Cafés de la place
du Gouvernement
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----. -------En 1891, la place du Gouvernement n'abritait guère sous ses arcades que des cafés et des estaminets. À toute heure du jour et de la nuit, ces établissements étaient copieusement achalandés. Des foules populaires s'y pressaient. Les gens qui descendaient des tramways et des corricolos ne résistaient pas à la tentation de prendre un verre sur le zinc. Les consommations étaient d'un bon marché invraisemblable. Pour deux sous, on buvait une anisette espagnole, ou une absinthe Berger. Un "pernod" coûtait trois sous. Et il y avait aussi la limonade Hamoud et la "bille Grima". II s'y faisait enfin une grande consommation de vin blanc de Médéa. Les odeurs des buvettes débordaient sur le trottoir et jusque sur la place, mêlées aux effluves marins des coquillages, aux parfums des violettes, des jasmins et des mimosas qui s'exhalaient des éventaires des fleuristes et des écaillères. Les terrasses grouillantes de monde s'étalaient jusque sur la chaussée. Mes amis Pépète et Balthasar, flanqués de leurs "cuadrillas " respectives, venaient y prendre séance pour de longues heures! A l'heure des apéritifs surtout, c'était admirable. L'heure de l'absinthe! Toute une poésie!... Un prince polonais de mes amis, échoué à Alger après d'invraisemblables aventures, beau buveur et fort latiniste, en était si touché qu'il n'avait pas hésité à célébrer cette heure divine en vers latins : -------Assidue, inter nos, mediana circiter bora --------Psittacus obteritur... -------Ce qui voulait dire : "Vers midi, on écrase le perroquet. " Et il l'écrasait, en effet, assidûment. -------Tout cela était très gai et un peu grisant comme odeur, comme ambiance, comme lumière et comme couleur. Les pompons des bérets marins se mêlaient aux rouges chéchias des indigènes. Les blouses bleues des colons et des rouliers aux vestes chamarrées des zouaves et des tirailleurs. Le soleil africain harmonisait et faisait resplendir toutes ces crudités. -------Ces cafés populaires occupaient tout le fond de la place du Gouvernement. De là, ils envahissaient la rue Bab-el-Oued et la petite place Mahon. Et même ils contaminaient le côté Bab-Azoun, alors quartier des élégances. Cependant, aux deux extrémités opposées de la place, brillaient encore d'un assez vif éclat deux établissements autrefois célèbres: le café de Bordeaux et le café d'Apollon, tous deux contemporains de la période héroïque qui suivit la conquête. Je les ai connus l'un et l'autre, alors que leur splendeur commençait à décliner. La clientèle bourgeoise émigrait vers des lieux plus modernes. On n'y voyait plus guère que des universitaires qui venaient y tailler une manille en prenant le "mazagran" de la méridienne, ou des fonctionnaires des Ponts et Chaussées, anciens polytechniciens, qui s'abîmaient dans les savantes combinaisons du jeu d'échecs. -------Je me rappelle aussi qu'un an ou deux avant mon arrivée, des habitués du café d'Apollon y avaient introduit François Coppée, alors hivernant à Alger. Pour un poète, le café d'Apollon semblait, en effet, tout indiqué. Je crois bien qu'on y vit aussi Barrès et Pierre Louys ! Ces visiteurs notoires n'y avaient laissé qu'un médiocre souvenir. Pour Coppée, c'est certain. Ses talents de manilleur furent fort peu appréciés. D'ailleurs, le chantre du petit épicier de Montrouge n'avait pas la bosse de l'exotisme : à Alger, il avait froid et il regrettait son estaminet du boulevard Montparnasse. -------Puisque j'en suis au chapitre des cafés, qui tenaient alors une si grande place dans la vie algéroise, il faut bien que je commémore le Gruber, l'Oasis et le Tantonville, les deux premiers sur le boulevard de l'Impératrice, le second près du théâtre, sur la place de la République. Prendre une glace et même un simple bock, le dimanche après-midi, sur la terrasse d'un de ces établissements fameux, aux accords de la musique municipale, qui jouait alors sous les bambous du square Bresson, c'était le rêve des familles bourgeoises et le voeu des militaires perdus dans les lointaines garnisons du Sud... -------Ainsi, le beau monde commençait déjà à déserter la vénérable place du Gouvernement pour le quartier BabAzoun et ses prolongements. Seul, l'imposant Hôtel de la Régence (anciennement de la Tour du Pin), qui depuis un siècle occupe presque tout un côté de la place, continuait, dans ce milieu devenu populaire, une tradition d'élégance. Il avait une clientèle d'hiverneurs, bien que, dès cette époque, il y eût déjà de grands hôtels touristiques installés sur les hauteurs de Mustapha. Ce coin de la Régence était celui des coiffeurs selects, des fleuristes, des marchands de tabacs de luxe. A l'angle de la rue Bab-el-Oued, s'ouvrait le magasin de vente de la célèbre firme Mélia, où l'on faisait main basse sur des monceaux de cigares et de cigarettes, négligemment offerts aux convoitises du passant : excellents bastos, havanes de premier choix. Et il y avait aussi les Berthomeu, et, sur le boulevard de l'Impératrice, les Tinchant, citoyens belges, qui, avec les produits de leur pays, vendaient tout un assortiment de tabacs anglais et américains. |