Les années Fromentin
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Les années Fromentin Le temps passe? Eh bien qu'il passe! Finalement, il n'emporte
pas tout. Les souvenirs demeurent en nous, intacts, plus forts que le
temps, plus forts que la mort. Fromentin, tenez... Ce lycée, cette
forteresse de filles, planté sur les hauteurs d'Alger, couronné
de pins noirs contre un ciel de paradis, dominant l'une des plus belles
baies du monde. Par les fenêtres de nos salles de classe, nous pouvions
entendre les sirènes du port, et voir glisser les grands bateaux.
Pourquoi ce nom de Fromentin? Sans doute parce que le peintre romancier
en question (peut-être plus romancier que peintre) s'était
pris de passion pour notre Sahel et pour le soleil de l'Afrique du Nord.
Comme cette jeune sévrienne, Edmée Hattinguais, qui était
née, avait grandi dans une province du Nord, grise à mourir...
et qui s'était juré de devenir un jour la directrice d'un
lycée bâti sur une colline ensoleillée, face à
la mer. Elle nous donne donc Fromentin. Je passe sur les combats qu'elle
dut mener pour y parvenir. Mais un jour de printemps 1937, un gouverneur
général de l'Algérie qui portait le nom de Lebeau,
vint inaugurer le rêve réalisé de Mme Hattinguais.
Et tous de s'extasier sur la beauté du site, l'élégance
des pavillons (où allaient vivre les pensionnaires), la profusion
des fleurs. Bref, on n'avait lésiné sur rien. Le pavillon
des plus petites qu'on appelait forcément " le nid "
et qui fut voué au rose, des tabliers des gosses aux rideaux et
aux dessus-de-lit des dortoirs, ressemblait à un décor de
comédie américaine. Aussi charmant, aussi précieux,
aussi banal. Puis venaient " l'Oasis " vert, le " Gai logis
" bleu, enfin " La Ruche ", le pavillon des terminales,
d'un jaune apaisant. Les pensionnaires, venues pour la plupart du bled,
vivaient là dans l'élégance, le luxe du décor,
tous milieux, religions, races et fortunes confondus. Fromentin était
un lycée d'État. Les filles de petits colons du bled, ou
de modestes fonctionnaires, boursières comme votre servante, ont
vécu Fromentin comme un rêve. Quand je raconte à ma
petite-fille que, dans ce lycée-là, j'avais ma propre chambre,
et pour toutes une bibliothèque, une discothèque, des profs
de danse et de piano, deux lectrices anglaises, elle me regarde abasourdie: |