Rue des Consuls
UN COIN DU VIEIL ALGER
N'EST PLUS AUJOURD'HUI QU'UN VASTE CHANTIER
LA " MARINE " FUT UN ÉLÉGANT quartier résidentiel
TOMBÉ AUX MAINS DES URBANISTES
avant de devenir le royaume des " salaouetches "
C'est aujourd'hui un chantier
en construction. Une cité nouvelle va naître sur les ruines
d'une cité morte, d'une cite détruite.
Larges avenues, immeubles imposants, spacieuses esplanades s'élèvent
déjà à la place des ruelles humides et des maisons
délabrées. Urbanistes et bâtisseurs ont pris possession
de l'endroit. La vieille " Marine " est morte ; mortes aussi
ses masures " insalubres et incommodes ". Demain se dressera
ici un quartier moderne et confortable. Acceptons-en l'augure !
Dans cet immense chantier, un îlot du passé subsiste. Encore,
mais pas pour longtemps, épargné. Rue de la Marine, rue
des Consuls
Portes abîmées, murs détériorés,
balcons pavoisés de lessives, église abandonnée,
école désaffectée. Tous ces lieux où le
temps et la misère ont si profondément, imprimé
leurs stigmates. Comme une meurtrissure. Comme une plaie mortelle. Tristesse,
mais aussi nostalgie !
Quartier résidentiel
et bourgeois
Tristesse et nostalgie. car ces murs, qui suent la misère. abritèrent
autrefois richesse et prospérité.
Il fut un temps, en effet... Un temps déjà. lointain -
c'était après 1830 - où ce coin d'Alger était
le " bel Alger ". Quartier résidentiel, élégant,
recherché, quarter " bourgeois " en un mot avec tout
ce que cela comporte d'aisance enviable et de dignité cossue.
Là se dressait la préfecture, là se tenait le centre
des affaires. La " Place du Cheval " était alors le
forum d'Alger. Chaque jour se mêlaient ici à la bourgeoisie
de la ville, les fonctionnaires, civils et militaires. Et le soir, sur
la place, la musique du 1er zouaves venait exécuter les plus
entraînantes polkas de son répertoire.
Fresque étourdissante
de vie de lumière et de couleur
Avec les ans, la " Marine " prit un visage nouveau et connut
une vie nouvelle. Ce quartier bourgeois devint populaire. Et connut
la célébrité. Aux fonctionnaires succédèrent
les pêcheurs. Monde étonnant dans un cadre étonnant.
Cadre étonnant des rues de la Marine : contraste surprenant d'ombre
et de lumière. une lumière éclatante. une ombre
" inexprimable ", ensemble saisissant et
mystérieux où Fromentin voyait du " Rembrandt transposé
". Monde étonnant des cafés de la Marine.
Ici se rencontraient dix races diverses, ici s'affrontaient dix langages
et cent coutumes. Ici se côtoyaient, agités et turbulents,
les fils de toutes les Méditerranées.
Univers étrange et pittoresque animé d'un perpétuel
remous. Tableau hurlant de vie et de couleur. Monde extraordinaire ou
l'on trouvait indifféremment repris de justice et fils des famille,
tondeurs de chiens et marchands de poissons, donneurs de sérénade
et joueurs de " tchic-tchic ".
Ici vécurent les Marella, les Faraggi, les Roméo, que
la plume d'Achard et le crayon de Brouty
ont immortalisés. '
Ils vécurent ici, dans ce royaume des " Salaouetches "
inondé de soleil et fleurant l'anisette. Gens simpies et ardents
qui avaient de l'enthousiasme, du caractère et... de l'astuce
à revendre.
Les " Caves Ste-Philomène
" où Louis Bertrand jouait les plongeurs
A deux pas de la rue de Bab-el-Oued, tout à cote de la pharmacie
de Lara, les " Caves Sainte-Philomène " étaient
le rendez-vous des Espagnols fraîchement débarqués.
La taille bien prise dans la ceinture rouge, coiffés de feutres
noirs et chausses d'espadrilles, ils venaient là, aux nouvelles,
à peine descendus de balancelle, en quête d'un emploi ou
à la recherche d'un ami. Le cadre de " ces caves "
leur était familier. Ils retrouvaient là, une auberge
du " pays " avec son beau comptoir en bois sculpté
derrière lequel s'alignaient les tonneaux pansus et imposants
d'A1icante et de Xérès, de Madère et de Malaga.
Ici venaient aussi les " rouliers du Sud ", convoyeurs de
lourds chargements qu'ils conduisaient jusqu'à Biskra...
Biskra, presque le bout du monde.
Aux " Caves de Cérès ",
Louis Bertrand, alors professeur au Lycée, faisait
- incognito - la plonge pour écouter les conversations des rouliers.
Le patron seul le connaissait et les clients parlaient, sans gêne
ni retenue, devant ce colosse au cou de taureau qui lavait si consciencieusement
ses verres. Quelques mois plus tard, Louis Bertrand publiait "
Le sang des races "...