Alger, Algérie : documents algériens
Série économique

Le Liège (quercus suber) en Algérie

mise sur site le 25-2-2011
* Document n° 6 de la série : Économique - Paru le 1er février 1946 - Rubrique LIEGE

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Le Liège en Algérie

Figure familière du maquis algérien où on le trouve en association avec des essences plus rustiques comme le cyste, le lentisque et l'olivier sauvage, le chêne-liège, arbre trapu et solide de 10 à 20 mètres de hauteurs, fournit un double appoint à l'économie algérienne par son écorce et par ses fruits. S'il domine seul, parfois, un abondant sous-bois, il est souvent, par contre, concurrencé par d'autres essences principales, notamment par le chêne zeen dans toutes les stations un peu fraîches.

RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DU CHÊNE-LIÈGE EN ALGÉRIE.

Pour se développer normalement, le chêne-liège exige à la fois de la lumière, une température annuelle moyenne de 14 à 17°, une humidité élevée et un sol silicieux.
Ces conditions réalisées dans la zone littorale et sub-littorale du Tell, entre Alger et la frontière tunisienne, ont permis le développement de nombreuses forêts de chênes-liège dans l'aire limitée au Nord par la côte, au Sud par la ligne Souk-Ahras-Bouira-Médéa. A l'Ouest d'Alger et en Oranie, les forêts de chênes-liège ne sont plus que des îlots disséminés. Au-dessus de 1.200 mètres, quelle que soit la région, la subérée est pratiquement inexistante.

La superficie ainsi occupée en Algérie est de 440.000 hectares, dont 250.000 appartiennent à l'État (forêts domaniales) et 190.000 aux grandes sociétés, aux communes et aux particuliers.

L'ECORCE DU CHENE-LIEGE.

En examinant la coupe transversale d'une tige de chêne-liège adulte, on voit que l'écorce se compose de deux couches concentriques bien distinctes.

La couche intérieure, en contact avec le bois, concourt seule à l'accroissement en épaisseur du tronc. Les liégeurs appellent cette partie de l'écorce " la mère ", en raison du rôle essentiel qu'elle remplit dans la production du liège.

La couche externe, plus épaisse que la prés{ dente, est formée par une matière spongieuse, élastique et compressible, peu perméable aux liquides constituant le liège. Enveloppe inerte ne participant pas aux fonctions actives de la végétation, le liège peut être séparé du tronc sans que l'existence de l'arbre soit compromise. Après ce dépouillement, il se reforme une nouvelle couche de liège, et la même opération peut se renouveler périodiquement.

On appelle liège mâle ou liège vierge le produit naturel de l'arbre enlevé pour la première fois.

Lorsqu'on dépouille un arbre de son liège naturel sans endommager la mère, il se forme une nouvelle couche de liège indistinctement appelé : liège de reproduction, liège artificiel ou liège femelle.

MISE EN VALEUR DES FORETS DE CHÊNES-LIÈGES.
(grain de sel : suberaie =forêt de chênes-lièges)

La mise en production des forêts de chênes-liège d'Algérie a commencé une dizaine d'années après la conquête. On fit d'abord appel à l'exploitation privée en adoptant le régime des concessions temporaires, moyennant redevance. La durée de ces concessions, qui était à l'origine de 16 ans, fut portée successivement à 40 ans, puis à 90 ans. Mais à la suite des grands incendies de 1863 à 1865, le Gouvernement impérial, devant les difficultés que soulevait l'application du cahier des charges, consentit à l'aliénation facultative des forêts concédées aux concessionnaires. 165.000 hectares furent ainsi aliénés.

En fait, ce n'est qu'à partir de 1888 que des crédits importants furent inscrits au budget pour la mise en production des forêts de 1"État. L'élan était enfin donné, et à partir de 1891 le principe fut admis que le Domaine ne serait plus exploité qu'en régie directe. A l'heure actuelle, toutes les forêts domaniales exploitables sont en production. Leur surface productive peut être évaluée à 207.000 hectares en chiffre rond.

RÉGLEMENTATION DE LA RÉCOLTE.

Le liège des forêts domaniales est récolté entre 9 et 12 ans, c'est-à-dire lorsqu'il a l'épaisseur commerciale de 25 à 32 millimètres. Chaque forêt est aménagée, c'est-à-dire divisée en un certain nombre de coupons qui sont exploités successivement suivant un programme arrêté d'avance, de manière à produire un rendement à peu près soutenu.

Les récoltes commencent généralement en juin ; les planches de liège, levées sur les arbres, sont transportées à proximité des routes sur de grandes places en dépôt où elles sont classées en catégories commerciales et empilées pour être présentées à la vente. Les piles mesurent, le plus souvent, 300 m3, pesant environ 300 quintaux.

Les ventes se font par adjudications publiques, dans le courant de l'automne, au chef-lieu des trois départements, après une large publicité. Les négociants du monde entier peuvent y participer. Les prix enregistrés fixent les cours des lièges dans le nord de l'Afrique et servent de base aux transactions particulières.

LA PRODUCTION.

La production algérienne totale en liège (forêts domaniales, communales et particulières) oscillait, au cours des dix dernières années qui ont précédé la guerre, entre 350.000 et 400.000 quintaux par an. Elle représente, à peu près, le 1/6 de la production mondiale.

Le prix moyen du quintal de liège tout venant, à la production, c'est-à-dire empilé .sur place de dépôt, qui était en moyenne de 32 francs le quintal pendant la période 1900-1913, a subi, à partir de 1920, des oscillations considérables. Après avoir atteint le prix de 280 francs en 1926, il est retombé à. 52 fr. 43 en 1935, puis s'est relevé progressivement depuis cette époque pour s'établir à 145 francs en 1939. Il est aujourd'hui de 520 francs.

Le marché du liège apparaît donc sujet à des oscillations dont la grande amplitude, beaucoup plus marquée, en tout cas, que celle de la production mondiale a varié seulement de 2 millions à 2.500.000 quintaux.

LES DÉBOUCHÉS

Le liège d'Algérie est exporté sous les formes suivantes :

Lièges en planches à l'état brut 11 % environ
Lièges en planches régulières, préparés pour la bouchonnerie (bouillis, raclés) 28 %
Lièges de trituration, comprenant les lièges mâles, les lièges impropres à la bouchonnenerie, les déchets de la préparation des lièges et de la fabrication des bouchons.. 54 %
Lièges ouvrés, bouchons et articles divers 7 %

Une part importante des lièges de bouchonnerie d'Algérie est achetée par la France, 80 à 100.000 quintaux par an, soit environ la moitié de la production pour cette catégorie ; l'autre moitié est exportée vers les pays de consommation (Amérique, Angleterre, Pays Scandinaves, Europe Centrale et Russie).

La plus grande partie, pour ne pas dire la totalité des bouchons et des articles en liège fabriqués en Algérie, est absorbée par le marché métropolitain, la vente de ces produits à l'étranger se trouvant entravée par des droits de douane généralement très élevés.

Quant aux lièges de trituration, ils constituent, jusqu'à présent, presque exclusivement une marchandise d'exportation, les principaux pays acheteurs étant l'Amérique, l'Angleterre, l'Allemagne et les Pays Scandinaves.

DUALITÉS DU LIÈGE ALGÉRIEN.

La grande diversité des conditions de croissance du liège algérien fait qu'elle offre des qualités très variées, ce qui permet aux acheteurs de choisir celle qui répond aux exigences spéciales de leurs fabrications.

Dans les régions les mieux arrosées et à basse altitude, les écorces croissent rapidement ; épaisses et souples, elles conviennent très bien à la bouchonnerie courante. En altitude et sur les crêtes rocheuses, les accroissements annuels sont plus minces mais le liège a plus de richesse et d'homogénéité. Le liège de certaines forêts algériennes ne le cède en rien aux meilleurs lièges du Portugal e d'Espagne et convient, aussi bien que ces derniers, à la fabrication des bouchons pour vins fins même des bouchons à champagne.

Ce serait, pourtant une erreur de vouloir n'attribuer qu'à l'altitude, au facteur climatique, à la nature du sol, en un mot à " l'ambiance " les différences que l'on constate dans la qualité du liège. Les facteurs propres à chaque sujet, ses aptitudes individuelles, interviennent pour le moins autant. Certains arbres donnent un liège excellent, tandis que des arbres voisins situés cependant dans des conditions comparables, ne fournissent parfois qu'un produit médiocre. Il en est du liège comme d'un fruit, d'où l'idée de favoriser les meilleurs producteurs par l'élimination des producteurs médiocres qui les concurrencent, de pratiquer, en somme, une sélection en vue d'améliorer la qualité de nos lièges.

VUES D'AVENIR.

C'est à cette tâche que se consacre la Station de Recherches Forestières qui, depuis une dizaine d'années, a organisé des places d'expérience en vue de déterminer les méthodes de traitements qui concilieront l'amélioration de la qualité avec l'accroissement de la production, à l'hectare, de nos forêts.
On doit d'autant plus s'attacher à augmenter le rendement à l'hectare des forêts de chênes-liège d'Algérie - qui, au surplus, est encore loin d'atteindre celui obtenu au Portugal et en Espagne - que la superficie totale des forêts en production va aller en décroissant dans les années qui vont venir. 11 devient absolument nécessaire, en effet, de songer à la régénération des peuplements de chênes- lièges qui ayant déjà donné 6 à 7 récoltes, vont bientôt arriver au terme d'une exploitation commerciale normale.

Cette œuvre de régénération ne sera vraiment complète que si elle s'accompagne d'une adaptation aux forêts de chênes-liège d'Algérie des méthodes de traitement qui ont fait leurs preuves dans les pays où la culture et l'exploitation du chêne-liège est pratiquée depuis des siècles.
Et alors nos forêts de chênes-liège se présenteront sous un tout autre aspect qu'aujourd'hui. Au maquis impénétrable d'où émergent, à l'état plus ou moins dense, des chênes en lutte constante avec des essences plus rustiques, fera place une futaie régulière et propre, à l'abri des incendies, fournissant un liège sain et de belle qualité et d'abondantes glandées servant à la nourriture et à l'engraissement de nombreux troupeaux.

INDUSTRIE DU LIÈGE : BOUCHONNERIE.

D'abord cantonnée dans les opérations de raclage, bouillage et visage des lièges destinés à l'exportation, l'industrie du liège s'est peu à peu étendue à la fabrication des bouchons. Mais c'est seulement à partir de 19201 que cette branche s'est vraiment développée : de 3.000 quintaux, chiffre moyen de la période 1905-1914, l'exportation des bouchons et des articles en liège ouvré est passée à 10.500 quintaux en 1920, 14.500 en 1930, 23.000 en 1935 et a atteint 41.0D0 quintaux en 1938.

Dans ce dernier chiffre, les bouchons vendus en presque totalité en France, entrent pour 30.000 quintaux correspondant à environ 1 milliard 200 millions de bouchons, représentant près du tiers de la consommation totale de la France.

La France utilise, en effet, annuellement près de 4 milliards de bouchons, 100 bouchons par tête d'habitant. C'est là un chiffre record qui n'est atteint dans aucun autre pays. On peut encore donner une autre expression de l'importance de cette consommation en disant qu'elle nécessite la mise en œuvre de plus de 300.000 quintaux de liège, soit le 1/8 au moins de la production mondiale de ce produit.

L'Algérie possède aujourd'hui une douzaine de grandes bouchonneries dotées d'un matériel mécanique moderne et employant chacun de 20) à 500 ouvriers, et une quarantaine d'usines de moindre importance et d'ateliers artisanaux.

Les principaux centres industriels pour le liège sont : Alger, Bougie, Djidjelli, Collo et Bône.

L'essor qu'a pris l'industrie du liège en Algérie n'est pas dû seulement à l'abondance de la matière première, mais pour autant au moins à l'attrait que présente le travail du liège pour l'ouvrier musulman.. Aussi existe-t-il encore de très grandes possibilités pour le développement de cette industrie.

Il n'est pas téméraire d'affirmer que l'Algérie serait en mesure, en très peu de temps, de doubler sa production actuelle en bouchons et lièges ouvrés. Mais un tel accroissement de la production n'irait pas sans causer une grave perturbation dans l'industrie bouchonnière métropolitaine si elle ne s'accompagnait de certaines mesures indispensables au nombre desquelles il faut placer, en premier lieu, la recherche de débouchés sur les marchés étrangers pour nos produits en liège ouvré, bouchons et autres articles, et, en second lieu, une orientation mieux comprise des industries algérienne et métropolitaine du liège vers la fabrication d'articles autres que les bouchons.

En raison de ses propriétés particulières, le liège trouve des applications nombreuses dans la construction et l'ameublement, et son emploi s'accompagne toujours d'une augmentation de confort.

INDUSTRIES ANNEXES.


Dans la série des produits très nombreux que l'on peut obtenir en partant du liège, certains paraissent mériter une mention spéciale : agglomérés de liège, linoléum, laine de liège.

Pour la fabrication des agglomérés on utilise les lièges mâles, les lièges de rebut et les déchets de bouchonnerie.

On distingue les agglomérés en liège pur où l'agglutination est obtenue sous le seul effet de la chaleur, de l'humidité et de la pression, et les agglomérés dans la composition desquels il entre une matière agglutinante autre que le liège.

Les uns et les autres sont utilisés, soit sous la forme de briques dans la construction où ils constituent un matériau particulièrement recherché pour sa légèreté et ses propriétés isolantes thermiques et acoustiques, soit sous forme de plaques et de demi cylindres pour des revêtements dans les installations thermiques et frigorifiques, soit encore sous forme d'agglomérés en plaques comme matière anti-vibratoire pour les machines.

La laine de liège est aujourd'hui d'une utilisation assez courante dans les hôpitaux pour le remplissage des oreillers et matelas. Ce produit, plus hygiénique que la laine animale et les duvets, tout en ayant les mêmes qualités de souplesse, serait certainement très recherché s'il était mieux connu.
Le linoléum est aussi un produit à base de liège. On l'obtient en répandant sur une ossature en toile ou en papier, une pâte composée d'un mélange de poudre de liège et de bois, d'huile de lin oxydée et d'un siccatif.

Enfin, le liège aggloméré, en raison de sa légèreté et de sa solidité, peut avantageusement remplacer le bois dans les installations sanitaires.

Cette courte et incomplète énumération des articles en liège considérés, jusqu'à présent, comme secondaires par rapport aux bouchons, mais dont l'emploi tend de plus en plus à se généraliser, montre que l'industrie du liège en Algérie, pourvu qu'elle sache s'adapter à ces fabrications nouvelles, mut encore se développer largement sans porter ombrage à la bouchonnerie française.