V
----------QUAND
on cumule les dons proclamés sur le forum d'Alger le 13 mai 1958
avec ce qui fut précédemment accordé par la loi française,
on s'aperçoit qu'en définitive il ne reste plus grand-chose
à donner à l'Algérie car tout, ou presque, a déjà
été octroyé au comptant ou à terme et dans
tous les sens.
----------Cette
quantité d'engagements généreux eût dû
permettre les transitions sociales et politiques répondant à
l'évolution progressive des individus.
----------Il
en fut différemment car en Algérie ceux qui, ayant une vision
lucide des risques qui menaçaient l'équilibre des collectivités
algériennes, prétendaient dans le passé vouloir les
prévenir ont été pulvérisés par des
forces puissantes, hostiles à tout changement. Et quand la loi
a tenté d'imposer des remèdes pour éviter l'irréparable,
ces mêmes forces ont agi pour que la loi ne soit pas respectée,
se rendant de la sorte complices, sous le stupide prétexte de gagner
du temps, de ceux qui précisément souhaitaient que ce temps
soit perdu pour la France.
----------Ainsi
a été ouvert le cimetière des " occasions
manquées " vers lequel on nous conduit pour méditer,
chaque fois que nous tentons de renouer les fils fragiles de la confiance.
***
----------Première
occasion manquée : le projet Blum-Violette.
----------De
ceux qui ont eu une claire vision des choses et ont tenté d'assurer
une évolution politique paisible et harmonieuse en Algérie,
la première place, à notre époque, revient à
MAURICE VIOLETTE, ancien gouverneur général de l'Algérie.
----------Dans
l'avant-propos de ses notes intitulées L'Algérie vivra-t-elle?
que beaucoup de Français d'Algérie ont, depuis lors, lues
et méditées non sans mélancolie, M. Violette posait
le problème tel qu'il se présentait dans l'euphorie du centenaire
de 1830.
----------Je
crois qu'au lendemain même du Centenaire, le moment est venu de
dire les choses nécessaires. De solennelles promesses ont été
faites et n'ont pas été tenues.
Personne ne s'en soucie désormais et il semble que ceux qui ont
assisté aux fêtes, enthousiasmés par la féerie
algérienne, ne conçoivent même pas qu'il puisse y
avoir une question algérienne.
----------On
a vu longtemps, en France, la Russie à travers Michel Strogoff
; la plupart de nos compatriotes ne voient l'Algérie qu'à
travers le splendide défilé du 14 Juillet ou la grande revue
d'Alger.
----------Je demande la permission de troubler
cette quiétude mortelle et de rappeler que se posent de l'autre
côté de la Méditerranée des problèmes
fort graves et fort difficiles. Il est périlleux de se laisser
envahir par un optimisme né tout à la fois du pittoresque
de la nature, des moeurs et du costume, du beau ciel et d'un effort de
colonisation vraiment extraordinaire.
----------Maurice
Violette préconisait une politique d'assimilation progressive et
harmonieuse qui, moins coûteuse et moins brutale que " l'intégration
" récemment proposée, la préfigurait, mais en
tenant compte cette fois des réalités juridiques et financières,
ainsi que d'un échelonnement. Son projet, violemment combattu par
les mêmes qui aujourd'hui en Algérie se campent en champions
de l'intégration totale et immédiate, fut jeté aux
orties non sans que son auteur ait été assailli d'injures.
----------Je
revis encore comme un souvenir de jeunesse les manifestations hostiles
dont M. Violette fut l'objet sur un parcours où moi-même,
vingt ans après, je devais connaître les mêmes, pour
des raisons inspirées de sentiments identiques.
----------Évoquant,
le 21 août 1947, le projet Blum-Violette à
l'occasion des débats sur un statut de l'Algérie combien
plus coûteux, le ministre de l'Intérieur, M. Depreux, traduisant
les regrets tardifs de beaucoup d'Algériens, devait le qualifier
à juste titre de " magnifique occasion manquée.
"
----------Certes,
elle l'était...
***
----------Deuxième
occasion manquée : le Statut de l'Algérie.
----------Cette
tentative intelligente sottement écartée, vint la guerre.
Fidèles au combat, les musulmans algériens se montraient
solidaires des Français d'origine dans le malheur de la patrie.
Mais les idéologies et la confusion profondes qui boule-versaient
le monde allaient fatalement avoir leur répercussion en Algérie.
----------Le
10 août 1941, Ferhat Abbas, l'actuel président du "
Gouvernement " provisoire algérien au Caire, adressait au
maréchal Pétain, au nom des " jeunes Algériens,
fellahs, ouvriers et anciens militaires ", un rapport dont l'esprit
s'exprimait en ces termes :
----------"
Ils (les musulmans) font le serment de militer et d'agir en toutes circonstances
par tous les temps et sous tous les régimes jusqu'à ce que
la loi, en Algérie, soit la même pour tous et les privilèges
abolis. "
----------Reprenant
l'esprit de ce texte, le Io février 1943,
au lendemain du débarquement allié, Ferhat Abbas et quelques
personnalités musulmanes signaient le " Manifeste du peuple
algérien " qui, le 31 mars 1943, était remis au gouverneur
général Peyrouton. Ce document réclamait en substance
:
----------a)
La condamnation et l'abolition de la colonisation,
c'est-à-dire de l'annexion et de l'exploitation d'un peuple par
un autre peuple. Cette colonisation n'est qu'une forme collective de l'esclavage
individuel de l'antiquité et du servage du Moyen Age. Elle est,
en outre, une des causes principales des rivalités et des conflagrations
entre les grandes puissances.
----------b)
L'application pour tous les pays, petits et grands, du droit des peuples
à disposer d'eux-mêmes;
----------c)
La dotation à l'Algérie d'une Constitution propre, garantissant
:
----------1°/
La liberté et l'égalité absolue de tous ses habitants,
sans distinction de race ni de religion.
----------2°/
La suppression de la propriété féodale par une grande
réforme agraire et le droit au bien-être de l'immense prolétariat
agricole.
----------3°/
La reconnaissance de la langue arabe comme langue officielle au même
titre que la langue française.
----------4°/
La liberté de la presse et le droit d'association.
----------5°
L'instruction gratuite et obligatoire pour les enfants des deux sexes.
----------6°/
La liberté du culte pour tous les habitants et l'application à
toutes les religions du principe de la séparation de l'Église
et de l'État.
----------d)
La participation immédiate et effective des musulmans algériens
au gouvernement de leur pays.
----------Ce
gouvernement pourra seul réaliser dans un climat d'unité
morale parfaite la participation du peuple algérien à la
lutte commune ;
----------e)
La libération de tous les condamnés et internés politiques
à quelque parti qu'ils appartiennent.
----------La
garantie et la réalisation de ces cinq points assurera l'entière
et sincère adhésion de l'Algérie musulmane à
la lutte pour le triomphe du droit et de la liberté. "
----------Quelques
mois plus tard, le II décembre 1943, avec le souci louable de ne
pas méconnaître ni rejeter à priori ces revendications,
le Comité français de la Libération nationale siégeant
à Alger sous l'autorité du général DE GAULLE,
considérant que " la politique de
la France à l'égard des Français musulmans d'Algérie
devait tendre de façon continue et progressive à élever
leur condition politique, sociale et économique au niveau de celle
des Français non musulmans "
----------estima
entre autres choses nécessaire :
----------a)
de conférer aux élites musulmanes,
sans plus
attendre et sans abandon du statut personnel coranique, la citoyenneté
française;
----------b)
d'augmenter la représentation des musulmans
dans les assemblées délibérantes algériennes
et d'élargir le droit de suffrage des musulmans.
----------Pour
la réalisation de ces décisions, une commission dite des
réformes était créée. Nombre de personnalités
politiques d'origine européenne ou musulmane y furent entendues.
----------Cette
commission consulta entre autres les leaders communistes FAYET et AMAR
OUZEGANE; le chef des Oulémas, cheikh BRAHIMI B'cHIR; le chef du
Mouvement national algérien, MESSALI HADJ, et FERHAT ABBAS accompagné
de SAYAH ABDELKADER.
----------En
conclusion des auditions et travaux de cette " Table ronde de toutes
les opinions ", le général DE GAULLE promulguait l'ordonnance
du 7 mars 1944 que M. PLEVEN devait à juste titre définir
" l'acte le plus audacieusement révolutionnaire
dans les rapports franco-algériens depuis un demi-siècle.
"
----------Il
l'était en effet, non seulement parce que les Français musulmans
allaient jouir de tous les droits et être soumis à tous les
devoirs des Français non musulmans, mais surtout parce qu'il ordonnait
que cela soit fait sans abandon de leur propre statut coranique dont le
contenu est parfois en opposition avec les principes mêmes de notre
droit.
----------Jugeant
sévèrement l'ordonnance du général DE GAULLE,
le professeur Jacques Lambert écrivait :
----------"
Avec ce texte se clôt humblement l'histoire
d'une grande prétention; ce n'est pas l'Islam qui est venu à
la citoyenneté française, c'est elle qui s'est pliée
jusqu'à lui.
Pour pouvoir dire qu'elle a fait sa conquête, elle est passée
par toutes ses volontés jusqu'à s'infliger à elle-même
le désaveu le plus total car on croyait que la citoyenneté
française, c'était un faisceau de droits et de devoirs uniformes
et cohérents. Ce n'est plus vrai aujourd'hui et quand, par exemple,
une étrangère épousera un citoyen français,
elle ne sera jamais sûre de ne pas devenir très légalement
sa quatrième femme. "
----------A
noter en passant que ce droit acquis de pouvoir conserver le Statut coranique
tout en devenant citoyen français a été confirmé
par le Statut de 1947 et récemment encore sur le forum d'Alger
où nulle réserve ni condition n'a accompagné l'affirmation
renouvelée que les musulmans sont des " Français à
part entière ".
----------L'ordonnance
du 7 mars 1944 constituait aussi
une promotion électorale en permettant aux musulmans répondant
à certains critères de mérite ou d'évolution
d'abandonner leur collège et de se faire inscrire dans le collège
purement français.
----------Ce
système ouvrait la porte à une invasion progressive du Ier
Collège (Collège européen) et conduisait inéluctablement,
avec le temps, au collège unique dont il était en quelque
sorte l'expression à terme.
----------Pour
cette raison, la remise en cause de l'ordonnance de Gaulle allait faire
l'objet de discussions passionnées au cours des débats du
Statut de l'Algérie, en 1947, comme portant en soi les germes condamnés
à l'époque, du collège unique, et valoir entre temps
au général DE GAULLE une très sérieuse impopularité
chez les Européens d'Algérie, comme lui avaient valu en
leur temps ses déclarations de Brazzaville.
----------Une
fois décidées, ces réformes d'une excep?
tionnelle importance, qui devaient engager le Parlement sitôt les
hostilités terminées et les institutions républicaines
rétablies, la révolte du Constantinois survint soudain,
tel un tragique coup de gong du destin. Des villages entiers d'Européens
sauvagement massacrés par surprise, des douars nombreux anéantis
en représailles, visions de carnage frappant les deux collectivités
algériennes et dont le souvenir n'a cessé, jusqu'en novembre
1954, d'hypothéquer lourdement leurs rapports.
----------Si
les causes de cette révolte n'ont jamais été complètement
éclaircies, il faut néanmoins retenir du rapport de la Commission
d'enquête signé par le général TUBERT, l'avocat
général LABATTUT et le cadi TALEB CHOAIB, cette conclusion
qui constituait un avertissement dont par la suite il ne fut pas tenu
compte
----------"
Les manifestations du 8 mai à Sétif avaient un caractère
politique et tendaient à réclamer la libération de
Messali Hadj et l'indépendance de l'Algérie.
----------La
Commission croit, en terminant, de son devoir de signaler la psychose
de peur qui déferle sur l'Algérie et qui étreint
tous les milieux colons comme la psychose de mécontentement et
de suspicion qui agite les masses musulmanes. Il est nécessaire
de rassurer les uns et les autres puisque tous doivent vivre côte
à côte dans le même pays.
----------Il
semble urgent de disposer de moyens suffisants pour assurer l'ordre dans
la légalité. La présence de troupes mobiles doit
ramener la confiance et empêcher la formation de groupes armés
échappant à tout contrôle. Il semble aussi qu'il faille
sans tarder définir avec netteté et sincérité
les programmes poli-tiques et économiques que les pouvoirs publics
décideront d'appliquer à l'Algérie. "
----------Abstraction
faite du crime dont ils portent la responsabilité pour les massacres
en chaîne que cette journée fatale a provoqué, les
instigateurs du 8 mai 1945 ont commis une faute politique dont on ne saura
jamais si elle fut consciente ou inconsciente. Mais au lendemain du geste
d'un libéralisme révolutionnaire accompli par le général
DE GAULLE et à la veille de la discussion d'un statut nouveau,
sous le gouvernement général de M. CHATAIGNEAU, un climat
d'entente loyale eût pu et dû s'établir en Algérie.
----------Le
8 mai 1945 compromit tout : la collectivité européenne se
replia sur la défensive; la collectivité musulmane en fit
autant. Le fossé était creusé.
----------Cet
exemple n'est pas le seul en Algérie et quand des hommes de bonne
foi, au risque de se voir condamnés par leur propre collectivité,
tentent de renouer les liens fragiles de la confiance et de la coopération,
tout leur est soudain rendu impossible. Survient le crime : persévérer
alors dans leur entreprise de conciliation fait suspecter ces hommes de
pactiser avec l'assassin, qui n'est plus à cet instant celui qui
tue, mais la collectivité tout entière à laquelle
il appartient, jugée injustement comme complice et consentante.
----------Tel
fut le destin du gouverneur général Châtaigneau, qui
administra l'Algérie dans une de ses périodes de fièvre
intense où la passion se prit à commander injustement.
----------Pour
avoir été de ceux qui l'attaquèrent et le condamnèrent,
je crois honnête, après avoir jugé avec le recul du
temps, de confesser aujourd'hui mon erreur. Yves Châtaigneau avait
vu juste et l'avenir lui aura donné raison. L'eussions-nous écouté
et suivi plutôt que de l'accabler et de le chasser, bien des deuils
et des souffrances auraient été épargnés à
l'Algérie; l'addition finale en tout cas eût été
moins lourde.
----------Dressant
l'Algérie européenne contre le gouverneur Châtaigneau,
les événements du 8 mai marqueront de " l'esprit d'abandon
" tout ce qu'il va tenter d'entreprendre. Quoi qu'il dît ou
qu'il préconisât n'eut plus d'importance. Aussi pures que
fussent ses intentions, le fait même qu'elles étaient siennes
les rendaient suspectes à priori ou mauvaises à la masse
européenne et ce fut dans ce climat passionnel qu'on entreprit
de discuter le Statut de l'Algérie.
----------Lire
le préambule du Statut, c'est en déceler l'esprit.
----------Dans
la ligne de l'ordonnance du 7 mars 1944, elle-même imprégnée
de l'esprit de Brazzaville, et respectant la personnalité islamique,
ce texte rompait définitivement avec l'esprit colonial, ouvrait
la voie à une politique d'association qui conduirait un jour ou
l'autre la solution fédérale sans qu' on osât l'avouer
toutes les structures étaient mises en place a cette fin,
----------Le
préambule ne déclarait-il pas que le projet répondait
au désir de " donner à l'Algérie
plus d'autonomie dans la gestion de ses affaires, permettre à l'élément
musulman de participer de façon plus large à cette gestion,
respecter ainsi l'originalité de ce pays, ses modes de pensée,
ses réactions sentimentales ou religieuses, son style de vie, sa
personnalité en un mot... "
----------Les
discussions devant la commission de l'Intérieur comme le contenu
des débats devaient confisnier son caractère qu'on pourrait
qualifier de " progressiste " Si ce terme, du fait des communistes,
n'était depuis quelque temps devenu suspect.
----------Le
progressisme? mais d'autres, qui n'en furent jamais soupçonnés
eussent pu aussi en être taxés.
----------Autonomie
et reconnaissance de la personnalité algérienne sont des
idées et des termes que l'on ne cesse de retrouver depuis des années
dans tout ce qui a trait à l'Algérie, comme si invariablement
la réalité de la vie et des faits poussaient inéluctablement
vers cela.
----------Le
grand colonial que fut ,JULES FERRY ne disait-il pas dans son rapport
devant la Commission des dix-huit qui siégea de 1891 à 1893
:
----------"
Assimiler l'Algérie à la métropole, leur donner
à toutes deux les mêmes institutions, le même
régime législatif et politique, leur assurer les mêmes
garanties, les mêmes droits, la même loi, c'est une
conception simple et bien faite pour séduire l'esprit français...
Elle pèse encore et pèsera toujours sur les esprits
qui s'appliqueront à ce vaste problème.
----------Elle
a inspiré à PRÉVOST-PARADOL une de ses pages
les plus émouvantes. Même aujourd'hui, après
nombre d'expériences, il faut quelque courage d'esprit pour
reconnaître que les lois françaises ne se transplantent
pas étourdiment, qu'elles n'ont point la vertu magique de
franciser tous les rivages sur lesquels on les importe, que les
milieux sociaux résistent et se défendent, et qu'il
faut en tout pays que le présent compte grandement avec le
passé
|
--------Et
aussi :
----------"Les
colonies, pas plus que les batailles, ne se commandent de loin,
dans les bureaux d'un ministère. Les colonies auraient parfois
intérêt à couper le fil télégraphique
qui les relie à la métropole... Il faut aux colonies,
jeunes ou vieilles, une large part d'autonomie... L'autonomie peut
être politique et c'est alors la grand-route de la séparation.
Mais elle peut être aussi purement administrative, résider
dans une organisation locale puissante, contrôlée de
haut par la métropole, mais libre dans ses mouvements, statuant
sur place, faisant face aux nécessités continuellement
changeantes d'un état de choses en voie de formation, d'un
perpétuel avenir.
----------L'erreur
fondamentale en ce qui touche l'Algérie, celle qui séduisit,
au lendemain surtout des événements de 187o, tant
d'esprits distingués, animés du patriotisme le plus
pur, c'est d'avoir voulu, bon gré mal gré, y voir
autre chose qu'une colonie. L'Algérie est une terre française,
répétait-on, c'est une France
d'outre-mer, c'est le " prolongement de la France ".
On prit au pied de la lettre cette patriotique métaphore.
On en conclut qu'il fallait y porter nos codes et nos magistrats,
notre procédure et nos hommes de loi, nos habitudes administratives
et nos lois municipales, comme nous y avons installé nos
préfets et nos sous-préfets. Cela paraissait logique
et sûr, et simple comme l'oeuf de Christophe Colomb, et la
génération qui accomplit cette tâche crut avoir
assis sur le roc l'avenir de cette France d'outre-mer.
----------Le
sentiment général qui se dégage (pour votre
commission) d'une étude déjà longue et approfondie
du problème algérien, est directement contraire. Il
nous apparaît avec une grande clarté qu'il n'est peut-être
pas une seule de nos institutions, une seule de nos lois du continent
qui puisse, sans des modifications profondes, s'accommoder aux 272
000 Français, aux 219 000 étrangers et aux 3 267 000
indigènes qui peuplent notre empire algérien. Il est
temps de comprendre la leçon des choses. Il faut aviser résolu-ment,
et sur la voie fausse où nous sommes engagés, non
seulement nous arrêter, mais s'il le faut, rebrousser chemin...
"
|
----------M. JONNART
qui, prenant le relais de l'éminent gouverneur général
LAFERRIÈRE, devait à son tour devenir gouverneur général
de l'Algérie, déclarait lui aussi en janvier 18g6, condamnant
la politique dite des rattachements qui n'était qu'une sorte d'intégration
avant la lettre :
----------"
Il est certain que le système des rattachements présente
de sérieux inconvénients. La situation actuelle a
pour caractéristique l'éparpillement des responsabilités.
Les affaires algériennes sont disséminées dans
les bureaux de ministères qui n'ont aucun
lien entre eux, aucune vue d'ensemble et qui, passionnés
d'uniformité, gouvernent l'Algérie comme un département
français. Notre tort a été de calquer les institutions
métropolitaines dans un pays si original. "
|
----------Et
cet Algérien dont l'Algérie respectera toujours l'immense
culture, l'action constructive, et le nom, le président GUSTAVE
MERCIER, ne déclarait-il pas en 1920 à propos de la réforme
des Délégations financières :
----------Ce
que nous demandons, c'est le droit de nous administrer nous-mêmes,
d'instituer chez nous une sorte de Parlement atténué,
contrôlé par un organisme supérieur qui sera
le Parlement français, avec comme intermédiaire entre
le Parlement et 1' " Assemblée algérienne "
le Gouverneur général, organisation qui nous permettra
de voter sur place les réglementations qui seront reconnues
par nous indispensables, qui répondront aux aspirations du
pays dont nous sommes mieux à même que quiconque de
connaître les besoins et les nécessités. "
|
----------Enfin,
l'un des plus brillants parlementaires algériens de l'époque
contemporaine, le président René Mayer n'écrivait-il
pas en 1957 :
----------"
L'originalité ou la personnalité algérienne
est un fait né de la législation de 1900. Elle correspond
à une réalité qui a été s'affirmant
pendant un demi-siècle, à la nécessité
du maintien d'une entité algérienne pour assurer la
continuation et l'accélération de l'oeuvre entreprise
au triple point de vue : social, économique et culturel.
Les intérêts algériens doivent être gérés
par les Algériens eux-mêmes, réunis dans leur
assemblée ".
|
----------Je n'insisterai
pas sur ce qui fut dit et redit si souvent depuis par le président
Guy MOLLET quant à la nécessité d'une " transformation
profonde des institutions de l'Algérie lui assurant une large autonomie
de gestion tout en maintenant des liens avec la métropole ".
----------Autonomie
et personnalité devaient en fin de compte être une nouvelle
fois reconnues par la loi-cadre de février 1958.
----------Avec
une assemblée élue au suffrage universel, jouissant d'une
véritable délégation du pouvoir législatif
du Parlement, un conseil de gouverne-ment composé de personnalités
représentatives de la population chargé de surveiller et
de contrôler le gouverneur général de l'Algérie,
une autonomie financière excluant la tutelle du Parlement, le Statut
de l'Algérie s'avérait comme un parfait outil pour une transition
longue et raisonnable.
----------Tendant
à donner à l'Algérie une vie politique, le pivot
du Statut de 1947 était l'Assemblée algérienne composée
de 120 membres élus au double collège, la moitié
étant d'origine européenne, l'autre moitié d'origine
musulmane.
----------Cette
assemblée eût pu à l'usage s'avérer comme un
excellent moyen de contact où se seraient exprimées, discutées
et confrontées librement les opinions les plus diverses, quitte
à ce qu'une opposition se manifestât, quitte même à
ce qu'elle soit encouragée plutôt que détruite ou
muselée.
----------Des
hommes comme Ferhat Abbas et le docteur Francis, membres élus de
l'Assemblée algérienne
qui sont aujourd'hui le " brain-trust " politique de la rébellion,
ont obtenu dans cette assemblée parfois l'adhésion et souvent
l'estime de leurs collègues. Des rapports se liaient, des confrontations
d'idées s'opéraient qui répondaient au voeu
formulé par le gouverneur général TH. STEEG quand
il déclarait :
----------"
Il est nécessaire, il est conforme à l'esprit même
des assemblées que les points de vue s'affrontent et se défendent,
fût-ce avec passion. L'essentiel c'est que ces débats restent
pénétrés d'un sentiment inflexible du
bien public. "
----------Le Statut donnait aussi satisfaction à
nombre de desiderata exprimés par les signataires du " Manifeste
du peuple algérien" et préparait sans heurt les transitions
vers une solution libérale, sinon fédérale. Il suffit
en effet de reprendre le titre II de ce document et de le confronter avec
le contenu de la loi du 20 septembre 1947 portant Statut de l'Algérie,
pour en être convaincu.
----------Que
réclamaient les " Amis du Manifeste "?
----------1°/
Une représentation égale au sein des assemblées élues
: les articles 7 et 30 du Statut de l'Algérie accordaient cette
égalité dans les deux plus hautes institutions algériennes,
le Conseil du gouvernement et l'Assemblée algérienne.
----------2°/
L'administration autonome du douar et la transformation
des djemaâs en conseils municipaux : l'article 53 du Statut supprimant
les communes mixtes, la création d'autre part de centres municipaux
et de communes rurales répondait à ce désir.
----------3°/
L'accession des musulmans à toutes les fonctions d'autorité
et la reconnaissance du principe de la répartition égale
de toutes ces fonctions entre Français et musulmans : l'article
2 du Statut de l'Algérie comblait ce voeu quand il déclarait
que " toutes les fonctions publiques en
Algérie sont également accessibles à tous et que
les conditions de recrutement, de promotion, d'avancement, etc. s'appliquent
à tous sans disti ction de statut personnel ".
----------4°/L'abrogation
de toutes les lois et mesures d'exception : l'article
8 du Statut de l'Algérie l'ordonnait.
----------5°/
L'égalité devant l'impôt du sang.
L'article 2 du Statut de l'Algérie établissait cette égalité.
----------6°/
La création d'un paysannat indigène.
La création des secteurs d'amélioration rurale (S.A.R.)
pour établir un paysannat indigène ouvrait la voie à
cette réforme.
----------7°/
La suppression d'un enseignement spécial aux indigènes.
La fusion des enseignements devait réaliser cette réforme.
----------8°/
La liberté de l'enseignement de la langue arabe.
L'article 57 du Statut de l'Algérie pré-voyait que l'enseignement
de la langue arabe serait organisé en Algérie à tous
les degrés.
----------9°/La
liberté du culte musulman. Par l'article
56 du Statut, la France s'engageait à assurer l'in-dépendance
du culte musulman dans les mêmes conditions que tous les autres
cultes.
----------10°
La liberté de la presse dans les deux langues.
Cette liberté était reconnue.
----------En
satisfaisant ces desiderata de l'opposition musulmane, l'Algérie
s'engageait dans la voie d'un libéralisme intelligent. Aussi,
lors du premier Congrès national de l'Union démocratique
du manifeste algérien tenu à Sétif les 25, 26 et
27 septembre 1948, Ferhat Abbas donnait-il le ton quand il déclarait
:
----------"
Sans doute, je ne méconnais pas les difficultés de
notre entreprise. Je sais qu'il faudra lutter, lutter chaque jour
avec la même foi et la même persévérance.
La tâche est lourde. Mais, tout compte fait, pour briser ce
cercle qui nous étouffe, il est peut-être PLUS DIFFICILE
ET CERTAINEMENT PLUS MÉRITOIRE D'ARRACHER A L'ADVERSAIRE
DES ÉCOLES POUR INSTRUIRE NOS ENFANTS, DES CHARRUES POUR
LABOURER LA TERRE DE NOS FELLAHS, DES ROUTES POUR PERMETTRE LES
COMMUNICATIONS ET LES RELATIONS HUMAINES, DES HOPITAUX POUR RÉGÉNÉRER
LA RACE, que de le menacer de je ne sais quels dépôts
d'armes et de munitions qui n'ont jamais existé que dans
l'imagination maladive de chômeurs enivrés de kif et
d'illusions dangereuses.
----------C'est
dire que nous avons choisi notre route, CELLE DE L'ÉMANCIPATION
PAR L'ÉVOLUTION, PAR LA SCIENCE. "
|
----------Émancipation
et évolution pacifiques : le législateur de 1947 n'avait
souhaité que cela. En 1948, l'Algérie avait retrouvé
un cap : elle était sur la bonne voie.
----------Durant
ses trois premières années d'existence, l'Assemblée
algérienne se roda. On l'a critiquée comme on critique toutes
les assemblées, mais tout compte fait en dépit de quelques
crises d'humeur qu'excusait son jeune âge, on devait reconnaître
son action utile et constructive.
----------Elle
aurait pu devenir excellente et asseoir pour de longues années
la paix et l'amitié entre les populations si la haute administration
algérienne n'était devenue maladroitement de plus en plus
envahissante, comme pour reconquérir pas à pas les prérogatives
légalement dévolues à l'Assemblée.
----------Alors
que l'Administration algérienne eût dû demeurer dans
son rôle d'exécution des décisions de l'Assemblée
algérienne une fois celles-ci homologuées par le pouvoir
central, ayant donc force de loi, elle a pesé de tout son poids
sur le choix même des délégués dont une partie
n'étaient en réalité que ses créatures.
----------Ainsi,
bonne en soi, la réforme considérable qu'était le
Statut et son esprit même s'en trouvaient compromis dans les faits.
De là à accuser la France de vouloir retenir d'une main
ce qu'elle avait donné de l'autre, il n'y avait qu'un pas, qui
fut vite franchi et exploité au détriment de notre pays.
----------Le
renouvellement partiel de l'Assemblée algérienne en 1951
devait, par le fait même, être considéré comme
un test.
----------Dans
l'euphorie du calme revenu où les stériles disputes de clans
et de personnes avaient repris leur cours invariable, la collectivité
européenne ne paraissait pas avoir conscience du danger où
la nostalgie agissante du passé la conduisait, ni du réveil
douloureux que pouvait lui ménager cette attitude susceptible de
faire naître dans la masse musulmane d'amères déceptions.
----------Or,
il était plus que jamais nécessaire que la masse fût
satisfaite, pour la conserver avec soi, car autour d'elle la révolution
algérienne naissante tendait ses mailles. En 1950, l'organisation
et les hommes que l'on retrouvera lorsque éclatera le ler novembre
1954 la rébellion étaient déjà en place et
connus.
* **
----------L'intermède
clandestin ou les prémices de la rébellion.
----------Au
moment où apparaît ce qui va devenir le Front de libération
nationale (F.L.N.) dont l'action meurtrière, depuis quatre ans,
cause tant de peines et de soucis à la nation, il est nécessaire
de rappeler les étapes de son développement.
----------Le
23 mars 1956, sous le titre " Les Origines du Mouvement insurrectionnel
", Témoignage Chrétien reproduisait l'essentiel
d'une brochure éditée au Caire par le F.L.N. en juillet
1955 qui faisait la genèse du drame algérien et donnait
un aperçu général du contenu politique de la résistance
algérienne.
----------En
peu de phrases, ce document résume les étapes parcourues
et l'esprit du mouvement.
----------"
1925 : Création en France de l'Étoile nord-africaine.
----------1937
: Création du P.P.A. (Parti du peuple algérien) succédant
à l'Étoile nord-africaine dissoute.
----------1939:
Dissolution du P.P.A. qui poursuit néanmoins jusqu'en 1947 son
activité dans la clandestinité.
----------1947
: Création du M.T.L.D. (Mouvement pour le triomphe des libertés
démocratiques). Crise du M.T.L.D.
----------L'année
1954 devrait être pour le M.T.L.D. une année de 'crise intérieure
à la suite d'un différend qui avait surgi entre le Comité
central et Messali Hadj, alors président du M.T.L.D. Cette crise
allait provoquer l'éclatement du M.T.L.D. en trois tendances :
----------1°/
Une fraction s'est groupée autour de Messali à qui elle
remettait les pleins pouvoirs et la présidence à vie tout
en prononçant des exclusions à l'encontre de plusieurs dirigeants.
|
|
----------2°
La deuxième fraction rassemblait les partisans du Comité
central qui se sont prononcés pour un renforcement du principe
de la direction collective et la déchéance de Messali Hadj
de toutes ses fonctions.
----------3°/Une
troisième tendance enfin se constitua autour d'un comité
s'appelant " Comité révolutionnaire pour l'unité
et l'action " (C.R.U.A.). Ce comité groupait des cadres de
l'organisation politique et de l'organisation spéciale (organisation
parallèle et para-militaire du M.T.L.D. dont la répression
de 1950 à la suite de l'affaire dite du complot avait pour un temps
dispersé les membres). Cette troisième tendance se déclarant
indépendante des directions messaliste et centraliste visait à
recréer à la base l'unité du parti et à engager
les militants dans la voie de l'action directe, ce qu'elle fit. Et
ce fut le 1er novembre.
----------Immédiatement
après le déclenchement du mouvement insurrectionnel, le
C.R.U.A. se transforme en Front de libération nationale qui, dans
son premier appel, déclare offrir "la
possibilité à tous les patriotes algériens, de toutes
les couches sociales, de tous les partis et mouvements purement algériens
de s'intégrer dans la lutte de libération sans aucune autre
considération. "
----------Rapidement
le F.L.N. prend une grande extension. En effet la majeure partie des militants
et dirigeants de l'ex-M.T.L.D., ceux de la tendance centraliste comme
ceux de la tendance messaliste, rejoignent ses rangs et aujourd'hui c'est
l'ensemble du peuple algérien, semble-t-il, qui le soutient.
Le F.L.N. n'est " qu'une nouvelle expression
du nationalisme algérien, nationalisme libérateur, démocratique
et social ", dont le contenu politique est ainsi résumé
par la délégation algérienne :
----------"
Le Front de libération nationale considère qu'une
politique énergique de non-coopération avec l'impérialisme
et de sabotage de l'économie colonialiste, s'ajoutant à
la résistance armée, amènera l'impérialisme
français à accepter une solution pacifique du problème
algérien sur la base du droit des peuples à l'auto-détermination
et à l'indépendance. La solution pacifique, sur la
base de ce principe réside dans l'élection d'une Assemblée
constituante souveraine, au suffrage universel par tous les habitants
sans distinction de race ni de religion.
----------Le
Front de libération nationale se prononce pour une république
algérienne, libre, démocratique et sociale. "
|
----------Comme
on le voit, le F.L.N. n'est donc pas le
produit d'une génération spontanée.
----------Les
rapports qui, au printemps de 1950, furent
envoyés par les préfets d'Algérie à leurs
supérieurs sont édifiants et méritent d'être
aujourd'hui médités. Ils fixent un point d'histoire et invitent
surtout à plus d'objectivité ceux qui, depuis novembre 1954,
s'en vont répétant avec ignorance ou mauvaise foi : "
Si la rébellion de 1954 avait été
matée dès le début, on n'en serait pas là.
" Avertis comme ils le furent, que n'ont-ils tenu le même raisonnement
en 1950 et pourquoi reprocher aux gouvernants de 1954 ce qu'on a pardonné
à ceux de 1950 alors qu'il eût été si facile
en 1950 de prévenir, si l'on avait voulu véritablement gouverner,
car en 1950 tout pouvait être redressé par de simples moyens
politiques et sociaux.
----------Jugeons
plutôt d'après les extraits de rapports des préfets
à l'époque.
----------De
jour en jour, l'organisation du P.P.A. - M.T.L.D. se révèle
dans toute sa minutie et chaque interrogatoire, chaque révélation,
ajoutent un chaînon à ce que nous savions déjà.
Ce sont les " willaya " d'Alger, de Médéa,
de Kabylie, avec leurs " daira ", " Kasma ",
sections ou comités locaux, groupes et cellules. Ce sont
les formations paramilitaires de l'O.S. (Organisation spéciale)
qui, dans une super-clandestinité, forment les sacrifiés
du parti, ceux qui, étrangers à la politique pure,
ne sont que des pions anonymes que l'on mettra en oeuvre pour les
" coups durs " de demain.
----------Je
me bornerai pour l'instant, écrit le préfet, à
souligner ce qui fait le caractère spécial de ces
organisations, leur ôte tout aspect licite et démontre
que du bas en haut de la hiérarchie du P.P.A.-M.T.L.D., tout
est organisé en vue de l'action violente qui, les circonstances
venues, permettrait à l'action politique officielle de s'imposer.
----------Cette
action violente que la formule coranique, chère aux militants
P.P.A., " Dieu ne modifiera l'état d'un peuple que lorsque
ce peuple aura lui-même travaillé à changer
cet état ", laisse déjà entre-voir, est
péremptoirement confirmée par certaines déclarations
que je me dois de souligner ici :
----------Se
préparant à l'action violente, le P.P.A. - M.T.L.D.
va être tenu d'orienter son organisation vers ce but. Cela
implique :
----------1°/
Des chefs de secteurs prêts à tout puisqu'ils n'ont
plus rien à craindre ou des " durs ". Ils seront
des entraîneurs d'hommes de par leur autorité ou la
crainte qu'ils inspirent.
----------2°
Des exécutants inconnus et prêts au sacrifice.
----------3°
Un armement individuel, des dépôts d'armes, munitions
et engins de sabotage. "
|
--------------------Dans
un autre rapport, de la même époque, apparaît la personnalité
de BEN BELLAH :
----------"
C'est fin 1947, quelques mois avant les élections à
l'Assemblée algérienne, que le M.T.L.D. qui se rendait
compte de la vanité de ses efforts pour la réalisation
de ses objectifs par des moyens légaux décida la création
d'une organisation paramilitaire, super-clandestine, qui prit le
nom tout d'abord de " groupes de choc ", puis " d'O.S.
".
----------"
En avril 1948, 1"O.S. " s'étend à tout le
département d'Alger; quelques groupes sont constitués
en Oranie et dans le Constantinois, et c'est MADJID qui, en qualité
de " chef national ", est chargé par le M.T.L.D.
de prendre en main tout le dispositif avec les éléments
les plus sûrs mis à sa disposition par le parti. "
|
----------Et c'est
ainsi que Ben Bellah Mohammed ( BEN BELLAH capturé
dans l'avion qui le transportait de Rabat à Tunis avec KHmER et
trois autres responsables du F.L.N. est actuellement détenu à
la prison de la Santé.), conseiller municipal M.T.L.D.,
et adjoint au maire de Marnia, qui a été libéré
de l'armée avec le grade d'adjudant (campagnes de France et d'Italie,
médaille militaire, quatre citations) reçoit pour mission
d'organiser 1"O.S. " en Oranie, en constituant dans tous les
centres des groupes comptant un chef et trois éléments.
C'est ce que les dirigeants appelaient l'organisation " quatre-quatre
"...
----------Il
arrivait qu'un chef de l'O.S. fût brusquement rappelé au
sein du M.T.L.D. C'est ainsi que Ben Bellah dut abandonner, en avril 1948,
la direction de l'O.S. en Oranie pour venir à Alger assumer, auprès
du Comité directeur du M.T.L.D., les fonctions de chef de "
C.O. " (Comité d'organisation), dont la mission essentielle
était d'assurer la liaison entre les " willayas " et
la Direction politique.
En septembre 1949, Madjid étant passé au " berbérisme
", Ben Bellah fut promu " chef national " de l'O.S. Il
cumula d'ailleurs pendant trois mois ses nouvelles fonctions avec celles
de chef de C.O. Ce n'est qu'en décembre 1949 qu'il abandonna ses
fonctions politiques pour se consacrer uniquement à l'organisation
paramilitaire.
----------Le
département d'Alger comprenait alors trois Régions, les
départements d'Oran et de Constantine ne comprenaient que deux
Régions chacun.
----------Ben
Bellah supprima ces divisions, de telle sorte que chaque département
ne forma plus qu'un seul bloc...
----------A
la suite de la démission du docteur Lamine-Debaghine, député
de Constantine, l'O.S. subit une nouvelle crise qui eut ses répercussions
au sein de l'état-major...
----------L'organisation
générale et de l'état-major démontre bien
qu'il s'agit de quelque chose de mûrement réfléchi,
d'organisé, avec le plus grand souci de ne rien laisser dans l'ombre,
et non comme beaucoup essaient de le faire accroire, sinon d'une invention
de services de police trop zélés, du moins d'une affaire
anodine montée en épingle pour les besoins de la cause.
----------J'insisterai
tout particulièrement sur certaines branches du Service général,
savoir :
----------a)
Section des artificiers:
----------La
création de cette section remonte à fin 1948. A cette époque,
le nommé A... M..., qui était chef de la zone Orléansville,
fut mis à la disposition de B...-D... qui le nomma chef de la section
des artificiers. Il lui enseigna la façon de fabriquer des grenades
en prenant des tronçons de tuyaux de fonte, aux extrémités
desquels il soudait de la tôle, de manière à obtenir
un cylindre clos à la partie supérieure duquel était
pratiqué un trou permettant la mise en place d'un allumeur de sa
fabrication. Celui-ci consistait en un arrêtoir à ressort
qui, une fois libéré par le retrait d'une goupille, venait
heurter une capsule de chasse, jouant le rôle d'amorce, et enflammait
une mèche lente en contact avec le mélange détonnant.
----------Ils
essayèrent ainsi de fabriquer des grenades explosives, incendiaires
et offensives.
----------En
juin 1949, B...-D..., Y... M'... et un nommé E.-Z... fondèrent
à Alger une société commerciale, la " S.I.R.E.C.
" (Société d'importation, de représentation
et d'exploitation commerciale) dont le siège social est à
Alger, 2, chemin Bobillot.
----------Il
s'agissait en fait d'une couverture commerciale et rentable, d'une activité
subversive bien définie.
----------La
S.I.R.E.C. devint le lieu de travail - le laboratoire pourrait-on dire
- d'A... M..., qui fut chargé, par B...-D..., d'organiser une section
d'artificiers pour Alger.
----------Cette
section devait ensuite avoir des ramifications sur tout le territoire.
----------Il
était également prévu, pour l'avenir, que la section
des artificiers devait prendre le contrôle de tous les dépôts
d'armes des groupes paramilitaires.
----------Cette
extension ne put être réalisée, en raison de l'intervention
de la police qui arrêta les principaux dirigeants de cette section.
----------Cependant,
outre les essais de fabrication de grenades, je dois relever à
l'actif de cette section l'établissement de plans de destruction
de certains ouvrages d'art, en
particulier du pont de l'Harrach à Maison-Carrée.
----------La
reproduction photographique de certains documents saisis lors de perquisitions
est parfaitement édifiante à ce sujet. Je me bornerai à
présenter, ci-contre, à titre d'exemple :
----------1°/
Les schémas de destruction du pont de l'Harrach.
----------2°/
Un document portant liste des charges d'explosifs convenant à la
destruction des murs, voûtes, ponts, blindages, câbles, voie
ferrée, pièce d'artillerie, bois, charpentes.
----------b)
Section " transmissions " :
----------Elle
fut organisée, il y a un an environ, par S...-A... qui. appelé
par la suite à d'autres fonctions, désigna A... R... comme
chef du groupe " radio-transmissions ". Ce dernier dépendait
directement de " MOKRANE ", surnom sous lequel se dissimulait
A... M..., chef de la section des artificiers.
----------La
section " transmissions " était également divisée
en groupes et demi-groupes. L'instruction dispensée consistait
à apprendre aux hommes l'alphabet Morse et la lecture au son.
----------Dans
cette section figurent plusieurs spécialistes de la radio, dont
l'un, B... M..., employé à l'A.I.A., construisit entièrement
un poste émetteur-récepteur, fonctionnant sur moteur.
----------Le
siège de la section " radio " était situé
à Alger, 30, rue Rigodit, dans un magasin qui avait été
loué à cet effet par Sid-Ali.
Il y a environ deux mois, A... R... reçut l'ordre de débarrasser
immédiatement le local de tout le matériel qui s'y trouvait
et de rendre la clef.
----------Le
matériel fut dissimulé partie chez BEN AMAR MOULOUD, partie
dans un entrepôt du port où il fut saisi par la police.
----------c)
La section de " complicité " :
----------Elle
a pour but de créer un réseau de refuges sûrs où
les militants recherchés par la police, les " maquisards ",
peuvent trouver aide, assistance, hébergement et ravitaillement.
----------Ce
réseau devait également constituer, en cas
d'action directe, un lieu de regroupement des forces.
----------Dans
sa conception première, il ne devait soustraire
aux recherches de la police que des hommes politiques.
----------Mais
bien vite, il apparut intéressant aux dirigeants
du parti d'utiliser les refuges connus pour dissimuler également
les maquisards et autres condamnés de droit commun...
----------Je
veux ici souligner, d'une façon toute particulière, la manière
tragique dont vient de s'illustrer l'activité de ce réseau
:
----------Sur
dénonciation d'un des chefs du réseau de " complicité
", la police se rendait, le 28 avril 195o, dans la région
de l'Alma, à la ferme du nommé GOUIGAH ALI, membre du réseau
de complicité, pour y appréhender deux maquisards kabyles
qui y étaient réfugiés.
----------Cernés,
les bandits réussissaient à s'échapper après
avoir ouvert le feu et blessé grièvement l'inspecteur de
la Police judiciaire CULLET.
----------Ce
dernier devait, après avoir subi l'opération de la laparotomie,
décéder le 4 mai.
----------Cette
mort tragique constitue un douloureux témoignage de la " qualité
" des individus confiés aux bons soins du réseau de
complicité et de leur criminelle détermination.
----------Organisation
locale et hiérarchisation.
----------Chaque
membre de l'état-major avait des fonctions bien déterminées
:
----------Le
chef national dépend directement du parti. Il est le seul à
rendre compte au député KHIDER de l'activité et du
développement de l'O.S. A cette fin, il voit le député
Khider une fois par mois.
----------Le
chef national adjoint reçoit des chefs de départe-ment des
rapports sur la discipline, le moral, l'arme-ment et l'instruction militaire
de leurs groupes et les remet au chef national. En retour, il leur transmet
les instructions et les consignes du chef national.
----------Chaque
chef de département a sous ses ordres plu-sieurs chefs de zone
:
----------6
ou 8, pour Alger;
----------1
pour Oran;
----------4
ou 5 pour Constantine.
----------Chaque
zone comprend un certain nombre de localités, sections, groupes
et demi-groupes, comptant en principe deux hommes de base et un chef.
----------Chaque
groupe recevait périodiquement la visite d'un " contrôleur
" qui, masqué sous une cagoule, s'assurait de la bonne marche
de l'instruction militaire et transmettait les directives du chef départemental.
----------Le
groupe était, en outre, doté d'un armement d'instruction
: revolver, fusil, mitraillette, grenades, etc.
La liste figurant dans un précédent rapport, et qu'il convient
seulement de compléter par quelques armes nouvellement découvertes,
montre bien que le stade de l'organisation purement théorique était
dépassé puisque les armes d'instruction étaient en
place.
----------Je
joins en annexe la photographie d'une partie des armes saisies.(note
du site : pas trouvé!!!)
----------Je
dois, par ailleurs, souligner que, les activités para-militaires
des groupes étaient complétées par d'autres tâches,
telles que le relevé des voies de communication, l'établissement
des plans des bâtiments publics et militaires, l'indication des
points sensibles des localités, le recensement des moyens de transport,
etc.
----------C'est,
tout simplement, de l'espionnage.
FONCTIONNEMENT DE L'"O.S.
"
----------Quel était,
sous la direction de l'état-major, le
fonctionnement de l'O.S. et de ses services essentiels?
Tout d'abord apparaît la préoccupation des dirigeants d'assurer
un cloisonnement absolu entre le M.T.L.D. d'une part et l'O.S. d'autre
part.
----------Seul,
le " chef national " avait des rapports avec le parti M.T.L.D.
et ses contacts se limitaient à Khider.
----------Pour
tous les autres membres de l'O.S., il était formellement interdit
d'entrer en relations avec quiconque et même de chercher à
connaître les dirigeants de l'organisation.
----------D'ailleurs,
les membres de l'O.S. étaient soumis aux prescriptions impératives
d'un " règlement intérieur " que j'estime indispensable
de reproduire ici, dans son intégralité.
----------RÈGLEMENT
INTÉRIEUR
----------Art.
1 : DISCIPLINE. - La discipline faisant la
force principale des armées, il importe que tout supérieur
obtienne de ses subordonnés une obéissance entière
et une soumission de tous les instants, que les ordres soient exécutés
à la lettre, sans hésitation ni murmure; l'autorité
qui les donne en est responsable.
----------Art.
2 : RECRUTEMENT.
a) Le recrutement est limité;
b) L'élément recruté doit remplir les conditions
suivantes : conviction, discrétion, courage,
activité, stabilité, capacité physique;
c) La durée du service est illimitée ;
d) L'élément recruté doit satisfaire à l'épreuve
et prêter serment. Il ne pourra plus quitter l'organisation à
sa guise, et s'il le fait, il sera considéré comme déserteur.
----------Art.
3 : RÉUNIONS.
a) Les réunions sont obligatoires ainsi que la présence
de tous les éléments. Le cloisonnement doit être rigoureusement
respecté;
b) La date et le lieu seront fixés par le chef intéressé;
c) Le salut aux chefs est obligatoire avant et après les réunions,
mais interdit à l'extérieur;
d) La réunion doit être ouverte et close par un salut national;
e) Une discipline rigoureuse doit être respectée pendant
la réunion et l'ordre du jour doit être épuisé
à la lettre.
----------Art.
4 : CONDUITE. - Tout militant ou chef doit avoir une conduite irréprochable
à tous points de vue.
----------Art.
5 : PERMISSIONS. - Tout élément qui est appelé
à quitter sa localité temporairement pour ses affaires personnelles
doit demander à son chef une permission en précisant la
date, la durée, et le lieu de déplacement, et il ne devra
partir que si sa permission est accordée.
----------Art.
6 : MUTATIONS.
a) Si l'élément est appelé à quitter définitive-ment
sa localité, il doit demander sa mutation à l'endroit où
il désire se rendre;
b) Il ne doit partir que si sa mutation est acceptée;
c) Les mutations d'unité à unité sont prononcées
par l'autorité intéressée.
----------Art.
7 : RÉCOMPENSES. - Les militants sont récompensés
selon leur grade :
a) Par citation à l'ordre pour l'accomplissement d'un acte de courage
et de dévoue-ment;
b) Par félicitations verbales pour leur esprit de discipline et
l'ensemble de leurs services;
c) Par avancement pour leur travail.
----------Art.
8 : PUNITIONS.
----------A.
- CLASSIFICATION :
1°/Fautes simples : absence aux réunions, paresse, mauvaise
volonté, négligence dans le service, mauvaise conduite.
2°/ Fautes graves : indiscipline, désobéissance, acte
de faiblesse, défaitisme, faux rapports, et toute faute simple
qui se répète trois fois.
3°/Fautes très graves : trahison, désertion, divulgation
de secret à l'ennemi, aux parents, et à tout élément
étranger à l'unité élémentaire à
laquelle il appartient et toutes fautes graves qui se répètent
trois fois.
----------B.
- DÉTERMINATION :
1°/Blâme pour les fautes simples.
2°/ Dégradation et suspension pour les fautes graves (la suspension
peut être limitée ou illimitée selon la gravité
de la faute).
3°/ Radiation pour les fautes très graves.
4°/ Peine capitale :
a) Pour les fautes très graves, pour la radiation qui pourrait
porter atteinte à l'O.S.
b) L'exécution pourra être immédiate ou prorogée,
suivant la décision de l'O.S.
----------La lecture de ce document dispense d'autres
commentaires.
----------Je
soulignerai cependant d'un double trait les prescriptions concernant la
peine capitale avec exécution immédiate ou prorogée
de la sentence dont la gravité est extrême.
----------Après
s'être étendu sur les relations de l'O.S. avec le M.T.L.D.
et donné un exemple de l'activité très particulière
de l'O.S. le rapport du préfet concluait :
----------"
Je ne voudrais pas terminer ce rapport sans analyser les réactions
de l'opinion devant les révélations faites par la
presse.
----------D'abord
abattus et inquiets, les dirigeants du M.T.L.D. ont vite exploité
les quelques élargissements d'individus que le magistrat-instructeur
n'a pas cru utile de mettre sous mandat de dépôt, comme
le résultat des interventions faites à Paris par le
député MEZERNA et des pressions de l'O.N.U. sur le
Gouvernement.
----------La
confiance était même revenue puisque le parti allait,
disait-on, sortir grandi de cette affaire qui verrait, en définitive,
de hauts fonctionnaires sanctionnés...
----------Depuis,
les articles de presse sur la participation du M.T.L.D. au "hold-up
" de la poste d'Oran ont à nouveau semé l'inquiétude
dans les rangs du M.T.L.D. et BOUDA AHMED déclarait il y
a trois jours à peine que " jamais le parti n'avait
subi un tel assaut et qu'ils étaient tous en équilibre
sur une lame de couteau ".
----------Tel
semble être actuellement l'état d'esprit des dirigeants
du M.T.L.D. qui, d'une part, s'attendent à être inquiétés,
d'autre part sont l'objet des reproches amers de leurs troupes qui
ne voient pas encore les interventions de Mezerna et " les
pressions de l'O.N.U. " se traduire par des résultats
concrets.
----------Quant
à l'opinion européenne et musulmane en général,
elle réprouve les agissements coupables dont elle a connaissance
et souhaite vivement voir la paix sociale de l'Algérie demeurer
à l'abri des folles entre-prises d'agitateurs antifrançais.
----------Je
noterai enfin que les protestations des partis dits " progressistes
" en tête desquels viennent l'U.D.M.A. et le P.C.A. sont
marquées au coin de la prudence...
----------Le
silence complet observé sur cette affaire par La République
Algérienne du vendredi 19 mai est particulièrement
révélateur à cet égard.
----------La
cause est trop mauvaise pour pouvoir être défendue
avec conviction. "
|
----------La
connaissance de ces faits était trop grave et trop amères
les perspectives qu'ils préparaient pour que l'opinion n'en soit
pas avertie et que des positions soient enfin prises.
----------C'est
pourquoi le ii avril 1950 dans un article de l'Écho d'Alger sous
le titre " Le Feu couve ", j'écrivais :
----------"
Pourquoi le cacher plus longtemps? De nouveau, le feu couve en Algérie.
Attisée par quelque souffle mystérieux, de temps à
autre, une flamme jaillit qui éclaire ce qui se trame dans l'ombre.
Ainsi découvre-t-on dans le Constantinois un réseau d'organisations
paramilitaires armées, instruites, disciplinées, obéissant
aux mots d'ordre secrets de non moins secrets émissaires.
----------Puis
le silence se fait. L'ombre recouvre tout jusqu'au jour où, à
l'occasion de fusillades en Kabylie, l'opinion publique apprend que le
P.P.A. utilise des tueurs à gages pour exécuter les sentences
de ses tribunaux clandestins, que l'un de ces tueurs, LAOUDARENE, s'est
enfin rendu, non sans avoir auparavant abattu quelques courageux fellahs
qui lui donnaient la chasse.
----------Forces
armées, tribunaux, en d'autres termes : Justice et Autorité,
ne sont-ce point là des prérogatives essentielles de la
souveraineté? Est-il admissible qu'en ce pays une faction puisse
s'en arroger clandestinement l'exercice et pousse même l'impudence
jusqu'à afficher publiquement ses buts de guerre civile?
----------Hier,
en effet, dans certaine presse locale, on pouvait lire le communiqué
suivant, émanant du M.T.L.D.-P.P.A. :
----------"Le
mouvement national et la résistance populaire ont mis et continueront
à mettre en échec toutes les tentatives de destruction (du
P.P.A.) en poursuivant la lutte implacable qu'ils mènent contre
l'impérialisme français, jusqu'à la libération
nationale. "
----------S'il
est encore des juges en France, pareil appel ne doit-il pas être
condamné? N'est-il pas l'aveu de la reconstitution d'une ligue
dissoute? Ne préconise-t-il pas le démembrement de la France
dont la Constitution, en son article premier, dit qu'elle est une et indivisible?
Ne nargue-t-il pas l'Autorité, la Loi et ne ridiculise-t-il pas
notre libéralisme béat?
----------Il
est des moments où, dans l'État comme chez les individus,
le sentiment de légitime défense doit prévaloir,
quelles que puissent être les incidences politiques ou personnelles
que ses manifestations peuvent entraîner. "
----------Après
l'assassinat de l'inspecteur principal Cullet, abattu par l'une des bandes
opérant dans le maquis kabyle, le Syndicat de la police réagissait
dans une lettre ouverte adressée le 6 mai 1950 au Gouverneur général
:
----------"
Fort de la sollicitude que vous lui avez souvent exprimée en public,
le corps des policiers, en deuil, vient aujourd'hui vous dire toute sa
tristesse ", écrivait-il.
----------"
Notre camarade Cullet, inspecteur principal, officier de police judiciaire,
fonctionnaire unanime-ment apprécié, est tombé le
28 avril 1950 au cours d'une opération menée contre des
malfaiteurs à la solde du P.P.A.-M.T.L.D.
----------Il est mort cette nuit dans d'atroces
souffrances, laissant à trente-deux ans, presque dans la misère,
une veuve et trois jeunes enfants.
----------Depuis plus de cinq ans, soldats
de l'ordre et de la paix française, les policiers mènent
une lutte de tous les instants contre les assassins à gages nourris,
hébergés et utilisés par le P.P.A.-M.T.L.D.
----------La liste serait longue, Monsieur
le Ministre, des fonctionnaires et agents de l'ordre tombés ces
dernières années sous les balles de ces tueurs; caïds,
gardes champêtres, chefs de villages ont payé leur tribut,
et, il y a quelques mois, l'inspecteur ANDRÉ MELMOUX était
lâchement assassiné en Kabylie.
----------Or, nous apprenons que des élus
de ce parti s'apprêtent à interpeller et à mettre
en cause une fois de plus l'action des services de police, usant encore
d'arguments et de termes inacceptables.
----------Solides, face à la calomnie
comme sous les balles des malfaiteurs, nous affirmons avec force que ces
attaques nous grandissent au lieu de nous atteindre.
----------Loin de vouloir sortir du rôle
qui nous est imparti dans une affaire nationale, nous laissons à
chacun ses responsabilités, mais nous exprimons le souhait - très
modeste - de voir le Gouvernement rappeler les chefs de gang à
un peu de pudeur. "
----------Si
l'action policière contre les maquis en formation s'intensifia,
en revanche, il n'en fut point ainsi de l'action politique pour rassurer
la masse.
----------Le
11 septembre 1950, en effet, le président QUEUILLE étant
ministre de l'Intérieur, des mesures d'expulsion de la métropole
" d'éléments étrangers particulièrement
compromis dans une activité antifrançaise " avaient
été décidées.
----------Cette
opération de salubrité nationale, pour reprendre les termes
du communiqué officiel de l'époque, avait singulièrement
réussi puisque ces expulsés jugés dangereux en France
furent simplement déposés en Algérie par le croiseur
Georges?
----------Leygues
et par avion, puis dispersés aussitôt et librement sur tout
le territoire. Rien ne pouvait être plus inopportun ni plus stupide
au moment où les prémices d'une action armée de la
part de l'Organisation secrète (O.S.) devenaient de jour en jour
plus perceptibles et au moment aussi où le Parti communiste tentait
avec acharnement de grouper toutes les forces dites démocratiques
dans le Front algérien qui allait voir le jour, Ii mois plus tard,
le 6 août 1951.
----------La
représentation parlementaire algérienne eut beau protester,
rien n'y fit. A partir de ces instants, l'instabilité ministérielle
française, les affaires de Tunisie et du Maroc qui se compliquaient
en même temps que s'aggravait de jour en jour le drame indochinois
allaient avoir la primauté sur l'Algérie.
----------Dans
un virage aussi dangereux, il eût fallu pour redresser la situation
s'appuyer sur la masse et, en demeurant dans l'esprit libéral du
Statut, valoriser en quelque sorte à ses yeux, dans tous les faits,
la citoyenneté et les droits qui lui avaient été
accordés et dont aucun autre musulman nord-africain ne bénéficiait.
----------Mais
la passion reprenait ses droits, elle aussi, avec la perspective des consultations
populaires proches. Ceux qui pensaient que le Statut avait trop concédé
manoeuvraient pour reconquérir le terrain perdu. Les leaders musulmans,
eux, attendaient le test des élections libres.
----------Les
germes de la division commençaient à pénétrer
les coeurs et les âmes.
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