Le Liège
en Algérie
Figure familière du maquis algérien
où on le trouve en association avec des essences plus rustiques
comme le cyste, le lentisque et l'olivier sauvage, le chêne-liège,
arbre trapu et solide de 10 à 20 mètres de hauteurs, fournit
un double appoint à l'économie algérienne par son
écorce et par ses fruits. S'il domine seul, parfois, un abondant
sous-bois, il est souvent, par contre, concurrencé par d'autres
essences principales, notamment par le chêne zeen dans toutes les
stations un peu fraîches.
RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DU CHÊNE-LIÈGE
EN ALGÉRIE.
Pour se développer normalement, le chêne-liège exige
à la fois de la lumière, une température annuelle
moyenne de 14 à 17°, une humidité élevée
et un sol silicieux.
Ces conditions réalisées dans la zone littorale et sub-littorale
du Tell, entre Alger et la frontière tunisienne, ont permis le
développement de nombreuses forêts de chênes-liège
dans l'aire limitée au Nord par la côte, au Sud par la ligne
Souk-Ahras-Bouira-Médéa.
A l'Ouest d'Alger et en Oranie, les forêts de chênes-liège
ne sont plus que des îlots disséminés. Au-dessus de
1.200 mètres, quelle que soit la région, la subérée
est pratiquement inexistante.
La superficie ainsi occupée en Algérie est de 440.000 hectares,
dont 250.000 appartiennent à l'État (forêts domaniales)
et 190.000 aux grandes sociétés, aux communes et aux particuliers.
L'ECORCE DU CHENE-LIEGE.
En examinant la coupe transversale d'une tige de chêne-liège
adulte, on voit que l'écorce se compose de deux couches concentriques
bien distinctes.
La couche intérieure, en contact avec le bois, concourt seule à
l'accroissement en épaisseur du tronc. Les liégeurs appellent
cette partie de l'écorce " la mère ", en raison
du rôle essentiel qu'elle remplit dans la production du liège.
La couche externe, plus épaisse que la prés{ dente, est
formée par une matière spongieuse, élastique et compressible,
peu perméable aux liquides constituant le liège. Enveloppe
inerte ne participant pas aux fonctions actives de la végétation,
le liège peut être séparé du tronc sans que
l'existence de l'arbre soit compromise. Après ce dépouillement,
il se reforme une nouvelle couche de liège, et la même opération
peut se renouveler périodiquement.
On appelle liège mâle ou liège vierge
le produit naturel de l'arbre enlevé pour la première fois.
Lorsqu'on dépouille un arbre de son liège naturel sans endommager
la mère, il se forme une nouvelle couche de liège indistinctement
appelé : liège de reproduction, liège artificiel
ou liège femelle.
MISE EN VALEUR DES FORETS DE CHÊNES-LIÈGES.
(grain de sel : suberaie =forêt
de chênes-lièges)
La mise en production des forêts de chênes-liège d'Algérie
a commencé une dizaine d'années après la conquête.
On fit d'abord appel à l'exploitation privée en adoptant
le régime des concessions temporaires, moyennant redevance. La
durée de ces concessions, qui était à l'origine de
16 ans, fut portée successivement à 40 ans, puis à
90 ans. Mais à la suite des grands incendies de 1863 à 1865,
le Gouvernement impérial, devant les difficultés que soulevait
l'application du cahier des charges, consentit à l'aliénation
facultative des forêts concédées aux concessionnaires.
165.000 hectares furent ainsi aliénés.
En fait, ce n'est qu'à partir de 1888 que des crédits importants
furent inscrits au budget pour la mise en production des forêts
de 1"État. L'élan était enfin donné,
et à partir de 1891 le principe fut admis que le Domaine ne serait
plus exploité qu'en régie directe. A l'heure actuelle, toutes
les forêts domaniales exploitables sont en production. Leur surface
productive peut être évaluée à 207.000 hectares
en chiffre rond.
RÉGLEMENTATION DE LA RÉCOLTE.
Le liège des forêts domaniales est récolté
entre 9 et 12 ans, c'est-à-dire lorsqu'il a l'épaisseur
commerciale de 25 à 32 millimètres. Chaque forêt est
aménagée, c'est-à-dire divisée en un certain
nombre de coupons qui sont exploités successivement suivant un
programme arrêté d'avance, de manière à produire
un rendement à peu près soutenu.
Les récoltes commencent généralement en juin ; les
planches de liège, levées sur les arbres, sont transportées
à proximité des routes sur de grandes places en dépôt
où elles sont classées en catégories commerciales
et empilées pour être présentées à la
vente. Les piles mesurent, le plus souvent, 300 m3, pesant environ 300
quintaux.
Les ventes se font par adjudications publiques, dans le courant de l'automne,
au chef-lieu des trois départements, après une large publicité.
Les négociants du monde entier peuvent y participer. Les prix enregistrés
fixent les cours des lièges dans le nord de l'Afrique et servent
de base aux transactions particulières.
LA PRODUCTION.
La production algérienne totale en liège (forêts domaniales,
communales et particulières) oscillait, au cours des dix dernières
années qui ont précédé la guerre, entre 350.000
et 400.000 quintaux par an. Elle représente, à peu près,
le 1/6 de la production mondiale.
Le prix moyen du quintal de liège tout venant, à la production,
c'est-à-dire empilé .sur place de dépôt, qui
était en moyenne de 32 francs le quintal pendant la période
1900-1913, a subi, à partir de 1920, des oscillations considérables.
Après avoir atteint le prix de 280 francs en 1926, il est retombé
à. 52 fr. 43 en 1935, puis s'est relevé progressivement
depuis cette époque pour s'établir à 145 francs en
1939. Il est aujourd'hui de 520 francs.
Le marché du liège apparaît donc sujet à des
oscillations dont la grande amplitude, beaucoup plus marquée, en
tout cas, que celle de la production mondiale a varié seulement
de 2 millions à 2.500.000 quintaux.
LES DÉBOUCHÉS
Le liège d'Algérie est exporté sous les formes suivantes
:
Lièges en planches
à l'état brut |
11 % environ |
Lièges en planches
régulières, préparés
pour la bouchonnerie (bouillis, raclés)
|
28 % |
Lièges de trituration,
comprenant les lièges mâles, les lièges impropres
à la bouchonnenerie, les déchets de la préparation
des lièges et de la fabrication des bouchons.. |
54 % |
Lièges ouvrés,
bouchons et articles divers |
7 % |
Une part importante des lièges de
bouchonnerie d'Algérie est achetée par la France, 80 à
100.000 quintaux par an, soit environ la moitié de la production
pour cette catégorie ; l'autre moitié est exportée
vers les pays de consommation (Amérique, Angleterre, Pays Scandinaves,
Europe Centrale et Russie).
La plus grande partie, pour ne pas dire la totalité des bouchons
et des articles en liège fabriqués en Algérie, est
absorbée par le marché métropolitain, la vente de
ces produits à l'étranger se trouvant entravée par
des droits de douane généralement très élevés.
Quant aux lièges de trituration, ils constituent, jusqu'à
présent, presque exclusivement une marchandise d'exportation, les
principaux pays acheteurs étant l'Amérique, l'Angleterre,
l'Allemagne et les Pays Scandinaves.
DUALITÉS DU LIÈGE ALGÉRIEN.
La grande diversité des conditions de croissance du liège
algérien fait qu'elle offre des qualités très variées,
ce qui permet aux acheteurs de choisir celle qui répond aux exigences
spéciales de leurs fabrications.
Dans les régions les mieux arrosées et à basse altitude,
les écorces croissent rapidement ; épaisses et souples,
elles conviennent très bien à la bouchonnerie courante.
En altitude et sur les crêtes rocheuses, les accroissements annuels
sont plus minces mais le liège a plus de richesse et d'homogénéité.
Le liège de certaines forêts algériennes ne le cède
en rien aux meilleurs lièges du Portugal e d'Espagne et convient,
aussi bien que ces derniers, à la fabrication des bouchons pour
vins fins même des bouchons à champagne.
Ce serait, pourtant une erreur de vouloir n'attribuer qu'à l'altitude,
au facteur climatique, à la nature du sol, en un mot à "
l'ambiance " les différences que l'on constate dans la qualité
du liège. Les facteurs propres à chaque sujet, ses aptitudes
individuelles, interviennent pour le moins autant. Certains arbres donnent
un liège excellent, tandis que des arbres voisins situés
cependant dans des conditions comparables, ne fournissent parfois qu'un
produit médiocre. Il en est du liège comme d'un fruit, d'où
l'idée de favoriser les meilleurs producteurs par l'élimination
des producteurs médiocres qui les concurrencent, de pratiquer,
en somme, une sélection en vue d'améliorer la qualité
de nos lièges.
VUES D'AVENIR.
C'est à cette tâche que se consacre la Station de Recherches
Forestières qui, depuis une dizaine d'années, a organisé
des places d'expérience en vue de déterminer les méthodes
de traitements qui concilieront l'amélioration de la qualité
avec l'accroissement de la production, à l'hectare, de nos forêts.
On doit d'autant plus s'attacher à augmenter le rendement à
l'hectare des forêts de chênes-liège d'Algérie
- qui, au surplus, est encore loin d'atteindre celui obtenu au Portugal
et en Espagne - que la superficie totale des forêts en production
va aller en décroissant dans les années qui vont venir.
11 devient absolument nécessaire, en effet, de songer à
la régénération des peuplements de chênes-
lièges qui ayant déjà donné 6 à 7 récoltes,
vont bientôt arriver au terme d'une exploitation commerciale normale.
Cette uvre de régénération ne sera vraiment
complète que si elle s'accompagne d'une adaptation aux forêts
de chênes-liège d'Algérie des méthodes de traitement
qui ont fait leurs preuves dans les pays où la culture et l'exploitation
du chêne-liège est pratiquée depuis des siècles.
Et alors nos forêts de chênes-liège se présenteront
sous un tout autre aspect qu'aujourd'hui. Au maquis impénétrable
d'où émergent, à l'état plus ou moins dense,
des chênes en lutte constante avec des essences plus rustiques,
fera place une futaie régulière et propre, à l'abri
des incendies, fournissant un liège sain et de belle qualité
et d'abondantes glandées servant à la nourriture et à
l'engraissement de nombreux troupeaux.
INDUSTRIE DU LIÈGE : BOUCHONNERIE.
D'abord cantonnée dans les opérations de raclage, bouillage
et visage des lièges destinés à l'exportation, l'industrie
du liège s'est peu à peu étendue à la fabrication
des bouchons. Mais c'est seulement à partir de 19201 que cette
branche s'est vraiment développée : de 3.000 quintaux, chiffre
moyen de la période 1905-1914, l'exportation des bouchons et des
articles en liège ouvré est passée à 10.500
quintaux en 1920, 14.500 en 1930, 23.000 en 1935 et a atteint 41.0D0 quintaux
en 1938.
Dans ce dernier chiffre, les bouchons vendus en presque totalité
en France, entrent pour 30.000 quintaux correspondant à environ
1 milliard 200 millions de bouchons, représentant près du
tiers de la consommation totale de la France.
La France utilise, en effet, annuellement près de 4 milliards de
bouchons, 100 bouchons par tête d'habitant. C'est là un chiffre
record qui n'est atteint dans aucun autre pays. On peut encore donner
une autre expression de l'importance de cette consommation en disant qu'elle
nécessite la mise en uvre de plus de 300.000 quintaux de
liège, soit le 1/8 au moins de la production mondiale de ce produit.
L'Algérie possède aujourd'hui une douzaine de grandes bouchonneries
dotées d'un matériel mécanique moderne et employant
chacun de 20) à 500 ouvriers, et une quarantaine d'usines de moindre
importance et d'ateliers artisanaux.
Les principaux centres industriels pour le liège sont : Alger,
Bougie, Djidjelli,
Collo et Bône.
L'essor qu'a pris l'industrie du liège en Algérie n'est
pas dû seulement à l'abondance de la matière première,
mais pour autant au moins à l'attrait que présente le travail
du liège pour l'ouvrier musulman.. Aussi existe-t-il encore de
très grandes possibilités pour le développement de
cette industrie.
Il n'est pas téméraire d'affirmer que l'Algérie serait
en mesure, en très peu de temps, de doubler sa production actuelle
en bouchons et lièges ouvrés. Mais un tel accroissement
de la production n'irait pas sans causer une grave perturbation dans l'industrie
bouchonnière métropolitaine si elle ne s'accompagnait de
certaines mesures indispensables au nombre desquelles il faut placer,
en premier lieu, la recherche de débouchés sur les marchés
étrangers pour nos produits en liège ouvré, bouchons
et autres articles, et, en second lieu, une orientation mieux comprise
des industries algérienne et métropolitaine du liège
vers la fabrication d'articles autres que les bouchons.
En raison de ses propriétés particulières, le liège
trouve des applications nombreuses dans la construction et l'ameublement,
et son emploi s'accompagne toujours d'une augmentation de confort.
INDUSTRIES ANNEXES.
Dans la série des produits très nombreux que l'on peut obtenir
en partant du liège, certains paraissent mériter une mention
spéciale : agglomérés de liège, linoléum,
laine de liège.
Pour la fabrication des agglomérés on utilise les lièges
mâles, les lièges de rebut et les déchets de bouchonnerie.
On distingue les agglomérés en liège pur où
l'agglutination est obtenue sous le seul effet de la chaleur, de l'humidité
et de la pression, et les agglomérés dans la composition
desquels il entre une matière agglutinante autre que le liège.
Les uns et les autres sont utilisés, soit sous la forme de briques
dans la construction où ils constituent un matériau particulièrement
recherché pour sa légèreté et ses propriétés
isolantes thermiques et acoustiques, soit sous forme de plaques et de
demi cylindres pour des revêtements dans les installations thermiques
et frigorifiques, soit encore sous forme d'agglomérés en
plaques comme matière anti-vibratoire pour les machines.
La laine de liège est aujourd'hui d'une utilisation assez courante
dans les hôpitaux pour le remplissage des oreillers et matelas.
Ce produit, plus hygiénique que la laine animale et les duvets,
tout en ayant les mêmes qualités de souplesse, serait certainement
très recherché s'il était mieux connu.
Le linoléum est aussi un produit à base de liège.
On l'obtient en répandant sur une ossature en toile ou en papier,
une pâte composée d'un mélange de poudre de liège
et de bois, d'huile de lin oxydée et d'un siccatif.
Enfin, le liège aggloméré, en raison de sa légèreté
et de sa solidité, peut avantageusement remplacer le bois dans
les installations sanitaires.
Cette courte et incomplète énumération des articles
en liège considérés, jusqu'à présent,
comme secondaires par rapport aux bouchons, mais dont l'emploi tend de
plus en plus à se généraliser, montre que l'industrie
du liège en Algérie, pourvu qu'elle sache s'adapter à
ces fabrications nouvelles, mut encore se développer largement
sans porter ombrage à la bouchonnerie française.
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