ESSOR DE L'ALGÉRIE - 1947

4. Les communes rurales

Lucien Paye

ici, mars 2016

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Centre municipal de Sidi - Nadji
Centre municipal de Sidi - Nadji


La création des communes rurales est le terme d'une évolution administrative commencée sous le Second Empire avec l'institution des douars-communes, dotés de leurs premières assemblées, ou djemaâs, par le décret du 23 mai 1863.

Dans l'unité territoriale ainsi déterminée, les attributions des djemaâs sont successivement précisées et étendues par la loi du 5 avril 1884, l'arrêté gouvernemental du ri septembre 1895, le décret du 6 février 1919, l'arrêté du 5 mars 1919, enfin le décret du 29 août 1945. Mais déjà en 1937 dépassant le stade de la représentation de leurs intérêts, certains douars ou fractions de douars avaient semblé pouvoir bénéficier de franchises communales.

Cette considération motiva la rédaction du décret du 25 août 1937, qui organise les " Centres Municipaux " des Communes Mixtes d'Algérie. Cette réforme, qui ne fut appliquée qu'à titre d'expérience à quatre Centres municipaux, supprimés en 1941, fut reprise avec quelques utiles aménagements dans le décret du 29 août 1945 et trouve désormais sa consécration dans le projet de loi déposé à la fin de septembre 1946 par le Gouvernement Provisoire de la République française. Ce texte substitue aux Centres municipaux dotés d'une autonomie encore incomplète de nouvelles unités administratives, les Communes rurales qui bénéficient de véritables franchises municipales.

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Mais sans attendre la promulgation - de cette loi particulièrement importante, l'Administration algérienne soucieuse de développer dans toute la mesure du possible l'autonomie des cellules locales, s'est appuyée sur les décrets du 25 août 1937 et 29 août 1945 pour créer des centres municipaux appelés à se transformer automatiquement, par la suite, en communes rurales. En une année, cent-soixante sept centres ont pu être ainsi constitués et l'ampleur de ces réalisations comparée au nombre réduit - quatre unités - de centres municipaux créés en 1937 montre qu'il ne s'agit plus désormais de procéder à des expériences, mais de modifier profondément la structure et la vie administrative des collectivités locales.
Les insuffisances mêmes de l'expérience tentée en 1937 offraient matière à leçon. Le douar était une circonscription trop étendue, en général, pour permettre une vie communale qui doit s'appuyer sur les premiers éléments d'une conscience collective.

C'est pourquoi, notamment en Kabylie où la population est très agglomérée, un même douar peut être désormais divisé en plusieurs circonscriptions municipales, les limites de chacune d'elles étant fixées en considération des habitudes de vie des populations, de leurs vœux, et des ressources financières dont peut disposer le Centre nouvellement constitué.

Les règles de tutelle ont été également modifiées. L'expérience avait montré que la tutelle administrative du Préfet instituée par le décret du 25 août 1937 était peu efficace parce que trop lointaine. Le décret du 29 août 1945 lui a substitué celle de l'Administrateur des Services civils, qui elle-même, est remplacée, dans le projet de loi portant organisation des communes rurales, par la tutelle du sous-préfet.

A mesure en effet que les créations se succédaient, il apparaissait que le Centre municipal, appelé à devenir commune rurale, devait constituer, à côté des communes de plein exercice et avec les mêmes prérogatives, la cellule définitive. La commune mixte devait progressivement disparaître et la réforme entraînait normalement une nouvelle répartition des arrondissements, dont il importait d'augmenter le nombre. Ainsi, au lieu qu'en 1937 le centre municipal demeurait, bien que placé sous la tutelle administrative du préfet, dans le cadre intangible de la commune mixte, actuellement au contraire, la commune rurale doit progressivement se substituer à celle-ci, le maire à l'Administrateur et au caïd, le Conseil Municipal à la Commission municipale.

Autre modification importante, le décret du 25 août 1937 prévoyait la désignation des membres des djemaâs communales d'après les modalités prévues par l'arrêté du 5 mars 1919, ce qui avait pour effet inattendu d'éliminer les éléments les plus évolués et les plus propres à guider l'évolution des populations, car les citoyens ne pouvaient pas être portés sur les listes électorales du douar. Le projet de loi relatif aux communes rurales remédie à cette regrettable anomalie. Les citoyens domiciliés dans ces unités nouvelles y sont désormais électeurs et, même s'ils n'y constituent qu'une faible minorité, doivent avoir au moins un représentant dans le Conseil municipal.

Ainsi la commune rurale, bien guidée et placée sous la direction de municipalités dotées des mêmes attributions que celles des communes métropolitaines ou des communes de plein exercice algériennes, doit prendre une place particulièrement importante dans l'évolution administrative, économique et sociale du pays. Les Centres municipaux qui l'ont préfigurée depuis un an ont été invités à participer à l'enquête générale devant permettre l'établissement des plans d'action communaux. Les communes rurales pourront se grouper entre elles ou s'unir à des communes de plein exercice pour constituer
des syndicats de communes suivant les dispositions des textes en vigueur dans la Métropole. Les franchises municipales sont donc en Algérie, comme elles le furent et le demeurent en France, le support administratif de réalisations économiques et sociales.

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Déjà deux importantes communes mixtes du département d'Alger, Berrouaghia et Fort-National, disparaissent et font place à un groupe de nouvelles unités administratives, communes de plein exercice et communes rurales.

L'application de la réforme se poursuivra, et les plans d'action des communes fourniront à ce sujet d'intéressantes et amples propositions.
Il est encore trop tôt, naturellement, pour enregistrer et apprécier des résultats d'un caractère définitif. On ne peut que se proposer des buts et ouvrir des perspectives.

Le moyen le plus sûr de préparer le développement rapide des franchises communales n'est-il pas, au reste, de s'attacher avec foi à l'éducation civique des djemaâs dans les douars où n'existe pas encore de commune rurale ? Ces modestes assemblées doivent être considérées comme l'école de la vie municipale et c'est pourquoi le décret du 29 août 1945 a étendu considérablement leurs attributions et leur a donné le droit
de délibérer et de décider sur certaines questions' relevant de leur compétence, sans
l'approbation jusque là obligatoire du Conseil municipal dans les Communes de plein exercice ou de la Commission municipale dans les Communes mixtes. Maires et administrateurs ont été invités à convoquer régulièrement les djemaas à solliciter leurs avis, à développer l'examen et la libre discussion des intérêts locaux. Ainsi la vie municipale qui naît dans les centres municipaux se fortifiera de l'apport de nouvelles unités au fur et à mesure que les progrès des djemaâs auront renforcé dans les douars la conscience d'une communauté sociale.

C'est à cette condition seulement que la réforme en cours pourra affermir ses résultats et poursuivre son développement. Il importe aussi que la population soit relativement agglomérée et compte un nombre suffisant d'habitants instruits et capables de gérer les affaires municipales. C'est pourquoi la création des nouvelles unités communales est liée souvent à l'ancienneté de l'école dans le douar ou le village et au développement de la scolarisation.. Dans un pays dont l'évolution doit être menée rapidement, l'extension de l'instruction doit accompagner les réformes administratives et politiques comme les améliorations économiques et sociales. Elle les conditionne en grande partie.

Parfois, en effet, c'est à l'insuffisance de l'instruction qu'il faut attribuer certaines difficultés que le souci d'une indispensable objectivité nous interdit de taire. Tel Conseil municipal ne témoigne pas en toutes occasions de l'expérience nécessaire à la qualité de ses travaux. Ailleurs des querelles de clans qu'on voudrait révolues ont rendu délicate la constitution d'unités disposant de ressources budgétaires suffisantes pour satisfaire aux besoins de leur vie administrative et de leur évolution. Mais l'absence de ces difficultés eût été surprenante et, si l'on songe au nombre important de centres municipaux déjà créés, on doit applaudir au sérieux, à la foi, à la pondération aussi de la plupart de ces jeunes municipalités.

Elles ont conscience de l'importance de leur rôle et de la responsabilité qu'elles assument, avec l'aide des autorités. Elles se donnent des moyens d'action indispensables, élaborent des projets, s'assurent de ressources budgétaires, songent à des constructions. Des mairies modestes mais 'coquettes vont être bâties. D'autres sont déjà aménagées dans des locaux existants.

M . l'Ambassadeur Yves Chataigneau, Gouverneur général de l'Algérie, a tenu à en inaugurer personnellement plusieurs et a remis à chacun des maires l'écharpe tricolore, insigne du premier magistrat municipal, M. André Le Troquer, Ministre de l'Intérieur, a hautement marqué, lors de son voyage en Algérie, en février 1946, l'intérêt du Gouvernement provisoire de la République française à cette réforme administrative.

Fortes de ces appuis, entourées de la sympathie active des Pouvoirs Publics, portées par les espoirs de la population, les nouvelles unités
communales sont appelées, croyons- nous, à un avenir fécond.

La graine est largement semée. Puisse-t-elle faire naître d'heureuses récoltes !

LUCIEN PAYE