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-L'enseignement primaire en Algérie
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En guise de conclusion

Pour achever ce numéro spécial consacré à l'Ecole française en Algérie, nous donnerons la parole à deux de ses plus beaux produits:Albert Camus et Mouloud Ferraoun
Le texte ci-dessous est extrait d'un numéro spécial de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information. - n°14 - 15 mai 1981.avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
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------------Albert Camus, au lendemain de l'obtention du prix Nobel de littérature, écrivait à son instituteur
------------" Cher Monsieur Germain,
------------“ J'ai laissé s'éteindre un peu le bruit qui m'a entouré tous ces jours-ci avant de venir vous parler un peu de tout mon coeur. On vient de me faire un bien trop grand honneur que je n'ai ni recherché, ni sollicité. Mais quand j'en ai appris la nouvelle ma première pensée, après ma mère, a été pour vous. Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j'étais, sans votre encouragement et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. Je ne me fais pas un monde de cette sorte d'honneur. Mais elle est du moins une occasion pour vous dire ce que vous avez été, et êtes toujours pour moi et pour vous assurer que vos efforts, votre travail et le coeur généreux que vous y mettez sont toujours vivants chez un de vos petits écoliers qui, malgré l'âge, n'a pas cessé d'être votre reconnaissant élève.
------------ Je vous embrasse de toutes mes forces.
" Albert CAMUS. "

 

------------Mouloud Ferraoun, recevant le prix littéraire de la Ville d'Alger, pour son livre Le fils du Pauvre disait ces remerciements que je soumets à vos méditations
------------«Je suis heureux d'avoir obtenu le prix littéraire de la Ville d'Alger et j'en suis fier pour plusieurs raisons.
------------C'est d'abord un hommage à ceux qui me firent la classe, depuis mon vénéré maître de l'école primaire qui fit de moi un boursier, jusqu'à mes professeurs d'école normale qui m'apprirent beaucoup de choses, ces choses que l'on se hâte d'oublier après les examens. Mais de ces maîtres ce que chacun de nous ne saurait perdre, c'est le souvenir de leur droiture et de leur compétence. Ils surent donner à leurs élèves l'image exacte de " l'éducateur ", l'envie de leur ressembler et la crainte de ne pas y parvenir.
------------" Le choix du jury est aussi un hommage à mon vieux père, ignorant et pauvre. Son mérite est bien grand de m'avoir fait confiance et d'avoir eu confiance en l'école. Il fut récompensé comme le sont toujours les gens simples qui ont foi. Il ignore que j'ai publié un livre. Si on le lui expliquait il trouverait cela tout naturel. Pourquoi s'en étonnerait-il du moment que j'enseigne à lire ? Ne m'a-t-il pas fait atteindre le sommet ? N'a-t-il pas refusé, il y a vingt ans, de faire de moi un berger comme le lui conseillaient les gens sensés ?
------------Votre choix, enfin, est un hommage à l'école primaire puisque l'un de ses enfants, l'un des plus humbles sans doute, qui n'a appris le français que sur ses bancs, est reconnu digne, aujourd'hui, de recevoir un prix littéraire. Un prix décerné par un jury compétent ; le jury de la capitale africaine.
------------Je mesure toute la portée de cette distinction, Messieurs. J'avais osé espérer, je l'avoue, un tel succès car l'espoir n'a pas de limite. Mais je n'y croyais pas trop. Me voilà à présent couronné. L'honneur est grand et redoutable. Je n'avais fait que raconter mon histoire. Travail facile malgré tout puisque je n'avais qu'à m'adresser à ma mémoire et à mon coeur. Or la tâche d'un écrivain n'est pas de raconter sa vie mais bien de dire ce qu'il sent, ce qu'il voit, ce qu'il pense. Pour tendre vers l'humaine vérité si difficile à atteindre, il lui faut des qualités de coeur et des qualités d'esprit, il lui faut beaucoup de science et beaucoup d'honnêteté parce que les honnêtes gens peuvent lui faire crédit. Ce serait cruel de les tromper et triste de se tromper.
------------" Voilà pourquoi, Messieurs, tout en vous remerciant du fond du ceeur, j'éprouve une certaine crainte, une grande crainte à m'engager résolument dans la voie où vous avez daigné marquer ma petite place. Si pourtant je parvenais à m'exprimer encore, soyez assurés que je le ferais en toute sincérité avec mon coeur de fils de pauvre et mon bon sens de maître d'école.
------------" Quoi qu'il en soit, j'aimerais vous redire ma fierté, ma joie et mon émotion. Le lauréat, Messieurs, n'est pas l'instituteur du bled qui a retenu vos suffrages, mais l'école française d'Algérie dont il est un produit authentique. Et c'est en son nom que je vous remercie. "
------------(Ce texte nous a été communiqué par notre compatriote et ami Théophile Bignand.)