Bardo ( Description
donnée en 1912. Livre VII des Feuillets d'El-Djezaïr.)
(voir
le musée du Bardo sur ce même site)
C'est une villa du plus haut intérêt.
Le grand portail franchi, c'est la fraîche vision d'un verdoyant
jardin qui vous est offerte. Là, en une harmonie charmante, des
sujets divers de la flore tropicale mêlent leurs ramures originales
au feuillage familier de nos arbres d'Europe.
A droite et à gauche, au long d'une coquette avenue, en bordure
d'allées sinueuses : des massifs luxuriants d'arbustes, de pittoresques
retraites d'ombre, des gerbes de palmes, des feux d'artifice de corolles
éclatant dans le soleil.
Mais voici l'entrée primitive de la villa : une très ancienne
porte hérissée de clous de fer au-dessus de laquelle se
dresse la loge de l' "Eunuque", le farouche gardien de céans
au temps jadis; au-delà, la cour du sérail, somptueux décor
de marbre, de verdure, de fleurs et d'onde chantante; au milieu, un vieil
oranger chargé de pommes d'or; plus loin, le "bassin des femmes",
où s'érigent des papyrus, et dans le cristal duquel se mirent
des silhouettes éventaillées de strelitzias; sur le côté,
au haut d'un escalier de marbre et d'émail : un belvédère,
le "divan", où étaient reçus les visiteurs,
dont Ies baies envahies par une montée de tiges en pleine floraison,
laissent apercevoir à travers un rideau de feuilles et de pétales,
d'autres splendeurs du jardin. Auprès, c'est le "pavillon
de la favorite", mystérieux sanctuaire qu'en un autrefois
lointain, la galanterie du maître agrémenta de fresques élégantes
et de faïences de prix.
Ailleurs c'est, tranchant sur le ciel bleu, un superbe manteau de bougainville,
dont est drapé tout un pavillon de la villa; ailleurs encore, des
treilles, des berceaux, et aussi des suites de portiques déroulant
l'eurythmie de leurs arches sous la caresse de guirlandes fleuries.
Dans l'intérieur de la maison, c'est : le dortoir des femmes esclaves,
aux murs percés de niches, où celles-ci, chaque matin, serraient
leurs nattes de repos - la cour à colonnes que, chose rare ici,
surmonte une coupole et qui, anciennement, dit-on, fut une kouba très
vénérée ( Non mentionnée
toutefois, par Devoulx, ni indiquée parmi celles dont nous avons
pu retrouver trace.) - les salles, les salons que parent de
merveilleuses pièces d'émail provenant d'Italie, de Perse,
de Tunisie, de Hollande, du Maroc et qu'un homme épris d'art, M.
Joret, enrichit d'une collection unique de choses infiniment belles et
précieuses, accordées on ne peut mieux avec le style de
leur écrin.
Le luxe des lits d'Orient à colonnes sculptées et dorées,
des coffres incrustés de nacre, des sièges, des tables de
marqueterie, la fine ciselure des lampes, des braseros, l' art subtil
des soies brodées, la jolie symphonie des tapis polychromes, l'élégance
de lignes et de coloris des porcelaines, les broderies irisées
des cristaux, tout cela s'ajoute à souhait au charme du Bardo.
Cette villa, qui date du XVIIIème siècle, fut avant la conquête,
propriété du prince Omar, puis dans la suite, du Général
Exelmans, d'Ali-Bey, agha de Biskra, de M. Pierre Joret, enfin de Mme
Frémont, sa soeur, qui en 1926, en consentit la cession à
la Colonie. C'est maintenant un musée
d'Ethnographie à la tête duquel est un savant,
explorateur au Sahara, le professeur Reygasse. Dans son voisinage est,
en l'ancienne École Normale, le Musée
des Antiquités, que dirige le professeur Marçais.
Villa Yusuf
Cette villa était dénommée,
à l'époque de la conquête : "Djenan el Khiat"
(du tailleur); Djenan Hassen Khodja et aussi : Pavillon des Officiers.
Elle appartenait autrefois à la dame Khadidja el Aamia (l'aveugle),
fille de Hassen, ancien khasnadji devenu Dey, et soeur de la dame Fatmah,
épouse de Hussein-Pacha. La propriétaire, en 1814, constitua
sa campagne en habous. Une part fut au profit de la dame Anissa bent Abd-Allah,
esclave géorgienne qu'elle avait affranchie, une autre part, en
faveur de la princesse N'fiça, petite-fille d'Hassan Pacha et fille
du Dey Hussein.
En 1830, les co-propriétaires partirent d'Alger, pour aller se
fixer à Alexandrie.
En avril 1831, un sieur Baccuet obtint du mandataire de la dame Anissa,
la location pour neuf ans, de la part possédée par celle-ci.
Mais bientôt, appliquant à cette campagne le décret
de décembre 1830, relatif aux propriétés des Turcs
émigrés, le Gouvernement mit Djenan el Khiat sous séquestre
et y logea le Colonel des Chasseurs. La valeur de la villa fut alors fixée
à douze mille francs.
Malgré les réclamations des dames N'fiça et Anissa
et du sieur Baccuet qui demandait une indemnité de 26.747 francs,
l'État conserva cette propriété qu'il légua
plus tard, au Colonel des Spahis, Yusuf, pour le récompenser de
ses services. La dame Anissa réussit cependant en 1851, à
faire reconnaître ses droits. La somme de six mille francs lui fut
accordée par l'État à titre d'indemnité.
En 1844, Yusuf avait demandé au Gouvernement, en récompense
de ses services, la ferme domaniale de Beni-Khelil. Cette requête
ne fut pas agréée.
Des pourparlers eurent lieu ensuite, sans succès toutefois, au
sujet de la concession de deux lots de terre situés entre Boufarik
et Coléah,
et comprenant, l'un 900 hectares, l'autre 500. Ces terres étaient
occupées par Sidi-Embarek, khalifa de la plaine et cousin germain
du célèbre marabout de ce nom.
Il fut aussi question de la villa El-Khiat, mais en décembre
1844, le ministre, duc de Dalmatie, s'opposa à l'attribution de
cette propriété.
Il proposait en échange, le pavillon de Dely-Ibrahim avec un lot
de 50 hectares, et la Maison Crénelée de Bouderbah, à
Kouba
(laquelle, dans la suite, détail déjà donné,
devint caserne de Gendarmerie).
Ce fut d'El-Khiat que la concession fut enfin consentie, et ce, grace
au duc d'Isly.
La propriété, de 2 hectares 18 ares 79 centiares, fut vendue
à Yusuf en 1845, moyennant une rente annuelle et perpétuelle
de 200 francs. Cette rente fut peu après réduite à
100 francs.
En vertu des décrets des 21 et 22 février 1850, le Général
fut autorisé, en 1856, le 5 juillet, à racheter sa rente
pour la somme de 1.000 francs.
En 1853, le Général, en raison des dépenses qu'il
y avait faites, demanda à devenir propriétaire incommutable
de la villa dont il n'avait que l'usufruit.
En 1846, Yusuf avait obtenu que la partie du domaine où étaient
logés le colonel et le capitaine trésorier des Chasseurs,
lui fût également cédée.
Le colonel des Chasseurs fut alors logé au Palais d'été,
dans un bâtiment voisin de P actuelle église.
La campagne, plus grande qu'elle ne l'est actuellement, était coupée
en deux par la route dénommée aujourd'hui Chemin Yusuf.
Furent reçus en cette villa : en 1846, A. Dumas; en 1859, le Ministre
de l'Algérie, Comte Chasseloup-Laubat.
L'ordre du duc d'Isly, qui mit Yusuf en possession de cette villa, déclarait
que cette résidence ferait retour à l'Etat si le Général
ne laissait pas d'enfants. Dans le cas contraire, celle-ci deviendrait
"la propriété" des descendants.
Yusuf n'eut pas d'enfants; néanmoins, il obtint que la villa lui
fût concédée à titre définitif.
Le Général, mort à Cannes en 1866, fut inhumé,
dans une kouba élevée au sein de sa propriété.
Il était né en avril 1809, d'une famille de pêcheurs,
à l'île d'Elbe, d'où en son enfance, il fut enlevé
par des pirates tunisiens. Recueilli au Bardo, il y noua plus tard (en
1830), une intrigue avec la fille du Bey. Fuyant le châtiment qui
le menaçait, il vint offrir ses services au Corps expéditionnaire
de Sidi-Ferruch. Il épousa à Paris, en 1845, Mlle Weyhér
et se fit chrétien.
Sa veuve continua d'habiter cette campagne et y est décédée
en 1907. La villa devint la propriété de M. Gérard,
Professeur à l'Université d'Alger. Elle est aujourd'hui
occupée par la Compagnie
des Tramways Algériens qui l'a transformée.
Le corps du Général fut, il y a 25 ans, retiré d'El-Khiat
et transporté au cimetière de Saint-Eugène (au haut
de l'allée centrale).
L'épée de Yusuf se trouve dans la basilique de
Notre-Dame d'Afrique, près du maître-autel. Là
se trouvent aussi l'épée du duc de Malakoff, la canne de
Changarnier et une médaille de Bugeaud.
Yusuf, après avoir été à la tête de
la Division d'Alger, fut désigné au commandement de celle
de Montpellier. L'Empereur le fit Grand-Croix de la Légion d'honneur.
A vant son affectation au service des Tramways Algériens,
la villa s'ornait d'un remarquable parc enrichi d'arbres centenaires.
Précédée d'un beau porche, elle offrait à
l'intérieur des salles mauresques luxueusement meublées.
Retenait l'attention, la chambre â coucher de la Générale,
où des colonnes d'onyx, des broderies de plâtre, un plafond
de bois sculpté, enluminé et délicatement touché
d'or, formaient un décor unique. Des pièces de marbre ciselées
de fleurs persanes, de coquets marabouts plaqués d'émail
s'y remarquaient également. C'était aussi pour les visiteurs,
l'attrait de l'ancien patio aux précieuses faïences de Delft;
de la galerie que le Général avait fait orner de superbes
panneaux de thuya travaillé, d'une porte ogivale dont les lacis
de bois laissaient transparaître les splendeurs du jardin et au
sein de laquelle se déroulait ce texte arabe :
"Ne cherche pas mes ancêtres, regarde seulement mon oeuvre."
Abd-el-Tif
Villa des Peintres
orientalistes
Cette villa du Hamma,
servit dès 1831, de dépôt de convalescents â
la Légion Étrangère.
Le plus ancien acte connu qui en fasse mention, date de 1715. Il y eut
au nombre de ses propriétaires, Ali-Agha, "qui la vendit pour
325 réaux d'argent", Mohammed- Agha, Hadj Mohammed Khodja,
Ministre de la Marine, la femme d'un secrétaire général
de la Régence, puis le Sid Abd-el-Tif qui, en 1795, acheta le djenan
pour 2.000 dinars d'or ( Le dinar mahboub
d'or valait 40 francs. Après la conquête, les indigènes
pendant des années délaissèrent les désignations
monétaires françaises. On compta longtemps dans les affaires,
par dinars, par piastres sultani (5 frs 40), par pataques (0 fr. 90),
par réaux boudjous (1 fr.80). Le mouzouna (1 sou 1/2) demeura aussi
utilisé dans le petit commerce des marchands ambulants.).
"Cette villa, dit un rapport militaire de 1831, est située
dans un site élevé, sain et riant. Cent cinquante lits peuvent
y être installés. Il serait nécessaire de la garder
pour les soldats étrangers n'ayant pas de foyer où aller
se remettre."
Auprès d'Abd-el-Tif, existait la
maison "des Orangers", occupée à cette
époque, par quatre ménages d'officiers de la Légion,
parmi lesquels, un officier supérieur. Cette maison, de dimensions
plus petites, présentaito l'inconvénient d'une grande humidité.
En raison du désarroi où se trouvaient les affaires du pays
aux premiers jours de l'occupation, les droits de propriété
du Sid Mahmoud ben Abd-el-Tif ne furent pas immédiatement reconnus;
aussi le loyer de sa villa demeura-t-il assez longtemps impayé.
Le 4 octobre 1834, Abd-el-Tif écrivit au Gouverneur une lettre
à ce sujet. Il y déclarait que sa villa dont la valeur était
avant 1830, de 30.000 piastres d'Espagne, avait été dégradée,
et que les arbres en avaient été coupés. "Les
autres maisons de campagne, disait-il, ont été évacuées
au début de 1834. La mienne ne l'est pas encore !" La
requête se terminait par ces mots : "Je m'adresse à
vous, que nous croyons avoir la mission de fermer les plaies que nous
ont faites les premiers temps de la conquête."
Abd-el-Tif adressa une supplique semblable au Ministre de la Guerre.
Peu de temps après, la villa, reconnue propriété
Abd-el-Tif, devenait l'objet d'une location qu'avait autorisée,
le 24 septembre 1834, le Comte d'Erlon, Pair de France et Gouverneur.
Un acte officiel établit que la famille Abd-el-Tif loua tout d'abord,
la villa à un Juif, nommé Mouchi ben Chebebi Boucaya.
Cette location fut consentie pour six années, moyennant 1.000 francs
par an, et "3.500 francs donnés en paiement du loyer dû
depuis trois années et demie". Il était stipulé
dans les conditions du bail, que l'acquéreur ne ferait rien qui
pût porter préjudice à la campagne : "Soit
en enlevant des carreaux, les marbres, la fontaine, les fenêtres
et autres choses."
Ce Juif afferma, le 2 novembre 1834, la villa à la France que représentaient
en la circonstance, le Capitaine Boti, chef du Génie, et le Sous-Intendant
Barona.
En 1836, après le départ de la Légion
Étrangère pour l'Espagne, on jugea inutile la conservation
de cette campagne dont le bail de location fut résilié,
le 11 février, avec l'autorisation du Général, Vicomte
Schram.
Quelques années plus tard, l'État en devint acquéreur
au prix de 75.000 francs. Elle demeura la propriété du Domaine
qui la loua à la Compagnie fermière du Jardin d'Essai. Reprise
par le Gouvernement Général, en 1905, elle a été
restaurée par M. Jonnart qui l'a mise gracieusement à la
disposition des artistes peintres, boursiers du Ministère des Beaux-Arts.
Abd-el-Tif est depuis 1922, Monument Historique.
A signaler dans cette villa, l'ancien Bassin des Fenimes que borde un
portique à parure d'émail, la cour intérieure où
se développe une galerie à double ligne d'arceaux soutenus
par d'élégantes colonnettes à cannelures torses.
En face, le porche d'entrée, élevé sur douze colonnes
et abritant sous ses ogives, une porte à clous et à heurtoir
de bronze.
Au-delà des voûtes du vestibule et de l'escalier d'aspect
monacal, c'est le bain maure puis, au premier étage, le patio,
tout de marbre, entouré d'arcades et décoré de faïences
où s'épanouissent de curieuses floraisons stylisées.
Sous les arceaux, de hautes portes donnant accès en des salles
surmontées de coupoles à claustras multicolores. Au centre,
un pavillon à dôme polygonal d'où s'étend la
vue, sur la baie et la campagne. Au sommet, la terrasse,
offrant le charme de l'entier panorama algérois (1En
1927, le 12 mars, fut, en présence du Gouverneur, inauguré
à Abd-el-Tif, un médaillon, oeuvre du sculpteur Pommier,
ancien pensionnaire de la viilla, et reproduisant les traits de Louis
Meley, protecteur de l'Art en Algérie.
Abd-el-Tif fut visité en avril 1931, par M. Mario Roustan, ministre
de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts, et en avril 1932, par le
duc d'Aoste.).
(Description donnée en 1910)
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