PRESENTATION GENERALE
HISTORIQUE
A/ Une plaine presque sans histoire
avant les Turcs
Coincée entre un littoral qui posséda deux capitales (Iol-Caesarea)
et (Icosium-Djazaïr des Beni-Mezghana), et un Titteri
où furent situés les deux centres de pouvoir d'Achir et
de Médéa,
la plaine de la Mitidja resta en permanence un territoire dépendant
de l'une ou l'autre de ces quatre villes.
Caesarea
Mauretaniae (Cherchell) est
le nom romain de la ville phénicienne de Iol
fondée au IVè siècle avant j-c. Après
la chute de Jugurtha en - 105 elle passa sous le contrôle
des Romains qui se contentèrent de protéger, tout
en les romanisant, les rois de Maurétanie ; et notamment
Juba II
(-25 +23).
Rome attendit l'an 40 (le vrai en 40) pour annexer de facto la province
dont le nouveau roi Ptolémée, fils de Juba II, avait
été assassiné à Lyon sur ordre de Caligula.
L'annexion officielle fut décidée par Claude en 44.
La Mitidja fit alors partie de cette " Maurétanie Césarienne
".
|
Achir,
près d'Ain-Boucif, fut à partir de 936
la capitale du nouveau royaume ziride fondé par Ziri ibn
Menad. Le fils de ce dernier, Bologhine ibn Ziri, fortifia sur la
côte un ancien port phénicien, puis romain (Icossim-Icosium)
qu'il rebaptisa Djazaïr des Beni-Mezghana, à l'emplacement
de l'actuel Alger. En fait la Mitidja et le littoral échappèrent
très vite à l'autorité des Zirides plus intéressés
par l'Ifrikiya (Tunisie) et l'Egypte. La Mitidja devint une dépendance
de fait de la ville d'Alger ; son arrière-pays immédiat
et nourricier.
|
1°
sur la Mitidja sous les Carthaginois, je ne sais rien de sûr.
On peut néanmoins imaginer que des éléphants carthaginois
ont pataugé dans les marécages de la plaine ; pas les 37
éléphants qui, en -218, ont franchi avec beaucoup de difficultés
les Alpes, on ne sait où au juste, pour attaquer Rome en vain,
car ils étaient partis d'Espagne. Mais ceux qui ont aidé
Hasdrubal à créer précisément cette Espagne
carthaginoise autour de la ville de Carthagène, la bien nommée,
en -227.
2°
La Mitidja romaine est un peu mieux connue
Elle appartient à la Maurétanie Césarienne administrée
par un procurateur qui dépendait directement de l'Empereur et qui
n'avait à sa disposition que des troupes auxiliaires. Donc pas
de légionnaires dans la Mitidja. Le procurateur résidait
à Cherchell.
On y a identifié quelques ruines romaines très
modestes : rien qui ressemble à une ville ou à une chaussée
empierrée. La ville la plus proche était sur la côte,
à Tipasa. Seules quelques pierres taillées ont été
trouvées, parfois enfouies profondément, comme celles aperçues
près de Blida en creusant un puits. Il est certain qu'en deux millénaires
les pierres romaines ont eu le temps d'être ensevelies sous les
alluvions descendues de l'Atlas, ou d'être récupérées,
plus tard, pour bâtir quelques fermes ou haouchs plus solides que
les gourbis traditionnels.
La Mitidja romaine est restée à l'écart
des itinéraires majeurs. La route stratégique Est-Ouest
principale avait été tracée beaucoup plus au sud.
Entre leurs provinces d'Afrique les Romains avaient aménagé,
de la Proconsulaire (Tunisie) à la Tingitane (Oranie, Maroc) une
sorte de rocade qui reliait Sitifis (Sétif) à la vallée
du Chéliff par Auzia (Aumale), Rapidum (Masqueray) et Tirinadi
(Berrouaghia). Le camp romain principal était celui d'Auzia, le
plus proche de la Mitidja, celui de Thanaramusa, près de Berrouaghia.
En 212 les berbères
de la Mitidja, avec l'édit de Caracalla,
sont tous devenus citoyens romains. On peut donc dire, soit qu'il n'y
avait que fort peu de Romains dans la plaine, soit qu'il étaient
tous romains après 212. En réalité cette citoyenneté
juridique n'a pas dû modifier grand chose. Et pas davantage le christianisme
qui a connu quelques succès limités.
J'ignore s'il subsistait encore de vrais Romains en 429.
Si oui, ils ont été éliminés ou chassés
par les Vandales. Surtout la minorité qui s'était convertie
au catholicisme, car les Vandales avaient adopté l'hérésie
arienne.
Seuls les Vandales (trait vert) sont venus
en Afrique.
NB. L'empire romain d'Occident disparut en 476
NB. Les vandales ont saccagé Rome en 455
Les Wisigoths l'avaient déjà saccagée en
410 |
|
On peut noter, tout en s'en étonnant, que malgré
plusieurs siècles de présence, il n'est resté des
Romains, en Algérie dans son ensemble, que des pierres et des ruines
de villes. Ils ont raté leur colonisation, autant que nous, voire
plus. La langue latine a été totalement oubliée,
alors qu'ailleurs, elle a donné naissance au français, au
portugais, à l'espagnol et à l'italien. Le christianisme,
encore présent en 647, a été éradiqué
au Maghreb, alors que des minorités chrétiennes ont subsisté
jusqu'à nos jours au Liban, en Syrie, en Irak et en Egypte ! Le
berbère s'est donc révélé parfaitement inassimilable.
Cependant, plus tard, il adoptera la religion des nouveaux conquérants
musulmans ; et parfois leur langue.
4
° Les Vandales n'ont fait que traverser la Mitidja
Les Vandales avaient franchi le détroit de Gibraltar sur des navires
romains ! En effet Rome leur avait consenti le statut de fédérés,
donc d'amis. En Espagne ils étaient soumis à la pression
des Wisigoths (le trait noir de la carte ci-dessus) et ils saisirent volontiers
l'occasion de partir lorsqu'un gouverneur romain de Maurétanie
(Bonifacius) les appela à l'aide
contre l'autorité de la régente à Rome (Placidie
depuis la mort d'Honorius en 423).
Leur chef était Genséric. On estime le nombre des guerriers
à au moins 30 000, plus les membres de leurs familles. Une fois
débarqués près de Tanger, au printemps 429
ils se divisèrent en plusieurs dizaines de bandes qui
se mirent en marche vers l'est en saccageant la Maurétanie. Certaines
bandes, sinon toutes, traversèrent la Mitidja. L'une de ces bandes
prit le temps de raser les murailles de Caesarea (Cherchell) et de Tipasa
; signe qu'elle n'avait pas l'intention de se fixer en ces lieux. Cela
n'empêcha pas Genséric d'obtenir de Rome, en 435, la confirmation
de son statut de fédéré avec possession de la Mitidja.
Mais le but véritable de Genséric était la prise
de Carthage qu'il conquit en 439 et dont il fit la capitale d'un royaume
dont les limites n'englobaient pas la Mitidja.
Pourtant, autant que l'on puisse en juger, Rome n'a rien
tenté pour réoccuper un territoire laissé libre après
le départ de la horde vandale. Les textes n'ont gardé aucune
trace d'une quelconque réaction du pouvoir impérial : voilà
qui en dit long sur la dissolution interne d'un empire d'Occident voué
à disparaître bientôt, en 476 précisément.
Après la conquête de Carthage par les Byzantins,
les hommes en âge d'être soldats furent déportés
à Constantinople pour y être engagés dans l'armée
impériale et combattre sur d'autres fronts. Les autres, les femmes
et les enfants restèrent en Afrique et se fondirent dans la population
berbère locale. De l'Afrique vandale il ne resta rien, sinon une
mauvaise réputation sans doute injustifiée, à cause
du discours d'un député à la Convention à
Paris vers 1793/1794 ; celui de l'abbé Grégoire. Voulant
stigmatiser les pillards parisiens de son époque, il les traita
de vandales, épargnant ainsi la mémoire des Wisigoths et
des Ostrogoths qui ne devaient pas valoir mieux.
5°
La Mitidja est très marginale pour les Byzantins
En bistre les provinces reconquises par
Byzance |
|
Carthage est conquise en 533, ainsi que la Tunisie. Les
deux étoiles de la carte situent les deux batailles décisives
perdues par les Vandales. Au delà de Sétif et d'Auzia (Aumale)
les troupes du général Bélisaire, sous l'empereur
Justinien (527/565), n'ont occupé que les ports de Cherchell et
de Tipasa. S'ils sont passés par la Mitidja, les Byzantins ne s'y
sont pas installés. Cela a permis aux tribus de la plaine d'échapper
aux troubles de la période : exactions fiscales, persécutions
religieuses et mutineries de soldats. De toute façon, à
partir des années 550, la priorité militaire de Byzance
fut de combattre les Ostrogoths.
Il est probable qu'à l'écart du littoral
l'effacement de Byzance a entraîné une sorte d'anarchie politique
: le pouvoir central disparu ou très affaibli n'a pu s'opposer
à la résurgence de formes de pouvoir tribales. Le pouvoir
s'est éparpillé en reprenant, chez les indigènes
berbères, les traditions ancestrales.
6° La
" colonisation " arabe de la Mitidja fut réussie
Je mets le mot colonisation entre guillemets car le but des compagnons
d'Okba ben Nafi, n'était nullement
de coloniser, mais de conquérir et sans doute aussi de propager
les paroles du nouveau prophète Mahomet. Il menait un djihad et
proposait la conversion aux vaincus païens, chrétiens et juifs,
sans la leur imposer. Les conversions auraient été rapides,
favorisées, pense-t-on, par le fait que les berbères échappaient
ainsi au paiement de deux impôts spéciaux : la capitation
et l'impôt foncier. Il se peut également que les chrétiens
aient été préparés à l'acceptation
d'un nouveau monothéisme plus simple que les précédents
car ignorant les querelles théologiques sans fin sur la double
nature du Christ.
L'invasion arabe en Tunisie a commencé en 647
; le passage du détroit dit de Gibraltar par Tarik
ibn Ziyad est de 711. Les arabes sont donc arrivés dans
la Mitidja entre ces deux dates, et sont restés assez longtemps
pour avoir islamisé les berbères et pour les enrôler
dans un djihad vers l'Europe où les occasions de pillage ne seraient
pas rares.
Pour l'arabisation ce fut plus long. L'arabe étant
la langue des nouveaux maîtres, il est sûr que l'ascension
sociale, ou plus simplement les contacts avec les représentants
du pouvoir, exigeaient de connaître quelques mots d'arabe parlée.
Il ne s'agissait pas de l'arabe du Coran, mais d'un arabe des bédouins
d'Egypte, que nous appellerions dialectal. En 1830 le processus était
allé à son terme dans les plaines, mais pas dans les montagnes
de l'Atlas tellien. Entre 1830 et 1842 les rapports des officiers français
qualifiaient de Kabyles les populations de l'Atlas qui venaient piller
les premières fermes de la Mitidja.
Entre le XIè siècle et 1515 (arrivée
des Turcs) la Mitidja disparut des chroniques et demeura une région
sans histoire malgré les nombreux passages des conquérants
venus de l'est, de l'ouest et même du sud
vers 950 les Zirides venus d'Achir,
vers 1000 les Hammadides venus de Bougie,
vers 1100 les Almoravides venus de Marrakech
vers 1200 les Almohades venus de Marrakech
vers 1300 les Hafsides venus de Tunis
vers 1350 les Zianides (ou Abdelwadides) venus de Tlemcen
vers 1400 les Mérinides venus de Fès. |
Quelques jalons : |
.
B/ La Mitidja turque
1515-1830
Avec la conquête turque la Mitidja renoue avec une histoire écrite,
précisément datée et localisée. Les Turcs
y furent souverains durant 315 ans.
1°
La conquête fut quasi accidentelle et très facile
Elle fut accidentelle car ce sont les Algérois, du moins leur chef
Salim el Teumi, qui appelèrent au secours, contre les Espagnols,
Baba Aroudj, un corsaire grec renégat
entré au service des Turcs et entouré d'un halo d'invincibilité.
En 1515 Aroudj et son frère Kheir ed Din (plus tard sur nommé
par nous Barberousse) accoururent, prirent la ville, tuèrent Salem
el Teumi qui était le chef d'Alger et aussi de la tribu qui dominait
la Mitidja. Ils occupèrent leurs compagnons en les lançant
à la conquête de la Mitidja et des montagnes du Titteri et
du Zaccar. Il ne leur fallut que quelques semaines pour soumettre toutes
les tribus de la plaine.
Après la mort de son frère, Kheir
ed Din se plaça sous la protection du sultan de Constantinople
qui légitima sa conquête, lui envoyant 12 000 janissaires
tout de suite et des administrateurs ensuite. C'est ainsi que la Mitidja
devint turque et ottomane pour 315 ans.
2°
La Mitidja turque fit partie du Dar es Soltane
Ce qui signifie qu'elle dépendait directement du dey d'Alger. Elle
fut divisée en quatre outhans (ou
districts) qui découpaient la plaine en quatre bandes méridiennes
dont les noms et localisations approximatives sont indiqués sur
le croquis ci-dessous.
NB. Le tunnel n'a été creusé qu'en
1930 par les Français pour vider le lac Halloula et lutter
contre le paludisme. |
|
A la tête de chaque outhan le dey nommait un caïd, généralement
turc ; et le caïd avait pour adjoint des cheikhs généralement
arabophones, voire arabes. Au-dessus des quatre caïds, un agha (chef
militaire) dit agha des arabes. C'est lui qui nommait les cheikhs, après
que ceux-ci lui aient offert des cadeaux jugés suffisants. Curieusement
les cheikhs n'avaient pas le droit de résider dans leur tribu,
afin de ne pas être tentés de prendre le parti de leurs administrés.
Les Turcs répartirent les tribus en deux catégories : les
tribus du Makhzen supérieur
(les Hadjoutes seuls) et les tribus raïas (les autres). Les tribus
raïas payent tous les impôts, y compris les exceptionnels,
à chaque investiture d'un nouveau dey par exemple. Les tribus Makhzen
sont exemptées des impôts non coraniques mais doivent fournir
au dey ou aux agents du dey un appui militaire en cas de besoin. Le besoin
le plus fréquent, annuel, était la collecte des impôts.
Les Hadjoutes devaient aider les cheiks dans cet exercice impopulaire,
d'autant plus impopulaire que chacun savait que les cheikhs gardaient
pour eux une partie de la collecte. L'agha était aussi le responsable
de la sécurité des fellahs, souvent troublée par
les incursions des tribus montagnardes de la plaine. Les Turcs, ayant
conquis ces montagnes, installèrent un bey du Titteri à
Médéa en 1548 et un autre, du Zaccar, à Miliana.
Tous les ans , au printemps, la Mitidja était
traversée par une troupe de janissaires qui montaient à
Médéa pour aider le bey du Titerri à collecter les
impôts. Une fois la collecte achevée, ils redescendaient
pour porter le trésor à Alger et le remettre au Khasnadar,
trésorier du dey. Tous les trois ans le bey devait se rendre en
personne à Alger pour y déposer son tribut et obtenir son
maintien en fonction. Il faisait halte à Blida, la seule agglomération
protégée par une muraille pourvue de 5 portes fermées
la nuit et gardées.
3°
Blida est la seule ville de la Mitidja turque
Et elle est toute récente. Cette cité a été
créée à l'époque turque, pour héberger
des réfugiés morisques fuyant l'Espagne. Ces musulmans convertis
de force au christianisme après 1499 supportaient mal cette situation.
De surcroît les autorités espagnoles se méfiaient
d'elles estimant leur nouvelle foi fragile. Sans être chassés,
certains ont pris la décision d'émigrer vers un pays musulman.
Les autres ne seront chassés qu'en 1609. La date retenue pour la
création de Blida est 1533 ou 1535. Ces morisques ont apporté
avec eux leur savoir-faire agricole qui maîtrisait notamment les
techniques d'irrigation.
La Blida turque eut quatre rôles principaux :
-ville
de garnison,
-ville
étape sur la route de Médéa,
-ville
de relégation,
-ville
de plaisir enfin.
Les militaires devaient, d'une part sécuriser une étape
importante sur les chemins conduisant au sud par Médéa,
et à la vallée du Chéliff par celle de l'Oued Djer
; et d'autre part protéger les jardins du piémont contre
les pillards de l'Atlas.
Les fonctionnaires en disgrâce y attendaient le changement de dey
et une grâce éventuelle.
Les militaires et la plupart
des fonctionnaires étaient sans famille ou l'avaient laissée
à Alger. La présence de ces célibataires obligés
eut deux conséquences à Blida : |
|
- le grand nombre des prostituées
; un Mezzouar était nommé. Ce fonctionnaire était
spécialisé dans la gestion de tous les problèmes
associés à cette profession ; |
|
- le grand nombre des Koulouglis,
métis nés d'un père turc et d'une mère
indigène.
Ces Koulouglis étaient craints par les indigènes pour
ce qu'ils avaient de turc et méprisés par les Turcs
pour ce qu'ils avaient d'arabe ou de berbère. Quand, en 1830
la France aida au " rapatriement " vers Salonique des officiels
turcs, les Koulouglis ne furent pas du voyage et restèrent
en Algérie. |
Peu avant la conquête française la ville
eut à souffrir de deux malheurs qui l'affaiblirent : en 1817 une
épidémie de peste, et au printemps 1825 un séisme
qui ébranla les murailles, détruisit des maisons et , plus
grave, des mosquées. Il aurait tué la moitié de la
population qui serait tombée de 6000 à 3000 habitants.
4°
Quelle mise en valeur ?
La Mitidja turque était-t-elle riche ? Difficile à dire
tant les témoignages diffèrent sur sa richesse, tout en
s'accordant pour accabler les trois siècles de gestion turque.
En 1727 le consul des Etats-Unis, Schaler, a vu " de riches pâturages,
de nombreux troupeaux et de splendides jardins " là où
le capitaine de Saint-Arnaud, en 1838 n'a vu que des " mares boueuses
et des fossés ".
Il est sûr que quelques haouchs étaient prospères,
possédés le plus souvent par des propriétaires absentéistes,
arabes ou turcs, qui vivaient à Alger, loin des fièvres
de la plaine. Sur place les travaux agricoles étaient assurés
par des khammès, (métayers). Le propriétaire y venait
de temps à autre ; de préférence hors des mois à
moustiques. Il est tout aussi sûr qu'il y avait des fellahs modestes
qui donnaient vie aux nombreux souks hebdomadaires ; et qu'il y avait
des marécages. En fait la Mitidja était diverse ; plus saine
et cultivée au sud, au pied de l'Atlas, et à l'est ; plus
pauvre et paludéenne au nord et à l'ouest où le lac
Halloula stérilise des milliers d'hectares.
Ces marécages, les Turcs les connaissaient, mais
l'idée d'engager des travaux de drainage ne leur est jamais venue.
A vrai dire, hors de la ville de Blida, les Turcs n'ont bâti qu'une
seule infrastructure durable : un pont sur l'Harrach (voir
sur ce site:
l'Harrach)
construit en 1697 et restauré en 1735. En 1724, pour protéger
ce pont situé près d'Alger, ils avaient installé
le bordj Sidi Yahia : un fort de forme
carrée. Cette forme serait à l'origine du toponyme français
de Maison-Carrée.
C/ La Mitidja et la France
1°
Douze ans de conquête, difficile
La conquête fut longue, en partie parce que la décision de
conquérir fut tardive. La prise d'Alger avait été
décidée par Charles X que la révolution de juillet
1830 écarta bientôt du pouvoir. Son successeur, Louis-Philippe,
et le président du conseil, Casimir Perrier, ne savent que faire
de cet encombrant héritage. Fallait-il partir ? Ou rester et donc
contrôler l'arrière-pays ? La décision de rester ne
fut prise qu'en juillet 1834.
Elle fut très difficile en raison d'une forte résistance
qu'il fallut combattre, dans la Mitidja, jusqu'à la fin 1839 ;
voire au-delà à certains endroits.
Par ailleurs elle fut menée par des commandants
en chef qui n'eurent pas la même stratégie, et qui restaient
en poste trop peu de temps : 8 responsables furent nommés entre
de Bourmont en 1830 et Bugeaud nommé en 1840. Ce dernier fut une
exception car il resta en poste 5 ans. Il ne se contenta pas de consolider
notre présence dans la Mitidja : dans la foulée de sa lutte
conte Abd-el-Kader, il conquit presque toute l'Algérie, sauf la
Kabylie.
Voici la liste de ces chefs. Les 5 premiers eurent le
titre de Commandant en chef ; les suivants celui de Gouverneur Général.
Tous étaient des officiers supérieurs, lieutenants-généraux
ou maréchaux. La date mentionnée est celle de la prise de
fonction théorique et non celle de l'arrivée à Alger.
Louis de Bourmont |
31/01/1830 |
Bertrand Clauzel |
12/08/1830 et 7/07/1835 |
René Berthezène |
31/01/1831 |
René Savary |
6/12/1831 |
Théophile Voirol |
29/04/1833 |
Jean-Baptiste Drouet d'Erlon |
27/07/1834 |
Charles Denys de Damrémont |
12/02/1837 |
Sylvain Valée |
13/10/1837 |
Thomas-Robert Bugeaud |
2/02/1841 |
NB Je n'ai pas tenu compte des intérimaires |
|
-1a/
1830-1834 fut le temps des hésitations
et des opérations de reconnaissance
Le 6 juillet 1830, au lendemain de
la prise d'Alger, de Bourmont franchit l'Harrach sur le pont turc de 1697
et longe la limite nord de la Mitidja pour aller au cap
Matifou voir, d'en face, la ville d'Alger
Le 22 juillet 1830,
avec 1200 soldats il traverse toute la Mitidja jusqu'à Blida :
simple reconnaissance sans idée d'une prise de la ville qui aurait
exigé un siège. Il reçoit une délégation
de notables de la ville : entrevue sans suite. Sur le chemin du retour,
le 24 juillet, il est harcelé par les tribus. Il ne laisse pas
de soldats près de Blida, mais a pu constater le mauvais état
des murailles.
Le 17 novembre 1830
c'est Clauzel qui traverse la Mitidja
pour monter à Médéa et y châtier le bey Bou
Mezrag qui nous a trahis après une apparente soumission. Il arrive
à Blida le 18, s'empare de la ville, installe une garnison et transforme
une mosquée en hôpital. Le 21 il repart pour Médéa.
Le 26 les tribus attaquent la garnison qui tient bon, et gênent
la progression des éléments de renfort.
NB1 Blida joua 3 fois encore
le rôle de gîte d'étape sur le chemin de Médéa
;
en juin 1831 avec Berthezène
en août 1836 avec Clauzel
en mai 1840 avec Valée
NB2 A cette époque le chemin de Médéa ne remontait
pas les gorges de la Chiffa (voir
sur ce site:
les gorges) alors
impraticables, mais gravissait le djebel Mouzaïa qui était
franchi par un col haut de 1 043m. |
-1b/
1834 fut décisive pour trois raisons : une parisienne et deux locales.
Le 22 juillet 1834 est publiée
une ordonnance royale qui décide que la France restera en Algérie.
Par conséquent Louis-Philippe nomme un " Gouverneur Général
des possessions françaises dans le nord de l'Afrique " au
lieu d'un commandant en chef. Le premier fut Drouet
d'Erlon qui dut contrôler les environs d'Alger, à
commencer par le Sahel et par la Mitidja.
Le 15 juin 1834 Voirol
attaque les Hadjoutes dans leur territoire
et engage un conflit à répétitions contre notre adversaire
principal. Les tribus du centre de la Mitidja, Beni-Moussa et Beni-Khelil,
nous ont aidés en rejoignant le camp français. Les tribus
montagnardes, surtout du côté de la Kabylie, ont aidé
les Hadjoutes en nous obligeant à combattre aux deux extrémités
de la plaine.
Fin 1834 un camp militaire
fortifié permanent est envisagé près du lieu-dit
Bou Farik où se tenait, le lundi, un souk très fréquenté
dans une zone marécageuse. Ce camp est appelé d'abord camp
d'Erlon ; puis après que des européens aient
été autorisés à venir commercer, le Bazar
d'abord et Médina Clauzel ensuite.
Il se forma ainsi une sorte de village informel qui obtint, le 20 septembre
1836, une consécration officielle avec la création du centre
de colonisation de Boufarik, pour
142 familles.
-1c/
1835-1838 4 ans d'insécurité due au harcèlement
constant des postes et des fermes français par tous les arabes
et berbères qui demeuraient hostiles aux infidèles ; et
notamment à l'ouest par les Hadjoutes et à l'est par les
Kabyles. La stratégie française fut de multiplier les camps
militaires, surtout au pied de l'Atlas. La nécessité de
les ravitailler et d'assurer la rotation des troupes, entraîna la
hausse des embuscades contre nos convois et nos détachements. Il
était aussi quasi impossible de sécuriser les environs de
Boufarik (20 colons sont surpris et massacrés en juin 1837 près
de Boufarik ; ils étaient pourtant armés mais avaient laissé
leurs armes un peu à l'écart).
En mai 1838 Valée améliore
le dispositif en créant au nord de Blida deux nouveaux camps dit
supérieur et inférieur (origine des villages de Joinville
et Montpensier créés en 1843). Il s'agissait de sécuriser
les routes de Médéa et du Chéliff. Contre les Hadjoutes,
le général Berthois avait imaginé la création
d'un obstacle susceptible de bloquer les cavaliers. Cet obstacle, appelé
" fossé continu " était un fossé, de préférence
ennoyé, et ponctué de blockhaus en bois tous les 500m. Ce
fossé resta inachevé, après la soumission des Hadjoutes
en 1842, mais les blockhaus furent utiles aux colons : ils leur servirent
de réserves de planches.
Il est possible de cliquer
sur la carte pour l'agrandir.
Remarquez l'étendue des marais (hivernaux) en
bordure du Sahel
Le camp du Hamiz est à l'origine du village de Fondouk
Le camp de Kara Mustapha est au-dessus de la plaine et vulnérable
Le projet de fossé
continu suivait à peu près le tracé de
l'oued Chiffa |
|
-1d/
Le désastre de l'automne 1839 fut l'un des épisodes
les plus sanglants de la lutte contre Abd-el-Kader. Ce dernier avait signé
avec les Français un accord dit de la Tafna le 30 mai 1837, selon
lequel la Mitidja était à nous. Mais les deux textes, arabe
et français, étaient peu clairs en ce qui concerne la limite
de la Mitidja du côté de la Kabylie. Or, du 23 octobre au
2 novembre Valée conduisit personnellement les troupes qui relièrent
Sétif à Alger à travers un territoire qu'Abd-el-Kader
considérait comme sien en vertu de l'article 2 de l'accord.
Le 18 novembre il nous déclara
le djihad.
le 19 ses khalifas saccagèrent
la Mitidja en massacrant les chrétiens et les musulmans qui travaillaient
pour eux.
Le 20 un convoi est surpris et massacré.
Le 21 unité perd 105 soldats
près d'Oued-el-Alleug. Les Hadjoutes emportent 98 têtes.
J'estime l'aspect des fermes des colons peu crédible.
Par contre le mode de leur décollation est tout à
fait vraisemblable. |
|
Décembre fut un mois désastreux pour la
Mitidja. Valée fit évacuer
tous les postes militaires sauf 5 ; à savoir Kara Mustapha, Arba,
Fondouk, Blida supérieur et Maison-Carrée. Ce dernier servait
de base de départ pour tous les envois de renforts ou de vivres.
Il ordonna aussi de replier de force les colons survivants.
|
Valée
fut remplacé par Bugeaud qui décida d'attaquer les Hadjoutes
sur leurs terres à l'ouest de l'oued Ameur-el-Aïn. C'est
son adjoint Théodule Changarnier qui
reçut leur soumission en juin 1842,
mettant fin ainsi à 12 ans de brigandage. La mise en valeur
et la colonisation de la Mitidja par des fermiers devint possible.
Changarnier s'était déjà illustré en août
1840 en venant au secours du camp de Kara Mustapha, menacé
par les troupes du khalifa Ben Salem. La garnison fut sauvée,
mais le camp, trop vulnérable aux lisières de la Kabylie
fut abandonné.
On avait vainement essayé d'engager les Hadjoutes, en tant
que tribu makhzen, parmi nos auxiliaires. Mais ils n'acceptèrent
pas de servir des infidèles comme ils avaient servi les Turcs
: ils avaient une foi aussi bien chevillée au corps qu'un turban
sur la tête de son mollah. Pourtant, près d'Oran, les
Douairs et les Smelas, dans le même cas avaient accepté. |
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