Tizi-Ouzou (Le col des genêts)
par
Edgar Scotti
Habitants des montagnes pauvres, surpeuplées, les
kabyles ont su conserver leurs coutumes, leur langue, leur culture. Le
nom de "Amazirt " ou de "Tamazirt " fréquemment
employé, signifie homme libre, en berbère. L'étymologie
même du mot " kabyle " est incertaine. Pour certains,
elle pourrait dériver de l'arabe Kabila " ou de "Kibila
", tribu berbère. Pour d'autres, "Kabel ", c'est
celui qui, à défaut de la langue, a accepté vers
707, la foi des "cavaliers d'Allah ". Enfin une origine phénicienne
lui est même parfois attribuée.
Au XIVe siècle, l'historien IbnKhaldoun relate que dans les villages
kabyles "fleurissent les vertus qui honorent l'humanité,
la noblesse d'âme, la haine de l'oppression, la bravoure, la fidélité
aux promesses, la bonté pour les malheureux, la charité,
la constance dans l'adversité. "
En raison de la pauvreté des sols, pentus, ravinés par l'érosion,
la densité de la population, (136 habitants au km2 en 1936, dans
l'arrondissement de Tizi-Ouzou), l'économie de la Kabylie repose
sur l'arboriculture, l'artisanat et surtout sur l'émigration. Les
figuiers, dont deux variétés, "Taaran'imt "
et " Tameriout " se distinguent par l'inoubliable succulence
de leurs fruits, poussent jusqu'à une altitude de 1200 mètres.
Les Berbères, premiers occupants de l'Afrique du Nord, appartiennent
à la civilisation de l'olivier. Cet arbre fait partie de l'Histoire
des peuples méditerranéens. Deux variétés
se côtoyent, Chemlal "et " Azeradj ". Aussi, figues
et huiles constituèrent pendant longtemps la base de l'alimentation
des Kabyles et servirent de produits d'échange contre de l'orge
ou du blé dur, les sols siliceux ne produisant guère que
du " béchena ". (sorgho)
Aux ressources apportées par les arbres fruitiers et la culture
des légumes, il convient d'ajouter la cueillette des glands doux
et les produits de l'apiculture, à laquelle beaucoup de Kabyles
étaient très attachés.
Enfin à ces ressources agricoles, il convient d'ajouter le liège.
En 1905, la chefferie des Eaux et Forêts de Tizi-Ouzou en a produit
10 560 quintaux, soit plus de 90 des 11 705 quintaux récoltés
dans le département d'Alger.
L'artisanat actif a su évoluer, par le travail de la poterie à
Taourirt-Amokrane, de la laine pour les tapis des Aït-Hichem et de
la bijouterie aux Beni-Yenni.
Tizi-Ouzou porte et
capitale de la Grande Kabylie
Ô village rêveur !
Non, tu n'es pas un trou,
Couché sur le Belloua, qui sur son cur te serre.
Tu resteras toujours pour nous le Belvédère,
D'où nos yeux, plongeront dans l'espace infini
d'un tableau saisissant, comme l'aiglon au nid ! "
Dr Ferdinand Huchard ancien maire de Tizi-Ouzou
|
Capitale de la Grande Kabylie, la ville de Tizi-Ouzou
est située au pied du djebel Belloua qui culmine à 695 mètres
d'altitude, au-dessus de la vallée du Sébaou. Le vénéré
marabout éponyme, Sidi-Belloua, était souvent invoqué
dans les conversations en témoignage de sincérité
ou de véracité absolue.
Hak
Rabbi, Sidi-Belloua
Sa kouba, étincelante de blancheur, se dressait solitaire, à
l'abri d'un olivier noueux, au milieu des pierres blanchies d'un petit
cimetière. De nombreuses processions de femmes convergeaient fréquemment
vers ce lieu de prières et de recueillement.
Par sa situation géographique, au centre d'un important massif
montagneux, Tizi-Ouzou est une agglomération propice aux échanges
et aux rencontres.
Son marché du samedi, notamment, est particulièrement apprécié
en raison de sa fréquentation par des commerçants venus
de fort loin proposer des dattes et des céréales en échange
d'huile et de figues.
Par Tizi-Ouzou, il est possible d'accéder à des villages
kabyles portant des noms bien particuliers, comme Tikobaïn, Oumzizou,
Tamda situés au nord-est, après avoir franchi le pont de
Bougie sur lequel n'étaient admis que les véhicules pesant
moins de 10 tonnes en charge. Au sud-est, d'autres villages dont l'origine
toponymique soulève beaucoup de questions, comme Tirmitine, Aït-Ouanech,
lchardiouène, Taguemount-Azzouz, Taguemount-Oukerrouch, Igoulmimène.
L'arrivée des
Français
Jusqu'en 1848, la pénétration française
en Kabylie était seulement limitée à l'occupation
de quelques points, comme Djidjelli en 1837, Dellys 1844, Bougie 1847.
En 1851, Bou-Baggla, " l'homme à la mule " pousse ses
attaques contre les tribus fidèles à la France, jusque dans
la vallée du Sebaou. C'est alors que le gouverneur général
Randon ouvre des routes stratégiques de Dellys à Aumale
par Dra-elMizan et Bouira. En 1854, les colonnes françaises traversent
de part en part le massif kabyle et acquièrent une meilleure connaissance
de cette région. En 1856, un nouveau fanatique, Hadj-el-Amar, soulève
les tribus du littoral ; le 22 janvier, une colonne venant d'Alger dégage
Tizi-Ouzou, rétablit une tranquillité momentanée
dans la vallée du Sebaou.
En 1857, les 30 000 hommes de trois divisions commandées par les
généraux Renault, Mac-Mahon et Yusuf sous la direction du
gouverneur général Randon attaquent le 19 mai le centre
des Beni-Raten. Le 14 juin la première pierre du Fort Napoléon
est posée suivant les plans du général Chabaud la
Tour. En dix-sept jours, une route carrossable relie ce fort à
Tizi-Ouzou et le télégraphe électrique transmettant
des signaux " morse " les unit l'un et l'autre à Alger.
En laissant aux Kabyles, leurs biens, leurs coutumes, leur administration
municipale, djemaa ", leurs institutions particulières, Randon
obtint la pacification de la région. Jusqu'en 1857, Tizi-Ouzou
fait partie du dispositif de défense mis en place à Dellys.
Durant les insurrections d'avril 1871, les villages isolés comme
Bordj-Ménaïel et Palestro seront saccagés et leur population
européenne massacrée. Dans les villes et postes fortifiés,
les assauts seront repoussés par les garnisons de Bougie, Tizi-
Ouzou, Dra-el-Mizan. Fort National résistera durant soixante jours,
jusqu'à l'arrivée d'une colonne de secours. La population
de Tizi-Ouzou avait pour consigne, en cas d'attaque, de se replier sur
le fort, l'école de garçons et la prison civile.
Tizi-Ouzou et son bordj
La construction de Dra-el-Mizan, (le bras de la balance)
en 1851 et de Tizi-Ouzou en 1855 démontre la volonté des
Français de s'opposer à la farouche résistance Kabyle.
En 1855, l'armée française s'installe au " bordj ancien
fort turc construit sur l'emplacement de fortifications romaines. Situé
au sud de Tizi-Ouzou, face au djebel Belloua, il dispose d'épaisses
murailles, surmontées de casemates s'ouvrant sur l'extérieur
par d'étroites meurtrières. Dans la cour du fort, une "
kouba " et un puits ; de nombreuses sources jaillissent dans les
environs. L'une d'entre elles ruisselle au-dessus du bordj, accroche les
rayons du soleil au zénith comme les facettes d'un diamant.
Le " bordj " va se transformer rapidement en un important entrepôt
fortifié. En effet, jusqu'à la construction en 1857 de Fort
Napoléon, (Fort National), Tizi-Ouzou est un point d'appui stratégique
dans la région et notamment pour Bou-Khalfa, situé à
quatre kilomètres sur la route d'Alger. Le bordj, enfoui dans les
arbres, se dresse face au Belloua au nord et à la vallée
de l'oued Sébaou à l'ouest.
Création spontanée
du village
Vers la fin de 1856, le maréchal comte Alexandre
Randon, gouverneur général de l'Algérie, inspecte
à Tizi-Ouzou les travaux d'ouverture de routes et de construction
de fortifications. Il constate l'établissement d'une nombreuse
population de cantiniers et d'ouvriers, sur les pentes, autour du fort,
dans des conditions précaires et sans aucune protection contre
les attaques. Un projet, approuvé par le gouverneur général,
permet l'attribution de lots à bâtir à des commerçants
et ouvriers possédant les moyens d'y élever des constructions.
D'autres commerçants affluent et s'y établissent sans autorisation.
Au mois de juillet 1857, le commandant Lallemand, responsable au sein
de la subdivision de Dellys du cercle de Tizi-Ouzou, remarque que ce village
créé par la force des choses n'a pas d'existence légale.
En effet, aucun décret n'autorise sa création. Plus grave
encore, le deuxième plan d'allotissement ne prévoit pas
de terres agricoles. Toutes celles des environs sont déjà
cultivées par les Kabyles dont le douar est mitoyen avec le village
en projet. Pour compenser l'absence de surfaces agricoles, le déplacement
d'une smala " de spa his de la tribu des "Amaraoua " est
envisagé. Il permettrait la libération de terres susceptibles
d'être affectées à des indigènes en compensation
de celles qui seraient utilisées pour la création du village.
Le 8 juillet 1858, le commandant Lallemand fait dresser un état
des 57 premiers concessionnaires. Les terres disponibles ne permettent
pas à raison de 4 hectares par famille de les satisfaire tous.
Plusieurs dizaines d'autres attendent.
Incertitudes sur l'orientation
économique
Par lettre du 21 mai 1858, le secrétaire du Gouvernement général
s'adresse au Général commandant la subdivision de Dellys."
Comme vous, mon cher Général, je pense que Tizi-Ouzou
sera bien longtemps encore un centre plus commercial qu'agricole et qu'on
peut dès lors réserver une bonne partie des lots urbains
aux industriels qui viendraient s'y établir et à qui l'on
n'accorderait point de terres de culture
Mon opinion est, du reste, que la population de Tizi-Ouzou tendra plus
à décroître qu'à augmenter et que sur les 102
lots urbains inscrits au plan il n'en restera pas de longtemps occupés
plus de 50. J'estime en conséquence qu'il y a lieu de répartir
les 246 hectares disponibles à Tizi- Ouzou, entre les 50 premiers
habitants de ce centre qui paraissent devoir se livrer à la culture
des terres avec le plus d'avantages. Si plus tard le village prend de
l'extension on verra à augmenter aussi son territoire agricole.
Veuillez bien donner des instructions dans ce sens. "
Ces incertitudes se poursuivront après la création par décret
du 27 octobre 1858, du village de Tizi- Ouzou. Un territoire agricole
de 286
hectares 5 ares et 65 centiares lui est affecté. Cependant les
parcelles réservées à divers usages militaires, urbains,
carrières, marché, briqueterie, cimetières, couvrent
plus de 58 hectares limitant sensiblement le territoire agricole, qui
ne dépasse pas 200 hectares. Comme ces reprises sont postérieures
au travail de lotissement. M. Tharaud, chef du service topographique,
estime qu'il serait nécessaire d'indemniser les colons qui se trouveraient
ainsi dépossédés, avant même d'avoir la jouissance
de leur lot.
Par décret de Napoléon Ill en date du 27 octobre 1858, il
est créé sur la route de Dellys à Bougie, à
proximité de " Bordj Tizi-Ouzou " dans la subdivision
de Dellys, province d'Alger, un centre de population comprenant 94 lots
urbains, non compris les établissements militaires.
En 1860, le lieutenant colonel d'infanterie Martin prend le commandement
de la place, le lieutenant Gaulet du 2e Spahis prend la direction du
bureal) arabe ". Un état-major de défense des places
de guerre est constitué à Alger. Le capitaine Bruneau, jusqu'en
1867, représente la place de Tizi-Ouzou, il sera remplacé
en 1E368 par le capitaine Jarrié.
Une accumulation d'obstacles
La délimitation des lots et l'installation des
colons sur les terres, soumises à de nombreuses difficultés,
retardent leur mise à disposition. L'Administration ne dispose
pas suffisamment de géomètres susceptibles d'accomplir ce
travail. C'est M. Garié, géomètre qui est chargé
de délimiter les lots et de procéder à l'installation
des colons sur leurs terres. Cependant par une dépêche du
6 novembre 1858, le général commandant la subdivision de
Dellys, signale que le géomètre est employé encore
pour longtemps à Bordj-Ménaïe1 pour un travail dont
il ne peut être distrait et qu'il est urgent d'envoyer un second
géomètre. Du fait de cet empêchement, c'est M. Chêne
qui est envoyé à Tizi-Ouzou, où il est d'ailleurs
fort mal reçu. Par la suite, M. Verpriot, reçoit l'ordre
de procéder au relevé cadastral. Pas avant, cependant, de
terminer le travail commencé à Dra-el-Mizan.
Les premiers colons
Souvenons-nous des noms de ces premiers colons, en soulignant que colon
dérive du latin colonus habitant non indigène qui cultive
une terre.
Leurs noms figurent sur l'état de lotissement dressé le
14 septembre 1859 par M. Tharaud, chef du service topographique.
M. Faure Sauveur, journalier
- Ledoux Louis, forgeron
- Birbet Bernard, journalier
- Berthon J. P., commerçant
- Paulin Fossati, conducteur
- Despax Jean, cafetier
- Richeran Marc, charretier
- Presty Antoine, cafetier
- Hilbert Jean, charretier
- Coccia Jean, entrepreneur
- Sala François, chauffeur
- Page Auguste, tailleur
- Guillaumiez M., journalier
- Cheuzeville Louis, boucher
- Morigia Antoine, jardinier
- Devillers Jean, cafetier
- Munkisturn Barthélémy
- Rens Joseph, ferblantier
- Méry Jean, jardinier
- Portet Aubin, maréchal ferrant
- Guilleton Benoit
- David Guillaume, boulanger
- Valensot Claude, charcutier
- Bouquet Jean Baptiste
- Pécollo Michel
- Cataly Jean, perruquier
- Saint-Pierre, Paul, serrurier
- Guyard François, journalier
- Guerber Jean, maçon
- Bedouille F., tailleur de pierre
- Goisnard Marie, tailleur de pierre
- Lespases Barthélémy, tailleur de pierre
- Borelly Pierre, charpentier
- Babin Léon, tailleur de pierres
- Ménard Gilbert, maçon
- Wassermann Charles, cafetier
-Thibaut Edouard, Auguste Hippolyte, épicier, boulanger
- Maini Richard, peintre
- Pépe Virgile, boucher
- Auradou Clara, tenant brasserie
- Fournet Louis, successeur,
- Berliotz Auguste, pâtissier
- Faure Théodore, cafetier
- Ménard Philibert, commerçant
- Gruet Charles, commerçant
- Viala Joseph, maçon
- Arnaud Benoit, maître d'hôtel
- Chénevière Louis, cafetier
- Tierrisse J., tailleur de pierre
- Faure Jean Baptiste, cafetier
- Foulier Florent, boucher
- Richard Sébastien, meunier
- Montbrun Jean-Baptiste
- Grimai Adolphe, commerçant
- Bourret Paul, marchand
- Girard Henri, commis
- Géry Joseph, voiturier
- Bouvier, tailleur de pierre
- Flocard Nicolas, forgeron
- Brau Paul
- Weinmann Jean-Michel
- Lestang Joseph-Marie
- Sirlone François
- Viala Gérémie
- Larané Jean
- Esquerré Janvier, commerçant
- Barami, amin des Barami
- Sacane Gabriel, charretier
- Ali ben Hamoud, entrepreneur
- Mme Alcaraz, droguiste
- Heurtaux Alfred,
- Ferro-Vecchio Alexandre
- Soulié Pascal, Pierre
- Ferran Jean
- Poussard Jean-Marie
- Lavagne Théodore
- Orlandil Ignace
- Rogliani Marius,
|
Ces premiers colons seront suivis par beaucoup d'autres
parmi lesquels nous relevons notamment les noms de :
- Privat Joseph, Antoine, né le 10 mars 1837 à La Bastide
en Aveyron, marié, sans enfant, il est en Algérie depuis
1875. Le 30 avril 1879, il obtient le lot urbain n° 177.
- Verny Joseph est arrivé en Algérie en 1860, c'est un ancien
militaire, il habite à Tizi-Ouzou depuis 1862. Marié, deux
enfants, il obtient le 30 avril 1879, le lot urbain n° 298.
- Branche Alexandre né à Randan, Puy de Dôme, le 17
août 1827 époux de Panin Madeleine avec leur fils Eloi, 22
ans. Viennent de Randan, Puy-de-Dôme, obtient un lot urbain de 6
ares 63 centiares, prise de possession le 10 février 1880.
- Alibert Jean né à Montauban, Tarn et Garonne en 1826 ;
lot urbain n° 110 et un lot rural n° 104 bis.
- Brau Paul titre du 23 février 1864 ; lot à bâtir
de 5 ares 67 centiares n° 82.
- Brau Guillaume et son épouse Marie Rouyaroux, lot rural n°
41 de 13 hectares 22 ares 80 centiares, lot rural n° 126 de 2 hectares
5 ares 70 centiares
Ces deux lots seront cédés à Barthet Joseph.
- Tête Lucien né à Saint Laurent sur Gorre, Haute
Vienne, lot urbain n° 141 : 6 ares 30 centiares, lot rural n°
50 : 31 ha 6 ares 10 centiares.
- Bovis Jean-Baptiste, lot urbain n° 122 : 6 ares 60 centiares, lot
rural n° 117 : 26 ha 62 ares 50 centiares.
- Boyer André né à Saint-Germain, Puy de Dôme,
lot urbain n° 215 : 6 ares, lot rural n° 54 : 24 ha 98 ares 60
centiares.
- Bouvier Charles né en 1819 à Sarville dans la Meurthe
.
- Antoine Georges né à Echery, Haut- Rhin.
- Bouland Antoine né à Beaudreville, Eure et Loire.
- Bot François Louis né à Villefranche de Lauragais
le 21.02.1848.
Une famille de colons
raconte les événements de Tizi-Ouzou
Fils d'Augustin Thibaut, Edouard, Auguste, Hippolyte Thibaut
a servi en Algérie comme capitaine. Séduit par la beauté
du pays il y revient en 1849 avec son épouse, née Rose Mazet
et sa fille Marie âgée de six mois. La traversée de
la Méditerranée effectuée en voilier, ils débarquent
à Alger. Ils parcourent à cheval les cent quatre kilomètres
qui séparent Alger de Tizi- Ouzou, où ils ne trouvent qu'un
douar accroché au flanc du djebel Belloua. La forêt est toute
proche. Les incursions de bêtes sauvages sont nombreuses. Une panthère
attirée par l'odeur d'un jambon qui séchait sur une fenêtre
est mise en fuite par Rose Thibaut. Edouard Thibaut, attendra jusqu'en
juillet 1858, pour voir son nom figurer sur un état nominatif des
colons susceptibles de recevoir un lot de culture de 4 hectares. Il devra
encore attendre jusqu'au 14 septembre 1859 pour que son nom soit porté
sur l'état de lotissement dressé par M. Tharaud, chef du
service topographique.
Il obtient enfin :
- un lot à bâtir n° 35 de 6 ares 15 centiares,
- un lot de culture n° 37 de 4 ha 99 ares 60 centiares,
soit au total : 5 hectares 5 ares 75 centiares.
Le lot à bâtir est situé à l'entrée
de Tizi, près de la porte d'Alger. Le lot de culture n° 37
est desservi par le chemin dit " du camp " et par une
autre voie désignée sur la carte par " triq Bourkar
".
Pendant plus de dix ans Edouard Thibaut exercera le métier de boulanger
épicier.
Née en 1896, madame Gilberte Molinart a rédigé en
1988, un témoignage sur l'insurrection de 1871, inspiré
par les récits recueillis au cours des conversations de ses ancêtres
et de leurs amis,premiers colons de Tizi- Ouzou.
A la tombée d'un jour d'avril, sa grand-mère, Mme Marie
Lefèvre, fille d'Edouard et de Rose Thibaut, voit arriver furtivement
un Kabyle qu'elle avait jadis soigné : " Madame, il va
y avoir la révolte, monte vite te réfugier au fort, soussem
! (tais-toi ! ) ". Là, elle retrouva la population européenne.
Les familles s'y installèrent comme elles purent. Toute la nuit,
les incendies illuminaient le ciel, les bruits de la révolte arrivaient
aux oreilles des réfugiés. Son mari, Constant Lefèvre,
officier des Eaux et Forêts en tournée dans les cantonnements
de la circonscription ne pourra la rejoindre que le lendemain. Il est
indemne, mais tous les gardes des environs de Tizi-Ouzou ont été
massacrés. A son arrivée les assiégés lui
annoncent l'incendie de sa maison ;
Qu'importe, répondit-il en riant, j'ai la clef dans la
poche. Le siège dura longtemps. Beaucoup de défenseurs
devaient y laisser la vie. Parmi les blessés, Marie Lefèvre
et sa soeur Constance. Les vivres s'épuisaient, l'eau surtout fut
rationnée, les chevaux et les mulets manquaient de nourriture.
" Les jours passaient et les secours n'arrivaient pas. Le désespoir
gagnait les assiégés, les rations étaient réduites
au minimum, puis à rien ".
Il fut décidé à l'unanimité d'attendre un
jour encore et, si les secours n'arrivaient pas, de faire sauter le fort
avec ses occupants. Ils y vivaient depuis quarante jours.
Le guet était effectué sur les remparts. Le 12 mai 1871,
le jour baissait, le guetteur en faction aperçut, à l'horizon
un nuage de poussière. Un mirage pensa-t-il ! dû à
ma grande fatigue. Le nuage avançait rapidement. Bientôt
des coups de feu, des cris. Un important renfort arrivait d'Alger. La
délivrance avec ! Tous les assiégés, maintenant rassurés,
se portèrent aux remparts, aux meurtrières. Quelle joie
délirante, des embrassades des pleurs !
La paix retrouvée, chacun regagna sa maison plus ou moins endommagée
ou complètement détruite, les magasins pillés, dévastés.
Très longtemps après on retrouvait dans les douars, des
objets ménagers disparus durant la révolte. En dépit
des souffrances endurées durant le blocus, la confiance revint
; blessée lors du siège, Mme Marie Lefèvre met au
monde en 1873, une fille prénommée Rose. Chaque année,
à Tizi-Ouzou, on commémorait les journées des 11
et 12 mai. Réunie autour des drapeaux des associations de vétérans,
la population se rassemblait au cimetière, devant le cénotaphe,
dressé au fond de l'allée centrale, puis à l'église
où, durant la messe, étaient cités les noms des victimes
associés à ceux du commandant Boyer de Rebeval et du lieutenant
Pierre Versini, leurs frères d'armes morts en 1857. En évoquant
le souvenir de ce siège de Tizi-Ouzou, on songe à la somme
de privations, de souffrances, de ruines et de désespoirs de ceux
qui reposent dans ce cimetière.
La protection de Bou-Khalfa
|
Jusqu'aux environs de 1890, la sécurité
des populations demeure une des principales préoccupations des
autorités tant civiles que militaires. Par lettre du 30 janvier
1889, adressée au préfet d'Alger, M. Vitalis sous-préfet
déclare :
" En raison de son territoire très réduit et du
petit nombre de ses habittants, il est regrettable que le hameau de Bou-Khalta
ne puisse poursuivre son agrandissement. Comme le dit M. le maire, ce
centre se trouve dans des conditions toutes spéciales puisqu'au
point de vue de la colonisation, il dépend exclusivement de la
société de protection des Alsaciens-Lorrains.
y a donc lieu de ne se préoccuper que de ses moyens de défense,
qui devront consister d'après la lettre ci- jointe de M. le maire
de Tizi-Ouzou en un réduit défensif édifié
sur le plaeau qui domine le village et entourera l'église ".
Cette lettre du sous-préfet, entraîne aussitôt une
réponse négative rédigée le 12 mars 1889 par
M. Dandrade du troisième bureau du Gouvernement Général.
" Tizi-Ouzou-Bou-Khalfa, ne doit pas être considéré
comme un centre qui périclite, sa population augmente au contraire
de jour en jour, dans des proportions très sensibles. Quant à
la construction d'une redoute défensive à Bou-Khalfa, préconisée
par le maire, elle ne me parait pas plus justifiée qu'à
vous.
Ce centre n'est situé qu'à une faible distance de Tizi-Ouzou,
où il existe un fort et une garnison et où les colons de
tous les environs, trouveront un abri sûr en cas de danger.
D'ailleurs le centre de Bou-Khalfa est entièrement dominé
par le Belloua, la défense de ce village serait dès lors
très difficile à organiser. En cas d'insurrection, les habitants
de ce centre auront tout avantage à se replier sur Tizi- Ouzou
".
Etat de population au
14 décembre 1888
Centres
|
Nombre de feux
|
Population
|
Travaux à effectuer
|
Tizi-Ouzou Bou-Khalfa
|
408
|
1322
|
Pas de travaux
|
Bou-Khalfa-Guynemer
|
48
|
125
|
Réduit défensif à
construire
|
Coût du réduit défensif à construire
autour de l'église de Bou-Khalfa : 14 000 francs
Bou-Khalfa-Guynemer
Non loin du Sebaou, serpentant
à ses pieds
Comme une nymphe en pleurs qui laisserait sur l'onde,
Flotter en vagues d'or, sa chevelure blonde,
De la plaine de Bou-Khalfa à Fort-National,
Qui brille chaque nuit comme un lointain fanal.
Docteur Ferdinand Huchard Ancien maire de Tizi-Ouzou.
|
.
Rattaché à la commune de Tizi-
Ouzou, ce hameau est situé dans la vallée du Sebaou, en
contrebas du djebel Belloua, après Mirabeau et à quatre
kilomètres du centre.
C'est sur la concession de M. Jean Dolfuss de Mulhouse, que s'installent
vers 1871, neuf familles d'Alsaciens-Lorrains. En raison des redoutables
difficultés qu'elles rencontrent sur des terrains marécageux,
M. Dolfuss confie à la Société de protection des
Alsaciens-L.orrains le soin d'implanter de nouveaux concession naires.
La société a construit vingt et une maisons.
Vingt-cinq familles tentèrent successivement de s'y installer .
Parmi les derniers Alsaciens- Lorrains installés à Bou-Khalfa,
relevons l'acte passé le 28 juillet 1884, devant Me Brice, notaire
à Alger. Par cet acte la Société de protection des
Alsaciens-Lorrains demeurés français, accorde des concessions
à :
- Abraham Adam et à Eve Huckeltubler, son épouse.
- Antoine Koehl et à ses enfants.
En mémoire des
habitants de Bou-Khalfa
Malgré les considérables difficultés
du terrain, les colons parvinrent à assécher les marécages.
Cependant décimés par les fièvres, nombreux seront
ceux, qui dès le remboursement de leurs dettes revendront leur
lot. Vers 1886, il ne restait plus à Bou-Khalfa que quatre familles
d'Alsaciens-Lorrains. En 1901, toujours rattaché à Tizi-Ouzou,
le village est administré par M. Hygonnet, adjoint conseiller municipal.
Le crieur public est M. Rooz, le garde champêtre, M. Brossard.
Bou-Khalfa possède un café-restaurant tenu par M. Vix et
quelques agriculteurs et viticulteurs ; Mme Vve Bertrand, Mme Vve Houtmann,
MM. Hurtiger, Hygonnet, Kieffer, Kuntz, Lemoine, Martin, Salzmann, Vix.
Par décret du 28 janvier 1917, le nom de Guynemer, sera associé
au nom arabe de Bou-Khalfa. Chassés de leurs villages parce qu'ils
voulaient demeurer français, ces Alsaciens- Lorrains ont usé
leurs forces dans les méandres du Sébaou. Plus personne
aujourd'hui ne se souvient d'eux.
Aussi, afin de rappeler leur souvenir, emprunterons-nous au Dr Ferdinand
Huchard, maire de Tizi-Ouzou quelques alexandrins. En effet dès
1908, ce magistrat municipal leur ménageait sur le mode plaisant
et spirituel une petite place à côté de tous ceux
qui ont fait cette Kabylie.
Non loin de Mirabeau, de Camp
du Maréchal,
Où l'on entend la nuit, plus qu'ailleurs le chacal,
Siffler ses sons aigus en courant sur les routes,
Où l'attire dit-on le fumet des choucroutes ".
|
Par la suite, la Kabylie et Tizi- Ouzou,
sortent de la rebellion. La ville met un terme à son isolement.
Elle va prendre son essor.
La Kabylie sans perdre son âme et sa personnalité, sans abandonner
sa langue le "tamerghiz " ou " tamazirt " ou encore
"tamazigh " ses assemblées de sages, ses djemaâ
", s'engage à fond sur la voie de la modernisation et de l'ouverture
culturelle et économique. Profondément attachés à
leurs montagnes, les Kabyles considèrent qu'après l'affrontement,
ils peuvent désormais travailler leurs terres et nouer des relations
d'affaires avec les commerçants et artisans installés entre
bordj et douar. Mettant à profit l'enseignement du français,
un tissu d'échanges s'instaure dans l'intérêt commun.
Les Kabyles adoptent et maîtrisent aisément notre langue,
ils trouvent à cette époque dans notre alphabet l'écriture
qu'ils n'ont pas dans le " tamerghiz" leur idiome berbère.
(à suivre) Edgar SCOTTI
note du site : pas de suite. Je n'ai
pas le n° suivant.
Références bibliographiques
L. Mélia, La ville blanche Alger et
son département, Paris Typographie Plon, 8, rue Garancière,
1939.
A. Ibazizen, Le pont de Bereq'Mouch, 1979 La table ronde.
Les archives d'outre-mer Aix -en-Provence.
Le petit Kabyle, publication hebdomadaire, fondée en 1885.
Le récit de l'insurrection de 1871, par Mme Gilberte Molinard.
Le livre d'or du Centenaire de l'Algérie, confié par M.
Courtin.
La documentation et les conseils de M. T. Bignand.
Le recensement du 31 octobre 1948.
L'oeuvre agricole française en Algérie, 1830-1962, 430 pages,ouvrage
rédigé par les anciens élèves des écoles
d'agriculture d'Algérie, éditions de l'Atlanthrope, Versailles
1990.
Généalogie, Algérie, Maroc, Tunisie, antenne de Nice
pour la liste des Alsaciens-Lorrains demeurés français,
établis à Boukhalfa.
La documentation et les souvenirs de M. Louis Salcédo. La documentation
et les souvenirs de M. Louis Hassen. La documentation et les souvenirs
de M. Jean Chabrol. Les conseils du Docteur Raymond Féry.
La documentation de M. Martial Pons.
Iconographie
Cartes postales de la collection du Dr Georges Duboucher.
Cartes postales de la collection de l'auteur.
Cartes postales de la collection de M. Paul Teisseire.
Cartes postales de la collection de M. Francis Curtes.
Edgar Scotti, prépare actuellement un texte sur Bizerte et son
lac, des Phéniciens à nos jours. Il serait particulièrement
intéressé par des témoignages sur des personnages
ou des événements importants survenus à Bizerte et
sa région durant la période de 1881 à 1954. Prière
de ne pas envoyer de documents originaux, mais des photocopies ou des
copies de photos, cartes ou cartes postales. Les noms des collectionneurs
ou des détenteurs de ces documents figureront, dans les références
bibliographiques.
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