La Place du Gouvernement
Au cours de la description de la ville, il
a déjà été occasionnellement question de la
Place du Gouvernement. Il en sera encore question ultérieurement.
Ici s'intercaleront quelques renseignements spéciaux à son
sujet.
Ce forum des Algérois, fut créé sur l'emplacement
de tout un intéressant quartier d'El-Djezaïr.
Là, se trouvaient la rue des Teinturiers (Sebaghin), des Fabricants
de Bracelets (Mekaïssia), des Bijoutiers (Seyaghin), des Cordonniers
(El-Bechmakdjia), des Plombiers (Er-Rasaïsia), des Armuriers (Djakmakdjia).
Au centre, apparaissaient: la Mosquée Mekaïssia, l'École
El-Kissaria, le Souk des Orfèvres, et, sur l'emplacement de la
Régence, la gracieuse Mosquée Es-Sida (de la Dame) - de
1662 - où allaient prier les Deys, le vendredi, et dont les jolies
colonnes de marbre décorent, depuis 1837, le portique de Djemâ-Kébir,
rue de la Marine.
Le nom de "Es-Sida" était sans doute destinée
à rappeler, ainsi que le pense Devoulx, que la fondation première
de ce temple était due à la générosité
d'une femme.
Ce temple, dont il est déjà fait mention sur des actes de
l'année 1564, fut reconstruit par le Pacha Mohammed, à la
fin du XVIIIème siècle.
- - Richement décorée de marbres et de faïences, Es-Sida
présentait une nef carrée dont la coupole reposait sur 20
colonnes (aujourd'hui alignées dans la rue de la Marine). Elle
fut détruite en 1832. Son minaret fut renversé de la même
manière que les remparts de Rhodes, c'est-à-dire après
avoir été sapé puis étayé de pièces
de bois goudronnées auxquelles on mit le feu.
- - A l'endroit où passe le Boulevard de la République,
se dessinait : le Fort de la Mer (Bordj-el-Behar), à deux étages
de feux - et la Porte de la Mer qui faisait suite à un couloir
voûté, ouvert sous la Mosquée "El-Djedid",
lequel a été transformé en magasin.
Du côté de l'ouest (près de la rue du Divan), s'élevait
le Palais des Deys : la Jénina, pourvue, en 1842, d'une horloge
à cloches qu'on transféra, plus tard, sur le minaret de
Djamâ-Djedid. Ce palais fut détruit en 1856.
Vers le sud, le sol s'inclinait subitement, formant une profonde excavation,
où se trouvaient des voûtes servant jadis aux Turcs, d'arsenal
maritime et dont l'entrée était masquée par le Fort
de la Mer. Sur l'un des trente-sept piliers soutenant ces voûtes
est demeurée encastrée une pierre "romaine", provenant
de Rusgunice. Cette pierre présente une inscription dont le texte
célèbre la générosité d'un citoyen
de cette cité, qui, à une époque de disette, pourvut
à ses frais de blé, la ville qu'il habitait.
Aucun espace n'existant, en 1830, à Alger, où les troupes
pussent se rassembler en cas d'alerte, la création d'une place
d'Armes fut décidée, vers la fin de cette année.
On avait déjà, quelque temps auparavant, travaillé
au dégagement d'une partie de la façade de la Jénina.
"Ce premier travail - nous apprend le colonel Lemercier ( Le
colonel Lemercier, dont le nom fut donné à une caserne d'Alger,
mourut à bord du "Montebello" , le 7 décembre
1836, au retour de l'expédition de Constantine, au cours de laquelle
ses forces s'étaient épuisées.), chef
du Génie à cette époque - donna l'idée au
Général Clauzel, d'étendre les démolitions
de manière à obtenir une grande place pour les réunions
des troupes et pour l'agrément des habitants." L'architecte
civil, nommé Luvini (déjà cité), fut chargé
de présenter un projet. Les plans soumis au général,
furent approuvés et il fut procédé aussitôt
à la mise à exécution de ceux-ci (1831).
"Je n'eus connaissance de ce projet, dit Lemercier, qu'en voyant
démolir une belle mosquée en avant de la Jénina (la
Mosquée Es-Sida) et jeter au milieu des colonnes de cet édifice,
les fondations de nouveaux établissements" ( La
création de la place nécessita la démolition de 420
maisons ou boutiques, dont on ne paya que le loyer aux propriétaires,
loyer peu important d'ailleurs, car pour les 80 premières maisons,
on n'eut à payer que 8.000 francs (Baron Pichon). ).
S'apercevant qu'on allait, avec le Fort de la Mer et une portion du rempart,
détruire la Mosquée
El-Djedid, le Colonel s'interposa. Il demanda la suspension
des travaux et soumit la question au Ministre, à qui il présenta
un nouveau projet indiquant comment il était possible de sauver,
en même temps "la mosquée, le fort et l'enceinte".
Ce fut donc - le fait mérite d'être
retenu - un officier du Génie qui, le premier, plaida en faveur
de cette mosquée dont on rêva encore en 1910, la destruction.
Le 25 avril 1831, le Ministre approuva le Projet Lemercier au sujet duquel
eut lieu à Alger une conférence entre les officiers du Génie
et les Autorités de la ville. Le général Montfort
fut envoyé de Paris, avec mission d'arrêter en Conseil le
plan de la place. Ce fut la forme rectangulaire qu'on adopta ( Cette
forme fut modifiée dans la suite. La place, en effet, eut cinq
côtés).
La dépense totale fut évaluée à 280.000 francs.
Cette somme comprenait les frais prévus pour l'édification
d'un deuxième étage qu'on avait décidé de
construire au- dessus des voûtes turques.
Grâce à cet ouvrage, le vide existant en cet endroit fut
supprimé.
En raison de leur température fraîche, les locaux ainsi créés
devinrent, avec les anciennes voûtes, les Magasins des Liquides
de l'Armée.
La construction du nouvel étage fut rendue difficile par les infiltrations
multiples auxquelles donnèrent naissance de nombreuses sources
qu'on trouva dans le roc de la place et qu'on ne put capter qu'à
la suite de longs efforts.
Sur ce "monument", dont la surface fut de 3.625 mètres
carrés, repose toute la partie sud de la Place du Gouvernement,
c'est-à-dire la portion délimitée par la Statue du
Duc d'Orléans, le Kiosque de la Compagnie
des T.A. et la voie longeant le Café de la Bourse.
Ces sous-sols devinrent, en 1868, Magasins de l'Hôpital Militaire.
Ils sont aujourd'hui occupés par la ville. Leur rez-de-chaussée
fut transformé en écuries pour la Cavalerie du Service Municipal
de Salubrité. II fut aussi affecté à d'autres usages.
Peu d'Algérois connurent ce Vieil Alger souterrain, si intéressant
jadis, avec ses piliers géants, ses arceaux massifs, ses sources
qui toujours chantaient autrefois dans l'ombre et le silence, et dont,
à la lumière des flambeaux, l'onde fraîche apparaissait
si pure, si cristalline, dans ses bassins de roc tapissés de stalagmites,
enfin avec ce qui subsiste de l'ancien Fort de Mer, avec son pilier de
20 mètres et du poids de 9.000 kilogrammes supportant la Statue
du Duc d'Orléans.
Sur l'un des piliers du lieu se trouve encastrée une pierre de
Rusgunioe présentant une inscription relative à un monument
érigé en cette cité. En voici la traduction :
"A Lucius Tadius, fils de Lucius, de la Tribu Quiri na, surnommé
Rogatus. Les décurions, les édiles, les duumvirs quinquennaux
de Rusgunioe et les habitants de Rusgunice à cause de ses mérites
et parce qu'il a fourni du froment et contribué à l'augmentation
de l'approvisionnement public. Par souscription."
- - Bien qu'entretenu par la Municipalité, la Place du Gouvernement
fait toujours partie du domaine militaire. Par une convention passée
en 1897, elle a été concédée temporairement
à la Ville, au prix de un franc par an.
- - La place vit en sa durée déjà séculaire,
de grandes manifestations. Citons l'inauguration de la Statue du Duc d'Orléans;
le banquet civique de mars 1848, auquel assistèrent le Gouverneur
Cavaignac et l'Evêque Pavy; la Proclamation de l'Empire (décembre
1852); les retours des Campagnes de Crimée, d'Italie, des Zouaves
de la dernière guerre (1919), et aussi, autrefois, les brillantes
célébrations de la Fête-Dieu où officiait l'Evêque
devant un autel dressé face à la mer.
- - Cette place, pour les besoins de la circulation fut, en 1927, retrécie
sur toute sa longueur du côté de l'ouest. Il y fut planté
: en 1841, des orangers; en 1844, des bellombras; en 1853, des platanes;
en 1890, des ficus. Un arbre de la Liberté (peuplier), s'y dressait
au centre en 1848.
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