Alger,
LES AUTOMOBILISTES ALGÉROIS MANIFESTENT

Le Code pénal français a quelquefois des. rigueurs auxquelles les magistrats ont le devoir moral d'apporter un peu d'adoucissement.

N'a-t-on pas vu, récemment, M. Villa, un honorable commerçant d'Alger, condamné à une journée d'emprisonnement pour le simple délit d'encombrement de la voie, publique ? Encore si l'arrêt de la juridiction de simple police avait été infirmé par une sentence d'appel ! Mais non, après appel interjeté par M. Villa, la peine a été confirmée et la clémence du Président de la République a été refusée au demandeur d'un recours en grâce.
Ayant, fait peser sans résultat, sur les balances de Thémis, tous les leviers prévus par les lois, M. Villa dut se prêter à l'exécution du verdict, prononcé contre lui et se rendre à Barberousse en vue d'y subir une journée d'emprisonnement.

La nouvelle fut rapidement propagée et commentée à travers la ville, dans le monde de l'automobilisme.

Il était à prévoir que les nombreux directeurs de. garages et automobilistes d'Alger ne laisseraient pas passer une telle mesure sans protester énergiquement. Mercredi, donc, à cinq heures de l'après-midi, le plateau de Barberousse s'encombrait d'une file interminable de véhicules automobiles de toutes marques et de tous systèmes dont les propriétaires attendaient la. sortie de M. Villa.

Il y avait en particulier un puissant autocar de la maison Berliet, monté par M. Billion du Plan, vice-président, du Groupe des Automobilistes du Syndicat Commercial algérien et les autres membres du bureau de ce groupement.
(suite à droite de l'image.)

Afrique du nord illustrée du 5-7-1913 - Transmis par Francis Rambert
mise sur site : déc.2020
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LES AUTOMOBILISTES ALGÉROIS MANIFESTENT
LES AUTOMOBILISTES ALGÉROIS MANIFESTENT

LES AUTOMOBILISTES ALGÉROIS MANIFESTENT

Le Code pénal français a quelquefois des. rigueurs auxquelles les magistrats ont le devoir moral d'apporter un peu d'adoucissement.

N'a-t-on pas vu, récemment, M. Villa, un honorable commerçant d'Alger, condamné à une journée d'emprisonnement pour le simple délit d'encombrement de la voie, publique ? Encore si l'arrêt de la juridiction de simple police avait été infirmé par une sentence d'appel ! Mais non, après appel interjeté par M. Villa, la peine a été confirmée et la clémence du Président de la République a été refusée au demandeur d'un recours en grâce.

Ayant, fait peser sans résultat, sur les balances de Thémis, tous les leviers prévus par les lois, M. Villa dut se prêter à l'exécution du verdict, prononcé contre lui et se rendre à Barberousse en vue d'y subir une journée d'emprisonnement.
La nouvelle fut rapidement propagée et commentée à travers la ville, dans le monde de l'automobilisme.

Il était à prévoir que les nombreux directeurs de. garages et automobilistes d'Alger ne laisseraient pas passer une telle mesure sans protester énergiquement. Mercredi, donc, à cinq heures de l'après-midi, le plateau de Barberousse s'encombrait d'une file interminable de véhicules automobiles de toutes marques et de tous systèmes dont les propriétaires attendaient la. sortie de M. Villa.

Il y avait en particulier un puissant autocar de la maison Berliet, monté par M. Billion du Plan, vice-président, du Groupe des Automobilistes du Syndicat Commercial algérien et les autres membres du bureau de ce groupement.

La plupart des voitures étaient décorées de drapeaux tricolores et, sur beaucoup, d'entre elles, on voyait de larges pancartes portant en lettres noires des adresses de protestation : " Aux Victimes de l'Autophobie " ; " L'Automobilisme victime de la Routine, de la Démagogie et du Chantage " ; " Travailleurs, n'oubliez pas que l'automobile fait vivre des centaines de mille d'entre vous " ; " Le Progrès est l'idéal de la France, Français ne l'entravez pas ". ;. " Les Automobilistes algérois, traités en apaches, demandent justice " ; " Rien ne saurait arrêter le Progrès. Les chiens aboient, la caravane passe " ; " Honte, à ceux qui tentent d'entraver le progrès ".
Au devant de la porte de la prison une automobile pavoisée attendait, portant une grande palme avec ces mots: " A la Première Victime de la Corporation. "

Lorsque la grille du sombre édifice s'ouvre pour laisser passage à M. Villa, une longue ovation retentit à l'intention de celui-ci. M. Villa, veut remercier ses amis de la marque de sympathie qu'ils viennent, de lui accorder, mais une compréhensible émotion ne lui permet de dire que quelques mots ; reprenant possession de lui-même, il annonce qu'il a été traité comme un criminel de droit commun, que ses geôliers le déshabillèrent, le fouillèrent, le privèrent, d'une partie de ses vêtements, qu'il fut mensuré et, qu'on le mit en cellule avec des condamnés à un an de prison pour coups de couteau.

Ce récit déchaîne l'indignation générale et l'on entend aussitôt le plus assourdissant vacarme qui se puisse imaginer, fait d'appels de trompes, de coups de klaxon, de sifflets, de vociférations. Mais les automobilistes savent que leur manifestation ne produirait aucun effet si elle se bornait à un peu de bruit autour d'une prison ; aussi décident-ils d'aller en nombre porter leurs doléances auprès des pouvoirs publics.
Encadrées d'agents qui courent éperdument. pour se maintenir à leur allure, les automobiles descendent, dans un ordre parfait et sans aucun accident, les tournants Rovigo, les rues Henri-Martin, Dumont-d'Urville, Bab-Azoun et, arrivent ainsi à la mairie où le bizarre cortège s'arrête un moment.

Malgré le vacarme des appareils avertisseurs, ni le Maire ni aucun haut fonctionnaire du service municipal n'apparaît au balcon de l'Hôtel de Ville. Cette abstention complète provoque, les cris des manifestants qui ne se défendent pas de murmurer contre la municipalité. La situation ne pouvant se prolonger ainsi plus longtemps, l'autocar de M. Billion du Plan se remet en marche vers le boulevard Carnot, immédiatement, suivi par plus de cent voitures automobiles.

Par la rue Waïsse et. la rue de Constantine, les manifestants viennent se masser devant l'Hôtel de la Préfecture. M. Villa, accompagné de M. Billion du Plan et d'une délégation des membres du bureau du Groupe des Automobilistes, pénètre dans l'édifice et est immédiatement reçu par M. Lasserre, préfet. M. Villa dit, avec quelle rigueur il a été traité à Barberousse pour une peine de simple police et après lui, M. Billion du Plan expose les revendications des automobilistes algérois exaspérés par la situation que, leur font les arrêtés municipaux relatifs au stationnement des automobiles et aux contraventions dressées par les agents de police à rencontre des voitures en marche. M. Lasserre promet d'étudier la question dans tous ses détails et d'user de toute son autorité pour faire cesser les injustices dont sont victimes, à Alger, les propriétaires d'automobiles.

Lorsque M. Billion du Plan rapporte aux manifestants le résultat de son entrevue avec le Préfet le cri général de " Vive Lasserre " retentit et un ban est battu, scandé par des appels de corne et de klaxon.

Aussitôt que la. réponse du Préfet est, connue, le cortège, des manifestants se remet, en marche au bruit saccadé des moteurs et, par la rue Michelet, se dirige vers le Palais d'Été du Gouverneur général.

Là, les automobiles sont arrêtées par la grille, fermée. Cinq manifestants se détachent du groupe et vont demander une entrevue à M. Charles Lutaud, mais celui-ci est absent et, après quelques pourparlers, la délégation est reçue par M. Bernard, chef de cabinet du Gouverneur général, qui accueille les délégués.
Pendant que se déroule cette réception, des agents de police arrivent en tramways et sont reçus par des huées. Ils n'ont pas à intervenir, la manifestation étant des plus pacifiques.

Les automobilistes ont cessé ou à peu près cessé le vacarme de leur moteur, de leurs signaux avertisseurs, de leurs cris et maintenant la manifestation se poursuit dans le plus grand calme.

Bientôt cependant revient M. Billion du Plan apportant la réponse de M. Bernard. Celui-ci a réservé le meilleur accueil aux délégués et a promis d'appuyer auprès du Gouverneur les revendications des automobilistes. De chaleureux applaudissements soulignent les paroles de M. Billion du Plan.
Le cortège redescend ensuite vers la ville et, devant les bureaux des journaux quotidiens, les manifestants acclament la. presse, algéroise. Ils arrivent à nouveau devant, la. Mairie, mais la nuit vient et, à cette heure tardive, il n'y a plus personne à l'Hôtel de Ville. Les automobilistes manifestent une deuxième fois, mais leurs cris n'éveillent, aucun écho.

La manifestation touche à sa fin ; elle s'achève par un grand apéritif d'honneur offert à M. Villa, au café Tantonville.

Nous ne pouvons, en terminant ce compte-rendu, que nous élever contre la mesure d'extrême rigueur prise à l'égard de, M. Villa. Nous estimons que pour les accidents de personnes dus à l'imprudence des chauffeurs, il est, de toute justice que les tribunaux interviennent. Pour un simple délit de stationnement, sur la voie publique nous pensons, au contraire, qu'une simple amende, élevant, son taux avec la récidive, suffit comme sanction, et, si l'on admet la nécessité contestable de l'emprisonnement, des délinquants, nous demandons qu'il soif.tenu compte de leur parfaite honorabilité et que. les condamnés n'aient pas à éprouver le contact direct des repris de justice, des criminels, de ceux qui vivent dans la fange sociale.