couverture de promenade à Alger
format : 120 x 185, 12 photos,32 pages.

mise sur site le 23-04-2004...augmentée le
-Alger, une promenade à travers la cité
Charles de Galland
--------Charles de Galland est né à Douéra le 17 décembre 1851 d'un père militaire, chef de bataillon, officier de la Légion d'Honneur, blessé deux fois durant la conquête, devenu colon dans la Mitidja. Son grand père paternel était colonel de dragons, attaché au Général Poret de Morvan, commandant la lère brigade du Corps expéditionnaire d'Alger, en avant garde à Sidi Ferruch. Son grand père maternel Michel Rosetti, ler Interprète au Corps d'Armée du débarquement de Sidi Ferruch....voir suite
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Mine de rien , la mise en forme de ces pages me demande beaucoup de temps ,des heures souvent pour chacune d'entre elles . Vous désirez les copier : cela vous est facile et ne vous prend que quelques secondes, le temps de deux ou trois clics. Par respect pour ce travail, (par politesse?) seriez-vous assez aimable de m'en avertir ? Merci du fond du cœur..Je peux vous faire parvenir des documents non "tatoués"en fonction de ma disponibilité.

VUE D'ENSEMBLE

--------L'ALGÉRIE subit le sort de toutes les colonies où, fatalement, affluent des éléments de toute nature son peuplement se fait concurremment à l'aide d'éléments français et étrangers. On a souvent dressé comme un épouvantail ce que l'on a appelé le péril étranger, c'est-à-dire la submersion possible de l'élément français sous l'élément étranger et la substitution d'un esprit nouveau à notre autorité et à l'admirable génie de notre race. Disons que ce danger est illusoire. Notre suprématie militaire, notre autorité administrative et notre influence morale se maintiennent et se développent de plus en plus. Avec le calme qui convient et la vigilance qui s'impose, nous assistons à la formation d'une race méditerranéenne nouvelle qui sera vigoureuse et belle.
--------Les peuplements humains sont pareils aux antiques peuplements forestiers. Si elles trouvent un terrain favorable, les graines qui tombent sur le sol germent et produisent de beaux sujets. Au contraire, si le milieu ne leur convient pas, elles se dessèchent et avortent. Il en va de même pour les hommes qui se multiplient dans les zones d'accommodation et dépérissent dans les pays où tout est contraire à leur organisme.
--------Donc, il n'appartient pas aux gouvernements de créer, à la légère et de toutes pièces, des centres de peuplement. Des essais malencontreux ont prouvé qu'en certains cas les lois, les décrets où les arrêtés fléchissent devant des conditions naturelles et des défauts d'adaptation. La nature, les situations géographiques, des affinités étroites produisent des résultats plus rapides que les décrets arbitraires.
--------L'Espagne et l'Italie s'infléchissent vers l'Afrique du Nord par deux pointes naturelles; et c'est ainsi que, par un phénomène d'endosmose, des éléments de peuplement étranger s'infiltrent dans notre colonie : des Espagnols à l'ouest ; les gens des îles Baléares, par voie maritime, au centre, et les Italiens à l'est.
--------Quelques statistiques montreront dans quelles proportions se juxtaposent, en attendant qu'ils se fusionnent, les éléments ethniques de notre colonie.

DÉNOMBREMENT
LE DÉPARTEMENT D'ALGER
(130 communes, 5.454.025 hectares)
 
En 1906
En 1911
Français d'origine.
118.139
129.259
Israélites, sujets français
19.458
20.771
Étrangers naturalisés
59.357
63.563
Espagnols
35.614
39.456
Italiens
12.387
13.607
Maltais
1.451
1.526
Etrangers divers
3.181
3.585
Indigènes
1.346.746
1.421.819
TOTAUX
1.596.333
1.693.586
LE DÉPARTEMENT D'ORAN
(111 communes, 6.577.002 hectares)
Français d'origine.. . .
85.792
95.469
Israélites, sujets français.
27.007
29.834
Étrangers naturalisés
77.470
92.777
Espagnols
79.465
92.986
Italiens
2.607
3.085
Maltais
128
168
Étrangers divers
4.027
4.770
Indigènes
823.101
892.212

TOTAUX. . . .
1.099.587
1.211.301
LE DÉPARTEMENT de CONSTANTINE
(109 communes, 8.730.202 hectares)
Français d'origine
73.079
77.370
Israélites, sujets français
17.367
18. 955
Étrangers naturalisés
32.409
30.574
Espagnols
1.939
2.304
Italiens
18.023
19.969
Maltais
4.633
5.209
Étrangers divers
1.307
1 .273
Indigènes
1.876.197
1.945.443
TOTAUX.. .
2.035.044
2.10I.097
En ajoutant aux chiffres précédents les statistiques
relatives aux territoires du sud et en comprenant la population totale
L'ALGÉRIE
( 363 communes, 57.496.453 hectares)
Français d'origine
278.970
304.592
Israélites
14.645
70.271
Étrangers naturalisés et nonnaturalisés
336.642
377.180
Indigènes
4.417.788
4.740,520
TOTAUX.
5.158,051
5.492.569

ALGER

---------L A VILLE, brisant sa ceinture de pierres, s'étend, de plus en plus, sur les deux rives du nord et du sud, et semble monter à l'assaut des collines de Mustapha et de Saint-Eugène. Avec son port, son grand boulevard, ses longues avenues, Alger deviendra, dans un avenir prochain, une des plus grandes cités méditerranéennes.
---------Actuellement, Alger-ville comprend une superficie de 1310 hectares dont 400 sont couverts par la voirie et les constructions. La population n'a cessé d'augmenter dans de notables proportions

En 1881.
65.227 habitants
1886
74.7912
1891
88.084
1896
96.642
1906(en tenant compte de l'annexion de la commune de Mustapha)
155.049 habitants
1911
172.397

La population d'Alger se subdivise de la façon suivante
  En 1906 En 1911
Français d'origine 50.996 57.730
Israélites, sujets français 12.490 13.290
Étrangers naturalisés 26.305 28.360
Espagnols 12.354 14.094
Italiens 7.368 8.081
Maltais 865 914
Étrangers divers 1.652 2.030
Indigènes 33.250 37.821
Population comptée à part 8.769 10.071
TOTAUX 154.049 172.397

---------Pour mieux marquer, par des chiffres, la rapidité avec laquelle les maisons ont été construites et les quartiers nouveaux se sont créés, ajoutons qu'en 1896 il y avait 3871 maisons, en 1906 près de 7000, et qu'en ce moment il y a plus de 7800 immeubles dans Alger.
---------Sans être optimiste à outrance, et sans vouloir tracer un tableau trop séduisant, il est permis de prévoir et d'envisager l'ampleur de la cité future. Au point de vue géographique, elle est placée dans une situation exceptionnelle sur le bassin de la Méditerranée occidentale. Les bateaux de tous les tonnages ne cesseront d'affluer dans les deux ports, soit pour renouveler leurs provisions de charbon ou les approvisionnements de toutes sortes, soit à cause des exigences du transit, soit encore afin de pourvoir à des réparations urgentes ou simplement pour donner satisfaction à la légitime curiosité des touristes.
---------Dans le futur port franc, qui ne tardera pas à devenir aussi important que ceux de Hambourg, de Brême, de Copenhague et de Gènes, les matières premières seront introduites, déposées, manipulées, exportées, sans avoir à payer des frais de douane.
---------Quelle activité sur les quais et dans cette zone franche, dans cette immense cité maritime où toutes les races s'entrecroiseront avec leurs types, leurs allures et leurs idiomes !
---------Au-dessus dominera la grande ville moderne, avec son mouvement et son luxe, avec ses avenues bordées d'immeubles et ses voies qui se prolongeront depuis la Pointe-Pescade jusqu'à Maison Carrée, sur une longueur de 17 kilomètres, avec ses monuments, ses squares et ses jardins.
---------Plus haut encore, la ville mystérieuse, dernier refuge de l'islam, où, dans la lumière tamisée et la pénombre des oratoires, les fidèles murmurent leurs prières dans l'attitude rituelle et résignée... Contraste de l'immobilité qui se fige dans le passé avec l'activité qui tend vers l'avenir.

LE PORT

---------C 'EST la cité maritime qui se crée, s'agrandit et devient l'image d'un progrès rapide. Le port ancien a 93 hectares de superficie, le nouveau port 30 hectares. La surface des terre-pleins peut être évaluée à 17 hectares sur lesquels on réservera soixante mille ou soixante-dix mille mètres carrés pour le port franc. La jetée nord a 883 mètres de long, la jetée sud 1200 mètres. La passe du grand port a 171 mètres; celle qui met en communication le grand et le petit port a 73 mètres. La longueur totale des quais est de 2940 mètres. Il y aura, à Alger, dans un temps assez rapproché, une longueur de 3500 mètres de quais réellement utilisables dont 1495 mètres dans le port et 2000 mètres dans l'arrière-port de l'Agha. La statistique donne, en 1907, les chiffres suivants :

POUR LES PASSAGERS
 
en 1907
en 1910
Départs 72.864 70.297
Entrées 70.479 76.656
POUR LES NAVIRES
Départs 3.598 5.972
Entrées 3.549 5.984
POUR LE MOUVEMENT GÉNÉRAL DE LA NAVIGATION
années
nombre de navires
tonnages
tonnes de marchandises importées et exportées
1900
7.932 6.937.737 1.222.720
1907
11.827 14.307.549 2.797.710
1910
11.956 15.818.482 3.145.770

-------Les chiffres, quelquefois arides, ne sont jamais stériles. Ils ont en eux, comme on dit, leur éloquence. L'Algérie a eu ses détracteurs. Il est bon de leur prouver, à défaut de persuasion et par la brutalité de certains arguments, qu'il n'est pas de ville, en Europe, où la vitalité et la prospérité se manifestent avec plus de rapidité et de façon plus tangible. Actuellement, pour l'Algérie, le chiffre des importations s'élève à 543.197.000 francs ; celui des exportations, à 511.919.000 francs, soit, au total, 1.088.116.000 francs.
-------Ce n'est pas seulement un sujet d'étude et de documentation pratique pour les gens de métier et les statisticiens: par sa population, son genre d'activité, ses quais, son port, ses bateaux et son prolongement naturel qui est la rade, la cité maritime offre, à foison, toutes les séductions bien faites pour attirer le touriste, le rêveur, le flâneur et l'artiste. Le cadre est merveilleux : il est formé, d'un côté, par les contreforts du Bouzaréah, de l'autre, par les collines qui vont en s'infléchissant vers la mer, comme un col de cygne qui reposerait sur les eaux. Dominant le paysage, la grande masse du Djurjura et la ligne de l'Atlas.
-------La mer, avec toute la variété de ses aspects et de son coloris, semble vivre et palpiter éternellement. Tantôt, irritée et rageuse, elle crache son écume sur les roches et les môles ; tantôt, apaisée et radieuse, elle reflète, sur sa nappe nacrée et changeante, les lueurs d'opale et d'or de l'aube et du couchant
-------Sur les quais, les tonneaux en files interminables, les planches et les poutres accumulées, les amoncellements de charbon, les lièges, les monceaux de minerais de fer teintés de rouge, d'ocre et de gris ; tout ce qui naît du sol ou sort des entrailles de la terre, tout apparaît dans les notes d'une polychromie qui éclate et rutile sous le soleil, ce grand magicien.
-------À travers les dépôts de marchandises, les wagons roulent, les charrettes circulent, les portefaix s'agitent, les passagers débarquent, les fiacres et les omnibus d'hôtel vont et viennent dans une cohue pleine de pittoresque.
-------Dans le port glissent ou dorment les embarcations blanches, bleues, jaunes ou rouges, avec des tonalités qui semblent se prolonger sous les eaux, comme des franges frémissantes et ondulées. Les chalands, lourds et massifs, noirs comme leur noir chargement de charbon, accostent les paquebots. Les balancelles des pêcheurs laissent tomber leur voile pareille à l'aile d'un oiseau blessé, et les vaisseaux de guerre semblent immobiles comme s'ils reposaient sur une base immuable.
-------L'homme, patient, continue à refouler la mer pour conquérir les terrains nécessaires à son activité. VU de haut, il ressemble à un insecte petit et misérable qui n'achèvera jamais sa tâche ; et pourtant, avec une indomptable persévérance, il apporte ses petits tas de terre et ses moellons. Il comble les trous et les abîmes, il protège contre les flots, par des parapets énormes, les quais et les terre-pleins, et, par des digues gigantesques, l'abri offert aux bateaux

Il a raison des flots, et son heure s'achève,
Le pygmée est titan : il réalise un rêve

ALGER PITTORESQUE


-------ALGER comprend trois zones distinctes : la cité maritime, la ville européenne et la ville arabe que la vieille Kasbah domine... Jadis, la mer venait battre les roches sur lesquelles s'élevait la Djama-el-Djedid. Le boulevard de la République et les quais ont été construits sur les enrochements et les parties comblées du rivage.
La place du Gouvernement a été longtemps le coeur et le centre de la ville. Là, en une promiscuité bien démocratique, se coudoient les types les plus divers : des Européens, petits rentiers et flâneurs, des ouvriers en quête d'embauchage, des Espagnols, qui, en attendant la fortune, offrent l'imprévu de leur costume national, hommes de Valence, de Minorque ou d'Iviça, gitanos aux cheveux huileux, des gitanas marchandes de dentelles, des Arabes trop loqueteux, de grands chefs indigènes trop pompeux, des petits Arabes, cireurs ou marchands de journaux, effrontés, amusants et braillards, des mauresques d'un style trop moderne, prêtresses d'un orient facile et douteux.
-------De cette place, véritable carrefour, partent les principales artères de la cité : le long de la mer et dominant tout le panorama, le boulevard qui, d'un côté, aboutit aux "Deux Moulins", et de l'autre, à l'Esplanade Margueritte c'est la plus belle promenade que l'on puisse rêver.
-------La rue Bab-el-Oued, rue à arcades, où se succèdent les bars, les cabarets et les boutiques, et où circule la
partie démocratique et quelquefois dépenaillée de la population : petites ouvrières, nobles hidalgos qui n'ont jamais eu de quartiers de noblesse, gratteurs de guitare, joueurs d'accordéon, chanteurs de séguedillas, amateurs
de tramous et de cacahouètes... Ils s'en vont vers la "Cantéra'' où vous retrouverez toute la couleur de la Triana, les types de l'Albaycin, les belles lignes de la Malaguena et les odeurs de la cuisine de la huerta Valencienne.
-------De l'autre côté, symétriquement placée, c'est la rue Bab-Azoun, aristocratique du côté gauche, plébéienne du côté droit. Ici, comme en France, dans le pays le plus démocratique qui soit, on éprouve le besoin d'établir des distinctions, des catégories entre les différents éléments de la population. Si nous pouvions écrire sur notre chapeau que nous sommes d'une essence supérieure, nous le ferions. Donc, du côté gauche, on rencontre les promeneurs élégants et les dames coquettes qui vont d'un pas lent et s'attardent devant les devantures luxueuses. De l'autre, du côté droit, les passants sont de mise plus négligée et vont vite. C'est une zone où l'observateur, qui a du temps à perdre, peut faire de la " psychologie urbaine ".

 

-------À l'extrémité de la rue Bab-Azoun, le square Bresson étale ses frondaisons exotiques en face du théâtre municipal. Le square Bresson est le rendez-vous des marmots et des moineaux de toute la contrée : les marmots dans les allées, les moineaux dans la feuillée sont faits pour se comprendre. Les habitants aériens du lieu révèlent trop souvent leur présence par des fantaisies de mauvais goût. On avait presque décidé leur destruction : une municipalité au coeur sensible a différé cette Saint-Barthélemy de la gent empennée. Le théâtre donne asile à tous les genres : on l'aime, on l'exalte, on le vilipende.... C'est le sort réservé aux heureux de la terre. C'est une attraction, c'est un centre: c'est tout naturel dans un pays où les gens chantent en naissant. 1l y est aussi question de la Saint-Barthélemy, mais seulement dans l'opéra des Huguenots.... "Moineaux, dormez en paix ! ".
-------La rue d'Isly est, par son prolongement, la rue Michelet, la plus grande voie de la ville d'Alger. Dans ce quartier, de même qu'à Bab-et-Oued, on bâtit sans trêve ni merci. Les immeubles semblent sortir du sol, et, dans ce pays fortuné, on ignore la crise immobilière.
--------Si nous revenons sur nos pas vers la place du Gouvernement, nous entrerons, un instant, dans les deux grandes mosquées, la Djama-el-Kébir, si intéressante par son beau portique, la cour aux ablutions, les arcatures de l'intérieur, et la Djama-el-Djedid, de rite Hanafi, construite, dit-on, par un architecte chrétien qui, la construction terminée, paya de sa tête son talent architectural. C'est la légende ; au vrai, les musulmans ont voulu reproduire, dans cette mosquée, la forme cruciale de Sainte-Sophie de Constantinople.
-------Entre la rue Bab-el-Oued et la rue de la Marine, s'étend le quartier de la Préfecture, agglomération de vieilles maisons dont quelques-unes sont dignes de remarque par leur style, leurs faïences, leurs bois sculptés et leurs inscriptions. Dans ce quartier, et sous les voûtes du boulevard faisant face à la darse, les pêcheurs italiens ont élu domicile. Originaires des environs de Naples, de Procida et d'Ischia, ils constituent une sorte de colonie qui vit à part, sans liens et sans rapports avec le reste de la population, dans une sorte d'intégrité irréductible. Ils continuent à parler leur patois napolitain, et, du logis familial, vont à leurs barques et à leurs balancelles. Leurs femmes et leurs enfants, la voile à recoudre, le filet à remmailler, la coque du bateau à repeindre, voilà leurs seules préoccupations. Tandis que, sur les flots, parmi le blanc floconnement des oiseaux de mer, ils traînent le filet où s'agitent les poissons en infinis frétillements et dans des coulées d'argent en fusion, les pêcheurs italiens restent graves et murmurent la vieille cantilène de la Riviera de la Chiaïa. Ils n'ont qu'un horizon, l'horizon lointain qui va se perdre dans la trame des brumes azurées et derrière lequel, bien loin encore, s'évoquent, dans leur imagination obscure, les rives de Sorrente et les collines du Pausilippe.
-------Ce quartier de la Préfecture, privé d'air et de
lumière, traversé de ruelles étroites et nauséabondes, tombera bientôt sous la pioche des démolisseurs pour faire place à une zone urbaine où, grâce à un système de voirie bien compris, les constructions nouvelles auront leur large part de soleil et d'oxygène.
-------De la place du Gouvernement, on a accès sur la place Malakoff où se trouvent la cathédrale, ancienne mosquée restaurée, l'archevêché et le palais du Gouverneur. Un peu plus loin, dans la rue de l'État-Major, la bibliothèque, située dans une maison mauresque dont le caractère architectural est certainement le plus typique, grâce à son vestibule, son patio, ses faïences et ses galeries. De la place Malakoff, on entre dans la rue de la Lyre qui communique, à son extrémité sud, avec la rue Randon. Ces deux rues sont livrées au commerce où excellent les israélites et les mzabites. Quelques magasins, où l'on vend du tabac, des épiceries et des articles indigènes, sont tenus par des notables d'origine turque.

LA VILLE ARABE

-------De la rue de la Lyre, par la rue Porte-Neuve, on monte vers la ville arabe où l'on peut avoir des impressions originales loin de la banalité de la cité moderne. C'est l'asile où les musulmans peuvent encore se réfugier dans le silence et la tradition, quand ils n'ont pas été gâtés par les vices des civilisés. Dans les parties de la ville haute que la construction de forme moderne
n'a pas encore profanées, il y a, pour le visiteur, des surprises pleines de charme.
-------Dédales de ruelles où, discrètement, pénètre la lumière qui se diffuse et se colore en bleu pâle, reflet des murailles peintes en bleu ; saillies d'un premier étage soutenu par des rondelles de thuya ; escaliers rapides à l'extrémité desquels on aperçoit la tache bleue du ciel où se profile un minaret ; un cyprès, aux tons veloutés, s'érigeant à côté d'une blanche coupole ; dans une lucarne, comme dans un cadre ovale, la figure rieuse d'une fille dont la tète est joliment coiffée d'un foulard lamé d'or ; un vieux mendiant aveugle qui implore au nom d'Abd-et-Kader el-Djilani ; dans un petit réduit, la figure ivoirine et la barbe blanche d'un vieux scribe qui devise lentement avec deux ou trois familiers, sans s'inquiéter, un seul instant, des bruits du dehors ou du touriste qui passe; le va-et-vient silencieux des mauresques voilées, des vieilles juives, des biskris, de quelques nègres, d'Arabes haillonneux, de jeunes maures, de petits bourricots; la vision, par une porte entrebâillée, de quelques filles jouant aux cartes dans une cour où flotte cette lumière bleue qui emprunte, par d'infinies vibrations, ses tons aux murailles voisines ; le babil des enfants accroupis sur les nattes de la Zaouïa, en face d'un naître qui enseigne le Coran ; les attitudes rituelles des croyants dans la pénombre des oratoires...
-------Dans cette ville, respectable par son âge et son originalité, il y a des mosquées, des zaouïas et un cimetière qui ont en eux l'intérêt de l'histoire et la poésie de la légende.
-------Entrons dans la rue d'Anfreville, passons devant les boutiques des cordonniers, des tourneurs sur corne, des sculpteurs sur bois, des décorateurs de derboukas et d'étagères, et nous arriverons à la Djania-Safir qui fut commencée en 1531. Un chrétien, esclave de Kheir Eddin et devenu musulman, paya de ses deniers la construction de cette mosquée. Il avait pris le nom de Caïd Safar ben Abd-Allah, caïd Safar, fils de l'adorateur de Dieu ; et c'est ainsi que le renégat ne courut plus le risque d'être appelé "fils de mécréant" ou "fils de chien". Celui-ci, d'ailleurs, acquit assez de savoir pour obtenir le titre envié de lecteur du Coran. La mosquée Safir fut achevée le 11 septembre 1531, neuf mois après la pose de la première pierre. Elle fut reconstruite, en 1791, par Baba-Hassen, sur les plans de la Djama Ketcheoua que nous avons transformée en cathédrale.
-------Au numéro 15 de la rue d'Anfreville existait la djama Hammamet ou mosquée du bain, élevée en 1678 et démolie en 1850.
-------Descendons la rue Kléber, arrêtons-nous dans le carrefour auquel le "Comité du Vieil Alger" s'efforce de rendre son aspect primitif, et où notre grand peintre Fromentin aimait à s'asseoir et à observer les passants.

-------Nous pénétrerons ensuite dans la zaouïa où se trouvent l'oratoire et le tombeau de Si Mhammed Chérif, mort en 1511, l'année même de la désastreuse expédition de Charles-Quint : des femmes qui prient, une vigne centenaire, un chat qui ronronne, une fontaine qui pleure, une atmosphère de recueillement.
-------Puis, c'est la ruelle qui dévale dans le clair-obscur où les légumes, les fruits et les viandes de boucherie se succèdent dans une polyphonie inattendue, où les relents de la rue se mêlent à des odeurs de myrte et de jasmin. L'ombre de Sidi Bou Gueddour, "l'homme aux marmites", qui, par ses prières et ses incantations, contribua à la défaite Lie Charles-Quint, nous arrête au passage.
-------Au bout de cette rue, non loin de la mosquée de Sidi-Abd-Allah, il y a un petit cimetière, dans la quiétude
qui convient aux morts : " Le silence est à Dieu et le bruit est aux hommes ". A l'entrée, l'humble logis de l'oukil. Puis la minuscule nécropole. Sous la Kouba dort le vénéré Sidi ben Ali ben Mhammed. A l'ombre des trois figuiers sacrés, le tombeau de Sidi Braham ben Mouça, et les deux tombes, à stèles de marbre, qui contiennent les restes de deux charmantes princesses mortes en pleine jeunesse et dans tout l'éclat de leur beauté. Elles furent la fleur et l'ornement du harem. Des prédictions leur avaient annoncé les destinées les plus hautes, et, sous les coups de la mort brutale, les illusions s'évanouirent. Des splendeurs passées, il ne reste que deux stèles qui redisent un nom harmonieux avec une imploration
-------

Voici le tombeau de Fatmah bent Hassan Bev.
Que Dieu lui pardonne, ainsi qu'à tous les musulmans.
Amen,Amen!

-------Et la deuxième stèle

Voici le tombeau de celle qui est en la possession de Dieu : N" Fissa, fille de feu Hassan Pacha. Que Dieu leur soit miséricordieux, ainsi qu'à tous les
musulmans
.
Amen,Amen!

-----------Le saint Sidi Ben Ali ben Mhammed revit dans le tronc des figuiers, et, quand les arbres sacrés se parent de leur frondaison nouvelle, l'âme fragile des deux princesses renaît dans les feuilles teintées d'argent.
-----------Entre le cimetière et la mosquée de Sidi-Abd-Allah, des femmes sans âge vendent les plantes et les simples qui guérissent tous les maux, conjurent les maléfices et parfument les ragoûts. Si Abd-Allah offre aux méditations, aux prières, aux rêveries sans objet l'abri, où, dans une demi-obscurité, des ombres se lèvent et s'inclinent, puis s'accroupissent pour le marmonnement des surates et l'égrènement des chapelets.

-----------Dans le quartier où sont confinées les vierges folles qui rappellent les courtisanes de Suburre, avec leurs yeux allongés par le koheul et leurs joues rougies par le carmin, juste sur l'emplacement de l'ancienne Kasbah (el Kasba et Khédima), s'élève l'antique mosquée berbère de Sidi Rhamdane. On l'ignore. Elle apparaît comme le symbole du passé au milieu des rires des vendeuses d'amour et des jurons d'une clientèle avinée. Elle a dix-huit colonnes et neuf toits, colonnes empruntées, sans doute, à des temples païens, et toitures singulièrement enlaidies par des tuiles rouges. Jadis, le revenu de ces biens hobbous, représentés par cinquante immeubles, était attribué à de bonnes œuvres. En temps de Ramadan, Sidi Rhamdane, dont l'oratoire, jusqu'au dix-septième siècle, s'appela la mosquée de la Kasba, recevait deux cierges de cinq livres, neuf mesures d'huile à manger, de l'huile pour l'éclairage, des sucreries, des pâtisseries et des nattes.
-----------Plus loin, vers le nord, le jardin créé par le vieux colonel qui, sur l'ordre de Napoléon 1 abandonna son nom, Capone, pour s'appeler Marengo, du nom de la bataille où il s'était illustré.
-----------La nouvelle Mederça, qui fait honneur à l'architecte, M. Petit, voisine harmonieusement avec la mosquée de Sidi Abd-er-Rahmane. Un minaret, où les bandes de faïences alternent avec les colonnettes légères sur lesquelles s'appuient des arceaux évasés, le lieu où repose Abou-Zeid-Abd-er-Rahmane-et-Tsalbi (que Dieu le comble de ses bienfaits ! ) ; la mosquée ; le pittoresque des constructions voisines ; les tombes ; les menues
frondaisons des plantes grimpantes ; le cyprès plusieurs fois centenaire qui résume, par la noblesse de son port et les luisances de son velours, un hiératisme sacré et une mystérieuse tradition... tout nous donne une sensation d'art. C'est bien l'asile qui convient à ce vieux savant, au théologien qui erra par le monde, du levant au couchant. Abd-er-Rahmane naquit en 1387 et mourut en 1471. Ouali, par la grâce de Dieu, en possession de l'étincelle divine, il fut un semeur de bonnes paroles et devint un pasteur d'âmes. En 1471, à côté de la Kouba où il fut inhumé, on édifia une mosquée modeste que Hadj Ahmed Bey remplaça, en '1697, par la Djama que nous admirons aujourd'hui. Le culte pour le saint homme n'a jamais fléchi. Les dons affluaient, les donations se multipliaient : Soixante-neuf maisons, en biens hobbous, appartenaient encore à la mosquée au début de la conquête. Une dame Douma ben Mhammed, en 1826, offrait tous ses chaudrons au marabout; Hadj-es-Saadi affranchissait tous ses esclaves devant le tombeau du saint. A côté de la Kouba, on enterrait des pachas, des fonctionnaires de marque, le bey de Constantine, comme si ce voisinage constituait, même dans la mort, le suprême hommage.
-----------Ici se termine cette promenade dans le passé. Un comité composé d'hommes de bon vouloir, dit "Comité du Vieil Alger", s'efforce de faire revivre ces souvenirs et d'enseigner le culte des vieux monuments. Y réussira-t-il?... Souhaitons-le de tout cœur. Là-haut, dans la vieille ville, c'est la tradition avec les vestiges d'une architecture
originale et d'un art intéressant ; en bas, c'est le modernisme, l'avenir, le progrès, dit-on... Ceci tuera cela. Le bruit des sirènes, le sifflet des locomotives, le flot montant des envahisseurs, l'agitation de la foule mettront peut-être en fuite l'ombre de Abou-zeid-Abd-er-Rahamane-et-Tsalbi, sur lequel soient le Salut et la Paix !

Alger, 1912
CH. de GALLAND