HISTOIRE de L'OPÉRA D'ALGER
Épisodes de la vie théatrale algéroise
1830-1840
Fernand Arnaudiès

1873 - 1900 pages 142 à 176

 
sur site le 26-11-2004...dans un mois, papa Noel sera déjà passé !!!
L'OCR a laiisé des "coquilles" que je n'ai pas reprises. Veuillez me pardonner. Vous pouvez me les signaler..
77 Ko / 22 s
précédent : 1830-1872
retour
suivant : 1901-1919

---------Au début de 1873, le théâtre d'Alger recevait pour les six mois de saison, une subvention de soixante mille francs, et ne donnait point toujours satisfaction aux spectateurs.
---------On reprochait à l'administrateur Alméras de permettre le sabotage des partitions, de ne prendre aucune mesure contre la mutilation des textes, de porter atteinte, en un mot, " à la dignité de l'art ".
---------On reprochait encore à ce brave Directeur en butte aux difficultés énormes de l'après-guerre, de ne pas donner de pièces nouvelles, de se contenter d'un répertoire vieillot, ne présentant aucun attrait.
---------De plus, on ne se montrait guère satisfait des décors.
Ceux de " L'Africaine " servirent à " Moïse ", alors qu'on s'attendait à en trouver de nouveaux ; le deuxième acte de " Robin des Bois " s'était terminé sans la moindre " pluie de feu "...
---------Mais là ce fut beaucoup plus grave. Le public manifesta son mécontentement par un tumulte indescriptible. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis .Le régisseur, M. Gravier, vint assurer sur scène que " la pluie avait été ratée et que la mèche n'avait pas pris ".
---------On affirmait dans les couloirs, que personne n'était dupe de pareille assertion...
---------Le 15 Mars 1873, M. Alméras, Directeur infortuné, résignait ses fonctions et les artistes se groupaient en société, afin de mener l'esquif jusqu'au port, je veux dire jusqu'à la fin de la saison.
---------Le 18 Mars, le Théâtre organisait une fête patriotique à l'occasion de la libération des départements occupés par les Prussiens. Mme Soustelle y chanta la " Marseillaise ".
Par la suite, " les artistes associés " jouèrent : " Charles VI "
---------Réveille toi, France opprimée
---------On te crut morte et tu dormais,
---------Un jour voit mourir une armée
---------Mais un peuple ne meurt jamais !
puis, " Le Comte Ory ", au bénéfice de Mme Alhaiza ; " La Sorcière " ou les " Etats de Blois " ; " Le Bal Masqué " ; " Faust " ;

---------C'est le 9 Juillet 1873, que le Général Chanzy prit un arrêté relatif au partage d'attributions entre le Préfet et le Maire d'Alger.
---------Dans cet arrêté il était dit que l'action administrative du Préfet s'exercerait sur les objets suivants

---------1° Censure dramatique : examen et contrôle du répertoire général de la troupe admise à l'exploitation du théâtre ; examen et contrôle de l'affiche du jour ; examen avant toute représentation des manuscrits des pièces inédites ;
---------2° Police administrative : Interdiction des pièces anciennes ou nouvelles dans l'intérêt de la morale et de la tranquillité publique ; suspension des représentations ou fermeture du Théâtre par mesure d'ordre ou de sécurité publique ; fixation des heures où doit finir le spectacle ; mesures préventives et répressives des troubles et désordres, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du Théâtre.
---------Enfin et généralement tout ce qui est du domaine de la police générale, telle qu'elle est définie par les lois et notamment en ce qui touche les théâtres, par l'article 12 de l'arrêté consulaire du 12 Messidor, an VIII. "

---------Les pouvoirs du Maire s'étendaient, sous contrôle du Préfet, à l'établissement du cahier des charges pour l'exploitation du Théâtre ; aux conventions passées avec les Directeurs ou chefs de troupes ; aux détails réglant : l'exécution scénique ; les débuts ; l'admission ou le rejet des artistes engagés pour la campagne théâtrale ; aux précautions à prendre contre les accidents pouvant résulter du feu ou de l'encombrement des spectateurs ; aux assurances à souscrire en cas d'incendie. En un mot, à tous les mille et un détails, très souvent ignorés, pas même soupçonnés, qui se rattachent à la gestion du théâtre.

---------Le 7 Janvier 1874, M. G. Leroux prit la Direction du Théâtre. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis .Pas pour longtemps, car cet homme aimable et entendu, mourut quelques jours après. Sa femme lui succéda. Elle fit représenter, notamment : " Les Brigands ", opéra-bouffe en trois actes, d'Offenbach ; " Les pauvres de Paris ", drame en sept actes ; " La Tour le Londres ", etc...
M. Ben Aben prit, le 8 Octobre 1874, la place de Mme Vve Leroux. Il fit appel, à grands frais, au premier rôle : Mme Simiane et à la première ingénuité : Mlle Yvonnet. Il eut, il est vrai, tout bénéfice de cette initiative.
---------M. Ben Aben rechercha, toujours, les meilleurs éléments : MM. Angel, Quinet, Baldy, Navarro ; Mmes Mineur, Laurentin, Zollin, Depassio..., tinrent, longtemps, le public en haleine.
---------Aux derniers jours de 1874, le Conseil Municipal se réunit sous la présidence du Maire d'Alger, M. Blasselle et, après discussion, vota à l'unanimité un crédit de 120 francs, destiné à couvrir les frais d'éclairage au gaz de la salle du Théâtre, pendant les fêtes organisées par la Société des Anciens Militaires.
---------Les programmes de 1875 comportaient différentes créations, plus ou moins dignes d'être retenues : " La Jeunesse des Mousquetaires ", drame en 5 actes et 14 tableaux. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis .Un drame qui n'en finissait plus et qui obligea la Direction à ouvrir ses portes dès 6 heures 30. On joua aussi : " La Marguerite ", opéra-comique en un acte, de M. Aniés, musique de Dhermineur, un enfant d'Alger ; " Madame Angot et ses demoiselles ", de Lecoq, paroles d'Amédée de Gallois ; " La Boule ", comédie-vaudeville, jouée au bénéfice de M. Angel, bon chanteur et bon comédien, que les amateurs du moment tenaient aussi en grande estime. On joua encore : " Le Maître de Chapelle " ; " La Fille du Régiment " ; " La Juive " ; " Les Diamants de la Couronne " ; " Lucie de Lammermoor " ; "La Fiamina ", de Mario Uchard ; " Le Bossu " ; " Le Postillon de Longjumeau "; " Le Feu au Couvent ", avec MM. Jolly, Trouffy, Delcroix, Mmes Bardoux et Ozanne. Je citerai encore une création: " Madame l'Archiduc ", opéra-bouffe en trois actes, d'Offenbach.

--------La saison de 1875 connut, comme beaucoup d'autres qui la suivirent ou la précédèrent, d'assez graves ennuis de gestion. Deux pétitions, signées d'un nombre imposant d'abonnés demandant la déchéance du Directeur et la révision du Cahier des Charges, furent envoyées au Maire et au Gouverneur Général.
---------Une commission - en aurons-nous connu de ces commissions - se réunit aussitôt. Elle se composait de Conseillers municipaux désignés par le Maire : MM. Mallarmé, Huré, La Baume, Le Lièvre, Hélie.
---------Les travaux de cette commission durèrent peu, ce qui n'est pas courant. Ils eurent pour résultat la nomination de M. Bouvard en qualité de Directeur et l'adoption d'une proposition de ce dernier
---------1°Acquisition de mobilier de scène ;
---------2° Acquisition de partitions du répertoire courant ;
---------3° Construction des décors indispensables ;
---------4° Paiement mensuel de la subvention sans production préalable de feuilles d'émargement.


---------
II y eut tout de même en 1875 des débuts que nous ne saurions passer sous silence : ceux du grand premier rôle Gestin, dans " Par droit de conquête " ; ceux du ténor Raoul, dans : " Le Chalet " ; ceux de Mme Gilbert, jeune premier rôle " en tous genres " (disait l'affiche), dans : " La Closerie des genêts " ; ceux enfin, du ténor léger Dupuy, dans : " Le Barbier de Séville ".
---------Le 19 Novembre, M. Robbio, violoniste, élève de Paganini, donnait un concert à l'Opéra, avec le concours des principaux artistes : Lachapardière, Gérald-Joly, Mmes Max Robert et Gilbert. Au programme :

"Le Réveil ", poésie de Victor Hugo, dite par M. Alhaiza ; "Grande fantaisie pour violon ", exécutée par M. Robbio ; Grand air des " Dragons de Villars ", chanté par Mlle Falconnet.

---------On applaudit enfin, dans la salle, Aubert, Adolphe Adam, Sardou.
---------John Pradier, attaché à la Direction des Beaux-Arts de Paris, venu en mission à Alger, publiait en 1875 une plaquette, dans laquelle il consacrait quelques lignes au théâtre
---------" Cette salle, écrit-il, toujours émaillée de fraîches toilettes et d'uniformes éclatants, était vraiment éblouissante. On devine aisément le coup d'oeil ; une ravissante corbeille d'étoffes chatoyantes, de rubans, de bonbons, de camélias et de roses ; puis, comme entourage, un véritable flot mouvant d'épaulettes scintillantes, d'insignes diamantés, d'aiguillettes d'or et de gants paille. A minuit, les élégantes remontaient en voiture, les brillants cavaliers escortaient et les aspirants regagnaient leur frégate ".

---------M. Bouvard, n'ayant pas satisfait aux exigences matérielles de son exploitation, le Conseil Municipal déclarait vacante, en Janvier 1876, la direction du Théâtre Municipal. ---------Les artistes décidèrent alors de mener eux-mêmes la saison à bonne fin, et réussirent fort bien dans leur tâche.
http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis .
---------Après " Les canotiers de la Seine ", vaudeville en cinq actes ; " Les pauvres de Paris ", drame en sept actes " ; après " Guillaume Tell ", où le fort ténor Géricault fit de brillants débuts, les artistes associés présentèrent : " Les Amours du Diable ", opéra féerique en quatre actes et huit tableaux, où Mme Alhaiza connut un nouveau succès. C'est à l'issue de cette représentation, qui marquait la fin de la saison 1875-1876, que Mme Alhaiza reçut au nom des abonnés, une aigrette de pierres fines...
---------Aux derniers jours de Septembre, M. Fromant était nommé Directeur du Municipal et adressait à la presse la lettre suivante

" La nouvelle Direction s'est imposé le devoir de placer le Théâtre d'Alger au rang des premières scènes de France. Une activité soutenue, un ardent désir de bien faire et surtout la bienveillance du public algérien contribueront je l'espère, à atteindre le but proposé ".




 

---------M. Fromant ouvrait la saison par : " Le Barbier de Séville " et un vaudeville non encore représenté à Alger : " Un tigre du Bengale ". " Le Barbier " se signalait par les débuts de Mlle Hasselmans, du ténor léger Bach, du baryton Delbecchi et de la basse Romani. Nous retrouvons ces artistes dans " La Favorite " ; " Les Dragons de Villars " ; " Le Trouvère " ; " Les Monténégrins ", opéra-comique en trois actes, d'Alboize, Gérard et Linauder ; " L'Ange de minuit ", etc...
---------Mais il me faut relever encore, à l'actif de M. Fromant : une comédie de Mallefille : " Les deux Veuves " ; " Le Passant ", de François Coppée ; " Héloïse et Abélard " ; " La Grâce de Dieu ", et aussi, une " Soirée mystérieuse ", présentée par le Professeur Bargeon, qui se disait, avec le plus grand sérieux, " agréé de plusieurs cours étrangères, applaudi à Londres, Paris, Bruxelles, Philadelphie ", où il avait donné vingt-sept représentations consécutives avec le Comte Patrizzio et Bosco fils...
---------J'en demande pardon au lecteur, j'allais oublier une comédie : " La rue de l'homme armé " qui, au soir de sa création à Paris, en 1848, faillit coûter la vie à son auteur, ce bon Labiche.
---------Cette comédie était d'ailleurs assez réactionnaire. De nombreux ouvriers étaient venus pour la siffler. Ils réclamèrent bruyamment :
---------- " Les tripes de l'auteur ! Les tripes de l'auteur ! Les tripes de l'auteur ! "
---------Attiré par le vacarme, effrayé au plus haut point, le Directeur se précipita vers Labiche
---------- " Qu'y a-t-il ? Mais qu'y a-t-il donc ? " Avec le plus grand calme Labiche expliqua
---------- " Le public exige mes tripes et moi je ne veux pas les lui donner. Voilà tout le différend. Il n'y a pas autre chose. "
-
--------
L'année théâtrale 1877 débuta par un hommage à Molière. A cette magnifique occasion on joua " Galathée ", opéra-comique en deux actes de Jules Barbier et Michel Carré, musique de Massé, qu'interprétèrent Mme Hanselmans et la troupe de M. Fromant. On joua encore " Le Dépit Amoureux ", de Molière, avec Mlle Darc dans le rôle de Marinette.
---------La soirée bien entendu, se termina par le couronnement du buste de Molière.
---------Rien de particulièrement saillant au cours des mois qui suivirent. J'indiquerai toutefois : " L'homme entre deux âges ", de M. X..., d'Alger ; " L'Africaine " ; " Les Jocrisses de l'amour " ; " Les Orphelins du pont de Notre-Dame ", drame en cinq actes et huit tableaux, de A. Bourgeois et Masson.
---------Le 16 Octobre 1877, la direction du Théâtre fut confiée à M. Médéric Delestang. Cet homme de goût appela auprès de lui de bons artistes : Delbecchi, baryton ; Lesbros, basse ; Mlle Guérinot, première dugazon ; Belny ; Danglade ; Mme Beauchamps ; Mlle Marie Moreau, etc..., qui firent leurs débuts dans : " Le Trouvère " ; " Le Barbier de Séville " ; " Latude ou 35 ans de captivité ", de Pixérécourt ; " Haydée ", de Scribe ; " La Juive " ; " Le lion amoureux ", de Ponsard ; " L'étoile du Nord ", de Scribe (avec le concours de la musique du 4e Zouaves) ; " Bébé ", de Delacourt ; " Zampa ou la fiancée de marbre ", de Melesville, etc... " La jeunesse des Mousquetaires ", drame en 5 actes et 14 tableaux, puis " Vingt ans après ", 5 actes et 12 tableaux, occupèrent largement les premières soirées de 1878.
---------M. Delestang avait monté en outre, avec le plus grand soin " Le Domino noir " ; " Le Prophète " ; " Marceau ou les enfants de la République " ; " Les fils aînés de la République " ; " Les quatre sergents de la Rochelle ", joués au bénéfice de l'Association des artistes lyriques et dramatiques ; " Piccolino ", opéra-comique ; " Le Songe d'une nuit d'été " ; " Patrie " ; " Robert le Diable " ; " La Dame aux Camélias ", etc...
---------En Octobre 1878, M. Delestang cédait sa charge à M. Rival de Rouville, qui s'attachait sans désemparer à organiser une troupe lyrique irréprochable. Réussit-il dans sa tâche malaisée ? Je ne saurais le croire. Il présenta et fit admettre le premier ténor léger Dupuy ; les premières chanteuses, Mlle Jouanny et Mlle Delprato ; le baryton Eyraud ; le jeune premier rôle Chollez qui débuta dans " Le Cousin Jacques ".
---------En fin d'année, M. de Rouville organisa une soirée de comédie au bénéfice des artistes du Théâtre de Constantine, détruit par un incendie. Au programme : " La pluie et le beau temps ".


---------Le 7 Janvier 1879, marqua les débuts du baryton Raynal dans " Charles VI ". Raynal fut suivi de près par une artiste parisienne qui connut vraiment une grande célébrité : Emma Valadon ou, mieux : Thérésa. Née le 27 Avril 1837 à la Bazoche-Gouet, Thérésa chanta à l'Alcazar en 1860 et fut appelée à donner des leçons de chant à Mme de Metternich. Puis, continuant de fouler le chemin de la gloire, Thérésa fut admise à se produire à Saint-Cloud et aux Tuileries. À Alger elle joua : " La Dame aux Camélias " et " Ménage en ville ". Son succès fut considérable.
---------Quelques créations sont à retenir qui donnèrent un certain attrait aux programmes de cette saison : " Loterie Nationale ", charmante comédie d'un tout jeune auteur Lyonnais, M. Derrioz ; " Pétrarque ", grand opéra en cinq actes ; " Les 37 sous de M. Bautaudoin " ; et des reprises : " Faust " ; " Les Huguenots " ; " Les Amours du Diable " ; " La Juive ", etc..., où se produisirent MM.Guille, Bordeneuve, Gilbert, Aumerat, première basse de grand opéra ; Mmes Rizzio, Céline Mey et Jordanis.
---------En Octobre 1879 M. de Rouville se retira et fut remplacé par M. Duméry.


---------Au cours de l'année 1880, on joua, outre quelques comédies assez négligeables : " Le Cabinet Piperlin ", d'Hippolyte Raymond ; "Les vivacités du Capitaine Tic " ; " Le fils de Coralie " ; " La boîte à Bibi " ; " Par droit de conquête ", différentes pièces du répertoire courant, où se distinguèrent de très bons artistes : "Le Petit Duc ", avec Fronty, Douchet, Gandoin ; " Les Huguenots ", au bénéfice du premier ténor Maire ; " Carmen ", pour la gloire duquel Mme Lesceau, costumière de l'Opéra, confectionna soixante brillants costumes et le peintre Rousselot, deux décors entièrement nouveaux ; " Le Trouvère ", avec Dulaurens, Artières, Mmes Calvet et Hasselmans ; " Le roman d'un jeune homme pauvre ", de Feuillet, avec Hary, Morel ; Mmes Laurent et Duchaumont ; " La Juive ", avec la première basse Denoyé ; " Barbe Bleue ", avec Dormond, Couturier ; Mmes Leblond et Clary ; " Carmen ", avec Mme Gally-Marié et le baryton Guillien qui, en 1890, prendra les rênes directoriales.
---------Mme Gally-Marié créa le rôle de Carmen à Paris où elle fut stylée par Bizet lui-même.

---------Le 21 Janvier 1881, eut lieu, au Théâtre Municipal, un grand festival artistique, sous le patronage de la Presse d'Alger : I' " Akbar ", " La Vigie Algérienne ", le " Moniteur ", la " Solidarité ", le " Petit Colon ".
---------Un mois après, la Société des Beaux-Arts d'Alger fêtait, toujours au Municipal, les quatre-vingts ans de Victor Hugo. M. Alaux, professeur à l'Ecole Supérieure des Lettres fit, à cette occasion, le plus émouvant éloge du poète.
1881, valut aux Algérois une excellente troupe de comédie
MM. Morel, Couturier, Douchet, Dumery, Golat, Mmes Harel, Verdier, Joly et Vial, qui se firent applaudir dans " Nos députés en robe de chambre ", de Paul Ferrier ; " Divorçons ", de Victorien Sardou, etc...
---------C'est au cours d'une répétition de cette pièce à Paris, que Sardou vit arriver un soir, furieuse, une de ses interprètes qui lui dit " Tout de même, M. Sardou, c'est honteux ce que l'on me fait là ! Regardez le rôle qu'on m'a distribué ! Celui d'une femme de trente-cinq ans. Je ne peux pas jouer ça. Je suis loin d'avoir cet âge-là. "
---------Alors Sardou la regarda en souriant et d'une voix douce répondit : " Attendons quinze jours ! "
---------Cette petite histoire vraie, en appelle une seconde, non moins vraie.
---------Une artiste du boulevard comptait de nombreux lustres de gloire en dépit d'une admirable jeunesse de coeur et d'allures. Elle rencontra un jour deux auteurs dramatiques et tout de suite leur dit sa joie d'être installée, déjà, à la campagne
---------- C'est un bonheur, le matin, dès potron-minet de se lever et d'aller aux champs ! Il fait si bon là-bas. Si pur ! Et je m'amuse, si vous saviez, comme une petite folle, à courir à travers prés et bois !...
---------Après quelques minutes de ce gentil bavardage, les deux auteurs s'éloignèrent et le plus illustre, soudain, monologua
---------- Elle me rappelle un vers d'Hugo !
---------- Lequel ? demanda l'autre.
Alors, le premier de murmurer avec une cruelle gravité
---------- " Ce siècle avait deux ans !... "

---------1881, valut aussi aux Algérois une très appréciable troupe d'opéra et d'opéra-comique : Watson, Tauriac, Dorbel, Altairac, Pagès, Bétraucourt ; Mmes Larochelle, Pia, Scotti et Anglade, acclamés dans : " Les Martyrs ", de Scribe (ballet dansé par Bataglini, Bonnefoy, Bianchetti et Coquelle) ; " Madame Favart ", de Daru et Chivot, musique d'Offenbach ; " Le Songe d'une nuit d'été ", de Rosier et Leveu, musique de Thomas ; " Ruy Blas ", de Victor Hugo ; " La muette de Porticci ", de Scribe, musique d'Auber, etc...


---------Le 19 Mars 1882 l'Opéra d'Alger fut la proie des flammes. Les travaux de reconstruction s'achevèrent à la fin de l'année 1883. Le 1er Décembre, la salle était ouverte au public.
---------Ainsi que je l'ai indiqué dans le chapitre consacré à la reconstruction Oudot, on reprit, au cours de la saison 1883-1884, les principales pièces du répertoire classique : " La Juive " ; " Les Huguenots " ; " Rigoletto ", etc..., avec, comme interprètes Doria, Bach, Varenne, Déthurens, Savelli et bien d'autres encore...

---------La saison 1884-1885, présenta quelque intérêt. M. Fromant, une fois de plus Directeur du Municipal, fit lever le rideau sur différentes créations, saluées avec un enthousiasme peu commun. C'est du moins ce qui ressort des textes chaleureux que j'ai pu réunir.
---------On joua " La Vie Parisienne " ; " L'Eté de la Saint-Martin " ; " Le Maître de Forges " (on appelait volontiers l'oeuvre de Georges Ohnet : " l'événement littéraire de l'année "). On joua " Paul et Virginie " avec Mlle Ritter, une artiste de 17 ans, qui paraissait pour la première fois en public.
---------On organisa une fête de charité au profit des ouvriers d'Alger sans travail, et des victimes du tremblement de terre d'Espagne.
---------Mme Leblanc, chanteuse légère des Folies dramatiques et du Théâtre historique de Paris, fille de Charles Sylvain-Leblanc qui administra notre scène sous la direction Jourdan (1868-1869), fut l'animatrice de cette fête.
---------On accueillit enfin avec une sympathie marquée, la venue de M. Larrivé, première basse d'opéra-comique, pour lequel, au débarqué, un rimailleur algérois écrivit l'acrostiche suivant

La voix chaude, vibrante et vraiment sympathique,
Avec le jeu parfait du vrai comédien,
Rien ne lui manque : il est tour à tour poétique,
Railleur, persuasif et noble en son maintien.
Il est l'enfant gâté du public qui l'adore ;
Venu vers nous jadis, il y revient encore,
Et de lui l'on ne trouve à dire que du bien.

 

---------Un autre rimailleur commit, dans le même temps, une page fort mauvaise, intitulée : " Le Théâtre National ", dont le seul mérite est de nous faire connaître quelques noms d'artistes et quelques titres de pièces

En face le square, à deux pas
Du Cognon, endroit très folâtre,
S'élève notre grand Théâtre
Qu'adorent les gens délicats.
Là, Monsieur Fromant se pavane
Au milieu de ses sultanes,
Escorté de son régisseur,
Teyserre, le joyeux viveur.
C'est en ce lieu que le poisseux
Applaudit Flachat et Favreux.
Là, vit Bazin, le magnanime,
Tout auprès, Madame Viorron
Répand sa verve de démon,
Qui fait le jeu du grand Alcime.
A Leblanc, cédant le pas,
On voit Pagès et de Marco.
Le Directeur de notre scène
Jouit d'une assez forte veine.
Le Canaque a pour lui sauté
Et l'a joliment argenté,
Il tira, dit-on, des Sonnettes
Une somme assez rondelette
Loriquet, qui faisait fureur,
Le rendit d'excellente humeur,
Avec la Femme qui se lance
Il augmentera sa finance,
Et Barbe-Bleue lui donnera
Une campagne à Mustapha.

---------Le " Cognon ", dont il est question ici, était un des cafés les plus fréquentés d'Alger. Le Tantonville actuel l'a remplacé.
-

-------Pour la saison 1885-1886, M. Fromant fit mieux encore. De Paris, où il s'était rendu au mois de Juin 1885, il publia son programme. En voici le meilleur, dans l'ordre où, par la suite, ce programme fut exécuté : " Robert le Diable " ; " Ma femme manque de chic ", comédie de Busnach et Delret, pour laquelle Mlle Favreux, Mme Duchemin, M. Douchet composèrent de très spirituelles silhouettes ; " Ruy Blas ", de Victor Hugo ; " L'Auberge des Adrets " ; " Carmen ", triomphe de Mlle Gérald, du Théâtre de Bordeaux ; " Le tribut de Zamora ", de Gounod ; " Jérusalem ", donné au profit des Ecoles ; " Le tour du monde en 80 jours ", etc...
---------Le ténor Bovet, la basse chantante Olive Roger, la chanteuse légère Beretta, les acteurs Férénoux, Dufernez, Damy, Bresset, Leblanc, et celui qu'on appelait familièrement le père Pagès, autre vieille figure algéroise, firent partie de la distribution.
-
---------Malgré sa belle carrière directoriale, M. Fromant dut se retirer au seuil de la saison 1886-1887 et passer le flambeau à M. Coste, luthier, installé rue de Constantine, dont le fils fut, plus tard, chef d'orchestre à ce même Opéra d'Alger.
---------Cette saison débuta par le bruyant succès du ténor Henry Leroy et de la chanteuse légère Valgalier.
---------Au répertoire : " Les Mousquetaires de la Reine ", d'Halévy ; " La Périchole " ; " Don Cézar de Bazan " ; " Mignon " ; " Mam'zelle Nitouche " ; " La Traviata " (Mme Fincken) ; " Le Grand Mogol " ; " Le Voyage en Chine " ; " Le Pardon de Ploërmel ", de Carré et Barbier, musique de Meyerbeer (Artières, Gourdon, Séguin ; Mmes Fincken et Valgalier) .

---------
En 1887, le Théâtre, " Impérial " à l'origine, puis " National ", fut décrété " Municipal ", ce qu'il resta.

---------L'Etat ne pouvait continuer son aide financière et la subvention de trente mille francs qu'il servait jusque là, fut supprimée.
---------Les placards qui firent une grosse publicité autour des premières semaines de la saison 1887-1888 (Direction Manent), s'attardèrent complaisamment sur les noms de Mlle Cordier, de l'Opéra Comique, en représentation dans " La Traviata " et " Mignon " ; sur les noms du fort ténor Carbonal ; de la basse Viennet ; de Mlle Bloch, chanteuse légère, très appréciée dans " La Juive " ; sur les noms encore d'Ortel, Scarella, Pagès, qui interprétèrent le chef-d'oeuvre de Daudet " L'Arlésienne " (musique de Bizet). M. Manent, par la suite, fit jouer : " Carnot ", drame militaire, de Blondeau et Jonathan ; " Boccace ", opérette de Suppé ; " Nos bons jurés ", comédie nouvelle de Ferrier et Carré ; " Le monde où l'on s'ennuie ", comédie de Pailleron, etc...
---------M. Manent avait songé à Agar. Elle vint en 1888 accompagnée de son partenaire de la Comédie-Française, M. Charpentier. On l'applaudit dans les pièces du répertoire classique, dans deux poèmes : " Le Cimetière d'Eylau ", de Victor Hugo et " L'Alsace ", d'Erckman-Chatrian ; on l'applaudit encore dans une comédie où elle atteignait au sublime : " Le supplice d'une femme ".
---------Agar, Léonie Charvin, était d'une grande beauté. Son portrait, oeuvre émouvante de Théodore Chassériau - neveu de l'architecte de l'Opéra - qui avait voulu représenter en elle la muse de la Tragédie, fut longtemps exposé dans le grand foyer du Municipal.
---------Agar mourut à Alger, un jour du printemps 1891. La Comédie Française, sur l'initiative de Sarah Bernhardt, fit apposer une plaque sur la façade de la modeste maison où, rue Poiret, celle qui fut Camille, Phèdre, Hermione, rendit le dernier soupir...
---------M. Fromant, après une année de demi-retraite, reprit son poste de Directeur (pour la troisième fois), libérant ainsi M. Manent.

---------L'ouverture de la saison 1888-1889 eut lieu le 29 Octobre 1888 par la représentation de " La Bouquetière des Innocents " et du "Barbier de Séville ", débuts du baryton d'opéra-comique Talabot. Suivirent : " Les Contes d'Hoffmann " ; une comédie nouvelle "Le Docteur Jojo " ; une opérette-bouffe : " Les cent Vierges " ; "Carmen " avec Mlle Gally-Marié, etc., etc...

---------L'année théâtrale algéroise 1889 fut aussi marquée par un événement considérable : la présence sur la scène des Nouveautés, de la grande tragédienne Sarah Bernhardt.
---------Théodore de Banville a dit de Sarah Bernhardt : " Un statuaire grec voulant symboliser l'ode, l'eût choisie pour modèle ".
---------Son arrivée à Alger suivait d'assez près son retour triomphal d'Amérique, où elle venait de jouer " Frou-Frou ", " Théodora ", " La Dame aux Camélias ".
---------Alger lui fit le plus chaleureux accueil. Tout laisse croire qu'elle y fut extrêmement sensible. Elle joua : " La Tosca ", " Fédora ", "Frou-Frou ", " Adrienne Lecouvreur ", avec, comme principal partenaire, son ex-mari Damala.
---------On m'a conté, à propos de la mort de Sarah Bernhardt, une savoureuse anecdote
---------Une toute petite, petite actrice, petite par la taille autant que par le talent, pleurait, pleurait à chaudes larmes, assise sur un portant, dans un recoin de l'arrière-scène.
---------- Qu'avez-vous, mademoiselle ? lui demanda un de ses admirateurs (elles en ont toutes !) .
---------- Oh ! mon cher, je pleure parce que, aujourd'hui, c'est l'anniversaire de la mort de l'une de mes bonnes camarades.
---------Et l'admirateur de la petite, toute petite actrice ayant voulu savoir quelle " si bonne camarade " la touchait de si près
---------- Sarah Bernhardt, lui fut-il répondu entre deux sanglots...

---------1890. - Le baryton Chauvreau était couvert de fleurs. Il chantait : " Rigoletto ", " Hamlet " et " L'Africaine ".

---------Nous ne passerons pas sous silence la mort de Mme Jonzac, ouvreuse des fauteuils de balcon depuis 32 ans. Bousculée rue d'Isly, la malheureuse femme fit une chute, se démit l'épaule et mourut huit jours après. C'était une vieille figure du Théâtre et qui en savait long...
---------En Juin, M. Guillien était mis à la tête de notre grande scène. Il débuta à Alger, comme baryton, en 1875, sous la direction Bouvard. 11 y revint en 1 880 après une tournée très honorable en Europe.
---------M. Guillien s'entoura de bons artistes : Mmes Térestri, Clary, Linse, Mary Albert, Baretty ; MM. Chauvreau, Plaire, Rouyer, Mikaelly, Fonteix, Augier.
Cependant, au Conseil Municipal, M. Begey demandait la suppression, par mesure d'économie, du second chef d'orchestre, qui suppléait M. Maubourg, premier chef ; la suppression de plusieurs musiciens et celle, aussi, du gardien d'orchestre, un pauvre bougre qui, pour quinze francs par mois, allumait les lampes, rangeait les pupitres, rendait mille petits services...
---------En Novembre, le grand chanteur Boudouresque, de l'Opéra, engagé pour quelques représentations, était accueilli avec la plus grande faveur. Il donna une première audition dans " Robert le Diable ", puis une seconde dans " La Juive ".
---------C'est au cours des dernières semaines de 1890, que M. Guillien fit jouer une pièce tirée d'un roman d'Alphonse Daudet : " Jack ". J'en parle tout spécialement, parce qu'il me souvient que cette pièce fut évoquée un jour par Lucien Descaves, d'une manière des plus amusantes, à propos du journaliste Rochefort.
---------Rochefort était très pénétré de son importance sous des dehors blasés. Dînant un soir chez Alphonse Daudet, il fut amené à dire qu'il était le seul homme capable de faire descendre, à son appel, cent mille hommes dans la rue.
---------Daudet venait de n'obtenir qu'un demi-succès avec " Jack ". Il braqua son monocle sur l'agitateur et dit doucement
---------- Vous devriez bien, Rochefort, les envoyer à l'Odéon !

---------1891. - Une partie de la saison fut réservée aux comédies gaies : " Les Boussigneul " ; " Les surprises du divorce " ; " Le voyage de Monsieur Perrichon " ; " La Cagnotte " ; " Les noces d'un réserviste ", etc...
---------Hyacinthe, un Algérien, jouait alors dans " Lili ", avec Mlle Miller. Un journaliste facétieux autant qu'observateur lui adressa un jour la petite critique suivante
---------" Au 2e acte de Lili, Hyacinthe se présente en galant officier de chasseurs ; ayant jugé inutile de se faire une tête il se contente de ses avantages naturels ; or, au point de vue capillaire ils sont assez minces, car l'ami Hyacinthe est encore plus déplumé que son Directeur...
---------" Il revient au 3e acte en très vieux général, et alors, ô merveille ! la chevelure qu'il ne possédait pas à trente ans a poussé depuis et quoique d'un gris panaché, elle est tout simplement absaIonienne "
.
---------C'est en 1891 que, succédant à la troupe Achard, Alger eut le rare plaisir d'avoir sur la scène du Théâtre des Nouveautés, la grande comédienne : Madame Favart. Mme Favart ne joua qu'un soir : " Gabrielle ", d'Emile Augier, et " Monsieur Alphonse ", d'Alexandre Dumas fils.
---------L'Opéra reprit " Lakmé ", à la mort de Léo Delibes. M. Bonnard et Mlle Gabriel y connurent un fort joli succès.

**************

--------------------------J'ai gardé mon âme ingénue
-------------------------- A la fiancée inconnue...
---------La création de " Sigurd ", en cette même année 1891, fut, pour le ténor Dolléon un véritable triomphe. Triomphe aussi pour ses partenaires Soum, Louyrette, Mmes Martinon, Marie-Gabriel, Valgalier une des figures les plus curieuses du théâtre d'Alger. Triomphe enfin pour le Directeur, M. Guillien.
---------Mise en scène, décors, musique, chants, furent, il est vrai, d'une parfaite tenue et d'une peu commune homogénéité.
---------Depuis bien des années, création n'avait connu pareil engouement.
---------Peu après, les Algérois purent voir dans un Corso fleuri, le char de " Sigurd " monté par un groupe de figurants chantant l'air fameux

------------------" Peuple fais retentir les airs de chants joyeux... "
---------Le ténor Dolléon, en costume, précédait le char. Il montait son fameux cheval blanc, auquel un soir, rue de Chartres, un plaisantin ridicule coupa la queue : une queue magnifique...
---------Comme on le pense, le célèbre ténor fut, du Bastion XV à la place du Gouvernement, salué par une foule conquise et enthousiaste.


---------1892 ! " Samson et Dalila ". Saint-Saëns est dans la salle. Impénétrable. Songe-t-il à cette soirée du 8 Septembre 1874 où, à Croissy, devant un petit groupe d'amis, Mme Viardot chanta - elle fut la première - les quelques fragments du second acte écrits la veille ? Songe-t-il à Listz qui fit jouer " Samson et Dalila " à Weimar en 1877, puis dans toute l'Allemagne, cependant que la France ne s'y intéressait que douze ans après ?
---------Dolléon, le " Sigurd " hautement apprécié de 1891, et Mme de Vita, tiennent les rôles de Samson et de Dalila.
---------Tous ceux qui ont entendu chanter Mme de Vita, gardent le souvenir ineffaçable de sa voix chaude et puissante, où rien ne trahissait l'gpprêt ni l'artifice, et dont la souple ardeur rendait plus sensibles encore, les beautés de l'oeuvre admirable.
---------Il est juste de dire, que cette interprète hors de pair, eut le don d'émouvoir Saint-Saëns, qui tint à la complimenter : ce qui vaut d'être dit.

---------La saison 1892-1893, patiemment préparée par le nouveau Directeur Manent, que nous connaissions déjà, et le chef d'orchestre Maubourg, vit l'inoubliable création de " Manon " avec Mme Vaillant-Couturier, qui fut dans la pensée de Massenet, la Manon idéale. C'est encore au cours de cette saison que se produisirent sur la scène du Théâtre Municipal, dans le répertoire de grand opéra, le ténor Escalaïs, sa femme, Mme Lureau-Escalaïs et Boudouresque.

---------En 1894, sous la Direction Coulanges, Coquelin aîné joue au Municipal pour les écoles de la ville, le rôle de Mascarille, des " Précieuses ridicules ". En 1892, Coquelin cadet avait joué " Mademoiselle de la Seiglière ", de Sandeau, au petit théâtre des Nouveautés, Casino Music-hall actuel. Il était alors accompagné de Jean Coquelin à ses débuts et de Mme Favart.
---------La création de " L'attaque du Moulin ", de Bruneau ; de " Lohengrin " et surtout celle d' " Etienne Marcel ", de Saint-Saëns, illustrèrent cette saison de 1894 et vinrent consacrer le talent de Mme Cagnart-Verhés, des ténors Verhés et Reynaud, du chef d'orchestre Rey.
---------Et je n'aurai garde d'oublier le concert de la Chorale des Chanteurs Russes, que dirigeait avec toute l'autorité et toute la science désirables, Dimitri Slavianski d'Agreneff. ---------Beaucoup se souviennent encore de ces mélopées originales et mélancoliques, de ces voix d'hommes, de femmes et d'enfants, si étrangement combinées et confondues ; beaucoup ont aimé entre autres, ce chant naïf et triste qui montait de la scène en un long murmure :
---------" Cherche mon petit anneau que je cache... "
---------Ernest Comte, ancien lutteur et boxeur, baryton amateur de grand opéra, chante " Guillaume Tell " en 1895. ---------Dans cette même année, la danseuse noble Reggio Baudino, obtint les plus éclatants succès, cependant que Mlle d'Hamy, grand premier rôle de comédie, est en difficulté avec les étudiants, qui " chahutent " ses représentations.
---------Mme Tarquini d'Or, des Concerts Colonne et Lamoureux, chante " Carmen ", " Mignon " et " Werther ". Elle est, nul ne le conteste, une des meilleures cantatrices de son temps.

---------
Il me faut citer encore, parmi les célébrités de l'époque Mme Tariol-Baugé, mère du baryton André Baugé, vedette du septième art ; Mlle Riccordo ; MM. Dorfert, Baugé, Lafon, du Rozay, Montégut ; et parmi les pièces où elles se produisent : " Le Coeur et la Main " ; " Les pauvres de Paris " ; " Les Huguenots " ; " La Favorite " ; " Gilette de Narbonne ".
---------" Les Deux Orphelines ", de Dennery, font salle comble; de même qu'une gentille comédie, " Mam'zelle Carabin ", représentation pittoresque et nostalgique d'une idylle au quartier latin.


---------L'aube de 1896 voit sous la troisième Direction Coste quatre créations estimables : " La Casquette du Père Bugeaud " ; " La prise de la Smalah d'Abd-el-Kader " ; " La Vivandière " et surtout " Salammbô ", de Reyer, où Mme Laville-Ferminet et Mestre affirmèrent une fois de plus la rare qualité de leur talent.
---------M. Coste présenta par la suite : " Les Amours du Diable " ; " Les Contes d'Hoffman " ; " Antonia " ; " Madame de Rennecy ", drame en trois actes d'un journaliste algérien, M. Castéran ; " Le Voyage de Suzette ", avec Mme Tariol-Baugé ; " Les Noces du Baron ", de Marius Lambert ; enfin " Le Songe d'une nuit d'été ",
donné au bénéfice de Mlle Chambellan. Cette soirée, qui fut brillante, se termina pourtant d'assez singulière façon. Au dernier acte, le ténor Jullian, en difficultés financières avec son Directeur, jugea opportun de ne pas paraître à point nommé et de tirer profit de la situation par ce moyen péremptoire.
---------Ce n'était pas il est vrai, l'affaire des spectateurs. Ils le firent bien entendre.
---------Cette histoire m'en remet en mémoire une autre, de la même veine.
---------On jouait à la Porte Saint-Martin, une pièce d'Alexandre Dumas: " Antony ", pièce qui, assez froidement accueillie au Théâtre Français, devait connaître sur les Boulevards un prodigieux succès.
---------Bocage et Dorval y jouaient les principaux rôles et tenaient les spectateurs en haleine jusqu'au tomber du rideau, c'est-à-dire, jusqu'au moment où Bocage penché sur Dorval, qu'il venait de poignarder, prononçait, avec toute la dignité voulue
---------- " Elle me résistait : je l'ai assassinée ! ", phrase qui, il faut le dire, constituait toute la morale de la pièce.
---------Or un soir, par la faute d'un régisseur mal renseigné, le rideau tomba sur la scène finale avant que Bocage ait dit la fameuse phrase.
---------Déçu, le public réclama le " dénouement " à la grande confusion du régisseur, lequel demanda aux artistes de permettre qu'on relevât le rideau.
---------Dorval reprit docilement son attitude de femme assassinée et le rideau se releva ; mais Bocage furieux, ne parut point.
---------Une rumeur venue des hautes places gagna bientôt la salle entière.
---------Dorval pressentit l'orage. Elle se leva alors, vint sur le bord de la scène et, dans le silence brusquement revenu
---------- Messieurs, dit-elle, je lui résistais, il m'a assassinée !


---------" Cyrano de Bergerac ", présenté en 1898 par M. Miallet-Métellio, successeur de M. Coste, déçut quelque peu. ---------Le rôle de Cyrano était tenu par Pouctal, artiste de mélodrame remplaçant dans la distribution l'interprète habituel de la tournée, l'acteur Hirsch. Pouctal ne le valait pas. Hirsch incarnait son rôle avec beaucoup de charme et d'éclat ; mais il était israélite. Or, les heures troublées de 1898 imposaient en Alger la plus élémentaire prudence et la plus grande circonspection.
---------Le chef-d'oeuvre de Rostand n'en souffrit pas moins, malgré la présence de Jeanne Rolly, qui fut une Roxane remarquable.

---------
La fin du XIXème siècle ne devait, en somme, rien présenter de sensationnel dans la vie théâtrale algéroise. Nous excepterons toutefois la très minutieuse et très honorable création du " Tannhauser ", pour la gloire duquel artistes et machinistes firent véritablement, l'impossible. Mme Demours, Mme D'Osta y jouèrent agréablement, tout comme, il est vrai, le ténor Cornubert, excellent chanteur et excellent garçon. C'est lui, Cornubert, qui racontait volontiers cette petite anecdote, rapportée de quelque tournée obscure, au temps des premières armes
---------Dans un théâtre de province on jouait un drame du moyen âge. Sur scène il y avait Louis X entouré de sa cour. Dans la salle il y avait peu de monde, bien peu de monde. Assez, cependant, pour trouver que les artistes étaient inférieurs à leur tâche et pour le leur prouver par de discrets murmures.
---------Un acteur excédé de ces manifestations hostiles s'avança vers la rampe et s'adressant au maigre public, lui dit, sans colère, mais avec fermeté
---------- Prenez garde, vous savez, nous sommes plus nombreux que vous !