Centre municipal de Sidi - Nadji
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La création des communes rurales est le terme d'une évolution
administrative commencée sous le Second Empire avec l'institution
des douars-communes, dotés de leurs premières assemblées,
ou djemaâs, par le décret du 23 mai 1863.
Dans l'unité territoriale ainsi déterminée, les attributions
des djemaâs sont successivement précisées et étendues
par la loi du 5 avril 1884, l'arrêté gouvernemental du ri
septembre 1895, le décret du 6 février 1919, l'arrêté
du 5 mars 1919, enfin le décret du 29 août 1945. Mais déjà
en 1937 dépassant le stade de la représentation de leurs
intérêts, certains douars ou fractions de douars avaient
semblé pouvoir bénéficier de franchises communales.
Cette considération motiva la rédaction du décret
du 25 août 1937, qui organise les " Centres Municipaux "
des Communes Mixtes d'Algérie. Cette réforme, qui ne fut
appliquée qu'à titre d'expérience à quatre
Centres municipaux, supprimés en 1941, fut reprise avec quelques
utiles aménagements dans le décret du 29 août 1945
et trouve désormais sa consécration dans le projet de loi
déposé à la fin de septembre 1946 par le Gouvernement
Provisoire de la République française. Ce texte substitue
aux Centres municipaux dotés d'une autonomie encore incomplète
de nouvelles unités administratives, les Communes rurales qui bénéficient
de véritables franchises municipales.
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Mais sans attendre la promulgation - de cette loi particulièrement
importante, l'Administration algérienne soucieuse de développer
dans toute la mesure du possible l'autonomie des cellules locales, s'est
appuyée sur les décrets du 25 août 1937 et 29 août
1945 pour créer des centres municipaux appelés à
se transformer automatiquement, par la suite, en communes rurales. En
une année, cent-soixante sept centres ont pu être ainsi constitués
et l'ampleur de ces réalisations comparée au nombre réduit
- quatre unités - de centres municipaux créés en
1937 montre qu'il ne s'agit plus désormais de procéder à
des expériences, mais de modifier profondément la structure
et la vie administrative des collectivités locales.
Les insuffisances mêmes de l'expérience tentée en
1937 offraient matière à leçon. Le douar était
une circonscription trop étendue, en général, pour
permettre une vie communale qui doit s'appuyer sur les premiers éléments
d'une conscience collective.
C'est pourquoi, notamment en Kabylie où la population est très
agglomérée, un même douar peut être désormais
divisé en plusieurs circonscriptions municipales, les limites de
chacune d'elles étant fixées en considération des
habitudes de vie des populations, de leurs vux, et des ressources
financières dont peut disposer le Centre nouvellement constitué.
Les règles de tutelle ont été également modifiées.
L'expérience avait montré que la tutelle administrative
du Préfet instituée par le décret du 25 août
1937 était peu efficace parce que trop lointaine. Le décret
du 29 août 1945 lui a substitué celle de l'Administrateur
des Services civils, qui elle-même, est remplacée, dans le
projet de loi portant organisation des communes rurales, par la tutelle
du sous-préfet.
A mesure en effet que les créations se succédaient, il apparaissait
que le Centre municipal, appelé à devenir commune rurale,
devait constituer, à côté des communes de plein exercice
et avec les mêmes prérogatives, la cellule définitive.
La commune mixte devait progressivement disparaître et la réforme
entraînait normalement une nouvelle répartition des arrondissements,
dont il importait d'augmenter le nombre. Ainsi, au lieu qu'en 1937 le
centre municipal demeurait, bien que placé sous la tutelle administrative
du préfet, dans le cadre intangible de la commune mixte, actuellement
au contraire, la commune rurale doit progressivement se substituer à
celle-ci, le maire à l'Administrateur et au caïd, le Conseil
Municipal à la Commission municipale.
Autre modification importante, le décret du 25 août 1937
prévoyait la désignation des membres des djemaâs communales
d'après les modalités prévues par l'arrêté
du 5 mars 1919, ce qui avait pour effet inattendu d'éliminer les
éléments les plus évolués et les plus propres
à guider l'évolution des populations, car les citoyens ne
pouvaient pas être portés sur les listes électorales
du douar. Le projet de loi relatif aux communes rurales remédie
à cette regrettable anomalie. Les citoyens domiciliés dans
ces unités nouvelles y sont désormais électeurs et,
même s'ils n'y constituent qu'une faible minorité, doivent
avoir au moins un représentant dans le Conseil municipal.
Ainsi la commune rurale, bien guidée et placée sous la direction
de municipalités dotées des mêmes attributions que
celles des communes métropolitaines ou des communes de plein exercice
algériennes, doit prendre une place particulièrement importante
dans l'évolution administrative, économique et sociale du
pays. Les Centres municipaux qui l'ont préfigurée depuis
un an ont été invités à participer à
l'enquête générale devant permettre l'établissement
des plans d'action communaux. Les communes rurales pourront se grouper
entre elles ou s'unir à des communes de plein exercice pour constituer
des syndicats de communes suivant les dispositions
des textes en vigueur dans la Métropole. Les franchises municipales
sont donc en Algérie, comme elles le furent et le demeurent en
France, le support administratif de réalisations économiques
et sociales.
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Déjà deux importantes communes mixtes du
département d'Alger, Berrouaghia
et Fort-National,
disparaissent et font place à un groupe de nouvelles unités
administratives, communes de plein exercice et communes rurales.
L'application de la réforme se poursuivra, et les plans d'action
des communes fourniront à ce sujet d'intéressantes et amples
propositions.
Il est encore trop tôt, naturellement, pour enregistrer et apprécier
des résultats d'un caractère définitif. On ne peut
que se proposer des buts et ouvrir des perspectives.
Le moyen le plus sûr de préparer le développement
rapide des franchises communales n'est-il pas, au reste, de s'attacher
avec foi à l'éducation civique des djemaâs dans les
douars où n'existe pas encore de commune rurale ? Ces modestes
assemblées doivent être considérées comme l'école
de la vie municipale et c'est pourquoi le décret du 29 août
1945 a étendu considérablement leurs attributions et leur
a donné le droit
de délibérer et de décider sur certaines questions'
relevant de leur compétence, sans l'approbation
jusque là obligatoire du Conseil municipal dans les Communes de
plein exercice ou de la Commission municipale dans les Communes mixtes.
Maires et administrateurs ont été invités à
convoquer régulièrement les djemaas à solliciter
leurs avis, à développer l'examen et la libre discussion
des intérêts locaux. Ainsi la vie municipale qui naît
dans les centres municipaux se fortifiera de l'apport de nouvelles unités
au fur et à mesure que les progrès des djemaâs auront
renforcé dans les douars la conscience d'une communauté
sociale.
C'est à cette condition seulement que la réforme en cours
pourra affermir ses résultats et poursuivre son développement.
Il importe aussi que la population soit relativement agglomérée
et compte un nombre suffisant d'habitants instruits et capables de gérer
les affaires municipales. C'est pourquoi la création des nouvelles
unités communales est liée souvent à l'ancienneté
de l'école dans le douar ou le village et au développement
de la scolarisation.. Dans un pays dont l'évolution doit être
menée rapidement, l'extension de l'instruction doit accompagner
les réformes administratives et politiques comme les améliorations
économiques et sociales. Elle les conditionne en grande partie.
Parfois, en effet, c'est à l'insuffisance de l'instruction qu'il
faut attribuer certaines difficultés que le souci d'une indispensable
objectivité nous interdit de taire. Tel Conseil municipal ne témoigne
pas en toutes occasions de l'expérience nécessaire à
la qualité de ses travaux. Ailleurs des querelles de clans qu'on
voudrait révolues ont rendu délicate la constitution d'unités
disposant de ressources budgétaires suffisantes pour satisfaire
aux besoins de leur vie administrative et de leur évolution. Mais
l'absence de ces difficultés eût été surprenante
et, si l'on songe au nombre important de centres municipaux déjà
créés, on doit applaudir au sérieux, à la
foi, à la pondération aussi de la plupart de ces jeunes
municipalités.
Elles ont conscience de l'importance de leur rôle et de la responsabilité
qu'elles assument, avec l'aide des autorités. Elles se donnent
des moyens d'action indispensables, élaborent des projets, s'assurent
de ressources budgétaires, songent à des constructions.
Des mairies modestes mais 'coquettes vont être bâties. D'autres
sont déjà aménagées dans des locaux existants.
M . l'Ambassadeur Yves Chataigneau, Gouverneur général de
l'Algérie, a tenu à en inaugurer personnellement plusieurs
et a remis à chacun des maires l'écharpe tricolore, insigne
du premier magistrat municipal, M. André Le Troquer, Ministre de
l'Intérieur, a hautement marqué, lors de son voyage en Algérie,
en février 1946, l'intérêt du Gouvernement provisoire
de la République française à cette réforme
administrative.
Fortes de ces appuis, entourées de la sympathie active des Pouvoirs
Publics, portées par les espoirs de la population, les nouvelles
unités
communales sont appelées, croyons- nous, à un avenir fécond.
La graine est largement semée. Puisse-t-elle faire naître
d'heureuses récoltes !
LUCIEN PAYE
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