Quelques Événements
Prise du Peñon
Il y a un peu plus de quatre siècles,
qu'à l'endroit oû s'élève le pittoresque quartier
de l'Amirauté dont les édifices, à la manière
de ceux de Venise, se reflètent dans l'eau bleue, eut lieu entre
Musulmans et Chrétiens une terrible lutte à la suite de
laquelle les Barbaresques victorieux, purent en toute liberté se
livrer à la piraterie dans la Méditerranée,
Trente ans auparavant, dans l'espoir de mettre un terme à leurs
exploits, les Espagnols, avec Pierre de Navarre, (détail donné
à l'article : Le
Port) étaient venus prendre en face d'El-Djezaïr un îlot
qu'ils dénommèrent le Peñon (gros rocher) et sur
lequel ils construisirent une forteresse dont les canons menacèrent
la cité des corsaires.
L'aspect qu'avait alors cette partie maritime de notre ville était
bien différent, certes, de celui qu'elle a actuellement.
Qu'on se représente, à la place des ouvrages de notre darse,
quatre îlots vers lesquels allait, depuis le rivage, une traînée
d'écueils. (Ceux-ci sont incorporés aujourd'hui dans la
jetée qui descend à l'Amirauté).
Sur ces îlots : rien ou presque rien.
La citadelle espagnole empêchant les Algériens de mouiller
leurs galères à l'abri des récifs d'El-Djezaïr,
ces derniers étaient obligés de haler leurs navires sur
la plage de Bab-el-Oued, ou de les ancrer dans l'anse peu sûre du
Palmier, du côté de Bab
Azoun, près du marabout Sidi Abd-el-Kader.
Cela dura jusqu'au jour oû le Turc Kheir-ed-Din, qui avait résolu
de faire disparaître "cette épine enfoncée
au coeur des Musulmans", s'empara de la forteresse chrétienne.
Le nouveau maître d'Alger essaya tout d'abord de négocier
avec les Espagnols à qui il proposa une capitulation aux termes
de laquelle la garnison évacuerait la place et emporterait son
artillerie. Quant à lui-même, il s'offrait à livrer
des otages. Ces propositions furent repoussées avec hauteur par
le chef, Martin de Vargaz. C'était fatalement la guerre.
Mais l'habile corsaire ne se pressa pas, se promettant d'user de quelque
artifice avec ses ennemis. Peu de jours avant la fête de Pâques,
deux jeunes Turcs envoyés par lui, se présentèrent
à la porte du Peñon, déclarant qu'ils désiraient
devenir chrétiens : leur but était naturellement, d'espionner
la garnison.
Accueillis sans défiance par les Espagnols, les pseudo-transfuges
reçurent bientôt d'un moine, l'enseignement religieux qui
devait les préparer au baptême.
Mais le jour de Pâques, tandis que la garnison assistait à
l'office, les deux musulmans, des parapets du Peñon, se mirent
à faire des signaux aux gens de la ville, à l'aide d'un
drapeau.
Instruit du fait par une femme habitant le Peñon, Vargaz condamna
aussitôt à mort les deux indigènes et ordonna qu'ils
fussent pendus à une potence placée bien en vue d'El-Djezaïr.
Malgré cet acte qu'il qualifiait hautement "d'insulte faite
à l'Islam", Kheir-ed-Din voulut encore traiter et envoya
auprès du chef espagnol, le caïd Ouali. Les nouvelles propositions
qu'il fit faire ayant été, comme les premières, rejetées,
le Turc déclara les hostilités ouvertes et fit établir
une batterie en face de l'îlot, sur l'emplacement qu'occupa plus
tard, la caserne Lemercier.
Quelques temps auparavant, prévoyant l'insuccès de ses négociations,
il avait songé à se pourvoir de poudre. Justement, des corsaires
de l'île Djerba venaient de prendre un navire vénitien chargé
de munitions de guerre. Il dépêcha aussitôt en Tunisie
un officier chargé d'acheter le plus de poudre possible et aussi
de faire acquisition de canons. Il fit en même temps, enlever une
forte pièce d'artillerie en bronze sur un navire français,
le "Fra-Juanas" commandé par un Chevalier de Malte, et
qui-était entré dans le port pour se radouber. Après
s'être préparé au combat par le jeûne et la
prière, il fit, le 6 mai, commencer l'attaque.
* *
Au feu des Turcs, les Espagnols répondirent
en faisant pleuvoir sur la ville une grêle de balles et une multitude
de boulets qui endommagèrent les plus hautes maisons ainsi que
le minaret de la
mosquée de la Marine.
Furieux, Kheir-ed-Din ordonna une action plus violente. Alors, nuit et
jour, les pièces à feu lancèrent sans interruption
des projectiles sur le Peñon dont les courtines furent démolies
et les deux tours, très sérieusement atteintes.
Dans la situation critique où il se trouvait, Vargaz écrivit
à l'empereur Charles- Quint, le suppliant de secourir sans retard
la citadelle "s'il voulait conserver ce talon sur le cou de l'islam".
L'Empereur, alors préoccupé de se faire couronner en Italie,
rédigea rapidement quelques ordres, de Barcelone où il s'apprêtait
à s'embarquer.
A une lettre de l'Impératrice prévenue aussi, et qui l'informait
de ce qui se passait à El-Djezaïr, il répondit qu'il
décidait que le Corregidor de Murcie et de Carthagène conduirait
à la forteresse une armée de secours et qu'aux deux navires
désignés par la Souveraine pour se rendre au Peñon,
seraient jointes deux caraques génoises, pourvues de tout le matériel
nécessaire.
"Ruy, disait-il, s'embarquera avec 2.000 escopétiers
et arquebusiers, ainsi qu'avec 500 hommes de Beltram de Cueva. En même
temps, ajoutait-il, j'écris à l'Archevêque de Bari
et au capitaine de l'Armada de Malaga"
Hélas! ces navires ne devaient jamais arriver au Peñon.
Ceux-ci, en effet, furent mis en déroute par les corsaires, près
des côtes africaines.
Cependant le danger augmentait pour la forteresse assiégée.
Anxieux, ses défenseurs fouillaient chaque jour du regard, la mer
ensoleillée, cherchant cette flotte qui tardait tant à venir.
Maintes fois, il dut sembler à leurs yeux troublés par les
fatigues, qu'elle s'avançait dans l'étincellement de l'azur
et, reconnaissant chaque fois qu'ils avaient été les jouets
d'un mirage, une désespérance plus grande devait envahir
leur âme. Et, durant leur sommeil aussi, qu'agitait le fracas du
bombardement, elle dut les hanter souvent la vision de cette escadre et,
à l'heure du réveil, ce devait-être pour ces infortunés,
des tristesses infinies...
Pour comble de malheur, leur provision de poudre s'épuisait; aussi
leur tir dut-il être ralenti, ce qui causa aux assiégeants,
une joie immense.
Kheir-ed-Din pensa alors que le moment était venu d'en finir et,
dans la matinée du 27 mai, il fit avancer vers le Pefion une flotille
de quarante-cinq navires - fustes, brigantins, galères - portant
"de 1.000 à 1 .200 escopétiers, 200 archers maures
et une grande quantité de gens à flèches."
On se battit de part et d'autre, avec une fureur indescriptible cependant
vers midi, les Algériens ayant réussi à débarquer
sur l'étroite plage qui s'étendait au pied du Peñon,
Kheir-ed-Din ordonna l'assaut.
Aussitôt, par l'éboulis des brèches et le long d'échelles
dressées contre les murailles, une horde enragée s'élança,
hurlante. Mais parvenue au sommet, celle-ci à son grand étonnement,
ne vit devant elle qu'une poignée d'hommes. Au milieu d'eux, dans
un chaos d'armes brisées, de canons culbutés et de corps
sanglants, l'héroïque Martin de Vargaz, blessé et défaillant,
leur apparut.
Il fut fait prisonnier, ainsi que ses compagnons. L'alcade des tours eut
le même sort. On compta ces braves : ils étaient 54, c'était
tout ce qui restait des 150 hommes de la garnison.
Trois femmes aussi furent retrouvées dans le fort : deux d'entre
elles étaient espagnoles. Voici quel fut leur sort : L'une échut
au caïd Ramdam; quant à l'autre, une majorcaine, elle devint
dans la suite, dit Haêdo, la belle-mère de hadji Mourad et
l'aïeule de la femme de Moula Melec qui fut roi de Fez.
Après avoir massacré une partie de leurs prisonniers, les
Turcs vouérent à l'esclavage, les autres qu'ils employèrent
dans la suite, à la restauration du minaret de Djama Kebir, qu'avait
endommagé le bombardement du Peñon. Sur l'ordre de Kheir-ed-Din,
l'une des tours de la forteresse fut rasée et les débris
de celle-ci furent employés à la construction de la jetée
qui unit aujourd'hui l'ancien îlot espagnol au rivage.
Mais qu'était devenu Vargaz au cours de ces événements
?
Par la volonté de Kheir-ed-Din, il fut d'abord épargné
et soigné. Désireux de l'attacher à son service,
le chef turc adjura son prisonnier d'embrasser l'islamisme, lui promettant
en retour, de hauts honneurs militaires.
Mais le vaillant soldat refusa ces offres, résolu à demeurer
fidèle à la foi de ses pères. Irrité par sa
résistance, Kheir-ed-Din ordonna la mise à mort de Vargaz
à qui, sous ses yeux, dans la Jénina, il fit subir jusqu'au
dernier soupir, le supplice du bâton (1Son
nom, sur la proposition du Comité du Vieil Alger, fut donné
è une rue voisine de la Jetée Kheir-ed-Din.).
Telle fut la fin du héros du Peñon
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