sur site le 16/8/2002
-La banlieue algéroise:El-Biar et le restaurant"Malar"
Louis Bertrand de l'Académie Française a vécu une dizaine d'années à Alger à partir de 1891.
Dans son ouvrage, il raconte ses promenades dans le vieil Alger. En voici un extrait.
Nouvelles Éditions du Siècle, Paris, 1938.

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------Resserrés entre les collines et le rivage marin, les faubourgs d'Alger ne peuvent guère se développer qu'en longueur. Pour se donner plus d'air et plus d'espace, il faudra que la ville continue sa croissance le long du littoral, ou qu'elle déborde sur le Sahel, c'est-à-dire sur la région montueuse qui la surplombe de toutes parts.
------Ce Sahel et ce bord de mer, c'est peut-être la partie la plus pittoresque du paysage algérois, - et même algérien - j'excepte, bien entendu, les régions sahariennes et le pays Kabyle, qui sont des mondes à part.
------En 1890, Alger avait déjà une banlieue des plus étendues. De jolis villages et même des petites villes d'aspect tout européen lui formaient une ceinture verdoyante, comme n'en possède aucune des grandes villes de l'Afrique du Nord. Le plus joli peut-être de ces villages algérois, c'était El-Biar, où des corricolos et des tramways à chevaux vous montaient en une demi-heure, par des chemins passablement tortueux et malaisés, mais qui, à de certains paliers, vous ménageaient la surprise d'une vue admirable sur Bab-el-Oued et Notre-Dame d'Afrique, ou sur le port et le massif des hautes montagnes. II n'y avait pas encore d'hôtels pour les touristes. Il y avait, en revanche, le fameux restaurant Malar, célèbre par ses menus plantureux et surtout par ses pâtés de ménage. On y courait de tout Alger et de tous les environs. On pouvait même y trouver une chambre et y faire un séjour d'automne ou de printemps, à condition, comme disait Malar, de ne pas chercher "le grandiose "... La bonne cuisine du patron et le pittoresque des alentours vous consolaient facilement d'un certain manque de confort.
------El-Biar comptait quelques villas néo-mauresques, la plupart échelonnées le long du Chemin des Crêtes, qui domine Mustapha et le golfe. Rochegrosse y avait la sienne. Je crois bien qu'Albert Besnard y séjourna tout un hiver, et aussi Gros-Claude et l'ambassadeur Patenôtre. Un charmant écrivain, Mme Pilon-Fleury, pour qui les harems impériaux de la Stamboul Medjidienne n'eurent pas de secrets et qui en a tiré toute une série de romans plus colorés et plus curieux les uns que les autres, y avait aussi son délicieux Djenan-es-Saka. Toutes ces villas construites par des architectes qui connaissaient très bien le pays et ses antiquités, qui l'aimaient, qui s'y étaient établis, étaient de très heureuses adaptations de l'art et des styles mauresques aux exigences des habitudes et du confort européen. Décoration, disposition intérieure, aménagement extérieur, emplacement et cadre, tout était réglé et choisi par un goût scrupuleux et souvent parfait.
  ------En ce temps-là, on ne voyait, aux environs d'Alger, aucune des horreurs architecturales qui, depuis si longtemps, déshonorent la Côte d'Azur.
------El-Biar aussi était un centre d'excursions des plus agréables. On allait, de là, à la Bouzaréa, le plus étonnant belvédère de tout ce littoral d'Alger où les grands points de vue abondent : à cette hauteur, on ne voit plus que le ciel et l'eau. L'étendue n'est plus qu'une mer d'azur, où la terre ferme et les contours des rivages prennent des apparences nébuleuses. Certains matins d'extrême limpidité, c'est tellement radieux qu'on ne veut rien apercevoirdu paysage environnant, ni de la couleur locale indigène qui s'offre dans sa nudité et sa misère : quelques gourbis, quelques blanches koubas, une petite mosquée, et, çà et là, des bouquets de palmiers-nains...
------De l'autre côté d'El-Biar, en descendant vers la grande plaine agricole de la Mitidja, une foule de charmants villages, où conduisaient de petits chemins ombragés et alors solitaires. On longeait des olivaies, des haies toutes fleuries de roses sauvages, des massifs de figuiers et de chênes-lièges, de fourrés de grands roseaux à panaches, et, tout à coup, on tombait sur une jolie plage campagnarde, avec sa fontaine, son abreuvoir, son église et sa mairie : un petit coin de France méridionale transplantée dans le Sahel algérois. Des platanes géants couvraient toute la place, où l'on pouvait déguster à l'ombre, dans de petites tasses bariolées, le café brûlant du kaouadji. Je songe, en écrivant cela, à tous ces pittoresques villages du Sahel qui portent de si jolis noms : Birmandreis, Kadous, Hydra, Tixeraïn... Terres de vignes, de cultures maraîchères, de cultures florales, cela sentait, suivant les saisons, le mimosa, la violette, l'iris, l'oeillet ou le vin nouveau.