Les chemins de fer à voie métrique d'Algérie
CHAPITRE III
LES CHEMINS DE FER À VOIE DE 1,000 m
- b)Le Bône - Guelma et l'Ouenza
Article paru dans la revue bimestrielle de la F.A.C.S, UNECTO : "Chemins de fer régionaux et urbains, n°286, 2001/4"
Auteur : Olivier Fourniol
sur site le 22-04-2003...+ octobre 2012

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CHAPITRE III
LES CHEMINS DE FER À VOIE DE 1,000 M

-- b)Le Bône - Guelma et l'Ouenza

-----L'histoire des lignes à voie de 1 m Bône - Guelma et de l'Ouenza étant particulièrement complexe, il nous a paru utile d'en récapituler quelques points clés dans le tableau suivant.

Section
Ouverture
Voie normale
Electrification
Observations
Bône - Duvivier 1876 * 1933  
Duvivier - Souk-Ahras 1881 *
1932
 
Souk-Ahras - Oued-Keberit 1888 1922 1932 Partie double voie 1951
Oued-Keberit - Tebessa 1888 1946 1951  
Tebessa - Djebel-Onk 1966      
Duvivier -Guelma
1877
*    
Guelma-Hammam-Meskoutine 1878 *   Abandonnée en 1957
Hammam-Meskoutine - Oued-Zenati
1879
*   Abandonnée en 1957
Oued-Zenati - Le Kroubs 1879 *    
Souk-Arhas -Tarja 1884 * 1951  
Tarja - Frontière 1884 *    
Oued-Keberit - Ouenza 1921 * 1932  
Aïn-Chenia - Bou-Khadra 1929 * 1932  
Tebessa - Rhilane 1893 1946 1951 3 files rails avant 1959
Rhilane - Le Kouif 1893 1946 1951 3 files rails avant 1959
Rhilane - Frontière
1931
*   Abandonnée en 1951
NB : Dans la colonne voie normale, le signe * indique que la section correspondante a été construite à voie normale, donc dès le départ.

------La ligne Souk-Ahras - Tebessa, longue de 128 km, fut ouverte en 1888. Elle avait été construite dans un but strictement militaire, et personne ne se doutait à ce moment-là que, par le tonnage transporté, elle allait devenir la ligne la plus importante d'Algérie.
------Effectivement, dès 1893, les mines de phosphates du Kouif, au nord-est de Tebessa, commencent à être exploitées. La société anglaise concessionnaire de ces mines, qui sera plus tard francisée sous le nom de Compagnie des Phosphates de Constantine, construit une ligne à voie de 1 mètre allant du Kouif à Tebessa via Rhilane. Le gisement, très important, est exploité également de l'autre côté de la montagne et des embranchements miniers à voie étroite (voie de 60 ?) aboutissent sur la ligne du Bône - Guelma au nord de Tebessa. Dès le début du siècle, la ligne Souk-Ahras - Tebessa est engorgée, et ce d'autant plus que l'on découvre des gisements de fer très importants dans l'Ouenza et à Bou-Khadra. Le Bône - Guelma propose plusieurs solutions de grand central minier à voie normale sur des trajets complètement différents de l'ancienne ligne et ce dès le départ de Bône.
------Pour des raisons diverses, tous ces projets sont refusés à Paris. Le Bône - Guelma, désabusé, se tourne vers son réseau tunisien en délaissant son réseau algérien. Ce dernier est finalement nationalisé en 1915 et repris par les CFAE. La solution retenue alors est très simple, il s'agit de mette à voie normale la ligne Souk-Ahras - Tebessa, tout en modifiant son tracé là où c'est indispensable. Ce magnifique projet sera très long à mettre en place. En première étape, en 1922, la ligne est mise à voie normale simplement de Souk-Ahras à Oued-Keberit. Très sérieusement rectifiée, elle est raccourcie dequelques 4 km.
------Parallèlement, les CFAE constatent que le parc vapeur dont ils ont hérité du Bône - Guelma est devenu complètement obsolète et ils décident de le renouveler presque entièrement. C'est ainsi que pour la ligne minière à voie normale Bône - Oued-Keberit, ils reçoivent, en 1920 et 1921, 30 locomotives Décapod (150), puis en 1922, pour la ligne Bône - Ghardimaou, 15 Mountain(241), et ces dernières sont les premières françaises de ce type, avant celles de l'Est et du PLM métropolitains. Notons que, très raisonnablement, ils ont renoncé au compoundage jugé trop complexe pour eux, et ils se contentent de la surchauffe. Ultérieurement, en 1928, ils reçoivent 30 Décapod supplémentaires, toujours à simple expansion et à surchauffeur, mais cette fois-ci à 3 cylindres égaux, en imitation de ce qui se fait en métropole sur le réseau de l'Est.
------Le concessionnaire des mines de fer de l'Ouenza construit en 1921 une ligne à voie normale de 21 km de la mine à Oued-Keberit. Ultérieurement en 1929, un nouveau raccordement de 18 km s'embranche sur le précédent à Aïn-Chedia et dessert les mines de Bou-Khadra. Ces deux lignes sont exploitées elles aussi à l'aide de locomotives modernes du type 151T, analogues à celles que l'on trouve sur l'Est et sur le Nord métropolitains.
------Par ailleurs, il semble que ces deux embranchements aient été repris par les CFAE en 1930. Mais la situation évolue également au sud de la ligne. La ligne de l'Est Algérien, que nous étudierons au paragraphe suivant, est continuée par les CFAE et atteint Tebessa en 1926. La ligne minière Tebessa - Rhilane - Le Kouif est reprise par les CFAE en 1927. Enfin en 1931, les CFAE ouvrent une ligne de 9 km de Rhilane à la frontière, à la rencontre de la ligne venant de Tunis des Chemins de Fer Tunisiens, ligne dont le dernier tronçon Kalaa-Djerda - frontière est ouvert le même jour. Ainsi, une ligne à voie de 1 m allait de Tunis à Ouled-Rhamoun, aux portes de Constantine. Dans sa partie centrale, cette ligne algérotunisienne était essentiellement à vocation militaire mais, comme nous le verrons, son utilisation, bien que militaire, ne fut pas du tout ce qui avait été prévu.


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Restons au début des années 30. Le trafic de la ligne maintenant à voie normale Bône - Oued-Keberit et de ses deux embranchements est devenu considérable. En particulier au point de vue tonnage transporté, cette ligne est de loin la plus importante de l'Algérie. Les CFAE ont alors beaucoup de mal pour écouler ce trafic à peu près normalement. Divers projets sont à nouveau élaborés, dont un central minier mais cette foisci en direction de la Tunisie, et un doublement de la ligne dans sa partie la plus montagneuse et la plus fréquentée. Tous sont rejetés et remplacés par celui de l'électrification. Cette dernière sera effectuée en 1932 et 1933, de Bône à OuedKeberit, y compris les deux
embranchements de l'Ouenza. A l'instar de ce qu'a entrepris le Maroc, c'est le courant continu 3000 volts qui est choisi. Rappelons à ce propos que les instructions ministérielles de 1920 qui avaient retenu le courant continu 1500 volts pour l'électrification des chemins de fer français, avaient prévu que, par dérogation et à titre exceptionnel, le 1500 volts pouvait être remplacé par le 3000 volts. Très curieusement, seuls le Maroc puis l'Ouenza profitèrent de cette latitude.
------Nous reviendrons sur la période de la dernière guerre au paragraphe suivant. Passons donc aux lendemains immédiats de celle-ci. Le travail de mise à voie normale est repris activement et, dès la fin de 1946, celle-ci entre en service d'Oued-Keberit au Kouif. Toutefois, de Tebessa au Kouif, la ligne est à trois files de rail pour maintenir la liaison par voie métrique d'OuledRhamoun à Tunis. Ensuite, l'électrification est reprise et elle entre en service en 1951 d'Oued-Keberit au Kouif. On en profite également pour électrifier la courte section au profil difficile Souk-Ahras-Tarja de la ligne de Tunisie via Ghardimaou, Tarja en étant la première gare après SoukAhras. Plus au nord, à la même époque, la ligne de l'Ouenza est mise à double voie au sud de SoukAhras, exactement des Tuileries à Montesquieu, donc sur un vingtaine de kilomètres d'une rampe très raide (20 pour mille). Parallèlement, la ligne algéro-tunisienne Rhilane - Kalaa-Djerda est fermée.
------Toutefois, le troisième rail pour la voie métrique
restera en place jusqu'en 1959 sur la section Tebessa - Rhilane - Le Kouif. Parmi les premiers travaux réalisés par le nouvel Etat algérien figure la reprise d'un très vieux projet qui est mis en exécution et voit le jour en 1966. Il s'agit du prolongement de la ligne à voie normale de l'Ouenza de Tebessa à Djebel-Onk sur environ 100 km. Compte tenu de l'importance que le pétrole a pris alors en Algérie, cette ligne n'est pas électrifiée. Rappelons que Djebel-Onk est le centre d'un très vaste gisement de phosphates découvert en même temps que celui du Kouif mais resté jusqu'alors inexploité par le manque d'un moyen de transport approprié.
------En conclusion de ce paragraphe, et pour rester dans le cadre fixé pour ce chapitre, récapitulons les lignes à voie de 1 mètre que nous avons rencontrées
- Souk-Ahras - Tebessa 128 km
- Tebessa - Rhilane - Le Kouif 28 km
- Rhilane - frontière tunisienne 9 km
Soit un total de 1651 km

ajout du 1-05-2003
LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER DE
BÔNE-GUELMA
paru dans la revue du GAMT, n°70 , 2000/2...adhérez !...

------Cette Compagnie a été créée en 1875 (statuts du
23 mars 1875 déposés le 24 mars chez Maître
DUCLOUX, Notaire à Paris), pour la construction et l'exploitation de lignes de chemin de fer, principalement en Algérie et en Tunisie. Parmi les principales lignes dont elle était concessionnaire à l'origine, celle de BÔNE-GUELMA lui avait été apportée par la Société de Construction des BATIGNOLLES et celle de DUVIVIER à SOUK-EL-ARBA et SIDI-HEMMESSI lui avait été cédée par la Société des chemins de fer de la MEDJERDAH. La Société de Construction des BATIGNOLLES était un des principaux fondateurs de la nouvelle compagnie.
------De nouvelles concessions s'y ajoutèrent progressivement et les constructions activement menées par la Compagnie aboutissent une dizaine d'années plus tard à la constitution d'un réseau homogène en Algérie entre GUELMA et la . frontière tunisienne, en Tunisie de la frontière algérienne à TUNIS (par la Medjerdah) et autour de Tunis. La ligne ALGER-TUNIS a été inaugurée en 1886 et elle est sur la moitié de son parcours environ dans le réseau BÔNE-GUELMA.
------A partir de cette époque, la compagnie gère son réseau algérien mais c'est en Tunisie, qu'elle fait porter principalement ses efforts d'extension vers le sud de la Tunisie (la ligne Sousse Kairouan est ouverte le 1e" janvier 1888 et autour du Port de BIZERTE alors en construction. En 1898 la compagnie rachète à la Société de Navigation italienne la propriété du chemin de fer qu'elle exploite en Tunisie et des terrains qu'elle y possédait.

------La loi du 29 juillet 1904 pour la réforme du régime des chemins de fer en Algérie (4 compagnies se partagent alors le pays) a pour effet de modifier considérablement l'activité de la Société puisqu'elle conduit au rachat en 1910, par le Gouvernement Général de l'Algérie, du réseau algérien de la compagnie, après d'âpres négociations. Cet événement brutal achève en fait l'évolution naturelle de la compagnie depuis 20 ans vers une entreprise essentiellement tunisienne, puisqu'à cette date pour 447 km de lignes algériennes, elle possède 1205 km de lignes tunisiennes. Désormais amputée du réseau algérien, auquel elle devait son origine, la compagnie se consacre désormais entièrement à ,l'exploitation et
l'extension de son réseau tunisien. En 1910, le Président de la République inaugure la ligne SOUSSE-SFAX qui relie le nord et le sud de la Tunisie. A la fin de la même année, la compagnie conclut avec le gouvernement tunisien une convention qui donne un cadre à toutes les conventions et concessions antérieures depuis l'origine, accorde à la compagnie la garantie d'intérêts à l'instar de celle dont bénéficient les compagnies de chemin de fer en France et fixe un Cahier des Charges.

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Le rachat des lignes algériennes n'est pas encore entièrement liquidé (il ne le sera qu'en 1917 et les derniers contentieux ne seront définitivement réglés qu'en 1924) lorsqu'éclate la guerre de 1914. La guerre confronte la compagnie au départ du personnel tant français qu'arabe et italien et à la diminution des transports de marchandises en raison du ralentissement de l'activité des Mines ; à partir de 1917 s'y ajoutent les problèmes d'alimentation en combustible. La fin de la guerre laisse la compagnie à bout de ressources face à l'augmentation des salaires et au difficile recrutement des cadres (on décide alors de leur appliquer le statut des grands réseaux métropolitains, en majorant leurs traitements d'un tiers, comme ceux des fonctionnaires de la Régence de Tunis).
------Les 2 conventions de 1920 et 1922, conclues avec le gouvernement de la Régence de Tunis assurent la survie de la compagnie en lui accordant les garanties nécessaires mais en contrepartie l'état tunisien devient propriétaire de toutes les installations en Tunisie et la soumet à un contrôle étroit. Ce nouveau régime d'exploitation est en fait celui de l'affermage.
------L'assemblée extraordinaire du 8 juin 1923 reconnaît cette nouvelle situation en transformant le nom de la Société qui ne correspondait plus, depuis 1910, à la réalité, en "Compagnie Fermière des Chemins de fer Tunisiens". La compagnie exploite alors 1580 km de lignes et, sauf des embranchements en voies de desserte de quelques km, la période de construction de lignes nouvelles et désormais close.
------Avec le règlement définitif en 1924 du rachat du réseau algérien, c'est véritablement une nouvelle période qui s'ouvre dans la vie de la compagnie.
------Dès 1924, elle commence à diversifier ses intérêts en achetant avec la Compagnie DELMAS-VIELJEUX deux pavires charbonniers de la flotte d'état qui feront la navette entre TUNIS et les ports anglais pour assurer l'approvisionnement en charbon qui avait tant fait problème pendant la guerre, les phosphates tunisiens assurant le fret de retour.
------Elle s'intéresse aussi au développement du tourisme et débute alors dans les transports automobiles, tant pour les circuits touristiques que pour assurer les correspondances avec les chemins de fer. Dans les années 1926-1927 elle prend des participations dans la "Société d'énergie électrique de Bizerte" et diverses autres sociétés industrielles.
------A partir de 1929, la compagnie s'intéresse de près au développement économique de la Tunisie qui doit assurer le développement parallèle des transports de marchandises. On la voit alors prendre des participations dans la "société des silos des gares" et dans la "Société des silos des ports". Pour lutter contre la concurrence des transports automobiles qui devient plus dure, elle crée une filiale, la "Société tunisienne automobile transport", chargée d'organiser un service de camionnage des lieux de production des céréales vers les gares et prend une participation majoritaire dans la "Société tunisienne des transports automobiles du Sahel" qui couvre le sud tunisien.
------La crise économique vient alors ralentir considérablement le trafic marchandises par suite de la dévalorisation du dollar qui avantage les phosphates américains. A cela s'ajoute une faible récolte de céréales en 1936. Ainsi, alors que la compagnie avait retrouvé en 1928 une partie de la liberté qu'elle avait perdue à la suite des accords de 1920 - liberté qui lui avait permis ses efforts de diversification depuis cette date - elle doit désormais se soumettre à un contrôle plus rigoureux de l'état.
------C'est dans cette conjoncture qu'éclate la deuxième guerre mondiale qui fait tomber la compagnie dans le régime de la réquisition. A partir de 1942 les relations étant coupées entre la France et la Tunisie, l'exploitation locale est isolée du siège social et administratif installé à Paris. Les relations ne reprennent qu'en 1944. La convention de 1922 devait expirer en 1948. A cette date on prévoit un nouveau régime de chemin, de fer en Tunisie et les tensions politiques dans le pays emêchent de prendre une mesure définitive ; la concession est donc reconduite d'année en année jusqu'en 1957, année qui voit l'indépendance de la Tunisie et la nationalisation de ses chemins de fer. A cette date la compagnie ne possède donc plus que ses diverses participations et prend le nom de "Compagnie française de transports et de participations".

Rémy BAISON Adh. N° 2003

Sources : A.N. Paris (1er étage) Côte 156 A9
Personnel de la compagnie 156 AQ 94-95
94 - Registre matricule des personnels et répertoire de ce registre 1875-1927 95 - Dossiers de personnel (classement alphabétique, lettres E à L) 1876-1922
Le dossier complet se trouve aux A.O.M. à Aix-en-Provence