---------Le
17 Janvier 1901, triomphe " Louise ",
joué pour la première fois hors de Paris. Soirée
mémorable, due à l'intelligente activité de M. Saugey,
le mieux inspiré des Directeurs. Il est vrai que la présence
de Charpentier constituait à elle seule, un élément
certain de succès.
---------Ce
fut lui qui dirigea les répétitions, régla la mise
en scène, organisa l'orchestre en collaboration avec son chef habituel,
M. Pennequin.
---------À
cette occasion, les décors furent confiés à Jusseaume,
qui avait brossé ceux de Opéra-comique.
---------Le
rôle de Louise était interprété par Mme Rose
Gervaix, falcon, soprano dramatique, dont la voix, le charme, le naturel
émouvant firent sensation.
---------Et
je n'aurai garde d'oublier ses protagonistes : Mme Poude, contralto (la
mère) ; M. Flachat, 1er ténor (Julien) ; et M. La Taste
(le père) qui se placèrent au-dessus de tout éloge
et que secondèrent avec beaucoup de talent et de science, MM. Perrens
et Gaillard, basse noble ; Mmes Poyard et Faber.
---------Un
jeune poète algérois, M. Francis Petit, dédicaça
à M. Gustave Charpentier les vers que voici, à propos de
" Louise ":
O Louise, Muse que couronne
Tout Paris bohème et rêveur,
Enfant d'amour et de longueur,
Fille du Printemps qui rayonne,
La grande ville qui bourdonne
A jamais règne sur ton coeur ;
Paris éternel déboucheur
Te séduit, modiste mignonne,
Désormais, même en ton sommeil,
Tu l'entendras l'âme ravie
Doucement te dire : O jolie !
Viens, fuyons sous le ciel vermeil.
Entr'ouvrant ta lèvre au sourire,
Tu suivras l'amant qui t'attire.
|
---------L'année
1901 vit encore la création du " Portrait de Manon ",
de Massenet, avec Mlle Pratt, Mme Chambéry et M. Faber dans le
rôle de Des Grieux ; la création de " Rip ",
de Meilhac, musique de Planquette, dont les décors et les artifices
scéniques plurent beaucoup, tout autant sans doute, que M. Dalbressan
(Rip), Mlle Olivier (Kate), Mme Bury, 1ère chanteuse légère
(Nelly) ; la création de " La Vendetta ", paroles
de Lefèvre, Député d'Alger, musique de Charles Berlandier.
http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis .L'annonce de cette pièce,
uvre de deux algérois particulièrement connus, avait
vivement excité la curiosité publique. " La Vendetta
" était interprétée par Mme Rose Gervaix (Paola),
MM. Lafon, Perrens et Gaillard.
---------Notons
encore, la création de " La Louve " (épisode
de la Jacquerie), de M. Gaston Sarreau, avec Mme Rose Gervaix et M. Lafon
; de " Marie Magdeleine ", uvre de jeunesse de
Massenet (M. Steck dirigeait l'orchestre) ; " L'Aiglon ",
joué par les artistes du Théâtre Sarah-Bernhardt :
MM. Froment, Daltour, Mlle Grumbach.
---------1904-1905.
- La troupe italienne Castellano est en représentation à
l'Opéra Municipal, après une tournée triomphale en
Belgique. Elle donne : " Le Trouvère ", "
La Traviata ", " La Bohème " et une création
" Méfistofélé ", opéra de
Boïto. Choses vues et entendues, mais auxquelles Maria Gonzaga, Agostinelli,
Zérola, Carpi, donnent un dynamisme nouveau, inexprimable.
---------Cependant,
Mlle Réjianie, MM. Dalcourt et Clergue, artistes du "
Kursaal ", chantent dans les cafés, le jour de la Mi-Carême,
au profit des sinistrés de Courrières.
---------M.
Grazi, Directeur du Municipal, termine la composition de sa troupe. Il
s'est assuré le précieux concours du fort ténor Demauroy
; du ténor léger Maréchal (frère de celui
de l'Opéra-Comique) et de Mlle Blot, falcon, qui, on nous l'assure,
touchait déjà 2.700 francs par mois d'appointements.
---------"
Les Huguenots " et " Mireille " marquent
l'ouverture de la saison. La baguette de chef d'orchestre est tenue par
Étienne Bardou.
---------À
cette époque Georges Rochegrosse envoie au Salon sa " Joie
rouge ", qui lui vaudra une médaille d'honneur et qui,
plus tard, figurera au Grand Foyer du Théâtre Municipal.
---------À
propos de ces uvres, qui figurèrent ainsi au Grand Foyer
de l'Opéra, il me faut rappeler la première, offerte par
l'Empereur Napoléon III, uvre du jeune peintre Alfred Couverchel
(18341867), représentant : " La capture
du Chérif Mohamed Ben Abdallah, près de Ouargla, le 18 Septembre
1861 ". Cette immense toile de 9 m. 70 sur 6 m. 45, avait
appartenu, avant le voyage de l'Empereur en Algérie et jusqu'en
1866, au Musée de la Société des Beaux-Arts, rue
du Marché d'Isly.
---------Par
la suite on put voir, au Foyer, un bas-relief : " Arabe
dansant " de Victor Fulconis, ayant figuré au Salon
de Paris en 1880 et que le jeune sculpteur avait offert à la ville
d'Alger en 1881.
---------Victor
Fulconis, né à Alger en 1851, professeur au Lycée
d'Alger, était le fils du sculpteur Guillaume Fulconis,
auteur, notamment, du piédestal de la statue du Duc d'Orléans,
du monument de Mazagran, etc...
---------On
put voir encore, jusqu'en 1910, deux toiles,
l'une de Victor Prouvé, élève de Cabanel et Devilly
: " Sardanapale " (4,43
x 4,29) ; l'autre de Castellani : " La Bataille
de Wissembourg " (2,97 X 4,64) actuellement au Cercle
militaire.
---------C'est
en 1912 que furent mis en place : "
La joie rouge " de Rochegrosse et " Les
temps héroïques " d'Emile Aubry.
---------Mais revenons à
la saison 1905 et notons, pour les débuts de la troupe de
comédie : " L'Aventurière ", d'Augier,
avec FranckMorel, Tersant, Maillard.
---------M.
Dutilloy, baryton de l'Opéra-Comique, excellent artiste et algérois,
joue dans le Barbier. Sa voix remarquable, son jeu personnel, lui valent
les moments les plus fêtés de sa carrière.
---------La
gestion de M. Grazi, Directeur de l'Opéra, n'est guère brillante.
http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis .Elle frise même le scandale.
MM. Cartier et Devilly sont chargés de mettre un peu d'ordre dans
la maison. Il en est grand besoin !
---------Fort
heureusement, deux artistes, aimés du public, facilitent leur tâche.
Ce sont, le baryton de grand opéra Redon et la première
chanteuse légère, Mlle Méhieu, qui fait ses débuts
sur la scène algéroise.
---------Cependant,
M. Cartier se retire. Il est remplacé par M. Gimer, chef de bureau
à la Mairie, qui, peu de temps après, refuse sa charge.
Le théâtre est alors mis en régie.
---------On
joue tout de même : " Le roman d'un jeune homme pauvre ",
d'Octave Feuillet ; " Sacré Léonce " ;
" La Fille du Régiment " ; " Guillaume
Tell " ; " Lakmé ", où débute
le ténor Garoute ; " Hamlet " ; " Hérodiade
", etc...
---------1906
voit les représentations de Maria Gay, dans " Carmen "
et " Samson " ; de Mlle Cesbron, dans " Manon
" et " La Traviata " ; de Mlle Lya Sirdet, une
charmante algéroise, du Gymnase, dans " La Rafale "
; Mlle Sirdet était la petite fille du Colonel Fourchault, attaché
à l'Etat-Major
du XIXè Corps.
---------1906
voit encore les représentations de Mme Lina Pacary, du Théâtre
National de l'Opéra, dans " Les Huguenots ", "
Messaline " et " Hérodiade " ; de Mlle
Blot, dans " Roméo et Juliette ", etc..."
Menuet triste ", de l'auteur algérois Léon Rebon,
rédacteur à " La Dépêche Algérienne
", est interprété pour la première fois devant
une salle comble. MM. Letellier, Rodier et Ferrat se partagent les principaux
rôles de cette belle comédie, dont la musique de scène,
parfaitement appropriée, a été écrite par
M. Skielmans.
---------Silvain
: " Deux yeux vifs qui clignotent en s'incrustant
comme des diamants ", a dit de lui Edmond Gojon. Silvain
et sa charmante femme sont fêtés par les algérois
vite conquis. Interview, banquets, réceptions se succèdent.
Silvain se plaîtà évoquer le souvenir de son père,
qui prit part, comme capitaine, aux principales opérations de la
prise de l'Algérie. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis .Il évoque
bien d'autres souvenirs encore. Il a tellement voyagé, tellement
vu. On l'écoute avec ce même religieux intérêt
qui l'accueille quand il parait sur scène, où il incarne
admirablement Louis XI, Lebonnard, Triboulet, Alceste. Il joue "
Tartuffe " à entrée gratuite. Les algérois
se pressent au Théâtre Municipal, où, bientôt,
plus une seule place n'est libre. À la fin du premier acte de modestes
fleurs tombent aux pieds du génial interprète. Ce sont des
violettes. Il les ramasse, les presse sur son cur et salue. Il dira,
un peu plus tard, que de tous les hommages reçus, aucun ne lui
a été plus agréable que celui du petit bouquet de
violettes algériennes.
---------Peu
après le départ de la Compagnie Silvain, le Théâtre
Municipal annonce l'arrivée d'une première chanteuse légère
Mme Simone d'Arnaud, et d'une étoile parisienne, Mme Marié
de l'Isle, applaudie dans " Carmen ", " Mignon
", " Werther ".
---------1907.
- La Municipalité propose d'augmenter la subvention du Municipal
dé vingt mille francs et de la porter ainsi à cent quarante
mille. Cependant, M. Gimer, qui avait repris son poste pendant deux mois,
se retire définitivement.
---------L'Opéra,
après tant d'autres, connaît une nouvelle crise. Peu après,
M. Horace Martin succède à M. Gimer.
---------Silvain
est à nouveau l'hôte d'Alger. Il est accompagné de
Louise Silvain, Laumonier, Mlle Thésy Borgos, Jean Hervé,
Jean Durozat, Victor Magnat et joue " Le Dépit Amoureux
" ; " La Fille de Rolland " ; " Gringoire
" ; " Grisélidis " ; " Cinna
" ; " Electre " ; " Le Misanthrope "
que présente au public, avec tout l'esprit qu'on imagine, M. Charles
de Galland.
---------Trois
représentations de " Messaline ", l'opéra
d'Isidore de Lara, se classent en 1907 parmi les plus goûtées.
Mlle Dhasty, contralto, y tient le rôle difficile de l'Impératrice
amoureuse avec, comme partenaires, le baryton Redon, de Essen et Crémel.
---------Notons
le succès obtenu par la comédie d'ailleurs excellente, d'un
algérois, M. Henri Sans : " La Tirelire ", jouée
avec beaucoup de brio par Maillard, Rozé-Leprince et Jolly.
---------Léon
Rebon, dont nous avons déjà parlé, met la dernière
main au manuscrit d'une nouvelle pièce : " Le Père
", pour laquelle M. Raoul de Galland a écrit une délicate
musique de scène. Coste, Degenne et Olivier animent ce petit chef-d'oeuvre
du spirituel auteur de " Devoir " ; " Vive l'Empereur
" ; " Au village " ; " Chambre en ville
", etc...
1907 vit éclore bien d'autres oeuvres
dues à la plume d'auteurs algérois. Plusieurs d'entre elles
furent représentées au Municipal. Ainsi, une page exquise
de Charles Berlandier : " Lilia ", légende musicale
en 4 actes, d'une grande simplicité d'écriture et d'un beau
caractère. Mile Romanitza tenait le rôle de Lilia.
---------Entre
temps, M. Altairac, Maire d'Alger, dénoue la troisième crise
directoriale, survenue après la défaillance de M. Horace
Martin, en plaçant à la tête du Théâtre
Municipal MM. Uhlmann et Carvalho, fils de l'ancien directeur de l'Opéra-Comique.
---------Il
me paraît intéressant de noter encore, à l'actif de
1907, et bien que cet événement artistique ne se soit pas
produit sur notre première scène, la représentation
à la très populaire salle Barthe, rue d'Isly, d'une revue
algéroise : " Alger en panne ", poème inénarrable
de Musette, musique de Raoul de Galland.
Le peintre et remarquable caricaturiste Edouard
Herzig, trop connu et estimé pour que j'y insiste, avait,
à cette occasion, campé de nombreuses silhouettes du terroir
qui, au cours du spectacle, furent projetées sur un écran,
à la grande joie du public.
---------"
Alger en panne " fut mis en scène par André
Maginot.
---------Les
glanes ne sont point riches pour les années qui précédèrent
la tourmente de 1914. J'ai questionné
quelques-uns de ces vieux amis dont je parlais au début de ces
éphémérides. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis
.Ils se sont recueillis un moment, se sont gratté le menton. Mais
sans résultat appréciable.
---------L'un
d'entre eux cependant - je ne dirai certainement pas son nom - me parla
de cette petite Dhasty, qui fit le succès d'Isidore de Lara, l'auteur
de " Messaline ".
---------Il
me parla avec chaleur, avec passion pourrai-je dire, de ses yeux, de son
corps, de sa taille, de ses jambes.
---------Certainement
il en fut amoureux. Mais il ne l'avoua point. Il parlait d'abondance et
avec émotion.
---------Ainsi,
par l'esprit, l'ai-je suivi dans les coulisses.
Ensemble, nous avons pénétré dans une loge parfumée,
encombrée de fleurs et de flacons, où il dut aller bien
souvent...
---------Ensemble
au retour, alors que nous étions moins pressés, nous avons
croisé entre les montants et les cordes, beaucoup de Messieurs
en haut de forme, le sourire et le madrigal aux lèvres ; nous avons
vu s'enfuir dans l'ombre, les petits rats du corps de ballet, les petites
Cardinal au derrière tout blanc, comme celui des lapins.
---------Nous
avons vu s'affairer le régisseur et plastronner le grand premier
rôle ; nous avons vu le critique distingué sucer son crayon
à deux doigts du gilet directorial.
Quelle force que cette chose,
Un journal ! C'est une âme éclose
En quelques feuilles de papier...
|
---------Nous avons
vu aussi, des auteurs, pâles, anxieux, défaits ; et des auteurs
rayonnants, touchant la gloire du doigt...
---------Et
nous avons vu le fantôme. Le fantôme de l'Opéra. Notre
fantôme.
---------Il
s'appelait Azur, ce fantôme. Azur comme les cieux. Mais personne
ne l'appelait Azur. Pour les coulisses il était le fantôme.
Sans plus.
---------Le
fantôme s'occupait des décors. Il ne parlait jamais. Ne souriait
jamais. Ne répondait jamais. Il rasait les murs et recherchait
l'ombre.
---------À
vrai dire, il était le chevalier servant de ces dames. Pour elles,
il faisait les pires métiers et Dieu sait s'il en fit. Mais il
était homme à garder tous les secrets. Et il les gardait.
Nul ne voyait en lui autre chose qu'une présence falote, presque
irréelle, autre chose qu'un être qui passe et ne fait que
passer...
---------Un
fantôme pour tout dire. Le fantôme de l'Opéra. Notre
fantôme.
* **
---------La mort
de M. Brument, alors Directeur du Théâtre Municipal, survint
en 1908.
---------Brument,
musicien de réelle valeur, avait créé avec Charles
de Galland, cette organisation fameuse des concerts populaires, qui groupait
une centaine d'exécutants, syndiqués ou amateurs, parmi
lesquels il est intéressant de nommer, aux côtés de
Charles de Galland lui-même, Raoul de Galland, étudiant ;
Eugène Guglielmi, professeur de violon ; Marcel Simian, étudiant
; Pistor, avoué ; Prunelle père, huissier ; Lallement, professeur
d'Ecole Normale ; Chénot, vétérinaire militaire ;
Laroze, commissaire priseur, etc...
---------Ces
concerts symphoniques avaient lieu au Théâtre Municipal,
une fois par semaine.
---------Outre
le répertoire classique : " Hérodiade ",
" Guillaume Tell ", " Faust ", etc...,
les programmes de 1908 annoncent " Les
Amours du Diable ", musique d'Albert Grizard, joué pour
la première fois le 11 Décembre 1872 à Alger, sous
la Direction Al méras.
---------En 1909
toutefois, nous sommes amenés à enregistrer plusieurs créations.
---------Il
y eut : " Patrie ", opéra de Sardou et Louis Gallet,
musique de Paladilhe ; " Le Chemineau ", tiré
du poème de Richepin, musique de Xavier Leroux ; " La Vivandière
", de Benjamin Godard ; " Ariane ", poème
de Catulle Mendès, musique de Massenet, créé à
Paris en 1906 ; " La Glaneuse ", pièce lyrique
en 3 actes, écrite d'après un poème d'Arthur Bernède.
http://perso.wanadoo.fr/ bernard. venis .La musique était de Félix
Fourdrain, qui assista à la représentation. " L'Arlésienne
", d'Alphonse Daudet, musique de Bizet. Enfin, " Les deux
manuscrits de Pierrot ", pièce en vers de Léon
Pinard, chroniqueur à " La Dépêche Algérienne
".
---------1909,
vit aussi une représentation donnée à l'Opéra
sous la direction du chef d'orchestre Stevens au bénéfice
des victimes italiennes de l'éruption du Vésuve. Cette circonstance
permit à Mlles Lagard et Yosse, de donner la juste mesure de leur
joli talent.
---------1909,
vit encore l'heureuse carrière de quelques très bons artistes
: Mme Georg-Ladès, qui figura un personnage original et piquant
de " Carmen " ; le ténor André Moratti,
un algérois, qui reçut un premier enseignement de la vieille
et admirable Société des Beaux-arts, rue des Généraux-Morris
; Mlle Mastio, qui fut une agréable Manon.
---------C'est
en 1909 enfin, que le ténor Escalaïs fit dans " La
Juive " ses adieux à Alger, où il vécut
sans doute ses plus belles heures d'artiste.
|
|
---------Saint-Saëns
vint à Alger en 1910 sur l'invitation
de M. Charles de Galland, alors premier magistrat de la Cité, afin
de surveiller les répétitions de ses derniers ouvrages :
" Phryné " ; " Henri VIII " ;
" Samson et Dalila " ; " L'Ancêtre
" et " Javotte ", inscrits au répertoire
du Municipal.
---------Entre
temps, on joue : " Sigurd " ; " Lakmé
" ; " Messaline " ; " Mignon "
; " Le Maître de Chapelle " ; " Rigoletto
" ; " Hamlet " ; " Les Huguenots
" et " Le Sourd ou l'Auberge pleine ", d'Adolphe
Adam...--------Silvain,
qu'Alger attirait décidément, y revint en 1911
pour jouer " Le Légataire Universel " et
" Folies amoureuses ", du bon poète Régnard,
que la côte barbaresque connut en esclavage de 1678 à 1681...
Silvain joua encore en représentation unique " Hécube
", dont la distribution révélait une pléiade
de magnifiques artistes : Louise Silvain, de la Comédie Française
; Léon Segond, de l'Odéon ; Pierre Lalou, du Palais Royal
; Marialise, du Sarah Bernhardt, etc...
---------Plus
tard, Blanche Dufrêne et Henry Roussel se produisaient dans "
L'Aiglon " et justifiaient le frémissement d'attente
qui parcourut la salle quand ils se présentèrent.
---------En
1912 on porta à la scène :
" Quo Vadis ", interprété le mieux du monde
par Mlle Thiesset et M. Broquin ; " Tannhauser ", avec
Mme Dalcia, Mlle Brozy, M. Dangély ; " Antar ",
de Rimsky-Korsakoff, avec Mlle Blanche Dufrêne, Daltour et Perny
; " La Sorcière ", l'une des plus émouvantes
pages de Victorien Sardou, présentée par la tournée
Ulhmann.---------A
la tournée Ulhmann succéda la tournée Achard qui
donna "Xantho chez les Courtisanes ", de Jacques Richepin,
musique de Xavier Leroux. Parmi les interprètes il nous faut retenir
Mlle Deschamps, du Palais Royal ; MM. Serval et Frédéric
Achard. Je noterai, avec les représentations de " La Princesse
Dollar ", Léo Fall et de " L'instinct ",
de Kistemaeckers, les débuts dans "La Tosca "
du ténor Coulon.
---------Et
j'ai gardé pour la bonne bouche, le passage à l'Opéra
municipal de la célèbre comédienne Réjane.
---------Réjane
se produisit dans " Madame Sans-Gêne ", de Sardou
et Moreau ; " L'Aigrette ", de Dario Niccodème
; " La Passerelle ",de Gressac et Francis de Croisset
; " Sapho " enfin, d'Alphonse Daudet. Chacune de ces
représentations fit littéralement salle comble et laissa
derrière elle un sillage d'admiration.---------L'ouverture
de la saison 1913 eut lieu le 12 Octobre
avec Lakmé ", interprété par Mmes Germaine Revel
et Radino ;MM. Denizot et Delpany. La troupe de grand opéra qui
comptait, entre autres, MM. Garnier et Wéber, débuta le
16 Octobre dans Guillaume Tell ".
---------On
devait bien, au début de la semaine suivante, donner " La
vie de Bohême " pour " une
première soirée mondaine " ; or, le matériel
attendu n'ayant pas été livré, M. Maurice Saugey,
à nouveau Directeur, dut prendre le parti de s'en tenir à
" Cavalleria Rusticana " et à " Mireille
". Mais en cette année 1913, les décors attendus de
Paris s'obstinaient à ne pas arriver à temps. Ainsi, après
ceux de " La Vie de Bohême ", les décors
de " Don Quichotte " firent défaut au dernier
moment. http://perso.wanadoo.fr/ bernard. venis . Il fallut que le décorateur
Quignon se hâta à la besogne et l'on joua le soir devant
des toiles encore fraîches, ce qui n'alla pas sans inconvénients
pour quelques toilettes. Ajoutons que la grande cantatrice Vallandri donna
à cette saison un éclat tout particulier.
---------Je
relève en 1914 le succès de
la basse chantante Delpany dans " Paillasse " et le succès
plus grand encore du ténor russe Altchewsky. Altchewsky chanta,
après cette représentation de " Paillasse ",
quelques mélodies et poèmes de son lointain pays : Le poème
d'Arensky ; la mélodie ukrainienne de Steporoï ; Le printemps,
de Rachmaninow. Puis il chanta le lamento de la " Tosca "
et le rêve de " Manon ".
---------Le
12 Avril 1914, " Carmen " avec le ténor Lapelleterie
et Mlle Allory, dans le rôle de Carmen, finit la saison, une saison
sans relief et qui épuisa en quelque sorte le répertoire
classique.----------Août
1914. - Déclaration de guerre.
---------Le
Théâtre Municipal n'ouvrira ses portes que le
27 Octobre 1915.
---------Et
ce sera le premier de la série des spectacles de bienfaisance,
organisés par la ville au profit des blessés et des victimes
de la guerre. On y joua " Faust " avec Mlle Poggi, Mlle
Legard et M. Rocca, de l'Opéra-Comique. Au deuxième acte,
Mlle Legard chanta la " Marseillaise ".
Nous retrouvons M. Rocca dans " La Traviata ", "
La Tosca ", " La Vie de Bohême " et, avec
lui, la basse chantante Garcia.
---------Le
10 Décembre, M. de Galland, Maire d'Alger, réunissait son
Conseil Municipal pour l'entretenir de l'exploitation du théâtre.
---------Devait-on
continuer cette exploitation ?
---------On
le devait. D'autant que, il faut le souligner, la situation financière
était bonne. En effet, les recettes brutes atteignaient la somme
coquette de 31.837 francs, tandis que les dépenses étaient
de l'ordre de 19.220 francs, auxquels s'ajoutaient les 2.975 francs perçus
par le bureau de bienfaisance. Le bénéfice, compte tenu
des " menus frais ", était exactement de 7.771
fr. 96 que, d'un commun accord, on destina aux oeuvres de prévoyance
sociale.
---------M.
de Galland insista sur l'aide matérielle également apportée
par l'ouverture du Théâtre, à tout un monde d'artistes,
musiciens, machinistes, choristes, etc..., et demanda qu'une adresse de
félicitations soit votée à M. Fayolle, instigateur
de la reprise.
--------1916.
- Les premiers mois de l'année n'apportèrent
rien de nouveau en fait de programme. Nous retrouvons " Manon
", " Faust ", " La Traviata ",
etc... Une oeuvre maîtresse de Xavier Leroux est à retenir
: " Le Chemineau ". MM. Vilette, du Théâtre
Royal d'Anvers ; Rocca et Mlle Suzanne Beaumont concoururent largement
à son succès.
---------À
retenir encore ce programme caractéristique d'un concert qui eut
lieu le 27 Avril 1916
1 ° Sombre et Meuse, par l'orchestre
2° Revanche, par Mme Laborde ;
3° Nuit du front, par Mlle May Caro
4° Gloire aux femmes de France, chanté par M. Vilette
5° Fusée de rire, revue militaire
6° " La Marseillaise ".
|
---------Durant
la semaine de clôture, qui se termina sous l'invocation de "
Carmen ", eut lieu une soirée de gala placée sous
le patronnage de la Presse quotidienne d'Alger, au profit de "
L'Algérienne ", société de secours
aux soldats et convalescents de l'Armée d'Afrique.
---------Aux
premiers jours de 1917 la troupe de la Porte
Saint-Martin vint à Alger. Elle comptait dans ses rangs : Mmes
Jeanne Lion et Vasse ; MM. Bourdel ; Damorés et Jean Coquelin,
qui sur la scène du Municipal donnèrent une vie et un relief
surprenants aux personnages de : " L'Arlésienne "
; " Primerose " ; " La Flambée "
; " La Dame aux Camélias " ; " La Marche
Nuptiale " ; " Cyrano de Bergerac ".
---------M.
Traverso, Directeur, publia peu après ces débuts le tableau
de la troupe.
---------Nous
y relevons les noms du chef d'orchestre Stevens et ceux de parfaits artistes
qui restèrent dans la meilleure tradition : Castelli, de l'Opéra
de Lyon ; Suzanne Brévil, du Grand Théâtre de Rouen
; Rocca, premier ténor, de l'Opéra-Comique ; Florian, baryton,
de la Monnaie ; Delpany, première basse, du théâtre
de Bordeaux ; Léon Marcel, Montés, Garcia, Martés,
Berthe Lize, Marie Sauveur.
http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis .Parmi les artistes en représentation
: Mmes Caro Lucas, de l'Opéra ; Suzanne Cesbrons, de l'Opéra-Comique
; Guy Cazenave, de l'Opéra.
---------Guy
Cazenave, mort brutalement le 24 Décembre 1937, à Alger,
où il s'était retiré, a laissé des regrets
unanimes. Nous connûmes en lui un grand artiste au bel organe, au
jeu puissant, au style éloquent et sobre. Il triompha notamment,
dans " Sigurd ".
---------Oublierai-je
Lise Charny, de l'Opéra, cantatrice délicieuse entre toutes
? Elle fut, dans " Werther ", une Charlotte émouvante
" à l'admirable voix sombrée,
veloutée, moelleuse, pleine dans le grave comme dans l'aigu
". Elle fut aussi une Carmen incomparable.
---------Le
répertoire arrêté par M. Traverso, éclectique
sans doute, n'apportait cependant rien de nouveau ni de sensationnel.
Il comporta la suite habituelle des pièces connues, qui ont chacune
leurs fidèles et aussi leurs détracteurs.
--------MM. Ader
et Raoux, succédant à M. Traversa pour la saison 1917-1918,
engagèrent entre autres, et ce ne fut pas un de leur moindre mérite,
le ténor Zocchi, de la Scala de Milan ; le ténor Révaldi,
de l'Opéra-Comique ; le baryton Wéber, de la Gaîté
Lyrique ; avec eux, Mmes Dratx-Barat, soprano ; Dubois, chanteuse légère
; Coste, première dugazon.
---------Mais
cette saison devait amener sur notre scène l'inoubliable Rose Helbronner,
de l'Opéra-Comique ; le ténor Borelli, de la même
maison, et plusieurs étoiles de l'Opéra : le fort ténor
Sullivan, le ténor Morio, le baryton Boulogne, la basse chantante
Delval, la basse noble Vallier, la mezzo Charny, etc...
---------Je
noterai ici une petite création, à l'occasion de Noël
1917 : le délicieux ballet " France-América
", oeuvre de M. Gaillard, chef d'orchestre de l'Opéra d'Alger.
---------La
saison dramatique fut assez riche en créations ou reprises: "
La belle aventure ", de Caillavet, de Flers et Rey; " Les
Deux Orphelines ", de Dennery et Connon; " La Présidente
", de Hennequin; " Sapho ", d'Alphonse Daudet; "
Le Bossu ", de Bourgeois et Féval; " La Tour de
Nesle ", de Dumas père; " Tire au flanc ",
de Sylvane et Mouezy-Eon ; " Le Chemin de la Gloire ",
de Pierre Batail ; " Le Maître de Forge ", de Georges
Ohnet...
---------Les
interprètes ? Jane Mory, Leclerc, Saint-Martial, Paula-Brébion,
Marié de Lisle, Harry James, Piétri, Larrié, Léonin,
Ancelin...
---------MM.
Ader et Raoux eurent le privilège de diriger à nouveau l'Opéra
pendant la saison 1918-1919 et de connaître ainsi la plus extraordinaire,
la plus délirante manifestation d'enthousiasme qu'ait enregistrée
la vieille maison depuis 1853.
---------Ce
fut, on le devine, au soir rayonnant et prometteur du
12 Novembre 1918, lendemain du plus fêté des armistices.
---------La
foule prit, littéralement, le péristyle d'assaut.
---------Elle
envahit la salle ; déborda les dégagements, les couloirs,
les vestibules ; s'installa au Foyer, dans les escaliers, dans le hall
d'entrée. Elle demeura sur la place Bresson quand ses efforts pour
s'insinuer furent vains.
Et quel programme ! Ah certes ! je n'en retrancherai pas une ligne
-------PREMIÈRE
PARTIE.
---------------" Sambre et Meuse
", par la musique du 1er Zouaves ;
---------------Tu renaîtras ",
poème ;
---------------Le Miracle ",poème;
---------------Le grand air de "
La Vivandière " ;
---------------Le grand air de "
Patrie ".
---------DEUXIÈME
PARTIE.
---------------" Les derniers
jours de la terreur " ;
---------------Français debout
! " (chanté par M. Rocca) ;
---------------" Ceux qui pieusement
sont morts pour la
Patrie... " ;
---------------" Le Rhin allemand
" ;
---------------" La Fille du Régiment
".
---------TROISIÈME
PARTIE.
---------------" Le Père
la Victoire " (musique du let Zouaves) ;
---------------" France-América
" (ballet de M. Gaillard) ;
---------------" Les Hymnes :
serbe, grec, italien et américain "
(par l'orchestre) ;
---------------" Le Chant du Départ
" ;
---------------" La Brabançonne
" (M. Daume, le jeune Sagnier, 10 ans, et un groupe de jeunes
réfugiés belges) ;
---------------" L'Hymne anglais
" ;
---------------" La Marseillaise
".
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---------MM. Ader
et Raoux eurent, une fois de plus, la main heureuse dans le choix de leurs
interprètes. A Wéber, Rocca, Martés, Delpany, Garcia,
ils adjoignirent le fort ténor Ansaldy, de l'Opéra ; le
ténor Berger, de la Gaîté Lyrique ; le baryton Daume,
de l'OpéraComique ; Mmes Vallandri, Varnier, Mathilde Clerc et
Paule Georgey. Ils produisirent, en représentation, Philippot,
Yvonne Bernol, Campagnols, Borelli, Dufrasme et rappelèrent Rose
Helbronner, Cazenave, Lyse Charny, Charlesky.
---------Avec
" La Traviata ", " Les Noces de Jeannette ",
" Sigurd ", " La Navarraise ", "
Les Amours du Diable " de Grisar, retenons, de cette époque
heureuse : " Le Chalet ", l'exquis chef-d'oeuvre de Paul
Adam.
---------Je passerai sur les discussions du cahier
des charges qui occupèrent les premiers jours
de 1919. Les édiles eurent à se prononcer sur trois
questions, ou mieux, trois augmentations : celle du prix des " places
de luxe " (fauteuil d'orchestre : 6 fr. 40 au lieu de 6 fr.) ; celle
des unités de l'orchestre (porté à 42 exécutants)
; celle enfin du cautionnement (20.000 fr. au lieu de 10.000 fr.).
---------Je
passerai aussi sur le voeu présenté par la Presse algéroise,
tendant à faire obligation au Directeur, de réserver à
chaque journal, deux fauteuils pour la critique. Ce voeu ne fut adopté
que beaucoup plus tard.
---------Je
passerai enfin sur le répertoire courant. M. de Féraudy,
doyen de la Comédie Française, vint en rompre l'inévitable
monotonie. Le grand comédien, qui savait créer l'émotion
par la plus absolue simplicité d'expression, fut successivement
au Municipal : Isidore Lechat, dans " Les affaires sont les affaires
", d'Octave Mirbeau (création du 20 Avril 1903) ; Donnat,
de " La Nouvelle Idole ", de François de Curel
(création de 1914) ; l'Abbé, dans " L'Abbé
Constantin ", de Decourcelle et Crémieux (création
de 1917) ; Harpagon, de " L'Avare " (création
de 1910) ; Mascarille, du " Dépit Amoureux ",
de Molière (création de 1900).
---------M.
de Féraudy fut enfin chaleureusement fêté dans l'une
de ses propres oeuvres : " Parente éloignée
".
---------Bien
que la subvention théâtrale ait été supprimée
pendant la guerre, la Direction avait su constituer une troupe assez homogène
et faire appel à de bons artistes. Je citerai, entre autres: Mlle
Charbonnel (" Werther ", " Carmen ")
; M. Génicot ; Mlle Henrion, soprano, de l'Opéra ("
Cavalleria Rusticana ").
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