Voyant combien, en les élargissant,
on avait livré, à l'envahissement du soleil, les anciennes
voies si fraîches antérieurement en leur exiguïté,
avec leurs saillies protectrices et leurs passages voûtés,
on décida d'innover ici les portiques à arcades. Cette disposition
particulière reçut bientôt la consécration
administrative. Nous voyons, en effet, dans une lettre adressée
le 11 janvier 1834, au Ministre par le baron Voirol, que celui-ci donnait
son approbation à "la création de galeries dans les
rues principales comme sur la Place du Gouvernement (Arch. du Gouvernement
Général). Et l'on voulut aussi que les immeubles des principales
artères présentassent un certain caractère d'unité
architecturale."
Les propriétaires eurent donc à prendre connaissance de
certaines prescriptions édictées à ce sujet, avant
d'élever de nouvelles constructions.
On eut aussi à s'occuper de la question de l'éclairage duquel,
sous les Deys, nul n'avait cure. Aussi, le soir, dans les ruelles enténébrées,
l'insécurité était-elle grande.
Afin de protéger contre les agressions possibles les soldats, et
de rendre plus facile la poursuite des malfaiteurs, le commandant de la
Place, fit publier, le 11 juillet 1830, un ordre par lequel chaque habitant
fut tenu d'éclairer à ses frais le devant de sa maison.
L'Administration, ainsi qu'il a été dit, ne prit à
sa charge que l'entretien de vingt falots disposés dans les rues
principales ( Deux ans après,
193 nouveaux falots furent réclamés par l'Administration.
(Rapport du baron Pichon).). En 1832, un arrêté
du 30 mars confia à la police le Service de l'Eclairage et aussi
celui du Nettoiement. En 1846, 120 réverbères (Système
Bordet et Marcet) furent installés dans les rues Bab-Azoun, Bab-el-Oued,
de la Marine et sur la Place du Gouvernement.
Pendant les quinze années qui suivirent, Alger ne connut que l'éclairage
à l'huile.
Ce fut avec une vive joie qu'il vit en 1852 briller ses premiers becs
de gaz.
La Rue
de la Marine profita la première, en février,
du nouveau mode d'éclairage. Puis, ce fut le tour de la Place du
Gouvernement, des rues Bab-Azoun
et Bab-el-Oued et, en décembre, de la rue de la Casbah
( L' Akhbar du 19 décembre 1852
nous apprend que l'installation des nouveaux réverbères
causa un plaisir immense aux indigènes qui composèrent un
chant célébrant cet événement. Les Juifs,
de leur côté, firent entendre d'interminables hosannas.);
les rues Philippe et d'Orléans bénéficièrent
de l'innovation en 1853. Insensiblement les anciens lumignons qui, tant
bien que mal, avaient jusqu'alors éclairé El-Djezaïr
la nuit, disparurent des rues de ses quartiers européens et des
ruelles de sa Casbah. Le gaz régna partout bientôt. Ce devint
même, pour la partie la plus belle de la Cité, pour son Boulevard,
une réelle parure.
Mais, depuis longtemps déjà, le gaz n'est plus seul à
éclairer Alger. La fée Electricité y a, comme dans
toutes les grandes villes, fait son apparition.
Des flots de blanche lumière se répandent maintenant en
ses grandes artères.
Et l'on songea aussi à agrémenter d'ombre végétale,
les points les plus ensoleillés de la ville : l'Esplanade Bab-el-Oued,
que l'on borda de bellombras ( C'est
au Consul d'Angleterre, St-John, que l'on doit l'introduction du bellombra
en ce pays. St-John, déjà en fonctions à Alger avant
la conquête, y exerça son ministère jusqu'en 1851.);
l'Esplanade Bab-Azoun, que l'intendant civil Bresson para de mûriers
en 1837 ( Esplanade devenue place Bresson,
puis place de la République. Cette esplanade fut terminée
en 1837. Le souvenir de Bresson laissé en reconnaissance au square,
disparut naguère de cet intime jardin. On le désigna: square
Briand.); la Place de Chartres (plus haut citée) où,
autour de la fontaine (aujourd'hui au Square
Nelson), des orangers furent plantés en 1847; la Place
du Gouvernement que l'on commença à décorer d'arbres
en1838, sans grand succès cependant, car pour des causes diverses,
notamment le manque de terre végétale, périrent successivement
les premiers sujets que s'était efforcée de faire croître
là, l'Administration.
Une cause assez curieuse du manque de vitalité des ces arbres fut,
paraît-il, la présence, parmi eux, de nombreux chats.
L'Akhbar du 30 décembre 1852
dit, en effet, que leur dépérissement était dû
non seulement au manque de terre végétale, mais aussi aux
chats attirés en ces lieux par les gargotes maltaises de la Place,
et qui se livraient, parmi leurs branches, à la chasse aux oiseaux.
Le terreau, grâce auquel purent se développer enfin les arbres
de la Place du Gouvernement, fut pris près du Fort-neuf, l'ancien
Bordj-ez-Zoubia (le Fort des Immondices), autour duquel El-Djezaïr
déversait ses ordures ainsi d'ailleurs qu'aux environs du Fort
des Vingt-Quatre heures, situé dans le voisinage.
L'Akhbar du 9 novembre 1852 avait publié à
ce sujet la note suivante :
"Nous nous empressons de faire savoir aux personnes qui auraient
besoin de bonne terre végétale qu'elles en trouveront, à
titre gratuit, au Fort des Vingt-Quatre Heures (qu'on démolit en
ce moment). Comme deux godets sont installés, il n'y a qu'à
placer les tombereaux dessous, et la terre se charge sans aucune main-d'oeuvre.
Cette terre qui provient des immondices déposées il y a
plus de trois siècles et aussi d'anciens cimetières, est
de très bonne qualité. On s'en est servi sur la Place du
Gouvernement pour emplir les trous destinés à recevoir de
nouvelles plantations."
Notons qu'un petit square, dit "Square
de la Régence" , fut aussi créé au
fond de la Place du Gouvernement.
Sur nul autre point de la ville, les palmiers n'atteignirent la hauteur
de ceux, originaires du
Jardin Marengo, qui furent plantés en cet endroit. Ce
fait s'explique par la présence des sources qui sourdent sous la
Régence et dont s'inondent parfois les sous-sols de la Place.
Ce petit square reçut tout d'abord des bellombras; puis, en février
1845, avec une fontaine à vasque de la maison Lefèbvre,
des orangers, des bambous. Seuls, quelques palmiers subsistent aujourd'hui.
Mais voyons de quelles appellations furent
désignées, avant et après la conquête, les
rues d'El-Djezaïr.
Tout d'abord, déconcertés par l'enchevêtrement que
présentaient les voies étroites de l'ancienne cité,
les nouveaux occupants de 1830 s'aidèrent pour s'y diriger de traits
de peinture tracés sur les murs d'un certain nombre d'entr'elles.
Telle couleur renouvelée à travers ce labyrinthe conduisait
au Service de l'Intendance, telle autre à celui des Finances, ainsi
pour chaque Administration civile ou militaire. Il advint, par suite de
ce procédé, que plusieurs couleurs se trouvèrent
superposées en maintes ruelles. Le hasard fit de la sorte, en l'une
d'elles, se rencontrer les couleurs nationales. Cette voie devint depuis
la Rue des Trois-Couleurs.
Mais ce n'était là qu'un expédient. On prit bientôt
le parti de donner à chacune d'elles une dénomination particulière,
les anciennes désignations arabes étant tout à fait
incompréhensibles pour les vainqueurs. Et ce fut certes là
- nous le redisons - une chose très regrettable, car les rues d'Alger
perdirent de ce fait, de très pittoresques dénominations,
variant, à chaque tournant et dues à certaines particularités,
certains édifices, certains souvenirs.
Un grand nombre de rues reçurent, à cette époque,
des noms d'animaux, qui n'étaient autres que ceux portés
par les gabares de la flotte de 1830 ( Alger
fut alors, à ce propos, plaisamment dénommée: la
Ville des Bêtes.).
Les autres rues reçurent des noms empruntés à la
Mythologie, à l'Histoire, à la Géographie. Quelques
uns, aux annales de la Cité, parmi lesquelles on puisa plus spécialement
et plus sagement, il y a environ 25 ans.
Voici d'ailleurs, par ordre alphabétique, avec les primitives appellations
arabes, les premiers noms donnés, au lendemain de l'occupation,
aux rues et places de l'ancien Alger et à celles créées
peu après dans les faubourgs (2). D'après les tables du
général Pellet et de Berbrugger, d'après, aussi,
d'autres travaux documentaires.
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