Tizi-Ouzou (Le col des genêts)
par
Edgar Scotti
(†)
extraits du numéro 57, mars 1992, de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
sur site le 9-12-2009

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Tizi-Ouzou (Le col des genêts)
par
Edgar Scotti

Habitants des montagnes pauvres, surpeuplées, les kabyles ont su conserver leurs coutumes, leur langue, leur culture. Le nom de "Amazirt " ou de "Tamazirt " fréquemment employé, signifie homme libre, en berbère. L'étymologie même du mot " kabyle " est incertaine. Pour certains, elle pourrait dériver de l'arabe Kabila " ou de "Kibila ", tribu berbère. Pour d'autres, "Kabel ", c'est celui qui, à défaut de la langue, a accepté vers 707, la foi des "cavaliers d'Allah ". Enfin une origine phénicienne lui est même parfois attribuée.

Au XIVe siècle, l'historien IbnKhaldoun relate que dans les villages kabyles "fleurissent les vertus qui honorent l'humanité, la noblesse d'âme, la haine de l'oppression, la bravoure, la fidélité aux promesses, la bonté pour les malheureux, la charité, la constance dans l'adversité. "

En raison de la pauvreté des sols, pentus, ravinés par l'érosion, la densité de la population, (136 habitants au km2 en 1936, dans l'arrondissement de Tizi-Ouzou), l'économie de la Kabylie repose sur l'arboriculture, l'artisanat et surtout sur l'émigration. Les figuiers, dont deux variétés, "Taaran'imt " et " Tameriout " se distinguent par l'inoubliable succulence de leurs fruits, poussent jusqu'à une altitude de 1200 mètres. Les Berbères, premiers occupants de l'Afrique du Nord, appartiennent à la civilisation de l'olivier. Cet arbre fait partie de l'Histoire des peuples méditerranéens. Deux variétés se côtoyent, Chemlal "et " Azeradj ". Aussi, figues et huiles constituèrent pendant longtemps la base de l'alimentation des Kabyles et servirent de produits d'échange contre de l'orge ou du blé dur, les sols siliceux ne produisant guère que du " béchena ". (sorgho)

Aux ressources apportées par les arbres fruitiers et la culture des légumes, il convient d'ajouter la cueillette des glands doux et les produits de l'apiculture, à laquelle beaucoup de Kabyles étaient très attachés.

Enfin à ces ressources agricoles, il convient d'ajouter le liège. En 1905, la chefferie des Eaux et Forêts de Tizi-Ouzou en a produit 10 560 quintaux, soit plus de 90 des 11 705 quintaux récoltés dans le département d'Alger.

L'artisanat actif a su évoluer, par le travail de la poterie à Taourirt-Amokrane, de la laine pour les tapis des Aït-Hichem et de la bijouterie aux Beni-Yenni.

Tizi-Ouzou porte et capitale de la Grande Kabylie

Ô village rêveur ! Non, tu n'es pas un trou,
Couché sur le Belloua, qui sur son cœur te serre.
Tu resteras toujours pour nous le Belvédère,
D'où nos yeux, plongeront dans l'espace infini
d'un tableau saisissant, comme l'aiglon au nid ! "

Dr Ferdinand Huchard ancien maire de Tizi-Ouzou

Capitale de la Grande Kabylie, la ville de Tizi-Ouzou est située au pied du djebel Belloua qui culmine à 695 mètres d'altitude, au-dessus de la vallée du Sébaou. Le vénéré marabout éponyme, Sidi-Belloua, était souvent invoqué dans les conversations en témoignage de sincérité ou de véracité absolue.
             Hak Rabbi, Sidi-Belloua
Sa kouba, étincelante de blancheur, se dressait solitaire, à l'abri d'un olivier noueux, au milieu des pierres blanchies d'un petit cimetière. De nombreuses processions de femmes convergeaient fréquemment vers ce lieu de prières et de recueillement.

Par sa situation géographique, au centre d'un important massif montagneux, Tizi-Ouzou est une agglomération propice aux échanges et aux rencontres.

Son marché du samedi, notamment, est particulièrement apprécié en raison de sa fréquentation par des commerçants venus de fort loin proposer des dattes et des céréales en échange d'huile et de figues.

Par Tizi-Ouzou, il est possible d'accéder à des villages kabyles portant des noms bien particuliers, comme Tikobaïn, Oumzizou, Tamda situés au nord-est, après avoir franchi le pont de Bougie sur lequel n'étaient admis que les véhicules pesant moins de 10 tonnes en charge. Au sud-est, d'autres villages dont l'origine toponymique soulève beaucoup de questions, comme Tirmitine, Aït-Ouanech, lchardiouène, Taguemount-Azzouz, Taguemount-Oukerrouch, Igoulmimène.

L'arrivée des Français

Jusqu'en 1848, la pénétration française en Kabylie était seulement limitée à l'occupation de quelques points, comme Djidjelli en 1837, Dellys 1844, Bougie 1847.

En 1851, Bou-Baggla, " l'homme à la mule " pousse ses attaques contre les tribus fidèles à la France, jusque dans la vallée du Sebaou. C'est alors que le gouverneur général Randon ouvre des routes stratégiques de Dellys à Aumale par Dra-elMizan et Bouira. En 1854, les colonnes françaises traversent de part en part le massif kabyle et acquièrent une meilleure connaissance de cette région. En 1856, un nouveau fanatique, Hadj-el-Amar, soulève les tribus du littoral ; le 22 janvier, une colonne venant d'Alger dégage Tizi-Ouzou, rétablit une tranquillité momentanée dans la vallée du Sebaou.

En 1857, les 30 000 hommes de trois divisions commandées par les généraux Renault, Mac-Mahon et Yusuf sous la direction du gouverneur général Randon attaquent le 19 mai le centre des Beni-Raten. Le 14 juin la première pierre du Fort Napoléon est posée suivant les plans du général Chabaud la Tour. En dix-sept jours, une route carrossable relie ce fort à Tizi-Ouzou et le télégraphe électrique transmettant des signaux " morse " les unit l'un et l'autre à Alger. En laissant aux Kabyles, leurs biens, leurs coutumes, leur administration municipale, djemaa ", leurs institutions particulières, Randon obtint la pacification de la région. Jusqu'en 1857, Tizi-Ouzou fait partie du dispositif de défense mis en place à Dellys.

Durant les insurrections d'avril 1871, les villages isolés comme Bordj-Ménaïel et Palestro seront saccagés et leur population européenne massacrée. Dans les villes et postes fortifiés, les assauts seront repoussés par les garnisons de Bougie, Tizi- Ouzou, Dra-el-Mizan. Fort National résistera durant soixante jours, jusqu'à l'arrivée d'une colonne de secours. La population de Tizi-Ouzou avait pour consigne, en cas d'attaque, de se replier sur le fort, l'école de garçons et la prison civile.

Tizi-Ouzou et son bordj

La construction de Dra-el-Mizan, (le bras de la balance) en 1851 et de Tizi-Ouzou en 1855 démontre la volonté des Français de s'opposer à la farouche résistance Kabyle.

En 1855, l'armée française s'installe au " bordj ancien fort turc construit sur l'emplacement de fortifications romaines. Situé au sud de Tizi-Ouzou, face au djebel Belloua, il dispose d'épaisses murailles, surmontées de casemates s'ouvrant sur l'extérieur par d'étroites meurtrières. Dans la cour du fort, une " kouba " et un puits ; de nombreuses sources jaillissent dans les environs. L'une d'entre elles ruisselle au-dessus du bordj, accroche les rayons du soleil au zénith comme les facettes d'un diamant.

Le " bordj " va se transformer rapidement en un important entrepôt fortifié. En effet, jusqu'à la construction en 1857 de Fort Napoléon, (Fort National), Tizi-Ouzou est un point d'appui stratégique dans la région et notamment pour Bou-Khalfa, situé à quatre kilomètres sur la route d'Alger. Le bordj, enfoui dans les arbres, se dresse face au Belloua au nord et à la vallée de l'oued Sébaou à l'ouest.

Création spontanée du village

Vers la fin de 1856, le maréchal comte Alexandre Randon, gouverneur général de l'Algérie, inspecte à Tizi-Ouzou les travaux d'ouverture de routes et de construction de fortifications. Il constate l'établissement d'une nombreuse population de cantiniers et d'ouvriers, sur les pentes, autour du fort, dans des conditions précaires et sans aucune protection contre les attaques. Un projet, approuvé par le gouverneur général, permet l'attribution de lots à bâtir à des commerçants et ouvriers possédant les moyens d'y élever des constructions. D'autres commerçants affluent et s'y établissent sans autorisation. Au mois de juillet 1857, le commandant Lallemand, responsable au sein de la subdivision de Dellys du cercle de Tizi-Ouzou, remarque que ce village créé par la force des choses n'a pas d'existence légale. En effet, aucun décret n'autorise sa création. Plus grave encore, le deuxième plan d'allotissement ne prévoit pas de terres agricoles. Toutes celles des environs sont déjà cultivées par les Kabyles dont le douar est mitoyen avec le village en projet. Pour compenser l'absence de surfaces agricoles, le déplacement d'une smala " de spa his de la tribu des "Amaraoua " est envisagé. Il permettrait la libération de terres susceptibles d'être affectées à des indigènes en compensation de celles qui seraient utilisées pour la création du village.

Le 8 juillet 1858, le commandant Lallemand fait dresser un état des 57 premiers concessionnaires. Les terres disponibles ne permettent pas à raison de 4 hectares par famille de les satisfaire tous. Plusieurs dizaines d'autres attendent.

Incertitudes sur l'orientation économique


Par lettre du 21 mai 1858, le secrétaire du Gouvernement général s'adresse au Général commandant la subdivision de Dellys." Comme vous, mon cher Général, je pense que Tizi-Ouzou sera bien longtemps encore un centre plus commercial qu'agricole et qu'on peut dès lors réserver une bonne partie des lots urbains aux industriels qui viendraient s'y établir et à qui l'on n'accorderait point de terres de culture
Mon opinion est, du reste, que la population de Tizi-Ouzou tendra plus à décroître qu'à augmenter et que sur les 102 lots urbains inscrits au plan il n'en restera pas de longtemps occupés plus de 50. J'estime en conséquence qu'il y a lieu de répartir les 246 hectares disponibles à Tizi- Ouzou, entre les 50 premiers habitants de ce centre qui paraissent devoir se livrer à la culture des terres avec le plus d'avantages. Si plus tard le village prend de l'extension on verra à augmenter aussi son territoire agricole.
Veuillez bien donner des instructions dans ce sens. "


Ces incertitudes se poursuivront après la création par décret du 27 octobre 1858, du village de Tizi- Ouzou. Un territoire agricole de 286
hectares 5 ares et 65 centiares lui est affecté. Cependant les parcelles réservées à divers usages militaires, urbains, carrières, marché, briqueterie, cimetières, couvrent plus de 58 hectares limitant sensiblement le territoire agricole, qui ne dépasse pas 200 hectares. Comme ces reprises sont postérieures au travail de lotissement. M. Tharaud, chef du service topographique, estime qu'il serait nécessaire d'indemniser les colons qui se trouveraient ainsi dépossédés, avant même d'avoir la jouissance de leur lot.

Par décret de Napoléon Ill en date du 27 octobre 1858, il est créé sur la route de Dellys à Bougie, à proximité de " Bordj Tizi-Ouzou " dans la subdivision de Dellys, province d'Alger, un centre de population comprenant 94 lots urbains, non compris les établissements militaires.
En 1860, le lieutenant colonel d'infanterie Martin prend le commandement de la place, le lieutenant Gaulet du 2e Spahis prend la direction du
bureal) arabe ". Un état-major de défense des places de guerre est constitué à Alger. Le capitaine Bruneau, jusqu'en 1867, représente la place de Tizi-Ouzou, il sera remplacé en 1E368 par le capitaine Jarrié.

Une accumulation d'obstacles

La délimitation des lots et l'installation des colons sur les terres, soumises à de nombreuses difficultés, retardent leur mise à disposition. L'Administration ne dispose pas suffisamment de géomètres susceptibles d'accomplir ce travail. C'est M. Garié, géomètre qui est chargé de délimiter les lots et de procéder à l'installation des colons sur leurs terres. Cependant par une dépêche du 6 novembre 1858, le général commandant la subdivision de Dellys, signale que le géomètre est employé encore pour longtemps à Bordj-Ménaïe1 pour un travail dont il ne peut être distrait et qu'il est urgent d'envoyer un second géomètre. Du fait de cet empêchement, c'est M. Chêne qui est envoyé à Tizi-Ouzou, où il est d'ailleurs fort mal reçu. Par la suite, M. Verpriot, reçoit l'ordre de procéder au relevé cadastral. Pas avant, cependant, de terminer le travail commencé à Dra-el-Mizan.
Les premiers colons

Souvenons-nous des noms de ces premiers colons, en soulignant que colon dérive du latin colonus habitant non indigène qui cultive une terre.
Leurs noms figurent sur l'état de lotissement dressé le 14 septembre 1859 par M. Tharaud, chef du service topographique.

M. Faure Sauveur, journalier
- Ledoux Louis, forgeron
- Birbet Bernard, journalier
- Berthon J. P., commerçant
- Paulin Fossati, conducteur
- Despax Jean, cafetier
- Richeran Marc, charretier
- Presty Antoine, cafetier
- Hilbert Jean, charretier
- Coccia Jean, entrepreneur
- Sala François, chauffeur
- Page Auguste, tailleur
- Guillaumiez M., journalier
- Cheuzeville Louis, boucher
- Morigia Antoine, jardinier
- Devillers Jean, cafetier
- Munkisturn Barthélémy
- Rens Joseph, ferblantier
- Méry Jean, jardinier
- Portet Aubin, maréchal ferrant
- Guilleton Benoit
- David Guillaume, boulanger
- Valensot Claude, charcutier
- Bouquet Jean Baptiste
- Pécollo Michel
- Cataly Jean, perruquier
- Saint-Pierre, Paul, serrurier
- Guyard François, journalier
- Guerber Jean, maçon
- Bedouille F., tailleur de pierre
- Goisnard Marie, tailleur de pierre
- Lespases Barthélémy, tailleur de pierre
- Borelly Pierre, charpentier
- Babin Léon, tailleur de pierres
- Ménard Gilbert, maçon
- Wassermann Charles, cafetier
-Thibaut Edouard, Auguste Hippolyte, épicier, boulanger
- Maini Richard, peintre
- Pépe Virgile, boucher
- Auradou Clara, tenant brasserie
- Fournet Louis, successeur,
- Berliotz Auguste, pâtissier
- Faure Théodore, cafetier
- Ménard Philibert, commerçant
- Gruet Charles, commerçant
- Viala Joseph, maçon
- Arnaud Benoit, maître d'hôtel
- Chénevière Louis, cafetier
- Tierrisse J., tailleur de pierre
- Faure Jean Baptiste, cafetier
- Foulier Florent, boucher
- Richard Sébastien, meunier
- Montbrun Jean-Baptiste
- Grimai Adolphe, commerçant
- Bourret Paul, marchand
- Girard Henri, commis
- Géry Joseph, voiturier
- Bouvier, tailleur de pierre
- Flocard Nicolas, forgeron
- Brau Paul
- Weinmann Jean-Michel
- Lestang Joseph-Marie
- Sirlone François
- Viala Gérémie
- Larané Jean
- Esquerré Janvier, commerçant
- Barami, amin des Barami
- Sacane Gabriel, charretier
- Ali ben Hamoud, entrepreneur
- Mme Alcaraz, droguiste
- Heurtaux Alfred,
- Ferro-Vecchio Alexandre
- Soulié Pascal, Pierre
- Ferran Jean
- Poussard Jean-Marie
- Lavagne Théodore
- Orlandil Ignace
- Rogliani Marius,

Ces premiers colons seront suivis par beaucoup d'autres parmi lesquels nous relevons notamment les noms de :

- Privat Joseph, Antoine, né le 10 mars 1837 à La Bastide en Aveyron, marié, sans enfant, il est en Algérie depuis 1875. Le 30 avril 1879, il obtient le lot urbain n° 177.
- Verny Joseph est arrivé en Algérie en 1860, c'est un ancien militaire, il habite à Tizi-Ouzou depuis 1862. Marié, deux enfants, il obtient le 30 avril 1879, le lot urbain n° 298.
- Branche Alexandre né à Randan, Puy de Dôme, le 17 août 1827 époux de Panin Madeleine avec leur fils Eloi, 22 ans. Viennent de Randan, Puy-de-Dôme, obtient un lot urbain de 6 ares 63 centiares, prise de possession le 10 février 1880.
- Alibert Jean né à Montauban, Tarn et Garonne en 1826 ; lot urbain n° 110 et un lot rural n° 104 bis.
- Brau Paul titre du 23 février 1864 ; lot à bâtir de 5 ares 67 centiares n° 82.
- Brau Guillaume et son épouse Marie Rouyaroux, lot rural n° 41 de 13 hectares 22 ares 80 centiares, lot rural n° 126 de 2 hectares 5 ares 70 centiares

Ces deux lots seront cédés à Barthet Joseph.

- Tête Lucien né à Saint Laurent sur Gorre, Haute Vienne, lot urbain n° 141 : 6 ares 30 centiares, lot rural n° 50 : 31 ha 6 ares 10 centiares.
- Bovis Jean-Baptiste, lot urbain n° 122 : 6 ares 60 centiares, lot rural n° 117 : 26 ha 62 ares 50 centiares.
- Boyer André né à Saint-Germain, Puy de Dôme, lot urbain n° 215 : 6 ares, lot rural n° 54 : 24 ha 98 ares 60 centiares.
- Bouvier Charles né en 1819 à Sarville dans la Meurthe .
- Antoine Georges né à Echery, Haut- Rhin.
- Bouland Antoine né à Beaudreville, Eure et Loire.
- Bot François Louis né à Villefranche de Lauragais le 21.02.1848.

Une famille de colons raconte les événements de Tizi-Ouzou

Fils d'Augustin Thibaut, Edouard, Auguste, Hippolyte Thibaut a servi en Algérie comme capitaine. Séduit par la beauté du pays il y revient en 1849 avec son épouse, née Rose Mazet et sa fille Marie âgée de six mois. La traversée de la Méditerranée effectuée en voilier, ils débarquent à Alger. Ils parcourent à cheval les cent quatre kilomètres qui séparent Alger de Tizi- Ouzou, où ils ne trouvent qu'un douar accroché au flanc du djebel Belloua. La forêt est toute proche. Les incursions de bêtes sauvages sont nombreuses. Une panthère attirée par l'odeur d'un jambon qui séchait sur une fenêtre est mise en fuite par Rose Thibaut. Edouard Thibaut, attendra jusqu'en juillet 1858, pour voir son nom figurer sur un état nominatif des colons susceptibles de recevoir un lot de culture de 4 hectares. Il devra encore attendre jusqu'au 14 septembre 1859 pour que son nom soit porté sur l'état de lotissement dressé par M. Tharaud, chef du service topographique.

Il obtient enfin :
- un lot à bâtir n° 35 de 6 ares 15 centiares,
- un lot de culture n° 37 de 4 ha 99 ares 60 centiares,
soit au total : 5 hectares 5 ares 75 centiares.

Le lot à bâtir est situé à l'entrée de Tizi, près de la porte d'Alger. Le lot de culture n° 37 est desservi par le chemin dit " du camp " et par une autre voie désignée sur la carte par " triq Bourkar ".

Pendant plus de dix ans Edouard Thibaut exercera le métier de boulanger épicier.

Née en 1896, madame Gilberte Molinart a rédigé en 1988, un témoignage sur l'insurrection de 1871, inspiré par les récits recueillis au cours des conversations de ses ancêtres et de leurs amis,premiers colons de Tizi- Ouzou.

A la tombée d'un jour d'avril, sa grand-mère, Mme Marie Lefèvre, fille d'Edouard et de Rose Thibaut, voit arriver furtivement un Kabyle qu'elle avait jadis soigné : " Madame, il va y avoir la révolte, monte vite te réfugier au fort, soussem ! (tais-toi ! ) ". Là, elle retrouva la population européenne. Les familles s'y installèrent comme elles purent. Toute la nuit, les incendies illuminaient le ciel, les bruits de la révolte arrivaient aux oreilles des réfugiés. Son mari, Constant Lefèvre, officier des Eaux et Forêts en tournée dans les cantonnements de la circonscription ne pourra la rejoindre que le lendemain. Il est indemne, mais tous les gardes des environs de Tizi-Ouzou ont été massacrés. A son arrivée les assiégés lui annoncent l'incendie de sa maison ;

Qu'importe, répondit-il en riant, j'ai la clef dans la poche. Le siège dura longtemps. Beaucoup de défenseurs devaient y laisser la vie. Parmi les blessés, Marie Lefèvre et sa soeur Constance. Les vivres s'épuisaient, l'eau surtout fut rationnée, les chevaux et les mulets manquaient de nourriture. " Les jours passaient et les secours n'arrivaient pas. Le désespoir gagnait les assiégés, les rations étaient réduites au minimum, puis à rien ".
Il fut décidé à l'unanimité d'attendre un jour encore et, si les secours n'arrivaient pas, de faire sauter le fort avec ses occupants. Ils y vivaient depuis quarante jours.

Le guet était effectué sur les remparts. Le 12 mai 1871, le jour baissait, le guetteur en faction aperçut, à l'horizon un nuage de poussière. Un mirage pensa-t-il ! dû à ma grande fatigue. Le nuage avançait rapidement. Bientôt des coups de feu, des cris. Un important renfort arrivait d'Alger. La délivrance avec ! Tous les assiégés, maintenant rassurés, se portèrent aux remparts, aux meurtrières. Quelle joie délirante, des embrassades des pleurs !

La paix retrouvée, chacun regagna sa maison plus ou moins endommagée ou complètement détruite, les magasins pillés, dévastés. Très longtemps après on retrouvait dans les douars, des objets ménagers disparus durant la révolte. En dépit des souffrances endurées durant le blocus, la confiance revint ; blessée lors du siège, Mme Marie Lefèvre met au monde en 1873, une fille prénommée Rose. Chaque année, à Tizi-Ouzou, on commémorait les journées des 11 et 12 mai. Réunie autour des drapeaux des associations de vétérans, la population se rassemblait au cimetière, devant le cénotaphe, dressé au fond de l'allée centrale, puis à l'église où, durant la messe, étaient cités les noms des victimes associés à ceux du commandant Boyer de Rebeval et du lieutenant Pierre Versini, leurs frères d'armes morts en 1857. En évoquant le souvenir de ce siège de Tizi-Ouzou, on songe à la somme de privations, de souffrances, de ruines et de désespoirs de ceux qui reposent dans ce cimetière.

La protection de Bou-Khalfa

etat nominatif des colons

Jusqu'aux environs de 1890, la sécurité des populations demeure une des principales préoccupations des autorités tant civiles que militaires. Par lettre du 30 janvier 1889, adressée au préfet d'Alger, M. Vitalis sous-préfet déclare :
" En raison de son territoire très réduit et du petit nombre de ses habittants, il est regrettable que le hameau de Bou-Khalta ne puisse poursuivre son agrandissement. Comme le dit M. le maire, ce centre se trouve dans des conditions toutes spéciales puisqu'au point de vue de la colonisation, il dépend exclusivement de la société de protection des Alsaciens-Lorrains.
y a donc lieu de ne se préoccuper que de ses moyens de défense, qui devront consister d'après la lettre ci- jointe de M. le maire de Tizi-Ouzou en un réduit défensif édifié sur le plaeau qui domine le village et entourera l'église "
.

Cette lettre du sous-préfet, entraîne aussitôt une réponse négative rédigée le 12 mars 1889 par M. Dandrade du troisième bureau du Gouvernement Général.

" Tizi-Ouzou-Bou-Khalfa, ne doit pas être considéré comme un centre qui périclite, sa population augmente au contraire de jour en jour, dans des proportions très sensibles. Quant à la construction d'une redoute défensive à Bou-Khalfa, préconisée par le maire, elle ne me parait pas plus justifiée qu'à vous.
Ce centre n'est situé qu'à une faible distance de Tizi-Ouzou, où il existe un fort et une garnison et où les colons de tous les environs, trouveront un abri sûr en cas de danger.
D'ailleurs le centre de Bou-Khalfa est entièrement dominé par le Belloua, la défense de ce village serait dès lors très difficile à organiser. En cas d'insurrection, les habitants de ce centre auront tout avantage à se replier sur Tizi- Ouzou "
.

Etat de population au 14 décembre 1888

Centres
Nombre de feux
Population
Travaux à effectuer
Tizi-Ouzou Bou-Khalfa
408
1322
Pas de travaux
Bou-Khalfa-Guynemer
48
125
Réduit défensif à construire

Coût du réduit défensif à construire autour de l'église de Bou-Khalfa : 14 000 francs

Bou-Khalfa-Guynemer

Non loin du Sebaou, serpentant à ses pieds
Comme une nymphe en pleurs qui laisserait sur l'onde,
Flotter en vagues d'or, sa chevelure blonde,
De la plaine de Bou-Khalfa à Fort-National,
Qui brille chaque nuit comme un lointain fanal.

Docteur Ferdinand Huchard Ancien maire de Tizi-Ouzou.

alsaciens_lorrains.

Rattaché à la commune de Tizi- Ouzou, ce hameau est situé dans la vallée du Sebaou, en contrebas du djebel Belloua, après Mirabeau et à quatre kilomètres du centre.

C'est sur la concession de M. Jean Dolfuss de Mulhouse, que s'installent vers 1871, neuf familles d'Alsaciens-Lorrains. En raison des redoutables difficultés qu'elles rencontrent sur des terrains marécageux, M. Dolfuss confie à la Société de protection des Alsaciens-L.orrains le soin d'implanter de nouveaux concession naires. La société a construit vingt et une maisons.

Vingt-cinq familles tentèrent successivement de s'y installer .

Parmi les derniers Alsaciens- Lorrains installés à Bou-Khalfa, relevons l'acte passé le 28 juillet 1884, devant Me Brice, notaire à Alger. Par cet acte la Société de protection des Alsaciens-Lorrains demeurés français, accorde des concessions à :
- Abraham Adam et à Eve Huckeltubler, son épouse.
- Antoine Koehl et à ses enfants.

En mémoire des habitants de Bou-Khalfa

Malgré les considérables difficultés du terrain, les colons parvinrent à assécher les marécages. Cependant décimés par les fièvres, nombreux seront ceux, qui dès le remboursement de leurs dettes revendront leur lot. Vers 1886, il ne restait plus à Bou-Khalfa que quatre familles d'Alsaciens-Lorrains. En 1901, toujours rattaché à Tizi-Ouzou, le village est administré par M. Hygonnet, adjoint conseiller municipal. Le crieur public est M. Rooz, le garde champêtre, M. Brossard.

Bou-Khalfa possède un café-restaurant tenu par M. Vix et quelques agriculteurs et viticulteurs ; Mme Vve Bertrand, Mme Vve Houtmann, MM. Hurtiger, Hygonnet, Kieffer, Kuntz, Lemoine, Martin, Salzmann, Vix.

Par décret du 28 janvier 1917, le nom de Guynemer, sera associé au nom arabe de Bou-Khalfa. Chassés de leurs villages parce qu'ils voulaient demeurer français, ces Alsaciens- Lorrains ont usé leurs forces dans les méandres du Sébaou. Plus personne aujourd'hui ne se souvient d'eux.

Aussi, afin de rappeler leur souvenir, emprunterons-nous au Dr Ferdinand Huchard, maire de Tizi-Ouzou quelques alexandrins. En effet dès 1908, ce magistrat municipal leur ménageait sur le mode plaisant et spirituel une petite place à côté de tous ceux qui ont fait cette Kabylie.

Non loin de Mirabeau, de Camp du Maréchal,
Où l'on entend la nuit, plus qu'ailleurs le chacal,
Siffler ses sons aigus en courant sur les routes,
Où l'attire dit-on le fumet des choucroutes ".

Par la suite, la Kabylie et Tizi- Ouzou, sortent de la rebellion. La ville met un terme à son isolement. Elle va prendre son essor.

La Kabylie sans perdre son âme et sa personnalité, sans abandonner sa langue le "tamerghiz " ou " tamazirt " ou encore "tamazigh " ses assemblées de sages, ses djemaâ ", s'engage à fond sur la voie de la modernisation et de l'ouverture culturelle et économique. Profondément attachés à leurs montagnes, les Kabyles considèrent qu'après l'affrontement, ils peuvent désormais travailler leurs terres et nouer des relations d'affaires avec les commerçants et artisans installés entre bordj et douar. Mettant à profit l'enseignement du français, un tissu d'échanges s'instaure dans l'intérêt commun. Les Kabyles adoptent et maîtrisent aisément notre langue, ils trouvent à cette époque dans notre alphabet l'écriture qu'ils n'ont pas dans le " tamerghiz" leur idiome berbère.

(à suivre) Edgar SCOTTI
note du site : pas de suite. Je n'ai pas le n° suivant.

Références bibliographiques

L. Mélia, La ville blanche Alger et son département, Paris Typographie Plon, 8, rue Garancière, 1939.
A. Ibazizen, Le pont de Bereq'Mouch, 1979 La table ronde.
Les archives d'outre-mer Aix -en-Provence.
Le petit Kabyle, publication hebdomadaire, fondée en 1885.
Le récit de l'insurrection de 1871, par Mme Gilberte Molinard.
Le livre d'or du Centenaire de l'Algérie, confié par M. Courtin.
La documentation et les conseils de M. T. Bignand.
Le recensement du 31 octobre 1948.
L'oeuvre agricole française en Algérie, 1830-1962, 430 pages,ouvrage rédigé par les anciens élèves des écoles d'agriculture d'Algérie, éditions de l'Atlanthrope, Versailles 1990.
Généalogie, Algérie, Maroc, Tunisie, antenne de Nice pour la liste des Alsaciens-Lorrains demeurés français, établis à Boukhalfa.
La documentation et les souvenirs de M. Louis Salcédo. La documentation et les souvenirs de M. Louis Hassen. La documentation et les souvenirs de M. Jean Chabrol. Les conseils du Docteur Raymond Féry.
La documentation de M. Martial Pons.

Iconographie
Cartes postales de la collection du Dr Georges Duboucher.
Cartes postales de la collection de l'auteur.
Cartes postales de la collection de M. Paul Teisseire.
Cartes postales de la collection de M. Francis Curtes.

Edgar Scotti, prépare actuellement un texte sur Bizerte et son lac, des Phéniciens à nos jours. Il serait particulièrement intéressé par des témoignages sur des personnages ou des événements importants survenus à Bizerte et sa région durant la période de 1881 à 1954. Prière de ne pas envoyer de documents originaux, mais des photocopies ou des copies de photos, cartes ou cartes postales. Les noms des collectionneurs ou des détenteurs de ces documents figureront, dans les références bibliographiques.