| -Fort-National en 1900Edgar Scotti ()
 Chef-lieu de commune de plein exercice, créé 
        en 1871, Fort-National est implanté sur le territoire des Beni-Iraten 
        à 916 m d'altitude sur un plateau du versant nord du Djurdjura, 
        en Grande Kabylie. Le Sebaou et ses affluents, l'oued Aïssi, l'oued 
        Djemma et l'Assif-Khellil qui contournent la ville ont un débit 
        extrêmement variable, torrents infranchissables en hiver et à 
        la fonte des neiges, ils ne sont plus que des ruisseaux, bordés 
        de frênes, presque à sec en été.
 L'enceinte de 2200 mètres - flanquée de dix-sept bastions 
        - qui ceinture Fort- National est percée de deux portes: celle 
        d'Alger et celle du Djurdjura. La ville, d'une superficie de douze hectares 
        fortement accidentés, est parcourue par de larges artères 
        le long desquelles s'élevaient tous les bâtiments administratifs 
        et militaires.
 
 Au début du xx' siècle la ville, siège de la commune 
        mixte, abrite une population de 10360 habitants, dont 1050 métropolitains. 
        Le long de la rue principale quatre-vingts maisons particulières 
        sont érigées. La commune mixte s'étend sur 32900 
        hectares avec une population totale de 52940 personnes Sont rattachés 
        à la commune mixte les douars ou fractions de douars AïtIraten, 
        Oumalou, Beni-Aïssi, Beni-Douela, Beni-Mahmoud, Beni-Khellil, Beni-Sedkha-Ouadhia, 
        Beni-Sedkha-Chenacha, Beni-Yenni et son village des Aït-Lahssen de 
        2200 habitants, Aït-Iralen.
 
 Un grand marché se tient à Fort-National tous les mercredis. 
        Six autres marchés se tiennent le dimanche aux Aït-Irdjen 
        et aux Beni-Sedkha-Ouadhia, le mardi aux Beni-Yenni et aux Aït-Akerma, 
        le mercredi aux Beni-Douala, et le jeudi aux Beni-Khellil. On y échange 
        du raisin (tizourine) des variétés kabyles : Ahmeur bou 
        Ahmeur, Bezzoul el Khadem, Amokrane conduites en treilles. Les transactions 
        portent surtout sur des céréales : blé, orge, béchena 
        (sorgho), des huiles, des figues, du beurre et du miel.
 
 En cette année 1900, la commune mixte de Fort-National abrite 197 
        moulins à farine et 280 moulins à huile. Les artisans des 
        Beni-Yenni et surtout ceux des Aït-Lahssen jouissent d'une grande 
        renommée pour la fabrication des armes blanches, de la bijouterie 
        et de l'orfèvrerie. D'autres villages sont réputés 
        pour leurs travaux de sparterie, vannerie, poterie, ainsi que pour le 
        tissage des laines.
 Pendant longtemps, le relief très accidenté rendait aléatoires 
        les communications entre les villages en raison des violentes crues en 
        hiver et à la fonte des neiges, des ruisseaux montagnards. Une 
        série de petits ponts métalliques, construits vers 1910, 
        facilita les relations entre les villages perchés au sommet de 
        pitons.
 
 Tous ces villages, reliés les uns aux autres par des sentiers bordés 
        de spates de figuiers cactus, ont une école vers laquelle convergent 
        tous les matins les élèves venus des mechtas environnantes.
 
 Et c'est souvent à pied ou à dos de mulet que les institutrices 
        et les instituteurs rejoignent les maisons de l'école, entourées 
        d'un petit jardin, où les élèves apprenent aussi 
        à utiliser les semences, à greffer et à traiter les 
        arbres. Pour dispenser cet enseignement horticole et arboricole- en plus 
        de l'enseignement scolaire habituel - la maîtresse ou le maître 
        dispose d'un Traité pratique de culture potagère pour l'Afrique 
        du Nord, rédigé par Hippolyte Truet, professeur d'agriculture 
        aux écoles normales d'Alger.
 
 C'est dans un climat de confiance absolue que ces enseignants vivaient 
        au milieu des villageois. Et même, si plus de cent ans après, 
        il n'est pas possible de les citer tous, évoquons tout de même 
        le souvenir de ces femmes et de ces hommes qui apprenaient à lire, 
        écrire et compter à ces petits kabyles en burnous et chéchia 
        rouge des villages suivants :
 
         
          | à Tizi-Rached | M. Carnet, |   
          | à Tamazirt | Mme et M. Corde, MM. Pélissié,Vercueil, |   
          | à Abdeni | M. Charles, |   
          | à Aït-Yacoub | M. Yazid Yaker, |   
          | à Iril-Guefri | M. Habdi, |   
          | à Agouni- Bour'ar | MM. Ferrand, Meziane, Perret, |   
          | à Timmamert-el-Haâd 
 | Mme et M. Casanova, M. Perrin Terrin,
 |   
          | à Aït-Meraou | M. Azouaou, |   
          | à El-Misseur | M. Idir Mohammed, |   
          | à Taourirt- Mimoun | MM. Verdi, Pascal, Maury, |   
          | à Aït-Lahssen | MM. Garapon, Mohand Saïd, Ali Haroun, |   
          | à Agouni-Ahmed | MM. Pizel, Belguerche, |   
          | à Taourirt-el-Hadjadj | M. Belhamer, |   
          | à Taourirt-Moussa | Mme Girardot (mère), M. César Girardot. |   
          | à Tizi-Hibel | MM. F. et A. Carrière, |   
          | à Iril-Bouzerou | MM. Manin, Naït Si Ameur, |   
          | à Taguemount ou Kerouch | M. Ferhani, |   
          | à Tammaroucht | M. Hammoutène, |   
          | à El Klaâ | MM. Baylac, Duport, |   
          | à Akerrou | MM. Grim, Juvigny. |   
          | Rappelons également les écoles 
            d'apprentissages que dirigeaient |   
          | à Tamazirt | M. Demonque, |   
          | à Beni-Yenni | M. Vidal, |  
          | à Fort-National | M. Clément. |  Ainsi que les écoles des Pères Blancs aux 
        Aït-Larbaâ, aux Beni-Sedkha Ouadhia, et à Taguemount-Azouz.
 Malgré la beauté du site, il n'était pas facile en 
        1900 de vivre dans le massif du Djurdjura. Et pourtant ces femmes et ces 
        hommes, ainsi que tous ceux qui leur succédèrent jusqu'en 
        1962, étaient bien conscients d'être utiles aux enfants et 
        appréciés des parents de cette Kabylie. Ils auraient certainement 
        aimé que l'on connaisse la noble tâche qu'ils y accomplissaient.
 o N.D.L.R. : L'école d'Agouni-Homed, où le 
        jeune instituteur René Rouby a été enlevé 
        par les fellaghas, existait donc en 1900 (cf. Otage d'Amirouche, l'algérianiste 
        n° 101, p. 117).Voir ci-dessous
  Otage d'Amirouche. 
        René Rouby
 Bien peu nombreux sont ceux qui purent garder un reste 
        de vie après une capture et un séjour dans les caches du 
        F.L.N., plus spécialement celles du sanguinaire Amirouche... René 
        Rouby fut miraculeusement de ceux-là. Jeune volontaire venu de 
        sa Lozère natale, influencé par les sollicitations enflammées 
        du libéral inspecteur Marchand, persuadé de faire oeuvre 
        utile, il se porta volontaire comme instructeur en Algérie en 1958. 
        Avec quelques autres de son âge, après une rapide initiation 
        dans une école de Tizi-Ouzou, il est envoyé dans un petit 
        village de la montagne kabyle : Agouni, au douar des Beni Yenni. Là, 
        avec celui qui deviendra son ami, Joël, ils font ce qu'ils peuvent 
        pour alphabétiser 140 enfants. Les Pères Blancs, installés 
        non loin de là, leur seront de bon conseil tant sur les relations 
        avec la population, que pour les conseils pédagogiques.
 Le 21 janvier 1958, ils sont " enlevés " par un groupe 
        de fellaghas qui débarquent dans leur école. A partir de 
        là, va commencer un calvaire : marches harassantes dans le maquis, 
        mains liées, coups, vol de leurs objets personnels : bague, montre..., 
        y compris les chaussures et les vêtements - on apprendra qu'Amirouche 
        portait l'imperméable de Joël quand il a été 
        tué. La mémoire de René Rouby est précise, 
        affûtée par le souvenir des souffrances physiques et surtout 
        morales, avec un sentiment de mort toujours imminente. Après cinq 
        jours de marche ponctuée de coups pour faire avancer les jeunes 
        gens, l'arrivée au camp dissimulé sous les arbres, permet 
        la rencontre avec 26 autres prisonniers : 10 militaires, 10 civils pieds-noirs 
        dont un instituteur, 6 Algériens. Joël, l'ami à la 
        constitution fragile, ne survivra pas. Épuisé, il mourra 
        avec 13 autres compagnons de captivité, suite aux mauvais traitements 
        et au manque de nourriture. L'un d'eux, Jean Azzopardi, sera précipité, 
        d'un coup de pied, au bord du sentier; le plus âgé, Louis, 
        60 ans, sera emmené pour être " achevé ". 
        Après la mort d'Amirouche, c'est manifestement 
        un souci d'action psychologique qui motivera la libération des 
        détenus. Ce récit vibrant de sincérité, marqué 
        par la souffrance mais sans ressentiment, est porteur d'enseignements. 
        On en tire la certitude que l'opération " Jumelles " 
        du général Challe avait acculé les rebelles en leur 
        laissant peu d'efficacité malgré leur aptitude à 
        se fondre dans le paysage. On s'interroge aussi sur l'ambiguïté 
        des comportements de ces populations qui peuvent aussi bien accueillir 
        un jour, chaleureusement, un convive autour d'un couscous, le laisser 
        lapider les jours suivants, ou se faire complice de l'A.L.N., en signalant 
        les préparatifs des militaires par le " téléphone 
        arabe ". Les conséquences dramatiques sur les familles des 
        prisonniers furent une conclusion douloureuse à cette tragédie. 
        Cette véridique histoire de torture par le F.L.N. reste un témoignage 
        précieux et à contre-courant en ces temps où on n'accepte 
        la vérité que dans l'autre sens.
 Éditions Atura, 157 pages, 16 €.Marie-Jeanne Groud
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