Le port d'Alger
LES DESASTRES DU RESSAC

Edgar SCOTT I † / Joseph PALOMBA

Ouvrage adressé par MM.Joseph PALOMBA et Edgar SCOTTI, avec autorisation de paraître ici.
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extraits du numéro 115 , septembre 2006, de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
sur site le 16-9-2011

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- lire sur ce site , des mêmes auteurs : Tempêtes et ressac à l'assaut du port

Alger, les désastres du ressac
par Joseph Palomba et Edgar Scotti

ETUDIÉ dès 1845 par Georges Aimé, (Metz 1810 - Alger 1846), puis dénoncé par Jérôme Tarting (M. Jérôme Tarting, ingénieur en chef du port, président de la Commission du port d'Alger.), le fléau du ressac fut à l'origine d'une proposition de prolongement de 190 m de la jetée Nord appelée plus tard, Pierre- Émile Watier ( M. Pierre-Émile Watier, directeur des ports maritimes au ministère des Travaux publics.), ceci afin de réduire les effets du ressac avant toute extension ou amélioration des installations commerciales des terre-pleins des quais.

Le projet, qui fut repris en 1912 par M. Butavand (M. Butavand, ingénieur du port.) conformément à celui d'Oscar Mac Carthy ( M. Oscar Mac Carthy, géographe.), prévoyait un avant-port établi au large des bassins de Bab-Azoun, de l'Agha et de Charles-Quint, futur arrière-port de Mustapha.

À chaque " baffagne " d'est ou de nord-ouest, les quais soumis aux assauts des lames, étaient labourés, des bollards arrachés, des amarres se rompaient. En raison de ce phénomène de ressac, les opérations d'embarquement et de débarquement étaient rendues difficiles en moyenne pendant 20 jours par an, et plus ou moins gênées pendant 50 jours, entraînant pour le chargeur le paiement à l'ar?
mateur de coûteuses surestaries ( Surestaries: sommes payées à l'armateur en cas de retard dans le chargement ou le déchargement d'un navire.).

Plus grave encore, les manoeuvres des portes des deux bassins de radoub étaient, 70 jours par an, rendues dangereuses, voire impossibles, avec toutes les conséquences qui en découlaient en cas d'avarie ou de voie d'eau survenant à bord d'un vapeur.

Dans les années trente, le port d'Alger, construit de toutes pièces en prolongement de la darse turque, n'offrait encore qu'un piètre abri face à la houle et au vent.

Au cours des tempêtes des 17, 18 et 19 décembre 1930 les lames assaillaient et franchissaient la jetée Nord, déferlant sur les chalands amarrés à quelques mètres, balayant à la mer leur chargement de charbon. En pleine nuit du 18 au 19, les cargos Stella, Venus, Tensift, Saumur et Aïn-Mokra ayant rompu leurs amarres, se trouvaient en difficulté. Le paquebot El-Biar rompant ses amarres était drossé contre les vapeurs San- Francisco di Paola et Aïn-Bessem. Le chalutier Ratonneau après avoir été mis au mouillage en sécurité près de l'entrée du port, dérivait vers la pleine mer avant d'être drossé sur la jetée de Mustapha où il se brisa. De nombreux chalands, à la dérive avec leur chargement, se fracassaient contre le môle Sud.

Le 19 décembre 1930, nouvel assaut des vagues mettant en danger des vies humaines et des installations maritimes. Aux effets de la houle s'engouffrant violemment entre les blocs de la jetée Nord, s'ajoutaient ceux des lames contournant l'extrémité du musoir nord, ainsi que celles qui étaient réfléchies par la branche du brise-lames de la jetée de Mustapha en construction.

Le paquebot Président Dal Piaz de la Compagnie Générale Transatlantique, accosté quai d'Agde, subissait des avaries sur son tribord. Amarrés sur des quais du grand môle de l'Agha, l'Arlésienne, le Sainte- Maxime, le Saint-Tropez, le Médéa et le Galéa étaient avariés : hélice cassée, gouvernail faussé, avaries sur la coque. La houle pénétrait dans le port jusque dans la darse de l'Amirauté, précipitant de nombreuses embarcations les unes contre les autres. La passerelle du service de la Santé maritime était arrachée. À l'extrémité du môle El-Defna, le quai d'Arles était défoncé par des lames. Les mouvements des courriers étaient retardés ou supprimés en raison des risques présentés lors de leur appareillage.

La tempête de décembre 1931...


Carte-photo écrite : " Une photo de la tempête subie le samedi à 15 heures, le 12 décembre 1931.Avec une grosse bisette» Adressée à Paris. Photo P.Raynal
Carte-photo écrite : " Une photo de la tempête subie le samedi à 15 heures, le 12 décembre 1931.Avec une grosse bisette» Adressée à Paris. Photo P.Raynal (pas trouvé sur l'annuaire 1961)

Les 10, 11, 12 et 13 décembre 1931, un coup de tabac survenant un an après les désastres de 1930, les travaux de renforcement de la jetée Nord n'étaient guère plus avancés.

Alors que l'Empress of Britain était en approche du port, la jetée Nord était assaillie par des vagues qui projetaient des tonnes d'eau sur les chalands amarrés à l'intérieur du bassin. En raison de l'état de la mer, le " liner " de la Cunard manoeuvrait en rade et aussitôt, annulant son escale, reprenait le large.

La houle réfléchie des brise-lames du bassin de Mustapha s'engouffrait violemment dans les vides laissés entre les blocs artificiels rectangulaires des jetées Nord et Est. Plus tard en 1949, ces blocs seront remplacés par des tétrapodes ( Blocs de béton tétrapodes inventés par M. Anglès d'Auriac.).

La houle d'un mètre de creux se faisait sentir obliquement tout au long de la jetée Est jusqu'à celle du Nord. Là, rencontrant les courants qui pivotaient autour du musoir, elle se répercutait violemment jusqu'au fond de la vieille darse turque, causant la perte de nom?
breuses chaloupes.

Depuis les bassins de radoub, devant les - hangars abris, quai d'Auray, sur celui de la " Petite douane ", des hommes devaient s'accrocher aux bâtiments pour ne pas être emportés.

Ce temps d'une exceptionnelle violence causa, sur le plan d'eau du port, la perte de 28 chalands avec leur cargaison. De plus, 45 autres subirent de sérieuses avaries sur les 450 en service.

Les cargos Laurent-Schiaffino, Morse et Sainte-Maxime, drossés contre les quais à la suite de la rupture de leurs aussières, eurent des brèches sur leur coque. Ils ne purent se maintenir à flot que grâce à leurs pompes de cale et à celles des remorqueurs qui se portèrent aussitôt à leur secours. Des capitaines d'autres navires, se jugeant plus en sécurité en mer, appareillèrent en hâte pour se mettre à la cape au large et à l'abri.

Armateurs et importateurs de charbon subirent des pertes très importantes. Parmi les premiers : la Compagnie Générale Transatlantique, la société Delmas - Vieljeux, l'Entreprise Maritime et Commerciale, la Société Cherfils, la Compagnie Busk, la Société commerciale et d'acconage, Mérigot et Compagnie, la Société Fécampoise. Parmi les importateurs de charbon: Charles Schiaffino et compagnie, Établissements Laurent, l'Union Africaine, Cory Brothers, Charbonac, Worms et compagnie, Numidian Coal.

Malgré une longue procédure, les sociétés sinistrées ne furent pas indemnisées. Un port étant un havre de sécurité par nature, les chalands et leur cargaison n'y étaient pas assurés.

... et celle du 3 février 1934

Les tempêtes précitées causèrent de gros dégâts aux installations maritimes, chalands, appontements et navires. Il convient aussi de se souvenir des membres du personnel du port enlevés par les lames ou noyés dans les soutes d'un cargo ou d'un remorqueur.

Dans la nuit du 30 octobre 1911, M. Gustave Martin, pilote du port, périt noyé en rade, par gros temps de nord-est.

Sur la ligne Trieste /New York, la Cosulich, une société triestine de navigation, avait une escale à Alger pour quatre de ses navires : le Saturnia, lancé le 29 décembre 1925; le Vulcania, lancé le 18 décembre 1926; le Neptunia et l'Océania, jaugeant tous 23000 tonneaux. Leur puissance de 20000 CV leur permettait une vitesse de 16 noeuds. Ces navires avaient en commun une ligne aérodynamique et une silhouette élégante. La coque peinte en noir avec un liseré blanc. Les superstructures étaient peintes en blanc depuis le pont jusqu'à la pointe du mât, y compris la cheminée large, surmontée d'un " chapeau " bagué aux couleurs italiennes.

Parti de Trieste et après escale à Naples et à Gênes, l'Océania était à Alger le 3 février 1934. Amarré en pointe du quai d'Arles sur le môle ElDjefna, ce navire faisait le plein d'hydrocarbures à partir d'une citerne "Francunion " de la société VentureWeir. Les unités de cette société mouillaient en face, à l'aplomb de la jetée Est, sur le quai Charles-Simian.

Le 3 février au soir, le pilote Jacques Padovani étant déjà à bord, une forte houle précédait une tempête de nord- ouest qui se déchaînait rapidement. Fort de ses 20000 CV, et pour éviter les surestaries, l'appareillage pour Gibraltar était maintenu.

Dans ses manoeuvres d'éloignement du quai, le paquebot devait être assisté à l'arrière par le Furet, un remorqueur de la Compagnie Schiaffino, et par le Provençal 9, de la Compagnie Provençale des remorqueurs de Marseille à l'avant. Le Provençal 21 et le Provençal 9 avaient la particularité d'être dépourvus de cabine de pilotage. La barre se trouvait immédiatement devant la cheminée de couleur blanche surmontée d'un bandeau noir. Leur équipage se composait de trois hommes : le patron à la barre, le mécanicien dans la cale auprès de la machinerie et un matelot sur le pont. Ce dernier, Vincent Sorrentino, portait le même nom que son patron. Un autre Furet de petite taille s'apprêtait à dégager le train de chalands qui permit aux passagers du " liner " de rejoindre la passerelle pour regagner leurs cabines après la journée d'excursions à terre. Ces paquebots de la Cosulich avaient une clientèle de touristes anglo-saxons rejoignant les États-Unis après une escale " orientale " à Alger. Sur les 1460 passagers, beaucoup plus nombreux étaient aussi les émigrants italiens, attirés par les emplois offerts par le continent américain et plus particulièrement par la ville de New York.

Le musoir Nord aussitôt doublé, l'Océania était confronté aux énormes lames qui allaient le drosser sur les blocs du brise-lames de la jetée Est. Afin de se dégager, le commandant du paquebot utilisa toutes les ressources des 20000 CV de sa machinerie pour virer cap au nord.

Le Furet eut heureusement la possibilité de rompre l'amarre qui le reliait à l'étambot de l'Océania. Par contre, le Provençal 9, avec l'aussière qui partait de la proue du paquebot italien, n'était plus remorqueur, mais remorqué par l'arrière de toute la puissance du " liner ". Embarquant des tonnes d'eau, le petit remorqueur s'enfonçait par l'arrière tandis que le patron, Gaétan Sorrentino éjecté de son poste de barre, était happé par une des deux puissantes hélices de l'Océania. Son corps atrocement mutilé devait être retrouvé quelques jours plus tard sur les blocs extérieurs de la jetée Est. Quant au mécanicien qui, à la première gîte du remorqueur, avait rejoint le matelot sur le pont, tous deux eurent le réflexe de se jeter à la mer. Légèrement blessés, ils furent recueillis au milieu des vagues par la pilotine.

En février 1934, dans l'immeuble du 5 boulevard de Provence, il y avait une veuve et trois orphelins de plus. Au cours d'une émouvante cérémonie, Mgr Leynaud, archevêque d'Alger accompagné de son chapitre, venait au domicile mortuaire donner l'absoute et réconforter la famille. Quant au pilote Jacques Padovani, il n'était plus question pour lui de regagner sa pilotine. Ce n'est qu'à Gibraltar qu'il quitta le bord de l'Océania pour rejoindre Alger.

La protection du port

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le port d'Alger en 1934
le port d'Alger en 1934 (160 ko)

En dépit des incontestables avantages conférés par sa situation entre Gibraltar et Port-Saïd, la qualité de son eau et celle des services offerts par shipchandlers, sans oublier les charmes d'un séjour à Alger, le port perdit un peu de son prestige. L'ancien bassin, comme celui de l'arrière-port de l'Agha, étaient intenables par vents d'est ou de nord- ouest, entraînant d'importants surcoûts aux navires qui y faisaient escale.

Commencées dès 1845 par Georges Aimé, des recherches expérimentales se poursuivaient encore en 1946 au laboratoire central d'hydraulique situé 10 rue Eugène-Renault à Maison-Alfort (Seine). En effet, dans un ancien dépôt de tramways, il était possible de contempler un modèle réduit du port mesurant 30 m sur 40 m, agité par des vagues miniatures venant frapper les ouvrages avec une force semblable en proportion à celle de la mer montant à l'assaut des digues véritables. L'exécution de cette maquette coûtera plusieurs millions de francs. Cela pour éviter des erreurs qui se chiffreraient par milliards (René Pleiber, Le Journal d'Alger, 27 novembre 1946).

Par la suite la jetée Nord sera prolongée et incurvée. La jetée Mustapha sera aménagée selon le profil décidé à la suite de la tempête du 3 février 1934.
Ce travail opiniâtre put se faire grâce à d'humbles ingénieurs, techniciens, ouvriers des quais et de " pieds- lourds ", scaphandriers, aujourd'hui complètement oubliés.

En mémoire des hommes

Pendant plus de 100 ans, des hommes venus de tout le bassin méditerranéen transformèrent une ancienne darse turque en port moderne. Cela ne se fit pas sans d'énormes difficultés et de nombreuses victimes dont la disparition, ravalée au rang de simples faits divers, est complètement enfouie dans un profond oubli. Les jeunes Algéroises et Algérois, qui dès le printemps se pressaient, insouciants et joyeux, sur les blocs des brise-lames de la jetée Pierre-EmileWatier, ne se doutaient pas et ignoraient tout des sacrifices consentis par ceux qui firent de cette darse turque un grand port ensoleillé. C'est encore vers ces blocs, dont les premiers furent conçus par Georges Aimé et les plus récents par M. Anglès d'Auriac, que leurs derniers regards se fixèrent lorsque le bateau les emporta loin du ressac. Ils se souvenaient alors que, des rampes des boulevards, ils admiraient la fureur des violents assauts de la mer et savaient par avance qu'il y aurait, demain, des hommes pour entretenir ce que d'autres avaient construit. Dans quelques années, leurs descendants voudront savoir ce que leurs aïeux faisaient à Alger.

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Remerciements
Les auteurs remercient bien vivement le Dr Georges Duboucher, MM. Claude Ariès, Jacques Thibaut, Jean de Thoisy qui ont fourni les documents iconographiques du présent article. Ils n'oublient pas non plus toutes les personnes qui ont obligeamment mis à leur disposition des témoignages précis sur ces désastres qui marquèrent durant de nombreuses années l'activité du port d'Alger.

Références bibliographiques:
- AIMÉ (Georges), Recherches de physique sur la Méditerranée, 1845.
- LARRAS (M.), directeur, L'aménagement de l'ancien bassin du port.
- BALENSI (M.), ingénieur en chef, Rapport de 1927.
- DELVERT (Charles), Le port d'Alger, Dunod éditeur, Paris, 1923.
- LAYE (Yves), Le port d'Alger, Rives imprimeur, rue Marceau, Alger.