Géographie de l'Afrique du nord
Le Titteri des Français
1830-1962
DEUXIEME PARTIE : LES LOCALITES
A/ LES CHEFS-LIEUXD'ARRONDISSEMENT DE LA RN 1
MÉDÉA - partie 2
Documents et textes : Georges Bouchet
mise sur site le 11-3-2009

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L'aspect de la ville de Médéa est celui d'une petite ville provinciale sans immeubles élevés, sans larges avenues, sans théâtre, sans musée, sans autres monuments que deux monuments aux morts des plus banals (dédiés aux soldats morts lors de la conquête et à ceux de 14-18) et que les portes de Lodi.

Le centre de la ville où j'ai vécu était la place de la République avec à l'est l'église et la librairie Colignon dont la vitrine exposait des plaquettes de timbres susceptibles de faire éclore des vocations de philatéliste. Au sud se trouvait une façade latérale de la mairie, au nord des immeubles d'habitation et un hôtel, à l'est la rue Gambetta (ou de l'hôtel de ville) qui descendait tout droit vers la vieille ville. Dans le coin nord-ouest la boulangerie Bosc faisait face à un modeste kiosque à journaux. C'est là que vers 1960 fut installé le seul feu rouge de la ville. Monsieur Bosc possédait aussi, en 1945, la seule salle équipée pour présenter des films de cinéma. Et au milieu de la place le passant pouvait admirer un kiosque à musique à l'architecture soignée, ou fréquenter les toilettes de son sous-sol. Ce kiosque est un peu l'emblème de Médéa pour les habitants de l'époque et pour ses rares visiteurs qui longeaient la place en arrivant d'Alger ou du sud.

Ce Médéa du XXè siècle avait le plan en damier classique de tous les centres de colonisation. La croissance de la ville se dirigeait surtout vers le nord avec le quartier de villas du Nador limité, en haut, par la voie ferrée. Il y avait aussi quelques constructions des années 1920/1930 le long de la route d'Alger, mais sans atteindre la gare. C'est là qu'à la fin des années 1950 furent bâtis quelques immeubles de type HLM de la ville, à l'emplacement d'un ancien champs de manœuvres.


Le kiosque à musique



Le kiosque à musique
La rue au nord de la place

La rue au nord de la place

 

Le haut de la rue Gambetta avec la même boulangerie Bosc à gauche et la place à droite à 30 ou 40 ans d'intervalle
Le haut de la rue Gambetta avec la même boulangerie Bosc à gauche et la place à droite à 30 ou 40 ans d'intervalle
Le haut de la rue Gambetta avec la même boulangerie Bosc à gauche et la place à droite à 30 ou 40 ans d'intervalle


Médéa : vue générale en 1960
Médéa : vue générale en 1960

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La place d'armes
La place d'armes
Ce qui se remarque le plus, sur une vue aérienne, c'est l'étendue des casernes du quartier Camou qui est presque aussi grande que l'ensemble de la vieille ville établie entre lui et la place d'armes qui fut le cœur de la ville française jusque vers 1900.

Les murailles entourant le mini oppidum sur lequel ont été construits tous ces bâtiments militaires ont été préservées par la France : partout ailleurs elles ont été démolies, ainsi que les 5 portes qui fermaient la ville. Au pied des murailles, à l'est, une large esplanade boisée sépare les casernes et les maisons de la vieille ville.

En vérité, peu de maisons du Médéa d'avant 1840 ont dû être sauvegardées. On en a beaucoup détruit ; seules furent maintenus le tracé peu ordonné, l'étroitesse des rues, le palais du bey et les lieux de culte nombreux qui valaient à Médéa une réputation de ville Sainte.

Quand on arrivait d'Alger on ne voyait la ville que quand on y entrait ; par contre si l'on passait par Lodi, alors apparaissaient de loin, en 1963 du moins (voir photo ci-dessous) les nouveaux immeubles et surtout le plateau en pente des casernes, et ses murailles. En 1963 une partie des portes de Lodi avaient été démolies. Je ne connais pas la raison officielle de cette destruction. On peut en imaginer deux : faciliter la circulation (pourtant bien faible sur cette RN 18) ou s'épargner de coûteux travaux de consolidation d'un aqueduc inutile et devenu dangereux car menacé de ruine naturelle.

les casernes
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Depuis la route de Lodi on voit bien la citadelle
mais pas l'ancienne ville qui est cachée derrière.

On voit aussi combien le paysage est verdoyant. Rien n'indique que l'on se trouve en Afrique plutôt qu'en Europe.

La desserte de Médéa par des services de transports publics

Médéa est à 91km d'Alger.

En 1840 il n'existait aucune route carrossable. La première route, construite en 1842/1843 sous la conduite des officiers du Génie, commence par remonter les gorges de la Chiffa. Je suppose qu'elle a été aussitôt parcourue par des pataches et autres corricolos à large coffre. Ces véhicules lents à traction animale ont été doublés, à partir de 1892 par les trains d'une ligne de chemin de fer qualifiée de pénétrante, bien qu'elle ne pénétrât pas très loin. La route et le rail n'avaient en commun que le tronçon remontant les gorges de la Chiffa jusqu'à son confluent avec l'oued Mouzaïa.

Le chemin de fer est l'amorce d'une ligne inscrite dans le programme de 1879 pour aller jusqu'à Laghouat, au Sahara, mais qui ne fut jamais terminée. Il s'agit d'une ligne à voie étroite (de 1,055m) qui part de la gare de Blida, sur la voie normale Alger-Oran. Elle fut construite à l'économie avec des rampes de 25mm, des courbes de 120 m de rayon et des rails légers de 25kg/m. Le relief, très difficile, explique ces choix techniques ainsi que le grand nombre de tunnels, surtout dans les gorges de la Chiffa ; mais pas seulement. Après la vallée de la Chiffa, le rail remonte, sur 7km, la vallée de l'oued Mouzaïa, avant de tourner sur sa gauche pour grimper jusqu'à Lodi. La gare de Médéa est à 927m d'altitude. On qualifie parfois ce tronçon sinueux et difficile de " ligne alpine " avec un brin d'exagération car aucune tunnel ne dépasse les 1000m de long.

La compagnie de l'Ouest-Algérien, à laquelle la loi du 31 juillet 1886 avait confié la construction du tronçon Blida-Berrouaghia (83km), remplit ses engagements, mais n'alla pas plus loi, car il s'avéra, dès le début, que le trafic resterait faible. et que l'exploitation en serait lourdement déficitaire. Elle utilisa 9 locomotives à vapeur construites à Belfort, qui ne furent remplacées qu'à partir de 1910, quand la voie dépassa Berrouaghia.

Cette locomotive s'appelle Médéa.
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Cette locomotive s'appelle Médéa.
C'était bien le moindre des hommages à lui rendre que de placer ici sa photo. Elle a bien mérité cet hommage car elle fut l'une des 9 locomotives qui, 18 ans durant, assurèrent la totalité du service de la section Blida-Médéa-Berroughia. Elle portait le numéro 4.

La formule de l'essieu est 1 3 0

Peut-être qu'en 1892 le train était moins lent qu'une patache pour aller à Alger malgré la nécessité de changer de train à Blida. Après 1920 l'autobus, direct, fut plus commode et plus rapide.

Les autobus que j'ai connus appartenaient à la société des auto-cars blidéens la bien nommée car son dépôt principal était à Blida, à gauche en sortant de la ville vers Alger. Auparavant il y aurait eu des services des sociétés Delaunay et Boukamel ; mais je ne sais rien de précis. Dès les années 1930 et jusqu'en 1962 le transporteur fut assurément la société de Blida qui fut nationalisée après l'indépendance. Elle assurait les liaisons Alger-Djelfa et Alger-Tiaret.

Pendant la guerre elle avait équipé ses véhicules de gazogènes ; après 1945 elle acheta aux établissement Chausson d'Argenteuil des véhicules modernes qu'elle fit peindre en rouge. Il y avait d'Alger à Médéa, au moins deux services quotidiens ayant leur terminus dans cette ville. Mais beaucoup d'autres bus de la même compagnie y faisaient un arrêt malgré l'obligation de prévoir un léger détour : ceux qui avaient leur terminus à Berrouaghia, ou Boghari, ou Aïn-Boucif ou Djelfa.

On pouvait aussi apercevoir en ville, près du garage Berliet de la rue Charpenay, les petits véhicules Renault de la SATT (société algérienne des transports tropicaux) qui traversaient tout le Sahara jusqu'au Niger, au Tchad et même au Nigeria anglais. Je doute que des Lemdani aient choisi cette ligne qui n'avait que deux arrêts obligatoires, Boghari pour le déjeuner et Laghouat pour le coucher.

Les cars empruntaient la route des gorges de la Chiffa, parallèlement à la voie ferrée, jusqu'au confluent de l'oued Mouzaïa. Ensuite la route et le rail se séparaient. La route suivait alors, sur 4km, la vallée de l'oued Si Ali, puis au prix de deux lacets très serrés, montait jusqu'au col, à peine visible qui, à 998m, permettait de redescendre vers Médéa.

J'ai été surpris de ne trouver aucune trace de lignes d'autocars vers les villages des environs ou vers Affrevlle. Donc, apparemment, pas de lignes de bus en correspondance avec les trains.

Deux natifs de Médéa ont accédé à la célébrité
Ils sont du moins devenus assez illustres pour que l'on puisse lire le nom de l'un dans le petit Larousse, et le nom de l'autre au fronton du lycée de Médéa

C'est Jean Richepin qui est dans le Larousse.

Jean Richepin

Il est né à Médéa le 4 février 1849, tout à fait par hasard. Son père était un médecin militaire alors en garnison à Médéa ; je présume qu'il n'a pas dû vivre assez longtemps dans le Titteri pour en garder quelque souvenir que ce soit.

Il a fait, sans les terminer, de brillantes études : brillantes car il intégra l'Ecole Normale Supérieure de la rue d'Ulm, inachevées car il se contenta d'une licence ès-lettres et renonça à présenter l'agrégation qui met fin, habituellement, au cursus scolaire d'un normalien.

Ce que j'ai pu apprendre de sa longue vie (il meurt à 77 ans, un bel âge pour l'époque) me laisse imaginer que ce costaud capable de se faire embaucher comme docker, fut une tête brûlée, peu soucieux du respect des convenances et du qu'en dira-t-on ; et même un peu provocateur. Avec cela bon écrivain qui a droit à quelques lignes dans les histoires de la Littérature Française ; on y mentionne ses poésies, son théâtre, ses romans. Il fut aussi acteur peu de temps. Il vagabonda pas mal en France, en Europe et en Afrique du nord en exerçant toutes sortes de métiers pour vivre, professeur à Paris, docker à Naples. Je ne sais pas si, au cours de ces pérégrinations, il a jamais remis les pieds à Médéa. Mais peu importe, il y est né, et c'est bien la seule et bonne raison qui motive sa présence sur ce site.

En 1868
il est reçu au concours de " Normale Sup " à 19 ans : c'est jeune
En 1870
il obtient une licence ès-lettres au bout de 2 ans : c'est rapide.
Puis il quitte l'école pour s'engager dans les corps francs lors de la guerre contre la Prusse. C'est courageux, voire téméraire car la Prusse juge ces combattants illégitimes
De 1870 à 1875
il vagabonde en France et en Europe ; c'est inhabituel
En 1875
il s'établit au quartier latin où il mène une vie turbulente mais féconde
En 1876

il publie son poème le plus connu, " la chanson des gueux " ; ce qui lui vaut dans l'immédiat 500 francs d'amende pour outrage aux bonnes mœurs et beaucoup plus tard son entrée à l'Académie française

En 1897 sa pièce " Le chemineau " rencontre le succès au théâtre
En 1908 il est élu à l'Académie Française, au fauteuil d'André Theuriet, qui porte le numéro 2
En 1918 il y est chargé de prononcer le discours d'accueil du Maréchal Joffre
En 1926 il meurt à Paris le 12 décembre ; mais il est inhumé en Bretagne, pays de ses ancêtres.

C'est Mohamed Ben Cheneb dont le nom a été donné au collège de Médéa en 1929 ou 1930.

Mohamed Ben Cheneb

Ce collège devint lycée beaucoup plus tard, vers 1940 et fut le seul lycée de tout le Titteri français.

Ce Lemdani véritable est né en octobre1869 dans une famille de propriétaires fonciers aisés de la région. Il fut sûrement un bon élève à l'école primaire, puis au tout nouveau collège de Médéa. Il présenta le concours d'entrée à l'école normale d'Alger dans la section indigène et fut reçu..

En 1886
il entre à l'école normale d'Alger, à 17 ans : c'est assez jeune pour quelqu'un qui n'a pas le Français comme langue maternelle
En 1888
il est nommé instituteur dans une école du bled près de Médéa.
Comme la classe normale, destinée à parfaire la formation destinée aux musulmans existait déjà je trouve cette formation de 2 ans seulement bien courte. Est-ce une erreur de date ou la reconnaissance de mérites au-dessus du commun ? je l'ignore.
En 1892 il est nommé à Alger. C'est cette fois-ci une nomination en ville si rapide qu'elle suppose effectivement des mérites hors du commun. Cela lui permet de fréquenter ce qui va devenir 10 ans plus tard l'université d'Alger. Il suit d'abord les cours alors dispensés sur les " Lettres arabes ", mais il s'intéresse aussi à d'autres langues et au droit musulman
En 1898 il est nommé professeur d'Arabe et de Fiqh (droit musulman) à la Médersa de Constantine
En 1901 il est nommé professeur à la Médersa Et Thalabiya d'Alger ; il y enseignera 23 ans
En 1908 il est nommé conférencier à la Faculté de Lettres de l'Université
En 1920 il soutient avec succès une thèse de doctorat ès-lettres sur un poète abasside, avec comme thèse annexe des considérations linguistiques sur les emprunts de l'arabe algérien aux lexiques turc et persan
En 1924 il est le premier professeur musulman nommé à l'Université d'Alger. La même année il est élu membre de l'Académie des Sciences Coloniales de Paris
En 1929 il meurt de maladie le 5 février