---------On connaît
assez mal, en général, uvre extraordinaire accomplie
en Algérie par les communautés religieuses enseignantes.
Comme le dit Pierre Gourinard, il faudrait y consacrer un volume. L'article
qu'il nous donne ici nous invite à en savoir plus.
---------À
peine reconstituée, l'Église d'Afrique se préoccupait
de doter la colonie naissante d'un enseignement de qualité.
---------Dès
1840, Mgr Dupuch, premier évêque d'Alger, avait confié
diverses uvres d'éducation à l'Institut des Frères
de Saint-Joseph, du Mans, qui essaimèrent à Bône,
Philippeville et Oran. Mais ils ne restèrent que peu de temps en
Algérie, puisqu'ils laissèrent la place aux Frères
de la Doctrine Chrétienne, appelés par Mgr Pavy, successeur
de Mgr Dupuch. Sous l'épiscopat de ce dernier, les principales
fondations apparaissent, les Dames du Sacré-Cur de Bordeaux,
les Lazaristes et les Jésuites, tandis que deux religieuses ursulines
se fixaient à Tlemcen où elles fondaient une petite
école.
---------Établies
à Mustapha, les Dames du Sacré-Cur de Bordeaux ouvraient
un pensionnat pour jeunes filles d'officiers et de fonctionnaires. Les
Lazaristes recevaient les jeunes gens qui se destinaient à l'état
ecclésiastique, tandis que les Jésuites, arrivés
à la fin de 1840 sous le nom de " Prêtres auxiliaires
" et établis à Alger, rue Salluste, en la chapelle
Saint-François-Xavier, allaient jouer un grand rôle dans
le clergé de la colonie. Le 31 juillet 1864 donc, sous l'épiscopat
de Mgr Pavy, ils s'installèrent rue des Consuls où leur
collège allait durer jusqu'aux lois spoliatrices de 1880. Ils devaient
compter parmi leurs élèves le futur général
Mangin. Le R.P. Brumault, recteur, fut, dès l'origine, fondateur
de l'orphelinat de Ben-Aknoun, transféré ensuite à
Boufarik. Cette uvre considérable mériterait une étude
exhaustive.
---------Introduits
par Mgr Pavy, les Frères de la Doctrine chrétienne étaient
chargés des écoles communales, ce qui, sous la Monarchie
de Juillet, était conforme à la loi Guizot, mais n'évitait
pas les tracasseries. Il faut attendre le règne de Napoléon
III pour assister, grâce à Fortoul, ministre de l'Instruction
publique, à une réussite totale. Mgr Pavy consacra de grosses
sommes, prises dans sa cassette personnelle, à l'établissement
de la congrégation mais, déjà, à la fin de
l'épiscopat de Mgr Dupuch, le nombre de 2.300 élèves
était-il dépassé. A Alger, les établissements
se multipliaient, il suffit de citer,
rue Mogador, les écoles proches de la cathédrale
et de Notre-Dame-des-Victoires, Blida, Constantine, Oran, Sidi-Bel-Abbès
et Tlemcen devaient suivre.
---------L'enseignement
des jeunes filles n'était pas négligé, les Surs
de la Doctrine chrétienne fondaient des établissement à
Alger,
Blida, Constantine, Bône et Philippeville, les plus nombreux
se trouvaient d'ailleurs dans l'est de l'Algérie. D'autres congrégations
apparaissaient, les Trinitaires, à Alger, et les Filles de la Charité,
qui ouvraient une douzaine d'écoles, en particulier à Hussein-Dey,
Kouba, Lodi, Novi, Orléansville Ténès, Médéa
et Marengo. Celle d'Orléansville date de 1866.
---------Mgr
Lavigerie devait poursuivre oeuvre de ses deux prédécesseurs
et lui donner une vigoureuse impulsion malgré les lois des années
1880.
---------En 1868, les Surs de Saint-Joseph
des Vans, en Ardèche, arrivaient à Alger et fondaient les
pensionnats d'El
Biar et de Médéa.
Après la guerre de 1870-1871, leurs créations s'étendaient
aux asiles de Bordj-Ménaïel, Haussonvillers, Camp-du-Maréchal,
Tizi-Ouzou et Bois-Sacré. En 1869, une autre congrégation
du diocèse de Viviers, les Pères Basiliens d'Annonay, fondaient
l'Institution Saint-Charles de Blida. Ces religieux ardéchois débutaient
avec quarante élèves et triplaient leur effectif dès
l'année suivante. Le renom des Basiliens resta longtemps vivace
à Blida.
---------Mais,
en cette fin du Second Empire, période difficile pour l'Algérie,
avec son cortège de mauvaises récoltes et de famines, les
fondations se multipliaient aussi dans les diocèses plus récemment
créés d'Oran et de Constantine. Les jalons étaient
posés depuis longtemps.
---------A
Oran, les Jésuites desservaient la chapelle Saint-André
l'année même de leur arrivée qui coïncidait avec
celle de leurs confrères à Alger. Ils demeuraient rue de
Gênes. A la demande de Mgr Dupuch, puisque le diocèse d'Oran
n'existait pas encore, ils érigeaient une paroisse sous le vocable
de Notre-Dame-de-Bon-Secours. Une petite maîtrise d'enfants de choeur
aussitôt rassemblée, sera le berceau du collège Notre-Dame,
qui ouvrit ses portes le 4 novembre 1851.
---------De
son côté, un prêtre séculier, l'abbé
Abram, introduisit au début du Second Empire, un institut fondé
en 1849 dans le diocèse de Montpellier. Il avait groupé
un certain nombre de laïcs sous le vocable de " Frères
de l'Association ", pour s'occuper de l'éducation des enfants
pauvres. Attiré par l'Algérie, il obtint l'ancien camp des
spahis à Misserghin. L'institution comptait, en 1854, 34 élèves
et 180 orphelins.
---------A
Constantine, la municipalité avait confié, en 1850, l'école
communale aux Frères des Écoles chrétiennes. A Bône,
l'école communale avait été donnée, en 1857,
aux Frères de Saint-Joseph du Mans.
-------Mais,
au début de la Troisième République, la plupart des
collèges et des écoles communales tombent sous le coup des
lois de 1880. Dans les trois diocèses, une proscription identique
à celle de la métropole sévit.
---------En
Oranie, les Frères de la Doctrine chrétienne durent partir,
tandis qu'à Tlemcen, l'école libre de l'abbé Brevet
put se maintenir. Les Frères, toutefois, réussirent à
transformer certains de leurs établissements en écoles libres.
A Oran et dans la banlieue, ils louèrent des immeubles à
Karguentah, Saint-André et Saint-Louis. Les Jésuites furent
expulsés du collège Notre-Dame. La presse républicaine,
presque exclusive, se signala par sa mauvaise foi. Une mention toute particulière
doit être décernée au Petit Africain, pour
qui l'insulte, voire l'ordure tenait lieu d'arguments.
---------A
Constantine, les Frères, également exclus de l'école
communale, adoptèrent la même tactique : ils ouvrirent, aidés
par l'évêque Mgr Dusserre et l'abbé Millot, archiprêtre,
une école libre avec pensionnat, qui dura jusqu'en 1907 où
elle fut victime des retombées de la seconde vague des lois sectaires.
A Philippeville, la situation était identique, mais l'école
libre fut sauvée par la guerre de 1914 qui ajourna les lois sectaires.
A Bône, en 1889, les Frères de la Doctrine chrétienne
ouvrirent une école libre qui, au bout de quatre ans, fut remplacée
par un établissement plus important, frappé lui aussi par
les lois contre les congrégations au début du siècle.
Les Sueurs de la Doctrine chrétienne, touchées par la laïcisation,
se maintinrent à Constantine, Bône, Philippeville, Bougie
et Sétif. A Bône, elles purent garder l'orphelinat Sainte-Monique
et de nombreux ouvroirs. ---------Quant
aux Soeurs de Saint-Vincent-de-Paul, elles furent chassées de Biskra,
Condé-Smendou et Bizot, ainsi que de Djidjelli, mais, dans cette
dernière ville, la population les retint pour une école
libre qui succomba en 1911. Toutefois, les surs ne quittèrent
pas Djidjelli, où elles conservèrent un ouvroir, un dispensaire,
et, formule originale, un petit internat dont la direction fut confiée
à une institutrice laïque.
---------Dans
le diocèse d'Alger, les mêmes fermetures d'établissements
ou transformations en écoles libres, souvent victimes des lois
anticongréganistes du début du siècle, se produisirent.
Mentionnons l'expulsion des Sueurs de Charité d'Orléansville,
à l'instigation des Loges.
**
---------Il faut
attendre le lendemain immédiat de la Première Guerre mondiale
pour assister à un renouveau de l'enseignement religieux. Celui-ci
était certes amorcé en plus d'un endroit, mais, en ce début
des années 1920 apparurent les premiers fruits des épiscopats
de Mgr Leynaud, à Alger, de Mgr Durand, à Oran et de Mgr
Thiénard, à Constantine.
---------Archevêque
d'Alger, de 1917 à 1953, Mgr Leynaud, secondé par Mgr Dauzon,
donna une vive impulsion à la renaissance de l'enseignement libre.
Une autre étude serait nécessaire pour énumérer
et étudier toutes ses fondations. Outre le développement
de
l'École Lavigerie, qui existait déjà,
notons, pour Alger seulement, le retour des Jésuites, avec le collège
Notre-Dame-d'Afrique, fondé en 1920, les écoles Saint-Charles
et Saint-Bonaventure. En attendant cette étude plus exhaustive,
il suffit de dénombrer, en 1928, vingt écoles de garçons
et vingt-neuf écoles de filles.
---------De
même, en Oranie, avec Mgr Durand, l'enseignement religieux reprit
figure dans le diocèse. Parmi les créations les plus notables,
il faut citer à la rentrée d'octobre 1924, l'ouverture de
l'externat Notre-Dame-duSacré-Coeur, des établissements
des Frères des écoles chrétiennes à Tlemcen,
Relizane, Mascara, Saïda et de Salésiens à Bouisseville.
Pour les jeunes filles, outre les Trinitaires, le pensionnat Notre-Dame-des-Champs,
dirigé par les Sueurs de la Doctrine chrétienne de Nancy,
doit être signalé.
---------Un
renouveau similaire s'opère à Constantine, Philippeville,
Bône et dans d'autres localités du diocèse. A Constantine,
l'Institution Jeanne-d'Arc prit la suite d'un établissement fondé
en 1907 par l'archiprêtre Delenne et qui remplaça lui-même
l'établissement des Frères des écoles chrétiennes
supprimé par la législation anticongréganiste.
---------Cette
esquisse, si incomplète soit-elle, de l'enseignement religieux
en Algérie, ouvre des perspectives intéressantes sur l'histoire
de l'Église d'Afrique, de ses épreuves et de ses succès,
dans une période hélas ! trop brève. Il serait intéressant,
en poursuivant cette modeste étude, d'analyser l'influence de cet
enseignement sur la mentalité religieuse de la communauté
catholique, Il y eut une évolution du sentiment religieux vers
une pratique plus intense. Quelles en furent les causes essentielles ?
---------L'enseignement
religieux, comme l'enseignement public, a contribué à rehausser
le niveau culturel, et dans quelle mesure ? Autant de questions qui méritent
long examen et réponses.
Pierre GOURINARD.
|