les feuillets d'El-Djezaïr
Henri Klein

Quelques Événements
Prise du Peñon

sur site le 12-6-2009

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Quelques Événements
Prise du Peñon

Il y a un peu plus de quatre siècles, qu'à l'endroit oû s'élève le pittoresque quartier de l'Amirauté dont les édifices, à la manière de ceux de Venise, se reflètent dans l'eau bleue, eut lieu entre Musulmans et Chrétiens une terrible lutte à la suite de laquelle les Barbaresques victorieux, purent en toute liberté se livrer à la piraterie dans la Méditerranée,

Trente ans auparavant, dans l'espoir de mettre un terme à leurs exploits, les Espagnols, avec Pierre de Navarre, (détail donné à l'article : Le Port) étaient venus prendre en face d'El-Djezaïr un îlot qu'ils dénommèrent le Peñon (gros rocher) et sur lequel ils construisirent une forteresse dont les canons menacèrent la cité des corsaires.

L'aspect qu'avait alors cette partie maritime de notre ville était bien différent, certes, de celui qu'elle a actuellement.

Qu'on se représente, à la place des ouvrages de notre darse, quatre îlots vers lesquels allait, depuis le rivage, une traînée d'écueils. (Ceux-ci sont incorporés aujourd'hui dans la jetée qui descend à l'Amirauté). Sur ces îlots : rien ou presque rien.

La citadelle espagnole empêchant les Algériens de mouiller leurs galères à l'abri des récifs d'El-Djezaïr, ces derniers étaient obligés de haler leurs navires sur la plage de Bab-el-Oued, ou de les ancrer dans l'anse peu sûre du Palmier, du côté de Bab Azoun, près du marabout Sidi Abd-el-Kader.
Cela dura jusqu'au jour oû le Turc Kheir-ed-Din, qui avait résolu de faire disparaître "cette épine enfoncée au coeur des Musulmans", s'empara de la forteresse chrétienne.

Le nouveau maître d'Alger essaya tout d'abord de négocier avec les Espagnols à qui il proposa une capitulation aux termes de laquelle la garnison évacuerait la place et emporterait son artillerie. Quant à lui-même, il s'offrait à livrer des otages. Ces propositions furent repoussées avec hauteur par le chef, Martin de Vargaz. C'était fatalement la guerre.

Mais l'habile corsaire ne se pressa pas, se promettant d'user de quelque artifice avec ses ennemis. Peu de jours avant la fête de Pâques, deux jeunes Turcs envoyés par lui, se présentèrent à la porte du Peñon, déclarant qu'ils désiraient devenir chrétiens : leur but était naturellement, d'espionner la garnison.

Accueillis sans défiance par les Espagnols, les pseudo-transfuges reçurent bientôt d'un moine, l'enseignement religieux qui devait les préparer au baptême.

Mais le jour de Pâques, tandis que la garnison assistait à l'office, les deux musulmans, des parapets du Peñon, se mirent à faire des signaux aux gens de la ville, à l'aide d'un drapeau.

Instruit du fait par une femme habitant le Peñon, Vargaz condamna aussitôt à mort les deux indigènes et ordonna qu'ils fussent pendus à une potence placée bien en vue d'El-Djezaïr.

Malgré cet acte qu'il qualifiait hautement "d'insulte faite à l'Islam", Kheir-ed-Din voulut encore traiter et envoya auprès du chef espagnol, le caïd Ouali. Les nouvelles propositions qu'il fit faire ayant été, comme les premières, rejetées, le Turc déclara les hostilités ouvertes et fit établir une batterie en face de l'îlot, sur l'emplacement qu'occupa plus tard, la caserne Lemercier.

Quelques temps auparavant, prévoyant l'insuccès de ses négociations, il avait songé à se pourvoir de poudre. Justement, des corsaires de l'île Djerba venaient de prendre un navire vénitien chargé de munitions de guerre. Il dépêcha aussitôt en Tunisie un officier chargé d'acheter le plus de poudre possible et aussi de faire acquisition de canons. Il fit en même temps, enlever une forte pièce d'artillerie en bronze sur un navire français, le "Fra-Juanas" commandé par un Chevalier de Malte, et qui-était entré dans le port pour se radouber. Après s'être préparé au combat par le jeûne et la prière, il fit, le 6 mai, commencer l'attaque.

* *

Au feu des Turcs, les Espagnols répondirent en faisant pleuvoir sur la ville une grêle de balles et une multitude de boulets qui endommagèrent les plus hautes maisons ainsi que le minaret de la mosquée de la Marine.

Furieux, Kheir-ed-Din ordonna une action plus violente. Alors, nuit et jour, les pièces à feu lancèrent sans interruption des projectiles sur le Peñon dont les courtines furent démolies et les deux tours, très sérieusement atteintes.

Dans la situation critique où il se trouvait, Vargaz écrivit à l'empereur Charles- Quint, le suppliant de secourir sans retard la citadelle "s'il voulait conserver ce talon sur le cou de l'islam".

L'Empereur, alors préoccupé de se faire couronner en Italie, rédigea rapidement quelques ordres, de Barcelone où il s'apprêtait à s'embarquer.

A une lettre de l'Impératrice prévenue aussi, et qui l'informait de ce qui se passait à El-Djezaïr, il répondit qu'il décidait que le Corregidor de Murcie et de Carthagène conduirait à la forteresse une armée de secours et qu'aux deux navires désignés par la Souveraine pour se rendre au Peñon, seraient jointes deux caraques génoises, pourvues de tout le matériel nécessaire.

"Ruy, disait-il, s'embarquera avec 2.000 escopétiers et arquebusiers, ainsi qu'avec 500 hommes de Beltram de Cueva. En même temps, ajoutait-il, j'écris à l'Archevêque de Bari et au capitaine de l'Armada de Malaga"

Hélas! ces navires ne devaient jamais arriver au Peñon. Ceux-ci, en effet, furent mis en déroute par les corsaires, près des côtes africaines.

Cependant le danger augmentait pour la forteresse assiégée. Anxieux, ses défenseurs fouillaient chaque jour du regard, la mer ensoleillée, cherchant cette flotte qui tardait tant à venir. Maintes fois, il dut sembler à leurs yeux troublés par les fatigues, qu'elle s'avançait dans l'étincellement de l'azur et, reconnaissant chaque fois qu'ils avaient été les jouets d'un mirage, une désespérance plus grande devait envahir leur âme. Et, durant leur sommeil aussi, qu'agitait le fracas du bombardement, elle dut les hanter souvent la vision de cette escadre et, à l'heure du réveil, ce devait-être pour ces infortunés, des tristesses infinies...

Pour comble de malheur, leur provision de poudre s'épuisait; aussi leur tir dut-il être ralenti, ce qui causa aux assiégeants, une joie immense.
Kheir-ed-Din pensa alors que le moment était venu d'en finir et, dans la matinée du 27 mai, il fit avancer vers le Pefion une flotille de quarante-cinq navires - fustes, brigantins, galères - portant "de 1.000 à 1 .200 escopétiers, 200 archers maures et une grande quantité de gens à flèches."

On se battit de part et d'autre, avec une fureur indescriptible cependant vers midi, les Algériens ayant réussi à débarquer sur l'étroite plage qui s'étendait au pied du Peñon, Kheir-ed-Din ordonna l'assaut.

Aussitôt, par l'éboulis des brèches et le long d'échelles dressées contre les murailles, une horde enragée s'élança, hurlante. Mais parvenue au sommet, celle-ci à son grand étonnement, ne vit devant elle qu'une poignée d'hommes. Au milieu d'eux, dans un chaos d'armes brisées, de canons culbutés et de corps sanglants, l'héroïque Martin de Vargaz, blessé et défaillant, leur apparut.

Il fut fait prisonnier, ainsi que ses compagnons. L'alcade des tours eut le même sort. On compta ces braves : ils étaient 54, c'était tout ce qui restait des 150 hommes de la garnison.

Trois femmes aussi furent retrouvées dans le fort : deux d'entre elles étaient espagnoles. Voici quel fut leur sort : L'une échut au caïd Ramdam; quant à l'autre, une majorcaine, elle devint dans la suite, dit Haêdo, la belle-mère de hadji Mourad et l'aïeule de la femme de Moula Melec qui fut roi de Fez.

Après avoir massacré une partie de leurs prisonniers, les Turcs vouérent à l'esclavage, les autres qu'ils employèrent dans la suite, à la restauration du minaret de Djama Kebir, qu'avait endommagé le bombardement du Peñon. Sur l'ordre de Kheir-ed-Din, l'une des tours de la forteresse fut rasée et les débris de celle-ci furent employés à la construction de la jetée qui unit aujourd'hui l'ancien îlot espagnol au rivage.

Mais qu'était devenu Vargaz au cours de ces événements ?

Par la volonté de Kheir-ed-Din, il fut d'abord épargné et soigné. Désireux de l'attacher à son service, le chef turc adjura son prisonnier d'embrasser l'islamisme, lui promettant en retour, de hauts honneurs militaires.

Mais le vaillant soldat refusa ces offres, résolu à demeurer fidèle à la foi de ses pères. Irrité par sa résistance, Kheir-ed-Din ordonna la mise à mort de Vargaz à qui, sous ses yeux, dans la Jénina, il fit subir jusqu'au dernier soupir, le supplice du bâton (1Son nom, sur la proposition du Comité du Vieil Alger, fut donné è une rue voisine de la Jetée Kheir-ed-Din.).

Telle fut la fin du héros du Peñon