Nous, Algériens
Jacques Chevallier
Ancien maire d'Alger
CALMANN-LÉVY, 1958

Chapitre V


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V

----------QUAND on cumule les dons proclamés sur le forum d'Alger le 13 mai 1958 avec ce qui fut précédemment accordé par la loi française, on s'aperçoit qu'en définitive il ne reste plus grand-chose à donner à l'Algérie car tout, ou presque, a déjà été octroyé au comptant ou à terme et dans tous les sens.
----------Cette quantité d'engagements généreux eût dû permettre les transitions sociales et politiques répondant à l'évolution progressive des individus.
----------Il en fut différemment car en Algérie ceux qui, ayant une vision lucide des risques qui menaçaient l'équilibre des collectivités algériennes, prétendaient dans le passé vouloir les prévenir ont été pulvérisés par des forces puissantes, hostiles à tout changement. Et quand la loi a tenté d'imposer des remèdes pour éviter l'irréparable, ces mêmes forces ont agi pour que la loi ne soit pas respectée, se rendant de la sorte complices, sous le stupide prétexte de gagner du temps, de ceux qui précisément souhaitaient que ce temps soit perdu pour la France.
----------Ainsi a été ouvert le cimetière des " occasions manquées " vers lequel on nous conduit pour méditer, chaque fois que nous tentons de renouer les fils fragiles de la confiance.

***

----------Première occasion manquée : le projet Blum-Violette.
----------De ceux qui ont eu une claire vision des choses et ont tenté d'assurer une évolution politique paisible et harmonieuse en Algérie, la première place, à notre époque, revient à MAURICE VIOLETTE, ancien gouverneur général de l'Algérie.
----------Dans l'avant-propos de ses notes intitulées L'Algérie vivra-t-elle? que beaucoup de Français d'Algérie ont, depuis lors, lues et méditées non sans mélancolie, M. Violette posait le problème tel qu'il se présentait dans l'euphorie du centenaire de 1830.

----------Je crois qu'au lendemain même du Centenaire, le moment est venu de dire les choses nécessaires. De solennelles promesses ont été faites et n'ont pas été tenues.
Personne ne s'en soucie désormais et il semble que ceux qui ont assisté aux fêtes, enthousiasmés par la féerie algérienne, ne conçoivent même pas qu'il puisse y avoir une question algérienne.
----------On a vu longtemps, en France, la Russie à travers Michel Strogoff ; la plupart de nos compatriotes ne voient l'Algérie qu'à travers le splendide défilé du 14 Juillet ou la grande revue d'Alger.
----------Je demande la permission de troubler cette quiétude mortelle et de rappeler que se posent de l'autre côté de la Méditerranée des problèmes fort graves et fort difficiles. Il est périlleux de se laisser envahir par un optimisme né tout à la fois du pittoresque de la nature, des moeurs et du costume, du beau ciel et d'un effort de colonisation vraiment extraordinaire.


----------Maurice Violette préconisait une politique d'assimilation progressive et harmonieuse qui, moins coûteuse et moins brutale que " l'intégration " récemment proposée, la préfigurait, mais en tenant compte cette fois des réalités juridiques et financières, ainsi que d'un échelonnement. Son projet, violemment combattu par les mêmes qui aujourd'hui en Algérie se campent en champions de l'intégration totale et immédiate, fut jeté aux orties non sans que son auteur ait été assailli d'injures.
----------Je revis encore comme un souvenir de jeunesse les manifestations hostiles dont M. Violette fut l'objet sur un parcours où moi-même, vingt ans après, je devais connaître les mêmes, pour des raisons inspirées de sentiments identiques.
----------Évoquant, le 21 août 1947, le projet Blum-Violette à l'occasion des débats sur un statut de l'Algérie combien plus coûteux, le ministre de l'Intérieur, M. Depreux, traduisant les regrets tardifs de beaucoup d'Algériens, devait le qualifier à juste titre de " magnifique occasion manquée. "
----------Certes, elle l'était...

***

----------Deuxième occasion manquée : le Statut de l'Algérie.
----------Cette tentative intelligente sottement écartée, vint la guerre. Fidèles au combat, les musulmans algériens se montraient solidaires des Français d'origine dans le malheur de la patrie. Mais les idéologies et la confusion profondes qui boule-versaient le monde allaient fatalement avoir leur répercussion en Algérie.
----------Le 10 août 1941, Ferhat Abbas, l'actuel président du " Gouvernement " provisoire algérien au Caire, adressait au maréchal Pétain, au nom des " jeunes Algériens, fellahs, ouvriers et anciens militaires ", un rapport dont l'esprit s'exprimait en ces termes :
----------" Ils (les musulmans) font le serment de militer et d'agir en toutes circonstances par tous les temps et sous tous les régimes jusqu'à ce que la loi, en Algérie, soit la même pour tous et les privilèges abolis. "
----------Reprenant l'esprit de ce texte, le Io février 1943,
au lendemain du débarquement allié, Ferhat Abbas et quelques personnalités musulmanes signaient le " Manifeste du peuple algérien " qui, le 31 mars 1943, était remis au gouverneur général Peyrouton. Ce document réclamait en substance :
----------a) La condamnation et l'abolition de la colonisation, c'est-à-dire de l'annexion et de l'exploitation d'un peuple par un autre peuple. Cette colonisation n'est qu'une forme collective de l'esclavage individuel de l'antiquité et du servage du Moyen Age. Elle est, en outre, une des causes principales des rivalités et des conflagrations entre les grandes puissances.
----------b) L'application pour tous les pays, petits et grands, du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes;
----------c) La dotation à l'Algérie d'une Constitution propre, garantissant :
----------1°/ La liberté et l'égalité absolue de tous ses habitants, sans distinction de race ni de religion.
----------2°/ La suppression de la propriété féodale par une grande réforme agraire et le droit au bien-être de l'immense prolétariat agricole.
----------3°/ La reconnaissance de la langue arabe comme langue officielle au même titre que la langue française.
----------4°/ La liberté de la presse et le droit d'association.
----------5° L'instruction gratuite et obligatoire pour les enfants des deux sexes.
----------6°/ La liberté du culte pour tous les habitants et l'application à toutes les religions du principe de la séparation de l'Église et de l'État.
----------d) La participation immédiate et effective des musulmans algériens au gouvernement de leur pays.
----------Ce gouvernement pourra seul réaliser dans un climat d'unité morale parfaite la participation du peuple algérien à la lutte commune ;
----------e) La libération de tous les condamnés et internés politiques à quelque parti qu'ils appartiennent.
----------La garantie et la réalisation de ces cinq points assurera l'entière et sincère adhésion de l'Algérie musulmane à la lutte pour le triomphe du droit et de la liberté. "

----------Quelques mois plus tard, le II décembre 1943, avec le souci louable de ne pas méconnaître ni rejeter à priori ces revendications, le Comité français de la Libération nationale siégeant à Alger sous l'autorité du général DE GAULLE, considérant que " la politique de la France à l'égard des Français musulmans d'Algérie devait tendre de façon continue et progressive à élever leur condition politique, sociale et économique au niveau de celle des Français non musulmans "
----------estima entre autres choses nécessaire :
----------a) de conférer aux élites musulmanes, sans plus
attendre et sans abandon du statut personnel coranique, la citoyenneté française;
----------b) d'augmenter la représentation des musulmans
dans les assemblées délibérantes algériennes et d'élargir le droit de suffrage des musulmans.
----------Pour la réalisation de ces décisions, une commission dite des réformes était créée. Nombre de personnalités politiques d'origine européenne ou musulmane y furent entendues.

----------Cette commission consulta entre autres les leaders communistes FAYET et AMAR OUZEGANE; le chef des Oulémas, cheikh BRAHIMI B'cHIR; le chef du Mouvement national algérien, MESSALI HADJ, et FERHAT ABBAS accompagné de SAYAH ABDELKADER.
----------En conclusion des auditions et travaux de cette " Table ronde de toutes les opinions ", le général DE GAULLE promulguait l'ordonnance du 7 mars 1944 que M. PLEVEN devait à juste titre définir " l'acte le plus audacieusement révolutionnaire dans les rapports franco-algériens depuis un demi-siècle. "
----------Il l'était en effet, non seulement parce que les Français musulmans allaient jouir de tous les droits et être soumis à tous les devoirs des Français non musulmans, mais surtout parce qu'il ordonnait que cela soit fait sans abandon de leur propre statut coranique dont le contenu est parfois en opposition avec les principes mêmes de notre droit.
----------Jugeant sévèrement l'ordonnance du général DE GAULLE, le professeur Jacques Lambert écrivait :
----------" Avec ce texte se clôt humblement l'histoire d'une grande prétention; ce n'est pas l'Islam qui est venu à la citoyenneté française, c'est elle qui s'est pliée jusqu'à lui.
Pour pouvoir dire qu'elle a fait sa conquête, elle est passée par toutes ses volontés jusqu'à s'infliger à elle-même le désaveu le plus total car on croyait que la citoyenneté française, c'était un faisceau de droits et de devoirs uniformes et cohérents. Ce n'est plus vrai aujourd'hui et quand, par exemple, une étrangère épousera un citoyen français, elle ne sera jamais sûre de ne pas devenir très légalement sa quatrième femme.
"
----------A noter en passant que ce droit acquis de pouvoir conserver le Statut coranique tout en devenant citoyen français a été confirmé par le Statut de 1947 et récemment encore sur le forum d'Alger où nulle réserve ni condition n'a accompagné l'affirmation renouvelée que les musulmans sont des " Français à part entière ".
----------L'ordonnance du 7 mars 1944 constituait aussi
une promotion électorale en permettant aux musulmans répondant à certains critères de mérite ou d'évolution d'abandonner leur collège et de se faire inscrire dans le collège purement français.
----------Ce système ouvrait la porte à une invasion progressive du Ier Collège (Collège européen) et conduisait inéluctablement, avec le temps, au collège unique dont il était en quelque sorte l'expression à terme.
----------Pour cette raison, la remise en cause de l'ordonnance de Gaulle allait faire l'objet de discussions passionnées au cours des débats du Statut de l'Algérie, en 1947, comme portant en soi les germes condamnés à l'époque, du collège unique, et valoir entre temps au général DE GAULLE une très sérieuse impopularité chez les Européens d'Algérie, comme lui avaient valu en leur temps ses déclarations de Brazzaville.
----------Une fois décidées, ces réformes d'une excep?
tionnelle importance, qui devaient engager le Parlement sitôt les hostilités terminées et les institutions républicaines rétablies, la révolte du Constantinois survint soudain, tel un tragique coup de gong du destin. Des villages entiers d'Européens sauvagement massacrés par surprise, des douars nombreux anéantis en représailles, visions de carnage frappant les deux collectivités algériennes et dont le souvenir n'a cessé, jusqu'en novembre 1954, d'hypothéquer lourdement leurs rapports.
----------Si les causes de cette révolte n'ont jamais été complètement éclaircies, il faut néanmoins retenir du rapport de la Commission d'enquête signé par le général TUBERT, l'avocat général LABATTUT et le cadi TALEB CHOAIB, cette conclusion qui constituait un avertissement dont par la suite il ne fut pas tenu compte

----------" Les manifestations du 8 mai à Sétif avaient un caractère politique et tendaient à réclamer la libération de Messali Hadj et l'indépendance de l'Algérie.
----------La Commission croit, en terminant, de son devoir de signaler la psychose de peur qui déferle sur l'Algérie et qui étreint tous les milieux colons comme la psychose de mécontentement et de suspicion qui agite les masses musulmanes. Il est nécessaire de rassurer les uns et les autres puisque tous doivent vivre côte à côte dans le même pays.
----------Il semble urgent de disposer de moyens suffisants pour assurer l'ordre dans la légalité. La présence de troupes mobiles doit ramener la confiance et empêcher la formation de groupes armés échappant à tout contrôle. Il semble aussi qu'il faille sans tarder définir avec netteté et sincérité les programmes poli-tiques et économiques que les pouvoirs publics décideront d'appliquer à l'Algérie. "

----------Abstraction faite du crime dont ils portent la responsabilité pour les massacres en chaîne que cette journée fatale a provoqué, les instigateurs du 8 mai 1945 ont commis une faute politique dont on ne saura jamais si elle fut consciente ou inconsciente. Mais au lendemain du geste d'un libéralisme révolutionnaire accompli par le général DE GAULLE et à la veille de la discussion d'un statut nouveau, sous le gouvernement général de M. CHATAIGNEAU, un climat d'entente loyale eût pu et dû s'établir en Algérie.
----------Le 8 mai 1945 compromit tout : la collectivité européenne se replia sur la défensive; la collectivité musulmane en fit autant. Le fossé était creusé.

----------Cet exemple n'est pas le seul en Algérie et quand des hommes de bonne foi, au risque de se voir condamnés par leur propre collectivité, tentent de renouer les liens fragiles de la confiance et de la coopération, tout leur est soudain rendu impossible. Survient le crime : persévérer alors dans leur entreprise de conciliation fait suspecter ces hommes de pactiser avec l'assassin, qui n'est plus à cet instant celui qui tue, mais la collectivité tout entière à laquelle il appartient, jugée injustement comme complice et consentante.
----------Tel fut le destin du gouverneur général Châtaigneau, qui administra l'Algérie dans une de ses périodes de fièvre intense où la passion se prit à commander injustement.
----------Pour avoir été de ceux qui l'attaquèrent et le condamnèrent, je crois honnête, après avoir jugé avec le recul du temps, de confesser aujourd'hui mon erreur. Yves Châtaigneau avait vu juste et l'avenir lui aura donné raison. L'eussions-nous écouté et suivi plutôt que de l'accabler et de le chasser, bien des deuils et des souffrances auraient été épargnés à l'Algérie; l'addition finale en tout cas eût été moins lourde.
----------Dressant l'Algérie européenne contre le gouverneur Châtaigneau, les événements du 8 mai marqueront de " l'esprit d'abandon " tout ce qu'il va tenter d'entreprendre. Quoi qu'il dît ou qu'il préconisât n'eut plus d'importance. Aussi pures que fussent ses intentions, le fait même qu'elles étaient siennes les rendaient suspectes à priori ou mauvaises à la masse européenne et ce fut dans ce climat passionnel qu'on entreprit de discuter le Statut de l'Algérie.
----------Lire le préambule du Statut, c'est en déceler l'esprit.
----------Dans la ligne de l'ordonnance du 7 mars 1944, elle-même imprégnée de l'esprit de Brazzaville, et respectant la personnalité islamique, ce texte rompait définitivement avec l'esprit colonial, ouvrait la voie à une politique d'association qui conduirait un jour ou l'autre la solution fédérale sans qu' on osât l'avouer toutes les structures étaient mises en place a cette fin,

----------Le préambule ne déclarait-il pas que le projet répondait au désir de " donner à l'Algérie plus d'autonomie dans la gestion de ses affaires, permettre à l'élément musulman de participer de façon plus large à cette gestion, respecter ainsi l'originalité de ce pays, ses modes de pensée, ses réactions sentimentales ou religieuses, son style de vie, sa personnalité en un mot... "
----------Les discussions devant la commission de l'Intérieur comme le contenu des débats devaient confisnier son caractère qu'on pourrait qualifier de " progressiste " Si ce terme, du fait des communistes, n'était depuis quelque temps devenu suspect.
----------Le progressisme? mais d'autres, qui n'en furent jamais soupçonnés eussent pu aussi en être taxés.
----------Autonomie et reconnaissance de la personnalité algérienne sont des idées et des termes que l'on ne cesse de retrouver depuis des années dans tout ce qui a trait à l'Algérie, comme si invariablement la réalité de la vie et des faits poussaient inéluctablement vers cela.
----------Le grand colonial que fut ,JULES FERRY ne disait-il pas dans son rapport devant la Commission des dix-huit qui siégea de 1891 à 1893 :

----------" Assimiler l'Algérie à la métropole, leur donner à toutes deux les mêmes institutions, le même régime législatif et politique, leur assurer les mêmes garanties, les mêmes droits, la même loi, c'est une conception simple et bien faite pour séduire l'esprit français... Elle pèse encore et pèsera toujours sur les esprits qui s'appliqueront à ce vaste problème.
----------Elle a inspiré à PRÉVOST-PARADOL une de ses pages les plus émouvantes. Même aujourd'hui, après nombre d'expériences, il faut quelque courage d'esprit pour reconnaître que les lois françaises ne se transplantent pas étourdiment, qu'elles n'ont point la vertu magique de franciser tous les rivages sur lesquels on les importe, que les milieux sociaux résistent et se défendent, et qu'il faut en tout pays que le présent compte grandement avec le passé

--------Et aussi :

----------"Les colonies, pas plus que les batailles, ne se commandent de loin, dans les bureaux d'un ministère. Les colonies auraient parfois intérêt à couper le fil télégraphique qui les relie à la métropole... Il faut aux colonies, jeunes ou vieilles, une large part d'autonomie... L'autonomie peut être politique et c'est alors la grand-route de la séparation. Mais elle peut être aussi purement administrative, résider dans une organisation locale puissante, contrôlée de haut par la métropole, mais libre dans ses mouvements, statuant sur place, faisant face aux nécessités continuellement changeantes d'un état de choses en voie de formation, d'un perpétuel avenir.
----------L'erreur fondamentale en ce qui touche l'Algérie, celle qui séduisit, au lendemain surtout des événements de 187o, tant d'esprits distingués, animés du patriotisme le plus pur, c'est d'avoir voulu, bon gré mal gré, y voir autre chose qu'une colonie. L'Algérie est une terre française, répétait-on, c'est une France
d'outre-mer, c'est le " prolongement de la France ". On prit au pied de la lettre cette patriotique métaphore. On en conclut qu'il fallait y porter nos codes et nos magistrats, notre procédure et nos hommes de loi, nos habitudes administratives et nos lois municipales, comme nous y avons installé nos préfets et nos sous-préfets. Cela paraissait logique et sûr, et simple comme l'oeuf de Christophe Colomb, et la génération qui accomplit cette tâche crut avoir assis sur le roc l'avenir de cette France d'outre-mer.
----------Le sentiment général qui se dégage (pour votre commission) d'une étude déjà longue et approfondie du problème algérien, est directement contraire. Il nous apparaît avec une grande clarté qu'il n'est peut-être pas une seule de nos institutions, une seule de nos lois du continent qui puisse, sans des modifications profondes, s'accommoder aux 272 000 Français, aux 219 000 étrangers et aux 3 267 000 indigènes qui peuplent notre empire algérien. Il est temps de comprendre la leçon des choses. Il faut aviser résolu-ment, et sur la voie fausse où nous sommes engagés, non seulement nous arrêter, mais s'il le faut, rebrousser chemin... "

----------M. JONNART qui, prenant le relais de l'éminent gouverneur général LAFERRIÈRE, devait à son tour devenir gouverneur général de l'Algérie, déclarait lui aussi en janvier 18g6, condamnant la politique dite des rattachements qui n'était qu'une sorte d'intégration avant la lettre :

----------" Il est certain que le système des rattachements présente de sérieux inconvénients. La situation actuelle a pour caractéristique l'éparpillement des responsabilités. Les affaires algériennes sont disséminées dans les bureaux de ministères qui n'ont aucun lien entre eux, aucune vue d'ensemble et qui, passionnés d'uniformité, gouvernent l'Algérie comme un département français. Notre tort a été de calquer les institutions métropolitaines dans un pays si original. "


----------Et cet Algérien dont l'Algérie respectera toujours l'immense culture, l'action constructive, et le nom, le président GUSTAVE MERCIER, ne déclarait-il pas en 1920 à propos de la réforme des Délégations financières :

----------Ce que nous demandons, c'est le droit de nous administrer nous-mêmes, d'instituer chez nous une sorte de Parlement atténué, contrôlé par un organisme supérieur qui sera le Parlement français, avec comme intermédiaire entre le Parlement et 1' " Assemblée algérienne " le Gouverneur général, organisation qui nous permettra de voter sur place les réglementations qui seront reconnues par nous indispensables, qui répondront aux aspirations du pays dont nous sommes mieux à même que quiconque de connaître les besoins et les nécessités. "

----------Enfin, l'un des plus brillants parlementaires algériens de l'époque contemporaine, le président René Mayer n'écrivait-il pas en 1957 :

----------" L'originalité ou la personnalité algérienne est un fait né de la législation de 1900. Elle correspond à une réalité qui a été s'affirmant pendant un demi-siècle, à la nécessité du maintien d'une entité algérienne pour assurer la continuation et l'accélération de l'oeuvre entreprise au triple point de vue : social, économique et culturel. Les intérêts algériens doivent être gérés par les Algériens eux-mêmes, réunis dans leur assemblée ".

----------Je n'insisterai pas sur ce qui fut dit et redit si souvent depuis par le président Guy MOLLET quant à la nécessité d'une " transformation profonde des institutions de l'Algérie lui assurant une large autonomie de gestion tout en maintenant des liens avec la métropole ".

----------Autonomie et personnalité devaient en fin de compte être une nouvelle fois reconnues par la loi-cadre de février 1958.
----------Avec une assemblée élue au suffrage universel, jouissant d'une véritable délégation du pouvoir législatif du Parlement, un conseil de gouverne-ment composé de personnalités représentatives de la population chargé de surveiller et de contrôler le gouverneur général de l'Algérie, une autonomie financière excluant la tutelle du Parlement, le Statut de l'Algérie s'avérait comme un parfait outil pour une transition longue et raisonnable.
----------Tendant à donner à l'Algérie une vie politique, le pivot du Statut de 1947 était l'Assemblée algérienne composée de 120 membres élus au double collège, la moitié étant d'origine européenne, l'autre moitié d'origine musulmane.
----------Cette assemblée eût pu à l'usage s'avérer comme un excellent moyen de contact où se seraient exprimées, discutées et confrontées librement les opinions les plus diverses, quitte à ce qu'une opposition se manifestât, quitte même à ce qu'elle soit encouragée plutôt que détruite ou muselée.
----------Des hommes comme Ferhat Abbas et le docteur Francis, membres élus de l'Assemblée algérienne
qui sont aujourd'hui le " brain-trust " politique de la rébellion, ont obtenu dans cette assemblée parfois l'adhésion et souvent l'estime de leurs collègues. Des rapports se liaient, des confrontations d'idées s'opéraient qui répondaient au voeu
formulé par le gouverneur général TH. STEEG quand il déclarait :

----------" Il est nécessaire, il est conforme à l'esprit même des assemblées que les points de vue s'affrontent et se défendent, fût-ce avec passion. L'essentiel c'est que ces débats restent pénétrés d'un sentiment inflexible du bien public. "

----------
Le Statut donnait aussi satisfaction à nombre de desiderata exprimés par les signataires du " Manifeste du peuple algérien" et préparait sans heurt les transitions vers une solution libérale, sinon fédérale. Il suffit en effet de reprendre le titre II de ce document et de le confronter avec le contenu de la loi du 20 septembre 1947 portant Statut de l'Algérie, pour en être convaincu.
----------Que réclamaient les " Amis du Manifeste "?
----------1°/ Une représentation égale au sein des assemblées élues : les articles 7 et 30 du Statut de l'Algérie accordaient cette égalité dans les deux plus hautes institutions algériennes, le Conseil du gouvernement et l'Assemblée algérienne.
----------2°/ L'administration autonome du douar et la transformation des djemaâs en conseils municipaux : l'article 53 du Statut supprimant les communes mixtes, la création d'autre part de centres municipaux et de communes rurales répondait à ce désir.
----------3°/ L'accession des musulmans à toutes les fonctions d'autorité et la reconnaissance du principe de la répartition égale de toutes ces fonctions entre Français et musulmans : l'article 2 du Statut de l'Algérie comblait ce voeu quand il déclarait que " toutes les fonctions publiques en Algérie sont également accessibles à tous et que les conditions de recrutement, de promotion, d'avancement, etc. s'appliquent à tous sans disti ction de statut personnel ".
----------4°/L'abrogation de toutes les lois et mesures d'exception : l'article 8 du Statut de l'Algérie l'ordonnait.
----------5°/ L'égalité devant l'impôt du sang. L'article 2 du Statut de l'Algérie établissait cette égalité.
----------6°/ La création d'un paysannat indigène. La création des secteurs d'amélioration rurale (S.A.R.) pour établir un paysannat indigène ouvrait la voie à cette réforme.
----------7°/ La suppression d'un enseignement spécial aux indigènes. La fusion des enseignements devait réaliser cette réforme.
----------8°/ La liberté de l'enseignement de la langue arabe. L'article 57 du Statut de l'Algérie pré-voyait que l'enseignement de la langue arabe serait organisé en Algérie à tous les degrés.
----------9°/La liberté du culte musulman. Par l'article 56 du Statut, la France s'engageait à assurer l'in-dépendance du culte musulman dans les mêmes conditions que tous les autres cultes.
----------10° La liberté de la presse dans les deux langues. Cette liberté était reconnue.

----------En satisfaisant ces desiderata de l'opposition musulmane, l'Algérie s'engageait dans la voie d'un libéralisme intelligent. Aussi, lors du premier Congrès national de l'Union démocratique du manifeste algérien tenu à Sétif les 25, 26 et 27 septembre 1948, Ferhat Abbas donnait-il le ton quand il déclarait :

----------" Sans doute, je ne méconnais pas les difficultés de notre entreprise. Je sais qu'il faudra lutter, lutter chaque jour avec la même foi et la même persévérance. La tâche est lourde. Mais, tout compte fait, pour briser ce cercle qui nous étouffe, il est peut-être PLUS DIFFICILE ET CERTAINEMENT PLUS MÉRITOIRE D'ARRACHER A L'ADVERSAIRE DES ÉCOLES POUR INSTRUIRE NOS ENFANTS, DES CHARRUES POUR LABOURER LA TERRE DE NOS FELLAHS, DES ROUTES POUR PERMETTRE LES COMMUNICATIONS ET LES RELATIONS HUMAINES, DES HOPITAUX POUR RÉGÉNÉRER LA RACE, que de le menacer de je ne sais quels dépôts d'armes et de munitions qui n'ont jamais existé que dans l'imagination maladive de chômeurs enivrés de kif et d'illusions dangereuses.
----------C'est dire que nous avons choisi notre route, CELLE DE L'ÉMANCIPATION PAR L'ÉVOLUTION, PAR LA SCIENCE. "

----------Émancipation et évolution pacifiques : le législateur de 1947 n'avait souhaité que cela. En 1948, l'Algérie avait retrouvé un cap : elle était sur la bonne voie.
----------Durant ses trois premières années d'existence, l'Assemblée algérienne se roda. On l'a critiquée comme on critique toutes les assemblées, mais tout compte fait en dépit de quelques crises d'humeur qu'excusait son jeune âge, on devait reconnaître son action utile et constructive.
----------Elle aurait pu devenir excellente et asseoir pour de longues années la paix et l'amitié entre les populations si la haute administration algérienne n'était devenue maladroitement de plus en plus envahissante, comme pour reconquérir pas à pas les prérogatives légalement dévolues à l'Assemblée.
----------Alors que l'Administration algérienne eût dû demeurer dans son rôle d'exécution des décisions de l'Assemblée algérienne une fois celles-ci homologuées par le pouvoir central, ayant donc force de loi, elle a pesé de tout son poids sur le choix même des délégués dont une partie n'étaient en réalité que ses créatures.
----------Ainsi, bonne en soi, la réforme considérable qu'était le Statut et son esprit même s'en trouvaient compromis dans les faits. De là à accuser la France de vouloir retenir d'une main ce qu'elle avait donné de l'autre, il n'y avait qu'un pas, qui fut vite franchi et exploité au détriment de notre pays.

----------Le renouvellement partiel de l'Assemblée algérienne en 1951 devait, par le fait même, être considéré comme un test.
----------Dans l'euphorie du calme revenu où les stériles disputes de clans et de personnes avaient repris leur cours invariable, la collectivité européenne ne paraissait pas avoir conscience du danger où la nostalgie agissante du passé la conduisait, ni du réveil douloureux que pouvait lui ménager cette attitude susceptible de faire naître dans la masse musulmane d'amères déceptions.
----------Or, il était plus que jamais nécessaire que la masse fût satisfaite, pour la conserver avec soi, car autour d'elle la révolution algérienne naissante tendait ses mailles. En 1950, l'organisation et les hommes que l'on retrouvera lorsque éclatera le ler novembre 1954 la rébellion étaient déjà en place et connus.

* **

----------L'intermède clandestin ou les prémices de la rébellion.
----------Au moment où apparaît ce qui va devenir le Front de libération nationale (F.L.N.) dont l'action meurtrière, depuis quatre ans, cause tant de peines et de soucis à la nation, il est nécessaire de rappeler les étapes de son développement.
----------Le 23 mars 1956, sous le titre " Les Origines du Mouvement insurrectionnel ", Témoignage Chrétien reproduisait l'essentiel d'une brochure éditée au Caire par le F.L.N. en juillet 1955 qui faisait la genèse du drame algérien et donnait un aperçu général du contenu politique de la résistance algérienne.
----------En peu de phrases, ce document résume les étapes parcourues et l'esprit du mouvement.
----------" 1925 : Création en France de l'Étoile nord-africaine.
----------1937 : Création du P.P.A. (Parti du peuple algérien) succédant à l'Étoile nord-africaine dissoute.
----------1939: Dissolution du P.P.A. qui poursuit néanmoins jusqu'en 1947 son activité dans la clandestinité.
----------1947 : Création du M.T.L.D. (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques). Crise du M.T.L.D.
----------L'année 1954 devrait être pour le M.T.L.D. une année de 'crise intérieure à la suite d'un différend qui avait surgi entre le Comité central et Messali Hadj, alors président du M.T.L.D. Cette crise allait provoquer l'éclatement du M.T.L.D. en trois tendances :
----------1°/ Une fraction s'est groupée autour de Messali à qui elle remettait les pleins pouvoirs et la présidence à vie tout en prononçant des exclusions à l'encontre de plusieurs dirigeants.

 


----------2° La deuxième fraction rassemblait les partisans du Comité central qui se sont prononcés pour un renforcement du principe de la direction collective et la déchéance de Messali Hadj de toutes ses fonctions.
----------3°/Une troisième tendance enfin se constitua autour d'un comité s'appelant " Comité révolutionnaire pour l'unité et l'action " (C.R.U.A.). Ce comité groupait des cadres de l'organisation politique et de l'organisation spéciale (organisation parallèle et para-militaire du M.T.L.D. dont la répression de 1950 à la suite de l'affaire dite du complot avait pour un temps dispersé les membres). Cette troisième tendance se déclarant indépendante des directions messaliste et centraliste visait à recréer à la base l'unité du parti et à engager les militants dans la voie de l'action directe, ce qu'elle fit. Et ce fut le 1er novembre.

----------Immédiatement après le déclenchement du mouvement insurrectionnel, le C.R.U.A. se transforme en Front de libération nationale qui, dans son premier appel, déclare offrir "la possibilité à tous les patriotes algériens, de toutes les couches sociales, de tous les partis et mouvements purement algériens de s'intégrer dans la lutte de libération sans aucune autre considération. "
----------Rapidement le F.L.N. prend une grande extension. En effet la majeure partie des militants et dirigeants de l'ex-M.T.L.D., ceux de la tendance centraliste comme ceux de la tendance messaliste, rejoignent ses rangs et aujourd'hui c'est l'ensemble du peuple algérien, semble-t-il, qui le soutient.
Le F.L.N. n'est " qu'une nouvelle expression du nationalisme algérien, nationalisme libérateur, démocratique et social ", dont le contenu politique est ainsi résumé par la délégation algérienne :

----------" Le Front de libération nationale considère qu'une politique énergique de non-coopération avec l'impérialisme et de sabotage de l'économie colonialiste, s'ajoutant à la résistance armée, amènera l'impérialisme français à accepter une solution pacifique du problème algérien sur la base du droit des peuples à l'auto-détermination et à l'indépendance. La solution pacifique, sur la base de ce principe réside dans l'élection d'une Assemblée constituante souveraine, au suffrage universel par tous les habitants sans distinction de race ni de religion.
----------Le Front de libération nationale se prononce pour une république algérienne, libre, démocratique et sociale. "

----------Comme on le voit, le F.L.N. n'est donc pas le
produit d'une génération spontanée.
----------Les rapports qui, au printemps de 1950, furent
envoyés par les préfets d'Algérie à leurs supérieurs sont édifiants et méritent d'être aujourd'hui médités. Ils fixent un point d'histoire et invitent surtout à plus d'objectivité ceux qui, depuis novembre 1954, s'en vont répétant avec ignorance ou mauvaise foi : " Si la rébellion de 1954 avait été
matée dès le début, on n'en serait pas là
. " Avertis comme ils le furent, que n'ont-ils tenu le même raisonnement en 1950 et pourquoi reprocher aux gouvernants de 1954 ce qu'on a pardonné à ceux de 1950 alors qu'il eût été si facile
en 1950 de prévenir, si l'on avait voulu véritablement gouverner, car en 1950 tout pouvait être redressé par de simples moyens politiques et sociaux.
----------Jugeons plutôt d'après les extraits de rapports des préfets à l'époque.

----------De jour en jour, l'organisation du P.P.A. - M.T.L.D. se révèle dans toute sa minutie et chaque interrogatoire, chaque révélation, ajoutent un chaînon à ce que nous savions déjà. Ce sont les " willaya " d'Alger, de Médéa, de Kabylie, avec leurs " daira ", " Kasma ", sections ou comités locaux, groupes et cellules. Ce sont les formations paramilitaires de l'O.S. (Organisation spéciale) qui, dans une super-clandestinité, forment les sacrifiés du parti, ceux qui, étrangers à la politique pure, ne sont que des pions anonymes que l'on mettra en oeuvre pour les " coups durs " de demain.
----------Je me bornerai pour l'instant, écrit le préfet, à souligner ce qui fait le caractère spécial de ces organisations, leur ôte tout aspect licite et démontre que du bas en haut de la hiérarchie du P.P.A.-M.T.L.D., tout est organisé en vue de l'action violente qui, les circonstances venues, permettrait à l'action politique officielle de s'imposer.
----------Cette action violente que la formule coranique, chère aux militants P.P.A., " Dieu ne modifiera l'état d'un peuple que lorsque ce peuple aura lui-même travaillé à changer cet état ", laisse déjà entre-voir, est péremptoirement confirmée par certaines déclarations que je me dois de souligner ici :
----------Se préparant à l'action violente, le P.P.A. - M.T.L.D. va être tenu d'orienter son organisation vers ce but. Cela implique :
----------1°/ Des chefs de secteurs prêts à tout puisqu'ils n'ont plus rien à craindre ou des " durs ". Ils seront des entraîneurs d'hommes de par leur autorité ou la crainte qu'ils inspirent.
----------2° Des exécutants inconnus et prêts au sacrifice.
----------3° Un armement individuel, des dépôts d'armes, munitions et engins de sabotage. "

--------------------Dans un autre rapport, de la même époque, apparaît la personnalité de BEN BELLAH :

----------" C'est fin 1947, quelques mois avant les élections à l'Assemblée algérienne, que le M.T.L.D. qui se rendait compte de la vanité de ses efforts pour la réalisation de ses objectifs par des moyens légaux décida la création d'une organisation paramilitaire, super-clandestine, qui prit le nom tout d'abord de " groupes de choc ", puis " d'O.S. ".
----------" En avril 1948, 1"O.S. " s'étend à tout le département d'Alger; quelques groupes sont constitués en Oranie et dans le Constantinois, et c'est MADJID qui, en qualité de " chef national ", est chargé par le M.T.L.D. de prendre en main tout le dispositif avec les éléments les plus sûrs mis à sa disposition par le parti. "

----------Et c'est ainsi que Ben Bellah Mohammed ( BEN BELLAH capturé dans l'avion qui le transportait de Rabat à Tunis avec KHmER et trois autres responsables du F.L.N. est actuellement détenu à la prison de la Santé.), conseiller municipal M.T.L.D., et adjoint au maire de Marnia, qui a été libéré de l'armée avec le grade d'adjudant (campagnes de France et d'Italie, médaille militaire, quatre citations) reçoit pour mission d'organiser 1"O.S. " en Oranie, en constituant dans tous les centres des groupes comptant un chef et trois éléments. C'est ce que les dirigeants appelaient l'organisation " quatre-quatre "...
----------Il arrivait qu'un chef de l'O.S. fût brusquement rappelé au sein du M.T.L.D. C'est ainsi que Ben Bellah dut abandonner, en avril 1948, la direction de l'O.S. en Oranie pour venir à Alger assumer, auprès du Comité directeur du M.T.L.D., les fonctions de chef de " C.O. " (Comité d'organisation), dont la mission essentielle était d'assurer la liaison entre les " willayas " et la Direction politique.
En septembre 1949, Madjid étant passé au " berbérisme ", Ben Bellah fut promu " chef national " de l'O.S. Il cumula d'ailleurs pendant trois mois ses nouvelles fonctions avec celles de chef de C.O. Ce n'est qu'en décembre 1949 qu'il abandonna ses fonctions politiques pour se consacrer uniquement à l'organisation paramilitaire.
----------Le département d'Alger comprenait alors trois Régions, les départements d'Oran et de Constantine ne comprenaient que deux Régions chacun.
----------Ben Bellah supprima ces divisions, de telle sorte que chaque département ne forma plus qu'un seul bloc...
----------A la suite de la démission du docteur Lamine-Debaghine, député de Constantine, l'O.S. subit une nouvelle crise qui eut ses répercussions au sein de l'état-major...
----------L'organisation générale et de l'état-major démontre bien qu'il s'agit de quelque chose de mûrement réfléchi, d'organisé, avec le plus grand souci de ne rien laisser dans l'ombre, et non comme beaucoup essaient de le faire accroire, sinon d'une invention de services de police trop zélés, du moins d'une affaire anodine montée en épingle pour les besoins de la cause.
----------J'insisterai tout particulièrement sur certaines branches du Service général, savoir :
----------a) Section des artificiers:
----------La création de cette section remonte à fin 1948. A cette époque, le nommé A... M..., qui était chef de la zone Orléansville, fut mis à la disposition de B...-D... qui le nomma chef de la section des artificiers. Il lui enseigna la façon de fabriquer des grenades en prenant des tronçons de tuyaux de fonte, aux extrémités desquels il soudait de la tôle, de manière à obtenir un cylindre clos à la partie supérieure duquel était pratiqué un trou permettant la mise en place d'un allumeur de sa fabrication. Celui-ci consistait en un arrêtoir à ressort qui, une fois libéré par le retrait d'une goupille, venait heurter une capsule de chasse, jouant le rôle d'amorce, et enflammait une mèche lente en contact avec le mélange détonnant.
----------Ils essayèrent ainsi de fabriquer des grenades explosives, incendiaires et offensives.
----------En juin 1949, B...-D..., Y... M'... et un nommé E.-Z... fondèrent à Alger une société commerciale, la " S.I.R.E.C. " (Société d'importation, de représentation et d'exploitation commerciale) dont le siège social est à Alger, 2, chemin Bobillot.
----------Il s'agissait en fait d'une couverture commerciale et rentable, d'une activité subversive bien définie.
----------La S.I.R.E.C. devint le lieu de travail - le laboratoire pourrait-on dire - d'A... M..., qui fut chargé, par B...-D..., d'organiser une section d'artificiers pour Alger.
----------Cette section devait ensuite avoir des ramifications sur tout le territoire.
----------Il était également prévu, pour l'avenir, que la section des artificiers devait prendre le contrôle de tous les dépôts d'armes des groupes paramilitaires.
----------Cette extension ne put être réalisée, en raison de l'intervention de la police qui arrêta les principaux dirigeants de cette section.
----------Cependant, outre les essais de fabrication de grenades, je dois relever à l'actif de cette section l'établissement de plans de destruction de certains ouvrages d'art, en particulier du pont de l'Harrach à Maison-Carrée.
----------La reproduction photographique de certains documents saisis lors de perquisitions est parfaitement édifiante à ce sujet. Je me bornerai à présenter, ci-contre, à titre d'exemple :
----------1°/ Les schémas de destruction du pont de l'Harrach.
----------2°/ Un document portant liste des charges d'explosifs convenant à la destruction des murs, voûtes, ponts, blindages, câbles, voie ferrée, pièce d'artillerie, bois, charpentes.
----------b) Section " transmissions " :
----------Elle fut organisée, il y a un an environ, par S...-A... qui. appelé par la suite à d'autres fonctions, désigna A... R... comme chef du groupe " radio-transmissions ". Ce dernier dépendait directement de " MOKRANE ", surnom sous lequel se dissimulait A... M..., chef de la section des artificiers.
----------La section " transmissions " était également divisée en groupes et demi-groupes. L'instruction dispensée consistait à apprendre aux hommes l'alphabet Morse et la lecture au son.
----------Dans cette section figurent plusieurs spécialistes de la radio, dont l'un, B... M..., employé à l'A.I.A., construisit entièrement un poste émetteur-récepteur, fonctionnant sur moteur.
----------Le siège de la section " radio " était situé à Alger, 30, rue Rigodit, dans un magasin qui avait été loué à cet effet par Sid-Ali.
Il y a environ deux mois, A... R... reçut l'ordre de débarrasser immédiatement le local de tout le matériel qui s'y trouvait et de rendre la clef.
----------Le matériel fut dissimulé partie chez BEN AMAR MOULOUD, partie dans un entrepôt du port où il fut saisi par la police.
----------c) La section de " complicité " :
----------Elle a pour but de créer un réseau de refuges sûrs où les militants recherchés par la police, les " maquisards ", peuvent trouver aide, assistance, hébergement et ravitaillement.
----------Ce réseau devait également constituer, en cas
d'action directe, un lieu de regroupement des forces.
----------Dans sa conception première, il ne devait soustraire
aux recherches de la police que des hommes politiques.
----------Mais bien vite, il apparut intéressant aux dirigeants
du parti d'utiliser les refuges connus pour dissimuler également les maquisards et autres condamnés de droit commun...
----------Je veux ici souligner, d'une façon toute particulière, la manière tragique dont vient de s'illustrer l'activité de ce réseau :
----------Sur dénonciation d'un des chefs du réseau de " complicité ", la police se rendait, le 28 avril 195o, dans la région de l'Alma, à la ferme du nommé GOUIGAH ALI, membre du réseau de complicité, pour y appréhender deux maquisards kabyles qui y étaient réfugiés.
----------Cernés, les bandits réussissaient à s'échapper après avoir ouvert le feu et blessé grièvement l'inspecteur de la Police judiciaire CULLET.
----------Ce dernier devait, après avoir subi l'opération de la laparotomie, décéder le 4 mai.
----------Cette mort tragique constitue un douloureux témoignage de la " qualité " des individus confiés aux bons soins du réseau de complicité et de leur criminelle détermination.

----------Organisation locale et hiérarchisation.
----------Chaque membre de l'état-major avait des fonctions bien déterminées :
----------Le chef national dépend directement du parti. Il est le seul à rendre compte au député KHIDER de l'activité et du développement de l'O.S. A cette fin, il voit le député Khider une fois par mois.
----------Le chef national adjoint reçoit des chefs de départe-ment des rapports sur la discipline, le moral, l'arme-ment et l'instruction militaire de leurs groupes et les remet au chef national. En retour, il leur transmet les instructions et les consignes du chef national.
----------Chaque chef de département a sous ses ordres plu-sieurs chefs de zone :
----------6 ou 8, pour Alger;
----------1 pour Oran;
----------4 ou 5 pour Constantine.
----------Chaque zone comprend un certain nombre de localités, sections, groupes et demi-groupes, comptant en principe deux hommes de base et un chef.
----------Chaque groupe recevait périodiquement la visite d'un " contrôleur " qui, masqué sous une cagoule, s'assurait de la bonne marche de l'instruction militaire et transmettait les directives du chef départemental.
----------Le groupe était, en outre, doté d'un armement d'instruction : revolver, fusil, mitraillette, grenades, etc.
La liste figurant dans un précédent rapport, et qu'il convient seulement de compléter par quelques armes nouvellement découvertes, montre bien que le stade de l'organisation purement théorique était dépassé puisque les armes d'instruction étaient en place.
----------Je joins en annexe la photographie d'une partie des armes saisies.(note du site : pas trouvé!!!)
----------Je dois, par ailleurs, souligner que, les activités para-militaires des groupes étaient complétées par d'autres tâches, telles que le relevé des voies de communication, l'établissement des plans des bâtiments publics et militaires, l'indication des points sensibles des localités, le recensement des moyens de transport, etc.
----------C'est, tout simplement, de l'espionnage.

FONCTIONNEMENT DE L'"O.S. "

----------Quel était, sous la direction de l'état-major, le
fonctionnement de l'O.S. et de ses services essentiels?
Tout d'abord apparaît la préoccupation des dirigeants d'assurer un cloisonnement absolu entre le M.T.L.D. d'une part et l'O.S. d'autre part.
----------Seul, le " chef national " avait des rapports avec le parti M.T.L.D. et ses contacts se limitaient à Khider.
----------Pour tous les autres membres de l'O.S., il était formellement interdit d'entrer en relations avec quiconque et même de chercher à connaître les dirigeants de l'organisation.
----------D'ailleurs, les membres de l'O.S. étaient soumis aux prescriptions impératives d'un " règlement intérieur " que j'estime indispensable de reproduire ici, dans son intégralité.

----------RÈGLEMENT INTÉRIEUR
----------Art. 1 : DISCIPLINE. - La discipline faisant la
force principale des armées, il importe que tout supérieur obtienne de ses subordonnés une obéissance entière et une soumission de tous les instants, que les ordres soient exécutés à la lettre, sans hésitation ni murmure; l'autorité qui les donne en est responsable.
----------Art. 2 : RECRUTEMENT.
a) Le recrutement est limité;
b) L'élément recruté doit remplir les conditions
suivantes : conviction, discrétion, courage,
activité, stabilité, capacité physique;
c) La durée du service est illimitée ;
d) L'élément recruté doit satisfaire à l'épreuve et prêter serment. Il ne pourra plus quitter l'organisation à sa guise, et s'il le fait, il sera considéré comme déserteur.
----------Art. 3 : RÉUNIONS.
a) Les réunions sont obligatoires ainsi que la présence de tous les éléments. Le cloisonnement doit être rigoureusement respecté;
b) La date et le lieu seront fixés par le chef intéressé;
c) Le salut aux chefs est obligatoire avant et après les réunions, mais interdit à l'extérieur;
d) La réunion doit être ouverte et close par un salut national;
e) Une discipline rigoureuse doit être respectée pendant la réunion et l'ordre du jour doit être épuisé à la lettre.

----------Art. 4 : CONDUITE. - Tout militant ou chef doit avoir une conduite irréprochable à tous points de vue.
----------Art. 5 : PERMISSIONS. - Tout élément qui est appelé à quitter sa localité temporairement pour ses affaires personnelles doit demander à son chef une permission en précisant la date, la durée, et le lieu de déplacement, et il ne devra partir que si sa permission est accordée.
----------Art. 6 : MUTATIONS.
a) Si l'élément est appelé à quitter définitive-ment sa localité, il doit demander sa mutation à l'endroit où il désire se rendre;
b) Il ne doit partir que si sa mutation est acceptée;
c) Les mutations d'unité à unité sont prononcées par l'autorité intéressée.

----------Art. 7 : RÉCOMPENSES. - Les militants sont récompensés selon leur grade :
a) Par citation à l'ordre pour l'accomplissement d'un acte de courage et de dévoue-ment;
b) Par félicitations verbales pour leur esprit de discipline et l'ensemble de leurs services;
c) Par avancement pour leur travail.
----------Art. 8 : PUNITIONS.
----------A. - CLASSIFICATION :
1°/Fautes simples : absence aux réunions, paresse, mauvaise volonté, négligence dans le service, mauvaise conduite.
2°/ Fautes graves : indiscipline, désobéissance, acte de faiblesse, défaitisme, faux rapports, et toute faute simple qui se répète trois fois.
3°/Fautes très graves : trahison, désertion, divulgation de secret à l'ennemi, aux parents, et à tout élément étranger à l'unité élémentaire à laquelle il appartient et toutes fautes graves qui se répètent trois fois.
----------B. - DÉTERMINATION :
1°/Blâme pour les fautes simples.
2°/ Dégradation et suspension pour les fautes graves (la suspension peut être limitée ou illimitée selon la gravité de la faute).
3°/ Radiation pour les fautes très graves.
4°/ Peine capitale :
a) Pour les fautes très graves, pour la radiation qui pourrait porter atteinte à l'O.S.
b) L'exécution pourra être immédiate ou prorogée, suivant la décision de l'O.S.

----------
La lecture de ce document dispense d'autres commentaires.
----------Je soulignerai cependant d'un double trait les prescriptions concernant la peine capitale avec exécution immédiate ou prorogée de la sentence dont la gravité est extrême.
----------Après s'être étendu sur les relations de l'O.S. avec le M.T.L.D. et donné un exemple de l'activité très particulière de l'O.S. le rapport du préfet concluait :

----------" Je ne voudrais pas terminer ce rapport sans analyser les réactions de l'opinion devant les révélations faites par la presse.
----------D'abord abattus et inquiets, les dirigeants du M.T.L.D. ont vite exploité les quelques élargissements d'individus que le magistrat-instructeur n'a pas cru utile de mettre sous mandat de dépôt, comme le résultat des interventions faites à Paris par le député MEZERNA et des pressions de l'O.N.U. sur le Gouvernement.
----------La confiance était même revenue puisque le parti allait, disait-on, sortir grandi de cette affaire qui verrait, en définitive, de hauts fonctionnaires sanctionnés...
----------Depuis, les articles de presse sur la participation du M.T.L.D. au "hold-up " de la poste d'Oran ont à nouveau semé l'inquiétude dans les rangs du M.T.L.D. et BOUDA AHMED déclarait il y a trois jours à peine que " jamais le parti n'avait subi un tel assaut et qu'ils étaient tous en équilibre sur une lame de couteau ".
----------Tel semble être actuellement l'état d'esprit des dirigeants du M.T.L.D. qui, d'une part, s'attendent à être inquiétés, d'autre part sont l'objet des reproches amers de leurs troupes qui ne voient pas encore les interventions de Mezerna et " les pressions de l'O.N.U. " se traduire par des résultats concrets.
----------Quant à l'opinion européenne et musulmane en général, elle réprouve les agissements coupables dont elle a connaissance et souhaite vivement voir la paix sociale de l'Algérie demeurer à l'abri des folles entre-prises d'agitateurs antifrançais.
----------Je noterai enfin que les protestations des partis dits " progressistes " en tête desquels viennent l'U.D.M.A. et le P.C.A. sont marquées au coin de la prudence...
----------Le silence complet observé sur cette affaire par La République Algérienne du vendredi 19 mai est particulièrement révélateur à cet égard.
----------La cause est trop mauvaise pour pouvoir être défendue avec conviction. "


----------La connaissance de ces faits était trop grave et trop amères les perspectives qu'ils préparaient pour que l'opinion n'en soit pas avertie et que des positions soient enfin prises.
----------C'est pourquoi le ii avril 1950 dans un article de l'Écho d'Alger sous le titre " Le Feu couve ", j'écrivais :
----------" Pourquoi le cacher plus longtemps? De nouveau, le feu couve en Algérie. Attisée par quelque souffle mystérieux, de temps à autre, une flamme jaillit qui éclaire ce qui se trame dans l'ombre. Ainsi découvre-t-on dans le Constantinois un réseau d'organisations paramilitaires armées, instruites, disciplinées, obéissant aux mots d'ordre secrets de non moins secrets émissaires.
----------Puis le silence se fait. L'ombre recouvre tout jusqu'au jour où, à l'occasion de fusillades en Kabylie, l'opinion publique apprend que le P.P.A. utilise des tueurs à gages pour exécuter les sentences de ses tribunaux clandestins, que l'un de ces tueurs, LAOUDARENE, s'est enfin rendu, non sans avoir auparavant abattu quelques courageux fellahs qui lui donnaient la chasse.
----------Forces armées, tribunaux, en d'autres termes : Justice et Autorité, ne sont-ce point là des prérogatives essentielles de la souveraineté? Est-il admissible qu'en ce pays une faction puisse s'en arroger clandestinement l'exercice et pousse même l'impudence jusqu'à afficher publiquement ses buts de guerre civile?
----------Hier, en effet, dans certaine presse locale, on pouvait lire le communiqué suivant, émanant du M.T.L.D.-P.P.A. :
----------"Le mouvement national et la résistance populaire ont mis et continueront à mettre en échec toutes les tentatives de destruction (du P.P.A.) en poursuivant la lutte implacable qu'ils mènent contre l'impérialisme français, jusqu'à la libération nationale. "
----------S'il est encore des juges en France, pareil appel ne doit-il pas être condamné? N'est-il pas l'aveu de la reconstitution d'une ligue dissoute? Ne préconise-t-il pas le démembrement de la France dont la Constitution, en son article premier, dit qu'elle est une et indivisible? Ne nargue-t-il pas l'Autorité, la Loi et ne ridiculise-t-il pas notre libéralisme béat?
----------Il est des moments où, dans l'État comme chez les individus, le sentiment de légitime défense doit prévaloir, quelles que puissent être les incidences politiques ou personnelles que ses manifestations peuvent entraîner. "


----------Après l'assassinat de l'inspecteur principal Cullet, abattu par l'une des bandes opérant dans le maquis kabyle, le Syndicat de la police réagissait dans une lettre ouverte adressée le 6 mai 1950 au Gouverneur général :

----------" Fort de la sollicitude que vous lui avez souvent exprimée en public, le corps des policiers, en deuil, vient aujourd'hui vous dire toute sa tristesse ", écrivait-il.
----------" Notre camarade Cullet, inspecteur principal, officier de police judiciaire, fonctionnaire unanime-ment apprécié, est tombé le 28 avril 1950 au cours d'une opération menée contre des malfaiteurs à la solde du P.P.A.-M.T.L.D.
----------Il est mort cette nuit dans d'atroces souffrances, laissant à trente-deux ans, presque dans la misère, une veuve et trois jeunes enfants.
----------Depuis plus de cinq ans, soldats de l'ordre et de la paix française, les policiers mènent une lutte de tous les instants contre les assassins à gages nourris, hébergés et utilisés par le P.P.A.-M.T.L.D.
----------La liste serait longue, Monsieur le Ministre, des fonctionnaires et agents de l'ordre tombés ces dernières années sous les balles de ces tueurs; caïds, gardes champêtres, chefs de villages ont payé leur tribut, et, il y a quelques mois, l'inspecteur ANDRÉ MELMOUX était lâchement assassiné en Kabylie.
----------Or, nous apprenons que des élus de ce parti s'apprêtent à interpeller et à mettre en cause une fois de plus l'action des services de police, usant encore d'arguments et de termes inacceptables.
----------Solides, face à la calomnie comme sous les balles des malfaiteurs, nous affirmons avec force que ces attaques nous grandissent au lieu de nous atteindre.
----------Loin de vouloir sortir du rôle qui nous est imparti dans une affaire nationale, nous laissons à chacun ses responsabilités, mais nous exprimons le souhait - très modeste - de voir le Gouvernement rappeler les chefs de gang à un peu de pudeur. "


----------Si l'action policière contre les maquis en formation s'intensifia, en revanche, il n'en fut point ainsi de l'action politique pour rassurer la masse.
----------Le 11 septembre 1950, en effet, le président QUEUILLE étant ministre de l'Intérieur, des mesures d'expulsion de la métropole " d'éléments étrangers particulièrement compromis dans une activité antifrançaise " avaient été décidées.
----------Cette opération de salubrité nationale, pour reprendre les termes du communiqué officiel de l'époque, avait singulièrement réussi puisque ces expulsés jugés dangereux en France furent simplement déposés en Algérie par le croiseur Georges?
----------Leygues et par avion, puis dispersés aussitôt et librement sur tout le territoire. Rien ne pouvait être plus inopportun ni plus stupide au moment où les prémices d'une action armée de la part de l'Organisation secrète (O.S.) devenaient de jour en jour plus perceptibles et au moment aussi où le Parti communiste tentait avec acharnement de grouper toutes les forces dites démocratiques dans le Front algérien qui allait voir le jour, Ii mois plus tard, le 6 août 1951.
----------La représentation parlementaire algérienne eut beau protester, rien n'y fit. A partir de ces instants, l'instabilité ministérielle française, les affaires de Tunisie et du Maroc qui se compliquaient en même temps que s'aggravait de jour en jour le drame indochinois allaient avoir la primauté sur l'Algérie.
----------Dans un virage aussi dangereux, il eût fallu pour redresser la situation s'appuyer sur la masse et, en demeurant dans l'esprit libéral du Statut, valoriser en quelque sorte à ses yeux, dans tous les faits, la citoyenneté et les droits qui lui avaient été accordés et dont aucun autre musulman nord-africain ne bénéficiait.
----------Mais la passion reprenait ses droits, elle aussi, avec la perspective des consultations populaires proches. Ceux qui pensaient que le Statut avait trop concédé manoeuvraient pour reconquérir le terrain perdu. Les leaders musulmans, eux, attendaient le test des élections libres.
----------Les germes de la division commençaient à pénétrer les coeurs et les âmes.