Alger, Algérie : documents algériens
Série économique

Les possibilités de développement de l'industrie en Algérie au début de 1946
mise sur site le 19-2-2011
* Document n° 9 de la série : Économique - Paru le 25 avril 1946 - Rubrique INDUSTRIE

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Les possibilités de développement de l'industrie
en Algérie au début de 1946

Pays essentiellement agricole, insuffisamment équipé et industrialisé, l'Algérie était mal préparée à faire face à des besoins croissants sans les apports de la Métropole. La sécheresse persistante de ces dernières années n'avait fait qu'aggraver une situation rendue critique par la rupture des relations avec la France.

Le plan d'industrialisation prévu par M. Yves CHATAIGNEAU, Gouverneur Général, qui est actuellement en voie de réalisation, permettra à l'Algérie de recevoir et d'utiliser dans les meilleures conditions les produits de ses importations et de préparer et d'effectuer ses exportations de la manière la plus fructueuse.

LA PRODUCTION INDUSTRIELLE ET L'INDUSTRIALISATION.

L'expérience des années de guerre a montré combienétait pauvre la production industrielle algérienne. En cette matière, la colonie est entièrement tributaire de ses importations. La livraison des produits industriels tend heureusement à s'améliorer. Les importations en provenance de l'Amérique s'intensifient et comprennent une part importante d'achats privés. D'autre part, l'industrie française renaissante fournira un appoint séreux, particulièrement par la livraison de véhicules utilitaires, sur le programme des importations prévues pour 1946. L'approvisionnement en produits industriels évoluant favorablement, les conditions de répartition s'améliorent et, dans la mesure où le régime de contingentement et de surveillance doit être maintenu, les services administratifs s'efforcent d' associer aux répartitions les représentants qualifiés de l'économie du pays.

Le climat, le sol, la facilité des relations avec la France avant 1939 et, il faut bien l'avouer, la crainte pour les producteurs métropolitains de voir un de leurs principaux marchés disparaître, ont donné à l'économie algérienne un caractère essentiellement agricole. L'avenir du pays exige son industrialisation, tout au moins en ce qui concerne l'exploitation de ses richesses naturelles.

Un plan d'équipement industriel de l'Algérie dont le principe a été consacré par une décision du Gouvernement prise sur le rapport de la Commission des Reformes, entre dans sa phase de réalisation, Des mesures seront prises pour aider les industriels en mesure de faire concourir leur technique et leurs capitaux à l'exécution de ce plan ; d'autre part, une formule d'intervention temporaire de l'État a été mise au point afin de garantir l'écoulement des produits industriels d'origine locale.

L'ensemble de ces mesures est de nature à stimuler l'imitative privée qui reste fondamentale dans les secteurs non nationalisés. Certaines de ces initiatives se développent sans intervention supérieure. D'autres demandent des garanties qui font l'objet de conventions. Sont dan ce cas : la " Société des verreries de l'Afrique du Nord dont l'usine de la Sénia vient d'être mise en service ; la " Société des ciments artificiels d'Oranie " qui installera une usine à Saint-Lucien dès que les circonstances le permettront ; la " Société métallurgique et minière de l'Afrique du Nord " qui vient de formuler des propositions tendant à implanter une usine dans la région de Bône, débouché des minerais de l'Ouenza. Ce dernier projet subira probablement une réalisation rapide.

Une cimenterie dans la région de Constantine, une distillerie d'alcool industriel dans la vallée du Chélif f, une câblerie moderne adjointe aux tréfileries et laminoirs installés au Gué de Constantine, telles seront les premières réalisations du plan d'équipement industriel de l'Algérie.

Les industries des textiles et du cuir qui étaient pratiquement inexistantes en 1939, en dehors de la production artisanale musulmane, ont réalisé des progrès considérables. Les usines de textiles de Tlemcen et de la Sénia, dotées de moyens de fortune, livrent depuis 1943 des tissus dont la qualité, nettement inférieure aux produits d'importation, représentent cependant un effort sensible.

Les difficultés d'approvisionnement en cuirs à semelles et en semences pour cordonnerie ont ralenti la production des chaussures depuis le mois de septembre. La production moyenne mensuelle est actuellement de 50.000 paires dont 13.000 distribuées avec bon d'achat.

LES CARBURANTS.

La production industrielle d'un pays dépend étroitement de ses disponibilités en carburants.

Le volume des importations réalisées reste malgré sa progression nettement inférieur aux besoins croissants de l'Algérie. L'amélioration de la vie économique, les importations massives de céréales, la reprise de l'exportation des vins se traduisent par une augmentation des tonnages et transports, donc par un accroissement du trafic routier. D'autre part, la sécheresse exceptionnelle de ces dernières années en épuisant le cheptel vif a provoqué une activité accrue des tracteurs agricoles et des stations de pompage.

On peut cependant espérer que les besoins algériens seront en grande partie satisfaits, car les perspectives d'importations de carburants en 1946 s'annoncent bien, et si la quantité d'essence qui sera attribuée à l'Algérie ne lui permet pas de parer à tous ses besoins, par contre la liberté a été rendue à la vente des huiles de moteur et de graissage à partir du 1er janvier. Il est probable que la vente du pétrole pourra également être libre prochainement.

Tous les pays d'Europe manquent actuellement de charbon. Les importations de l'Algérie pour 1945 ont été insuffisantes et la quantité des produits livrés défectueuse. L'exploitation des houillères de Kenadza, Colomb-Béchar, apporte un appoint sérieux. Un effort immense a été réalisé, puisque la production est passée de 18.518 tonnes en 1939 à 166.024 tonnes en 1945, fournissant ainsi le quart de la consommation algérienne. La qualité du charbon indigène est supérieure à celle du charbon d'importation ; aussi la plus grande partie des charbons sud-oranais est-elle consommée par les chemins de fer, les usines à gaz et les centrales électriques. Son prix de revient étant cependant plus élevé en raison des difficultés d'exploitation, le Gouvernement vient de décider de prendre à sa charge la différence entre les prix de revient des charbons indigènes et les prix des charbons d'importation de qualité équivalente.

Charbon et essence restent néanmoins en quantité insuffisante ; aussi l'Algérie se trouve-t-elle devant la nécessité impérieuse de maintenir les restrictions de la circulation automobile, de la circulation des trains et de consommation d'électricité et de gaz.

LES MINES.

L'exploitation des mines métalliques d'Algérie est loin d'avoir subi la courbe ascendante de celle des houillères. De manière générale, la situation des exploitations minières a beaucoup souffert des circonstances économiques particulières nées de la guerre. La rareté des approvisionnements en matières premières, la pénurie de combustibles et de carburants, la hausse des salaires, le manque de main-d'œuvre sont autant de facteurs qui ont une influence défavorable sur la bonne marche des mines et carrières algériennes.

Les exploitations de fer et phosphates produisent dans la limite de leur capacité technique. Les minerais de fer, qui constituent l'un de nos principaux moyens de paiement pour l'étranger, étaient vendus aux alliés, avant l'alignement monétaire de décembre dernier, à des prix qui ne couvraient pas les prix de revient, la différer-ce étant comblée par l'Office Algérien du Commerce Extérieur. Le Gouvernement vient de prendre la décision de rembourser ces déficits à l'Algérie et d'allouer à l'avenir aux producteurs, des avances sous forme d'indemnités compensatrices à la tonne. Il convient de signaler le cas de l'Ouenza, principal centre d'extraction du minerai de fer, dont les installations mécaniques de chargement du port de Bône ont été détruites par les bombardements consécutifs au débarquement allié en Afrique du Nord. La Société de l'Ouenza a réussi à reconstituer un appareil de chargement avec les débris restants, mais la cadence des opérations est considérablement réduite.

La production de phosphates, en 1945, a dépassé 300.000 tonnes. Ce chiffre a pu être atteint du fait que leur exploitation n'a pas connu les mêmes difficultés financières que celles des minerais, leur vente étant encore assurée par l'intermédiaire du Comptoir Nord-Africain des Phosphates. Les phosphates métallurgiques ont, cependant, un prix de revient élevé, et l'Administration algérienne a été conduite à intervenir auprès du Gouvernement pour en assurer l'écoulement.

Les exploitations minières importantes sont sous le contrôle direct de l'Algérie.

Le régime actuel de la Société de l'Ouenza découle des conventions qui ont été passées entre l'Algérie et la Société en 1913, 1925 et 1937.

L'Algérie, qui est propriétaire de 27,7 % du capital-actions de la Société, perçoit, en outre, 50 % des bénéfices nets réalisés après déduction des charges de toute nature.

En vertu d'un accord passé en mai 1945 avec l'Algérie, et qui est valable jusqu'au rétablissement des conditions normales d'exploitation, la Société est remboursée par l'O.A.C.E. du montant total de son prix de revient.

Les Houillères de Kenadza, Colomb-Béchar, n'ont pas été concédées. Elles sont actuellement exploitées par la Régie des charbonnages de Colomb-Béchar pour le compte de l'Algérie.

Afin d'augmenter le plus possible les ressources minières de l'Algérie, le Gouvernement se préoccupe de la mise au point de plans de recherches et de développement de la production des substances minérales.

Un bureau de recherches de pétrole a été créé, par ordonnance du 12 octobre 1945, ainsi qu'une Société nationale de matériel pour la recherche et l'exploitation du pétrole.

Un texte en préparation prévoit la création d'un Bureau national et d'un Bureau algérien de recherches minières autres que le pétrole.

Ces organismes, dotés de la personnalité civile et de l'autonomie financière, pourront notamment prendre des participations dans les groupements publics, privés ou mixtes.

L'ÉNERGIE ÉLECTRIQUE.

L'exploitation rationnelle des richesses de l'Algérie et son industrialisation dépendent en grande partie de la production suffisante, et à prix intéressants, de l'énergie électrique.

L'utilisation des forces hydrauliques du pays, en permettant l'électrification des lignes de chemins de fer et des campagnes, doit être un facteur de confort et de prospérité économique, car elle réduira d'autant les importations de charbon.

Les travaux entrepris en 1942 sont en voie d'achèvement et ont déjà apporté, en 1945, un accroissement dé la production de 22 millions de KWH. L'usine hydroélectrique de Boghni-Aval vient d'être mise en service. A Béni-Bandel, en attendant que l'usine définitive puisse fonctionner en 1946, une petite usine provisoire a été installée.

Un plan d'équipement électrique qui a reçu l'approbation du Gouvernement a été dressé, et une demande de matériaux, avec priorité d'exécution, a été soumise au pouvoir central pour l'achèvement de la première tranche de ce programme.

L'année 1946 verra la mise en service des usines hydroélectriques de Béni-Bandel, du Hamiz, de Perrégaux, de Bakhada, de Bou-Hanifia. Les accroissements prévus pour 1946, 1947 et 1950 sont respectivement : 23 millions, 68 millions et 250 millions de KWH. L'exécution de ce programme ( Voir Documents Algériens, Série Economique : l' electrification de l'Algérie.) sera facilitée et accélérée par la nationalisation, dans un avenir très proche, des entreprises de production, de transport et de distribution de l'énergie électrique.

LA MAIN-D'OEUVRE.
Il convient de terminer ce rapide examen du développement possible de l'industrie algérienne par l'étude de la question de la main-d'œuvre.

L'Algérie passe pour un pays où a main-d'œuvre non spécialisée est abondante, et cependant presque tous les industriels se sont plaints, ces dernières années, du recrutement difficile de leurs ouvriers indigènes, alors qu'avant la guerre la question ne se posait pour ainsi dire pas.

C'est là un phénomène social dû au bouleversement des conditions économiques, qui disparaît d'ailleurs sensiblement avec le redressement actuel de la situation générale. On peut donc admettre que la main-d'œuvre non spécialisée peut être trouvée malgré l'état de fait actuel.
La question devient beaucoup plus difficile quand il s'agit d'ouvriers spécialisés. L'Algérie compte, en temps normal, un assez grand nombre d'ouvriers moyens, mais elle manque presque totalement de bons ouvriers spécialisés et de cadres de " maistrance " ; c'est là une des infériorités de son industrie débutante. Pendant quelque temps encore, il lui faudra demander à l'extérieur la main-d'œuvre spécialisée en attendant que la question de la formation professionnelle soit définitivement mise au point en Algérie.

Possédant les seuls gisements de charbon importants de l'Algérie, situé à proximité du Maroc dont il pourra recevoir les excédents d'énergie hydraulique, point d'aboutissement Nord du projet du Méditerranée-Niger, dont la réalisation transformera la question industrielle en Afrique du Nord, le département d'Oran paraît tout indiqué pour devenir le centre industriel, non seulement de l'Algérie, mais de l'Afrique du Nord dont il occupe précisément le centre ; c'est d'ailleurs vers cette région que se sont portés la plupart des projets qui étaient en cours de réalisation.