les feuillets d'El-Djezaïr
Henri Klein

L'installation Française en 1830
La Place du Gouvernement

sur site le 1-2-2009

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La Place du Gouvernement

Au cours de la description de la ville, il a déjà été occasionnellement question de la Place du Gouvernement. Il en sera encore question ultérieurement.

Ici s'intercaleront quelques renseignements spéciaux à son sujet.

Ce forum des Algérois, fut créé sur l'emplacement de tout un intéressant quartier d'El-Djezaïr.

Là, se trouvaient la rue des Teinturiers (Sebaghin), des Fabricants de Bracelets (Mekaïssia), des Bijoutiers (Seyaghin), des Cordonniers (El-Bechmakdjia), des Plombiers (Er-Rasaïsia), des Armuriers (Djakmakdjia).

Au centre, apparaissaient: la Mosquée Mekaïssia, l'École El-Kissaria, le Souk des Orfèvres, et, sur l'emplacement de la Régence, la gracieuse Mosquée Es-Sida (de la Dame) - de 1662 - où allaient prier les Deys, le vendredi, et dont les jolies colonnes de marbre décorent, depuis 1837, le portique de Djemâ-Kébir, rue de la Marine.

Le nom de "Es-Sida" était sans doute destinée à rappeler, ainsi que le pense Devoulx, que la fondation première de ce temple était due à la générosité d'une femme.

Ce temple, dont il est déjà fait mention sur des actes de l'année 1564, fut reconstruit par le Pacha Mohammed, à la fin du XVIIIème siècle.

- - Richement décorée de marbres et de faïences, Es-Sida présentait une nef carrée dont la coupole reposait sur 20 colonnes (aujourd'hui alignées dans la rue de la Marine). Elle fut détruite en 1832. Son minaret fut renversé de la même manière que les remparts de Rhodes, c'est-à-dire après avoir été sapé puis étayé de pièces de bois goudronnées auxquelles on mit le feu.

- - A l'endroit où passe le Boulevard de la République, se dessinait : le Fort de la Mer (Bordj-el-Behar), à deux étages de feux - et la Porte de la Mer qui faisait suite à un couloir voûté, ouvert sous la Mosquée "El-Djedid", lequel a été transformé en magasin.

Du côté de l'ouest (près de la rue du Divan), s'élevait le Palais des Deys : la Jénina, pourvue, en 1842, d'une horloge à cloches qu'on transféra, plus tard, sur le minaret de Djamâ-Djedid. Ce palais fut détruit en 1856.

Vers le sud, le sol s'inclinait subitement, formant une profonde excavation, où se trouvaient des voûtes servant jadis aux Turcs, d'arsenal maritime et dont l'entrée était masquée par le Fort de la Mer. Sur l'un des trente-sept piliers soutenant ces voûtes est demeurée encastrée une pierre "romaine", provenant de Rusgunice. Cette pierre présente une inscription dont le texte célèbre la générosité d'un citoyen de cette cité, qui, à une époque de disette, pourvut à ses frais de blé, la ville qu'il habitait.

Aucun espace n'existant, en 1830, à Alger, où les troupes pussent se rassembler en cas d'alerte, la création d'une place d'Armes fut décidée, vers la fin de cette année.

On avait déjà, quelque temps auparavant, travaillé au dégagement d'une partie de la façade de la Jénina.

"Ce premier travail - nous apprend le colonel Lemercier ( Le colonel Lemercier, dont le nom fut donné à une caserne d'Alger, mourut à bord du "Montebello" , le 7 décembre 1836, au retour de l'expédition de Constantine, au cours de laquelle ses forces s'étaient épuisées.), chef du Génie à cette époque - donna l'idée au Général Clauzel, d'étendre les démolitions de manière à obtenir une grande place pour les réunions des troupes et pour l'agrément des habitants." L'architecte civil, nommé Luvini (déjà cité), fut chargé de présenter un projet. Les plans soumis au général, furent approuvés et il fut procédé aussitôt à la mise à exécution de ceux-ci (1831).

"Je n'eus connaissance de ce projet, dit Lemercier, qu'en voyant démolir une belle mosquée en avant de la Jénina (la Mosquée Es-Sida) et jeter au milieu des colonnes de cet édifice, les fondations de nouveaux établissements" ( La création de la place nécessita la démolition de 420 maisons ou boutiques, dont on ne paya que le loyer aux propriétaires, loyer peu important d'ailleurs, car pour les 80 premières maisons, on n'eut à payer que 8.000 francs (Baron Pichon). ).

S'apercevant qu'on allait, avec le Fort de la Mer et une portion du rempart, détruire la Mosquée El-Djedid, le Colonel s'interposa. Il demanda la suspension des travaux et soumit la question au Ministre, à qui il présenta un nouveau projet indiquant comment il était possible de sauver, en même temps "la mosquée, le fort et l'enceinte".

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Ce fut donc - le fait mérite d'être retenu - un officier du Génie qui, le premier, plaida en faveur de cette mosquée dont on rêva encore en 1910, la destruction.

Le 25 avril 1831, le Ministre approuva le Projet Lemercier au sujet duquel eut lieu à Alger une conférence entre les officiers du Génie et les Autorités de la ville. Le général Montfort fut envoyé de Paris, avec mission d'arrêter en Conseil le plan de la place. Ce fut la forme rectangulaire qu'on adopta ( Cette forme fut modifiée dans la suite. La place, en effet, eut cinq côtés).

La dépense totale fut évaluée à 280.000 francs. Cette somme comprenait les frais prévus pour l'édification d'un deuxième étage qu'on avait décidé de construire au- dessus des voûtes turques.

Grâce à cet ouvrage, le vide existant en cet endroit fut supprimé.

En raison de leur température fraîche, les locaux ainsi créés devinrent, avec les anciennes voûtes, les Magasins des Liquides de l'Armée.

La construction du nouvel étage fut rendue difficile par les infiltrations multiples auxquelles donnèrent naissance de nombreuses sources qu'on trouva dans le roc de la place et qu'on ne put capter qu'à la suite de longs efforts.

Sur ce "monument", dont la surface fut de 3.625 mètres carrés, repose toute la partie sud de la Place du Gouvernement, c'est-à-dire la portion délimitée par la Statue du Duc d'Orléans, le Kiosque de la Compagnie des T.A. et la voie longeant le Café de la Bourse.

Ces sous-sols devinrent, en 1868, Magasins de l'Hôpital Militaire. Ils sont aujourd'hui occupés par la ville. Leur rez-de-chaussée fut transformé en écuries pour la Cavalerie du Service Municipal de Salubrité. II fut aussi affecté à d'autres usages.

Peu d'Algérois connurent ce Vieil Alger souterrain, si intéressant jadis, avec ses piliers géants, ses arceaux massifs, ses sources qui toujours chantaient autrefois dans l'ombre et le silence, et dont, à la lumière des flambeaux, l'onde fraîche apparaissait si pure, si cristalline, dans ses bassins de roc tapissés de stalagmites, enfin avec ce qui subsiste de l'ancien Fort de Mer, avec son pilier de 20 mètres et du poids de 9.000 kilogrammes supportant la Statue du Duc d'Orléans.

Sur l'un des piliers du lieu se trouve encastrée une pierre de Rusgunioe présentant une inscription relative à un monument érigé en cette cité. En voici la traduction :

"A Lucius Tadius, fils de Lucius, de la Tribu Quiri na, surnommé Rogatus. Les décurions, les édiles, les duumvirs quinquennaux de Rusgunioe et les habitants de Rusgunice à cause de ses mérites et parce qu'il a fourni du froment et contribué à l'augmentation de l'approvisionnement public. Par souscription."

- - Bien qu'entretenu par la Municipalité, la Place du Gouvernement fait toujours partie du domaine militaire. Par une convention passée en 1897, elle a été concédée temporairement à la Ville, au prix de un franc par an.

- - La place vit en sa durée déjà séculaire, de grandes manifestations. Citons l'inauguration de la Statue du Duc d'Orléans; le banquet civique de mars 1848, auquel assistèrent le Gouverneur Cavaignac et l'Evêque Pavy; la Proclamation de l'Empire (décembre 1852); les retours des Campagnes de Crimée, d'Italie, des Zouaves de la dernière guerre (1919), et aussi, autrefois, les brillantes célébrations de la Fête-Dieu où officiait l'Evêque devant un autel dressé face à la mer.

- - Cette place, pour les besoins de la circulation fut, en 1927, retrécie sur toute sa longueur du côté de l'ouest. Il y fut planté : en 1841, des orangers; en 1844, des bellombras; en 1853, des platanes; en 1890, des ficus. Un arbre de la Liberté (peuplier), s'y dressait au centre en 1848.