mort et la voie de 1m,10 112 tonnes seulement ;
        (b) Pour porter 1,000 tonnes de marchandises, la voie large emploiera 600 tonnes de poids mort et la voie étroite seulement 520 tonnes ;

        2° Qu'en service courant, les insuffisances de chargement laissent beaucoup moins de vides dans les petits wagons de la voie étroite que dans les grands véhicules de la voie large. On comprend, en effet, qu'une expédition de 1,500 kilogrammes à destination d'une petite gare, qui n'a pas ce jour-là d'autre marchandise à recevoir du même point, nécessitera la mise en route d'un wagon, pour ces 1,500 kilogrammes (de poids utile); or ce wagon pèsera en moyenne 4t,800 sur la voie large et seulement 2t,600 sur la voie étroite. - Chaque expédition semblable, - et:c'est constamment de la sorte, les résultats généraux fournis par l'ensemble des chemins de fer en France, cités plus haut, ne le prouvent que trop - nécessitera donc, pour 1,500 kilogrammes de poids utile, la mise en route de 4,800 kilogrammes de poids mort sur la voie large, et seulement de 2,600 kilogrammes sur la voie étroite.


En conséquence, l'utilisation du matériel sur la voie étroite étant plus avantageux dans tous les cas, il est évident que pour une même quantité de trafic, elle aura toujours moins à dépenser en matériel roulant que la voie large.

V. Économies de premier établissement. -

Nous avons vu, en ne parlant que des lignes récemment concédées (ou même encore à l'étude) (* . Et l'on sait que plusieurs lignes anciennes, telles que celles de Philippeville à Constanline et d'Alger à Oran, ont été beaucoup plus onéreuses.) que les dépenses de premier établissement garanties par l'État étaient fixées comme suit, avec la voie large :

Duvivier à Souk-Ahras.                 406,837 fr. par kilomètre.
Guelma à Hammam-Meskontine. .  219,661
Hammam-Meskontine au Kroubs. . 199,663 -
Mostaganem à Tiaret (en projet.).    199,500 -
Bel- Abbès à Ras-el-Mâ                  170,000 -

Au point de vue des frais de premier établissement, nous ferons six catégories des lignes qui entreraient dans la composition du réseau de 6,000 kilomètres dont l'Algérie doit être dotée; et chaque ligne se classera naturellement dans tel ou tel groupe, suivant les difficultés topographiques à surmonter pour son établissement et le 'chiffre de la dépense kilométrique qui en serait la conséquence. C'est ce que nous avons indiqué dans les colonnes 1 et 2 du tableau ci-après.

Dans les colonnes 3 et 4, nous avons porté les économies réalisées par la voie étroite de 1m 10 dans chacun de ces groupes, en inscrivant dans la colonne 5, l'estimation kilométrique de la voie étroite.

Ces résultats kilométriques ainsi établis, par catégories, rien n'est plus simple que d'obtenir les dépenses de premier établissement du réseau entier de 6,000 kilomètres, soit à voie large, soit à voie étroite.

Si nous admettons, en effet, qu'au point de vue des difficultés d'établissement et des dépenses, les 6,000 kilomètres se répartissent dans les divers groupes, comme il est indiqué dans les colonnes 6 et 7, nous aurons les dépenses d'établissement du réseau entier, avec la voie large dans la colonne 8 et avec la voie étroite (1 mètre, 1m,10) dans la colonne 9. Enfin, la colonne 10 relève toutes les économies de construction, réalisées par la voie étroite.

Ce tableau montre que, dans ces conditions, le réseau algérien de 6,000 kilomètres coûterait :

cout réseau

Ainsi, l'établissement de la voie de 1 m ,10 réaliserait une économie de près de 400 millions sur l'ensemble du réseau et plus de 65,000 fr., en moyenne, par kilomètre de voie ferrée.

On remarquera, du reste, que les frais de construction ressortent, dans le rapport, de 3 pour la voie large, à 2 pour la voie étroite, la voie de 1,10 m économisant ainsi le tiers des dépenses de la voie de 1 m,45.