HISTOIRE de L'OPÉRA D'ALGER
Épisodes de la vie théatrale algéroise
1830-1840
Fernand Arnaudiès

INCENDIE de 1882 et REMANIEMENT OUDOT pages 93 à 105

« Pouvez-vous me nommer un théâtre qui ne fut point, un jour, la proie des flammes»
François Peyrey (Entretiens)

sur site le 21-11-2004
L'OCR a laiisé des "coquilles" que je n'ai pas reprises. Veuillez me pardonner. Vous pouvez me les signaler..
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--------L'incendie éclata dans la nuit du 19 Mars (le Déjanté : ah! date prémonitoire?)1882. Il était exactement trois heures un quart.
--------Le pompier de service, M. Evariste Pommirol, effectuait une ronde, lorsque son attention fut attirée par un bruit insolite.
--------Il alerta le concierge, persuadé que des gens mal intentionnés se cachaient dans quelque coin. Puis, passant sur la scène, il aperçut de longues flammes qui déjà atteignaient le cintre et le tambour du lustre. Alors, il donna l'alarme.
--------Les Algérois, réveillés par le clairon d'appel, accoururent nombreux place Bresson, où étaient rassemblés pompiers, sapeurs du génie, tirailleurs, zouaves et marins.
--------Le général Loysel, entouré de plusieurs officiers, se tenait à l'angle de la rue Bab-Azoun où le rejoignaient le Préfet ; le Maire M. Guillemin ; les adjoints MM. Huré et Portier ; le Secrétaire général du Gouvernement, et M. Fromant, qui devait, plus tard, prendre la direction de l'Opéra reconstruit.
--------Six pompes de la ville, secondées par celles du Génie et de la Douane, furent mises en action. Les soldats, les civils, voire des femmes, " faisaient la chaîne ". L'eau ne manquait pas, mais l'incendie redoublait d'intensité et le feu alimenté par la masse des décors, ravageait la scène.
--------Sous l'effet de la chaleur, une conduite se rompit, libérant un gros volume d'eau qui vint inonder les dessous du plateau ; aide imprévue pour les sauveteurs.
--------Peu à peu les flammes devinrent moins agressives et moins dangereuses pour les immeubles voisins. Cependant, le feu trouvait des aliments faciles dans les boiseries et les charpentes. À chaque instant les spectateurs impuissants et navrés percevaient le fracas de nouveaux écroulements, fermaient les yeux devant un nouveau flamboiement infernal. À quatre heures le dôme cédait, s'effondrait d'un seul coup, entraînant le lustre avec grand bruit. Une gerbe d'étincelles jaillit alors avec une violence inouïe, et la foule se replia en désordre jusqu'aux premiers arbres du square.
--------Les artistes étaient accourus. Beaucoup d'entre eux avaient laissé leurs costumes dans les loges : une fortune. Les cris se mêlaient aux pleurs. Et aussi les prières. Une première chanteuse suppliait un pompier de sauver sa plus belle robe - une robe de huit cents francs - un chef-d'œuvre.
--------À six heures, le magasin aux costumes, la salle des archives, la bibliothèque, étaient complètement embrasés. Aliment facile, dont la destruction contribua à l'exaspération du drame.
--------Grâce aux portes de fer, le vestiaire des artistes fut épargné. On put sauver, avec peine, de nombreuses corbeilles et l'on conçoit la joie avec laquelle ténor, basse, mezzo, soprano ou maîtresse de ballet, accueillirent les sapeurs chargés de leur précieux bien notons en passant, que la fameuse robe de huit cents francs se trouvait dans l'une des corbeilles.
--------Le Foyer fut aussi épargné.
--------Quelques lézardes s'étant produites dans les murs latéraux, on fit sur-le-champ évacuer les abords immédiats du théâtre, où la foule stationnait depuis plus de cinq heures.
--------Je ne reviendrai pas sur l'émoi, l'anxiété, la stupeur qui, tour à tour, se partagèrent les sentiments de cette foule.
--------Un chat, un simple chat de gouttières, la tint en haleine une heure durant. Le fait d'ailleurs - un menu fait - vaut d'être rapporté, parce qu'on le raconta dans toute la ville, et que, longtemps, il fut une des principales péripéties du sinistre.
--------Un chat donc, un des nombreux chats adoptés par les magasiniers et qui font partie de la maison, pressé par le feu, trouva refuge sur la toiture, que des flammes léchaient par endroits ; affolé, il allait et venait le long d'une corniche, s'arrêtant, miaulant, regardant vers le sol, puis reprenant sa course désordonnée. Des curieux, naïvement, lui indiquaient du doigt, en l'appelant, un chemin de salut. Enfin, l'instinct guida l'animal qui réussit à se glisser au pied d'une statue, sur la façade intacte, puis, de là, sur le balcon du Foyer et, d'un bond, sur la terre ferme. Il disparut, emportant avec lui un peu d'histoire...
--------Les pompiers et la troupe demeurés sur place toute la journée suivante, se rendirent enfin maîtres du feu. Le général Loysel, le Préfet, le Maire tinrent à rendre hommage à leur dévouement et à leur courage.
--------Les dégâts, on s'en doute, étaient considérables : costumes, matériel, accessoires, décors, irrémédiablement perdus. La bibliothèque, assez richement dotée et qu'on évaluait alors à trois cent mille francs, n'était plus qu'un amas de cendres.
--------L'événement causa une impression profonde dans la ville. Innombrables ceux qui, de tous les quartiers, vinrent se recueillir devant les murs fumants.
--------Les causes de cet incendie ne furent jamais précisées. Des experts se mirent en campagne, fournirent leur rapport, mais ne s'appuyèrent que sur des hypothèses.
--------Le lecteur voudra bien nous excuser d'avoir insisté, un peu trop peut-être, sur cet événement ; mais son retentissement fut grand à l'époque et nous lui devions un large souvenir.

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--------Ce sinistre, qui privait près de deux cents personnes de leur unique moyen de subsistance, détermina un très bel élan de solidarité.

--------À ce sujet, la presse publia la note suivante
" Nous apprenons et annonçons avec le plus vif plaisir que la " société des " Amigos réunidos " organise pour dimanche prochain, au Théâtre Malakoff, à Bab-el-Oued, une représentation " extraordinaire suivie d'un bal, dont le produit est destiné à " venir en aide, dans les conditions indiquées par la souscription " ouverte au " Moniteur ", aux artistes et employés victimes de " l'incendie du Théâtre Municipal ".
--------De son côté, Mme Novel, propriétaire du même théâtre, mettait fort aimablement la scène de sa maison à la disposition des artistes du Municipal.
--------Un peu plus tard on construisit sur le bastion Waïsse une salle provisoire, dont la direction fut confiée à M. Coste.

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--------L'Opéra était assuré pour huit cent mille francs. Sa reconstruction devait en coûter douze cent mille.
--------Trois jours après le sinistre, c'est-à-dire le 22 Mars 1882, le Conseil Municipal se réunit.
--------Il s'agit de se prononcer sur un projet de reconstruction du Théâtre au même emplacement, avec utilisation des murs épargnés. Les avis sont partagés et il se manifeste d'irréductibles oppositions.
--------Enfin, un vote favorable au projet met fin à tous commentaires et l'architecte Oudot est chargé de la reconstruction. M. Oudot est un homme de talent, par conséquent il a des ennemis qui, jusqu'au bout, combattront son œuvre et agiront pour en retarder ou compliquer l'exécution sans résultat il est vrai. Car, en un temps record, le nouvel édifice est remis sur pied, si je puis dire. Sept mois et vingt jours ont suffi à M. Oudot, soutenu en la circonstance par M. Clodius Portier, adjoint aux Travaux Publics, pour déblayer, reconstruire, installer, meubler et décorer...
--------Sept mois et vingt-huit jours.
--------Un journal du temps se plaît à rappeler à ce sujet que déjà, à Paris, en 1871, un théâtre avait été reconstruit à un train... vertigineux : l'Opéra dressé par Lenoir, Porte Saint-Martin, en soixante-quinze jours !
--------Empressons-nous d'ajouter qu'il s'agissait là d'un bâtiment provisoire, simple et dépourvu de tout style ornemental.
--------Le nouveau théâtre d'Alger occupe une superficie de mille neuf cent quatre-vingt-onze mètres carrés - mille quatre cent trente étaient occupés par l'ancien - et compte un plus grand nombre de places. La scène, considérablement agrandie, est suivie d'une salle des fêtes rappelant le style hispano-mauresque et qui subsiste aujourd'hui. La superficie réservée à la scène et à l'arrière-scène atteint près de sept cents mètres carrés, soit pour le plateau un gain de cinq cents mètres carrés.
--------M. Oudot avait dû, pour donner à la scène ces nouvelles proportions, sacrifier une petite place située derrière le monument, au pied des murs de soutènement du marché de la Lyre.
--------Il fut question, un moment, d'orner cette petite place d'un buste du poète Regnard, esclave à Alger de 1678 à 1681, qui raconta ses romanesques et assez invraisemblables aventures dans un livre exquis : " La Provençale ".

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-------M. Oudot n'a pas modifié le style Renaissance de la façade ; il l'a chargée de mosaïque de verre à sujets polychromés, masques, médaillons, guirlandes...

--------Les mascarons que Chassériau avait placés au-dessus des fenêtres jumelées ont disparu. Les statues allégoriques n'ont pas subi le même sort. Elles demeurent, mais ont abandonné leur socle primitif en bordure du Foyer des fumeurs, pour occuper les têtes de colonnes réparties sur toute la largeur de la façade.
--------D'aucuns reprochèrent à Oudot d'avoir couvert les terrasses d'avant corps d'un toit d'ardoises : ce même toit que nous pouvons voir aujourd'hui. Sans doute avaient-ils raison, car il semble bien que l'Opéra de Chassériau, avec ses terrasses, répondait mieux à sa destination algérienne.

 

 

--------Mais pénétrons dans l'intérieur du bâtiment.
Le vestibule aussitôt retient l'attention. Il est vaste, bien équilibré, joliment décoré. Une galerie, desservant les premiers balcons, le domine sur toute sa largeur.
--------À droite et à gauche, au second plan, se trouvent les emmarchements de deux escaliers de marbre, recouverts d'un épais tapis.
--------Par ces escaliers on accède, tout d'abord, à un palier couronné d'un lustre de bronze, dont deux grandes glaces très habilement disposées multiplient les feux à l'infini.
--------Le fumoir, situé au-dessus de ce palier, est confortablement meublé. Le dallage est constitué par une mosaïque de Paray-leMonial, aux tons chauds et harmonieux.
--------Sous les combles, on a ménagé un atelier à l'usage des peintres de décors. Installation peu commode, supprimée dans le réaménagement actuel. Aujourd'hui ces ateliers ont trouvé une place logique aux environs immédiats de la scène.

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--------L'inauguration du théâtre rénové eut lieu le 1" Décembre 1883 au soir. Le succès fut grand. La foule des amateurs ne s'était guère inquiétée de la campagne absurde d'une feuille locale qui doutait de la solidité des murs, conservés après l'incendie, et prédisait un écroulement certain.
--------Le public manifesta d'ailleurs son enthousiasme. Il admira sans réserves l'effort accompli. Tout lui devenait prétexte à exclamations, à échange de vues, à rappel de vieux souvenirs.
--------Bordant et sommant les loges d'avant-scène, se dressaient les cariatides du sculpteur Léon Fourquet, professeur à la Société des Beaux-arts, mort tout récemment. Fourquet, Second grand prix de Rome, était un artiste apprécié, doué d'une subtilité très personnelle, et qui a laissé une œuvre sincère, précise et forte.
--------Détail à retenir : aux premiers balcons, sur le pourtour de la décoration extérieure, on remarquait une série de médaillons représentant en cariatide le portrait de l'architecte Oudot...
--------Le plafond avait été décoré par Martin, un spécialiste de Montpellier, praticien épris de son métier, qu'il servait avec beaucoup d'intelligence et de rares moyens.
--------Notons le grand lustre, forgé par MM. Goelger et Poumaroux, de Paris, ce grand lustre aux belles lignes, un peu lourd peut-être, que la Municipalité Altairac fit décrocher en 1901, pour le remplacer, sans avantage, par un plafond lumineux.
--------Notons les rideaux de velours aux longues franges et aux glands d'or ; et surtout, l'opulent rideau de scène, avec ses plis ordonnés, ses reflets, ses chromatiques de rouges...
--------La machinerie établie sur les plans de celle du Châtelet de Paris, permit au Théâtre d'Alger, de monter des pièces de grande féerie.

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Messieurs les officiels, conduits par le Directeur du Théâtre, M. Fromant, purent entendre, au pied des décors qu'on allait présenter au public après la partie musicale, les explications de M. Godin, premier machiniste, constructeur du complexe appareil de machinerie qui, à cette époque, se présentait déjà comme un des mieux compris et des mieux agencés.
--------L'orchestre de quarante musiciens, sous la direction de M. Duval, joua différentes ouvertures et les " meilleures valses du répertoire ". Puis, comme il se doit en pareille circonstance, le régisseur général M. Faure, aidé de son adjoint M. Trouffy, révéla aux invités un choix de décors brossés par le peintre Rousselot, professeur à l'École Nationale des Beaux-arts d'Alger.
--------Parmi ces décors figurèrent ceux de la " Juive ", des " Huguenots ", de " Rigoletto ", etc...
--------Une substitution de lointain, laissant apparaître sous la lumière pâle d'un jour naissant, la perspective impressionnante d'une grande ville, rallia tous les suffrages et fut l'objet de très chaleureux applaudissements.
--------Immédiatement après cette présentation, se place l'intermède le plus savoureux de la cérémonie.
--------Dans un décor médiéval, planté à l'avance sur les monte-fermes et surgi pour ainsi dire du deuxième dessous, M. Fromant, le Directeur, remit à l'architecte, M. Oudot, fort embarrassé, une ravissante couronne de lauriers d'or, offerte par un groupe d'admirateurs. Ce geste fut suivi de nombreux discours et de nombreuses répliques, dont on imagine aisément le thème et l'inévitable longueur.

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--------Le lendemain de cette soirée d'inauguration M. Fromant publia le tableau de sa troupe pour la saison 1883-1884.

--------Voici ce tableau, à titre documentaire
Administration
--------Fromant, Directeur
--------Duval, Chef d'orchestre Faure , Régisseur Général --------Trouffy, second régisseur
--------Rousselot, peintre décorateur
Répertoire
--------Grand Opéra ; Opéra Comique ; Traductions ; Opérette
Interprètes
--------MM. Doria, Pamvels, Pombley, Bach, Kolletz, Varenne, Déthurens, Crépaux, Lorrivé, Gourmoy, Douchet,
Lacroix.
--------Mmes Rabany, Marielle, Savelli, Lamorrie, Vanderwal, Doriani.
Trente choristes, hommes et dames.
Orchestre
--------Quarante musiciens et un corps de ballet très important dirigé pendant longtemps par M. Cerri.