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-L'enseignement primaire en Algérie
-À M'Sila, faut-il refuser des élèves ?

---------Autrefois, nombreuses étaient les écoles d'indigènes où l'on avait grand peine à réunir, à la rentrée, un effectif d'élèves suffisant. Plus tard, dans beaucoup d'écoles, la rentrée ne fut pas moins difficile, mais pour une raison inverse : il s'agit de ne recevoir que les enfants qu'il est matériellement possible de placer dans les classes. C'est dire à quel point les parents indigènes ont apprécié l'instruction donnée à l'école française. La lettre que nous reproduisons ci-après - et qui n'avait certes pas été écrite pour être publiée - en témoigne curieusement.
Le texte ci-dessous est extrait d'un numéro spécial de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information. - n°14 - 15 mai 1981.avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
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--------Autrefois, nombreuses étaient les écoles d'indigènes où l'on avait grand peine à réunir, à la rentrée, un effectif d'élèves suffisant. Plus tard, dans beaucoup d'écoles, la rentrée ne fut pas moins difficile, mais pour une raison inverse : il s'agit de ne recevoir que les enfants qu'il est matériellement possible de placer dans les classes. C'est dire à quel point les parents indigènes ont apprécié l'instruction donnée
à l'école française. La lettre que nous reproduisons ci-après - et qui n'avait certes pas été écrite pour être publiée - en témoigne curieusement.

M'Sila, le 4 octobre 1925.

--------Le directeur de l'école d'indigènes, F. Coudino, à Monsieur l'inspecteur des écoles d'indigènes à Sétif.


--------J'ai l'honneur de porter à votre connaissance que la rentrée des classes s'est effectuée, pour moi, dans de très mauvaises conditions.
--------Les trois classes sont dérisoirement insuffisantes pour la quantité d'enfants qui se présentent chaque année à l'inscription. Le nombre d'enfants d'âge scolaire à M'Sila est d'environ 800.
--------L'année dernière, j'avais déjà refusé une quarantaine d'enfants faute de place, mais j'en avais fait une liste pour servir de base au recrutement de cette année. En plus de ces 40 il s'en est présenté encore une vingtaine. De sorte que j'ai eu environ une soixantaine de demandes d'inscription. J'avais 8 places libres.
--------Il y a quelque trente-cinq ans, quand j'ai débuté en Kabylie, il fallait se fâcher pour réunir 25 élèves et quels élèves ! Aujourd'hui il faut se fâcher pour empêcher les classes de se congestionner et on a le choix ; l'école est devenue un privilège.
--------Mais, avec ce système, je me fais des ennemis féroces et je m'attire des ennuis. On emploie toutes sortes de roueries pour m'imposer le surnombre. Ainsi, vendredi matin, dans ma 3e classe, je devais avoir un effectif de 64 élèves : 56 anciens et 8 nouveaux. Je fais mon registre, puis je contrôle en comptant dans les tables. J'en trouve 70. Nous voilà obligés à un pointage avec le moniteur. Nous appelons les élèves un à un en les faisant sortir des tables et, naturellement, à la fin, les 6 intrus restent dans les bancs, leur petit nez en l'air.

 

--------Comment sont-ils là ? C'est bien simple, les parents leur ont fait la leçon. Au coup de sifflet pour la rentrée en classe, ils se sont tranquillement mis sur les rangs comme les anciens. Le maître, étant nouveau, n'a rien vu.
--------Il y en a qui insistent trop.
--------" Tu le prends, hein ? taleb !
--------- Mais non, tu vois bien que les tables sont bourrées.
--------- Mets-le par terre, je lui achèterai un h'acir (1).
- Tu sais bien qu'il y en a déjà 64, c'est trop pour un seul maître.
--------- Un tout petit de plus, ce n'est rien.
--------- Non, l'inspecteur n'en veut pas plus de 60.
--------- Cela fait rien, tu lui diras que c'est pour moi.
--------- Non, je ne peux pas. Et les autres, ils m'en feraient une comédie !
--------- Alors, tu veux que mon fils fasse le voyou dans les rues, qu'il devienne un voleur, un batailleur, un ouled-blaça. C'est cela que vous voulez, les Français ? "
--------Celui-ci revient quand tout le monde est parti et m'offre 20 francs. Et je pense : dire que j'ai connu un temps où ces gens-là voulaient aussi me payer, mais pour un effet contraire.
--------Celui-là me menace de l'administrateur, de l'inspecteur d'Académie, du recteur et même du gouverneur !
--------Quand c'est un juif qui n'a pas de place, toute la synagogue s'en mêle
--------" Alors, maintenant les Arabes vont passer avant les Français ! On va se plaindre à M. Cuttoli. Vous allez voir ce qui va vous arriver. "
--------Et, tous les ans, c'est la même chose.
--------Je supplie que l'on fasse une classe de plus, n'importe comment. Qu'on loue un local ou que la commune aménage un des siens ; qu'on la fasse en toubes ou en pierre, grande ou petite, peu importe, pourvu que je n'ai plus ces scènes à chaque rentrée et même tout le long de l'année scolaire.

(1) Natte.

COUDINO.
N.D.L.R.de "l'Algérianiste"- Ce texte est extrait du Bulletin de l'enseignement des indigènes de 1925