L'aspect de la ville
de Médéa est celui
d'une petite ville provinciale sans immeubles élevés, sans
larges avenues, sans théâtre, sans musée, sans autres
monuments que deux monuments aux morts des plus banals (dédiés
aux soldats morts lors de la conquête et à ceux de 14-18)
et que les portes de Lodi.
Le centre de la ville où j'ai vécu
était la place de la République avec à l'est l'église
et la librairie Colignon dont la vitrine exposait des plaquettes de timbres
susceptibles de faire éclore des vocations de philatéliste.
Au sud se trouvait une façade latérale de la mairie, au
nord des immeubles d'habitation et un hôtel, à l'est la rue
Gambetta (ou de l'hôtel de ville) qui descendait tout droit vers
la vieille ville. Dans le coin nord-ouest la boulangerie Bosc faisait
face à un modeste kiosque à journaux. C'est là que
vers 1960 fut installé le seul feu rouge de la ville. Monsieur
Bosc possédait aussi, en 1945, la seule salle équipée
pour présenter des films de cinéma. Et au milieu de la place
le passant pouvait admirer un kiosque à musique à l'architecture
soignée, ou fréquenter les toilettes de son sous-sol. Ce
kiosque est un peu l'emblème de Médéa pour les habitants
de l'époque et pour ses rares visiteurs qui longeaient la place
en arrivant d'Alger ou du sud.
Ce Médéa du XXè siècle
avait le plan en damier classique de tous les centres de colonisation.
La croissance de la ville se dirigeait surtout vers le nord avec le quartier
de villas du Nador limité, en haut, par la voie ferrée.
Il y avait aussi quelques constructions des années 1920/1930 le
long de la route d'Alger, mais sans atteindre la gare. C'est là
qu'à la fin des années 1950 furent bâtis quelques
immeubles de type HLM de la ville, à l'emplacement d'un ancien
champs de manuvres.
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La rue au nord de la place
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Le haut de la rue Gambetta
avec la même boulangerie Bosc à gauche et la place
à droite à 30 ou 40 ans d'intervalle
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Médéa : vue générale
en 1960
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La place d'armes
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Ce qui se remarque le plus, sur une vue aérienne,
c'est l'étendue des casernes du quartier Camou qui est presque aussi
grande que l'ensemble de la vieille ville établie
entre lui et la place d'armes qui fut le cur de la ville française
jusque vers 1900.
Les murailles entourant le mini oppidum sur lequel ont été
construits tous ces bâtiments militaires ont été préservées
par la France : partout ailleurs elles ont été démolies,
ainsi que les 5 portes qui fermaient la ville. Au pied des murailles, à
l'est, une large esplanade boisée sépare les casernes et les
maisons de la vieille ville.
En vérité, peu de maisons du Médéa d'avant 1840
ont dû être sauvegardées. On en a beaucoup détruit
; seules furent maintenus le tracé peu ordonné, l'étroitesse
des rues, le palais du bey et les lieux de culte nombreux qui valaient à
Médéa une réputation de ville Sainte.
Quand on arrivait d'Alger on ne voyait la
ville que quand on y entrait ; par contre si l'on passait par Lodi, alors
apparaissaient de loin, en 1963 du moins (voir photo ci-dessous) les nouveaux
immeubles et surtout le plateau en pente des casernes, et ses murailles.
En 1963 une partie des portes de Lodi avaient été démolies.
Je ne connais pas la raison officielle de cette destruction. On peut en
imaginer deux : faciliter la circulation (pourtant bien faible sur cette
RN 18) ou s'épargner de coûteux travaux de consolidation
d'un aqueduc inutile et devenu dangereux car menacé de ruine naturelle.
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Depuis la route de Lodi
on voit bien la citadelle
mais pas l'ancienne ville qui est cachée derrière.
On voit aussi combien le paysage est verdoyant. Rien n'indique que
l'on se trouve en Afrique plutôt qu'en Europe. |
La desserte de Médéa
par des services de transports publics
Médéa est à 91km d'Alger.
En 1840 il n'existait aucune route carrossable. La première route,
construite en 1842/1843 sous la conduite des officiers du Génie,
commence par remonter les gorges de la Chiffa. Je suppose qu'elle a été
aussitôt parcourue par des pataches et autres corricolos à
large coffre. Ces véhicules lents à traction animale ont
été doublés, à partir de 1892 par les trains
d'une ligne de chemin de fer qualifiée de pénétrante,
bien qu'elle ne pénétrât pas très loin. La
route et le rail n'avaient en commun que le tronçon remontant les
gorges de la Chiffa jusqu'à son confluent avec l'oued Mouzaïa.
Le chemin de fer
est l'amorce d'une ligne inscrite dans le programme de 1879
pour aller jusqu'à Laghouat, au Sahara, mais qui ne fut jamais
terminée. Il s'agit d'une ligne à voie étroite (de
1,055m) qui part de la gare de Blida, sur la voie normale Alger-Oran.
Elle fut construite à l'économie avec des rampes de 25mm,
des courbes de 120 m de rayon et des rails légers de 25kg/m. Le
relief, très difficile, explique ces choix techniques ainsi que
le grand nombre de tunnels, surtout dans les gorges de la Chiffa ; mais
pas seulement. Après la vallée de la Chiffa, le rail remonte,
sur 7km, la vallée de l'oued Mouzaïa, avant de tourner sur
sa gauche pour grimper jusqu'à Lodi. La gare de Médéa
est à 927m d'altitude. On qualifie parfois ce tronçon sinueux
et difficile de " ligne alpine " avec un brin d'exagération
car aucune tunnel ne dépasse les 1000m de long.
La compagnie de l'Ouest-Algérien, à laquelle la loi du 31
juillet 1886 avait confié la construction du tronçon Blida-Berrouaghia
(83km), remplit ses engagements, mais n'alla pas plus loi, car il s'avéra,
dès le début, que le trafic resterait faible. et que l'exploitation
en serait lourdement déficitaire. Elle utilisa 9 locomotives à
vapeur construites à Belfort, qui ne furent remplacées qu'à
partir de 1910, quand la voie dépassa Berrouaghia.
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Cette locomotive s'appelle
Médéa.
C'était bien le moindre des hommages à lui rendre que
de placer ici sa photo. Elle a bien mérité cet hommage
car elle fut l'une des 9 locomotives qui, 18 ans durant, assurèrent
la totalité du service de la section Blida-Médéa-Berroughia.
Elle portait le numéro 4.
La formule de l'essieu est 1 3 0 |
Peut-être qu'en 1892 le train était
moins lent qu'une patache pour aller à Alger malgré la nécessité
de changer de train à Blida. Après 1920 l'autobus, direct,
fut plus commode et plus rapide.
Les autobus que
j'ai connus appartenaient à la société
des auto-cars blidéens la bien nommée car son
dépôt principal était à Blida, à gauche
en sortant de la ville vers Alger. Auparavant il y aurait eu des services
des sociétés Delaunay et Boukamel ; mais je ne sais rien
de précis. Dès les années 1930 et jusqu'en 1962 le
transporteur fut assurément la société de Blida qui
fut nationalisée après l'indépendance. Elle assurait
les liaisons Alger-Djelfa et Alger-Tiaret.
Pendant la guerre elle avait équipé ses véhicules
de gazogènes ; après 1945 elle acheta aux établissement
Chausson d'Argenteuil des véhicules modernes qu'elle fit peindre
en rouge. Il y avait d'Alger à Médéa, au moins deux
services quotidiens ayant leur terminus dans cette ville. Mais beaucoup
d'autres bus de la même compagnie y faisaient un arrêt malgré
l'obligation de prévoir un léger détour : ceux qui
avaient leur terminus à Berrouaghia, ou Boghari, ou Aïn-Boucif
ou Djelfa.
On pouvait aussi apercevoir en ville, près du garage Berliet de
la rue Charpenay, les petits véhicules Renault de la
SATT (société algérienne des transports
tropicaux) qui traversaient tout le Sahara jusqu'au Niger, au Tchad et
même au Nigeria anglais. Je doute que des Lemdani aient choisi cette
ligne qui n'avait que deux arrêts obligatoires, Boghari pour le
déjeuner et Laghouat pour le coucher.
Les cars empruntaient la route des gorges
de la Chiffa, parallèlement à la voie ferrée, jusqu'au
confluent de l'oued Mouzaïa. Ensuite la route et le rail se séparaient.
La route suivait alors, sur 4km, la vallée de l'oued Si Ali, puis
au prix de deux lacets très serrés, montait jusqu'au col,
à peine visible qui, à 998m, permettait de redescendre vers
Médéa.
J'ai été surpris de ne trouver
aucune trace de lignes d'autocars vers les villages des environs ou vers
Affrevlle. Donc, apparemment, pas de lignes de bus en correspondance avec
les trains.
Deux natifs de Médéa
ont accédé à la célébrité
Ils sont du moins devenus assez illustres pour que l'on puisse lire le
nom de l'un dans le petit Larousse, et le nom de l'autre au fronton du
lycée de Médéa
C'est Jean Richepin
qui est dans le Larousse.
Il est né à Médéa
le 4 février 1849, tout à fait par hasard. Son père
était un médecin militaire alors en garnison à Médéa
; je présume qu'il n'a pas dû vivre assez longtemps dans
le Titteri pour en garder quelque souvenir que ce soit.
Il a fait, sans les terminer, de brillantes études : brillantes
car il intégra l'Ecole Normale Supérieure de la rue d'Ulm,
inachevées car il se contenta d'une licence ès-lettres et
renonça à présenter l'agrégation qui met fin,
habituellement, au cursus scolaire d'un normalien.
Ce que j'ai pu apprendre de sa longue vie (il meurt à 77 ans, un
bel âge pour l'époque) me laisse imaginer que ce costaud
capable de se faire embaucher comme docker, fut une tête brûlée,
peu soucieux du respect des convenances et du qu'en dira-t-on ; et même
un peu provocateur. Avec cela bon écrivain qui a droit à
quelques lignes dans les histoires de la Littérature Française
; on y mentionne ses poésies, son théâtre, ses romans.
Il fut aussi acteur peu de temps. Il vagabonda pas mal en France, en Europe
et en Afrique du nord en exerçant toutes sortes de métiers
pour vivre, professeur à Paris, docker à Naples. Je ne sais
pas si, au cours de ces pérégrinations, il a jamais remis
les pieds à Médéa. Mais peu importe, il y est né,
et c'est bien la seule et bonne raison qui motive sa présence sur
ce site.
En 1868
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il est reçu au concours de "
Normale Sup " à 19 ans : c'est jeune |
En 1870
|
il obtient une licence ès-lettres
au bout de 2 ans : c'est rapide.
Puis il quitte l'école pour s'engager dans les corps francs
lors de la guerre contre la Prusse. C'est courageux, voire téméraire
car la Prusse juge ces combattants illégitimes |
De 1870 à 1875
|
il vagabonde en France et
en Europe ; c'est inhabituel |
En 1875
|
il s'établit au quartier latin
où il mène une vie turbulente mais féconde |
En 1876
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il publie son poème le plus connu, "
la chanson des gueux " ; ce qui lui vaut dans l'immédiat
500 francs d'amende pour outrage aux bonnes murs et beaucoup
plus tard son entrée à l'Académie française
|
En 1897 |
sa pièce "
Le chemineau " rencontre le succès au théâtre |
En 1908 |
il est élu à
l'Académie Française, au fauteuil d'André Theuriet,
qui porte le numéro 2 |
En 1918 |
il y est chargé
de prononcer le discours d'accueil du Maréchal Joffre |
En 1926 |
il meurt à Paris
le 12 décembre ; mais il est inhumé en Bretagne, pays
de ses ancêtres. |
C'est Mohamed Ben
Cheneb dont le nom a été donné au collège
de Médéa en 1929 ou 1930.
Ce collège devint lycée beaucoup
plus tard, vers 1940 et fut le seul lycée de tout le Titteri français.
Ce Lemdani véritable est né
en octobre1869 dans une famille de propriétaires fonciers aisés
de la région. Il fut sûrement un bon élève
à l'école primaire, puis au tout nouveau collège
de Médéa. Il présenta le concours d'entrée
à l'école normale d'Alger dans la section indigène
et fut reçu..
En 1886
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il entre à l'école normale
d'Alger, à 17 ans : c'est assez jeune pour quelqu'un qui n'a
pas le Français comme langue maternelle |
En 1888
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il est nommé instituteur dans
une école du bled près de Médéa.
Comme la classe normale, destinée à parfaire la formation
destinée aux musulmans existait déjà je trouve
cette formation de 2 ans seulement bien courte. Est-ce une erreur
de date ou la reconnaissance de mérites au-dessus du commun
? je l'ignore. |
En 1892 |
il est nommé à
Alger. C'est cette fois-ci une nomination en ville si rapide qu'elle
suppose effectivement des mérites hors du commun. Cela lui
permet de fréquenter ce qui va devenir 10 ans plus tard l'université
d'Alger. Il suit d'abord les cours alors dispensés sur les
" Lettres arabes ", mais il s'intéresse aussi à
d'autres langues et au droit musulman |
En 1898 |
il est nommé professeur
d'Arabe et de Fiqh (droit musulman) à la Médersa de
Constantine |
En 1901 |
il est nommé professeur
à la Médersa Et Thalabiya d'Alger ; il y enseignera
23 ans |
En 1908 |
il est nommé conférencier
à la Faculté de Lettres de l'Université |
En 1920 |
il soutient avec succès
une thèse de doctorat ès-lettres sur un poète
abasside, avec comme thèse annexe des considérations
linguistiques sur les emprunts de l'arabe algérien aux lexiques
turc et persan |
En 1924 |
il est le premier professeur
musulman nommé à l'Université d'Alger. La même
année il est élu membre de l'Académie des Sciences
Coloniales de Paris |
En 1929 |
il meurt de maladie le
5 février |
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