Les possibilités
de développement de l'industrie
en Algérie au début de 1946
Pays essentiellement agricole, insuffisamment
équipé et industrialisé, l'Algérie était
mal préparée à faire face à des besoins croissants
sans les apports de la Métropole. La sécheresse persistante
de ces dernières années n'avait fait qu'aggraver une situation
rendue critique par la rupture des relations avec la France.
Le plan d'industrialisation prévu par M. Yves CHATAIGNEAU, Gouverneur
Général, qui est actuellement en voie de réalisation,
permettra à l'Algérie de recevoir et d'utiliser dans les
meilleures conditions les produits de ses importations et de préparer
et d'effectuer ses exportations de la manière la plus fructueuse.
LA PRODUCTION INDUSTRIELLE ET L'INDUSTRIALISATION.
L'expérience des années de guerre a montré combienétait
pauvre la production industrielle algérienne. En cette matière,
la colonie est entièrement tributaire de ses importations. La livraison
des produits industriels tend heureusement à s'améliorer.
Les importations en provenance de l'Amérique s'intensifient et
comprennent une part importante d'achats privés. D'autre part,
l'industrie française renaissante fournira un appoint séreux,
particulièrement par la livraison de véhicules utilitaires,
sur le programme des importations prévues pour 1946. L'approvisionnement
en produits industriels évoluant favorablement, les conditions
de répartition s'améliorent et, dans la mesure où
le régime de contingentement et de surveillance doit être
maintenu, les services administratifs s'efforcent d' associer aux répartitions
les représentants qualifiés de l'économie du pays.
Le climat, le sol, la facilité des relations avec la France avant
1939 et, il faut bien l'avouer, la crainte pour les producteurs métropolitains
de voir un de leurs principaux marchés disparaître, ont donné
à l'économie algérienne un caractère essentiellement
agricole. L'avenir du pays exige son industrialisation, tout au moins
en ce qui concerne l'exploitation de ses richesses naturelles.
Un plan d'équipement industriel de l'Algérie dont le principe
a été consacré par une décision du Gouvernement
prise sur le rapport de la Commission des Reformes, entre dans sa phase
de réalisation, Des mesures seront prises pour aider les industriels
en mesure de faire concourir leur technique et leurs capitaux à
l'exécution de ce plan ; d'autre part, une formule d'intervention
temporaire de l'État a été mise au point afin de
garantir l'écoulement des produits industriels d'origine locale.
L'ensemble de ces mesures est de nature à stimuler l'imitative
privée qui reste fondamentale dans les secteurs non nationalisés.
Certaines de ces initiatives se développent sans intervention supérieure.
D'autres demandent des garanties qui font l'objet de conventions. Sont
dan ce cas : la " Société des verreries de l'Afrique
du Nord dont l'usine de la Sénia vient d'être mise en service
; la " Société des ciments artificiels d'Oranie "
qui installera une usine à Saint-Lucien dès que les circonstances
le permettront ; la " Société métallurgique
et minière de l'Afrique du Nord " qui vient de formuler des
propositions tendant à implanter une usine dans la région
de Bône, débouché des minerais de l'Ouenza. Ce dernier
projet subira probablement une réalisation rapide.
Une cimenterie dans la région de Constantine, une distillerie d'alcool
industriel dans la vallée du Chélif f, une câblerie
moderne adjointe aux tréfileries et laminoirs installés
au Gué de Constantine, telles seront les premières réalisations
du plan d'équipement industriel de l'Algérie.
Les industries des textiles et du cuir qui étaient pratiquement
inexistantes en 1939, en dehors de la production artisanale musulmane,
ont réalisé des progrès considérables. Les
usines de textiles de Tlemcen et de la Sénia, dotées de
moyens de fortune, livrent depuis 1943 des tissus dont la qualité,
nettement inférieure aux produits d'importation, représentent
cependant un effort sensible.
Les difficultés d'approvisionnement en cuirs à semelles
et en semences pour cordonnerie ont ralenti la production des chaussures
depuis le mois de septembre. La production moyenne mensuelle est actuellement
de 50.000 paires dont 13.000 distribuées avec bon d'achat.
LES CARBURANTS.
La production industrielle d'un pays dépend étroitement
de ses disponibilités en carburants.
Le volume des importations réalisées reste malgré
sa progression nettement inférieur aux besoins croissants de l'Algérie.
L'amélioration de la vie économique, les importations massives
de céréales, la reprise de l'exportation des vins se traduisent
par une augmentation des tonnages et transports, donc par un accroissement
du trafic routier. D'autre part, la sécheresse exceptionnelle de
ces dernières années en épuisant le cheptel vif a
provoqué une activité accrue des tracteurs agricoles et
des stations de pompage.
On peut cependant espérer que les besoins algériens seront
en grande partie satisfaits, car les perspectives d'importations de carburants
en 1946 s'annoncent bien, et si la quantité d'essence qui sera
attribuée à l'Algérie ne lui permet pas de parer
à tous ses besoins, par contre la liberté a été
rendue à la vente des huiles de moteur et de graissage à
partir du 1er janvier. Il est probable que la vente du pétrole
pourra également être libre prochainement.
Tous les pays d'Europe manquent actuellement de charbon. Les importations
de l'Algérie pour 1945 ont été insuffisantes et la
quantité des produits livrés défectueuse. L'exploitation
des houillères de Kenadza, Colomb-Béchar, apporte un appoint
sérieux. Un effort immense a été réalisé,
puisque la production est passée de 18.518 tonnes en 1939 à
166.024 tonnes en 1945, fournissant ainsi le quart de la consommation
algérienne. La qualité du charbon indigène est supérieure
à celle du charbon d'importation ; aussi la plus grande partie
des charbons sud-oranais est-elle consommée par les chemins de
fer, les usines à gaz et les centrales électriques. Son
prix de revient étant cependant plus élevé en raison
des difficultés d'exploitation, le Gouvernement vient de décider
de prendre à sa charge la différence entre les prix de revient
des charbons indigènes et les prix des charbons d'importation de
qualité équivalente.
Charbon et essence restent néanmoins en quantité insuffisante
; aussi l'Algérie se trouve-t-elle devant la nécessité
impérieuse de maintenir les restrictions de la circulation automobile,
de la circulation des trains et de consommation d'électricité
et de gaz.
LES MINES.
L'exploitation des mines métalliques d'Algérie est loin
d'avoir subi la courbe ascendante de celle des houillères. De manière
générale, la situation des exploitations minières
a beaucoup souffert des circonstances économiques particulières
nées de la guerre. La rareté des approvisionnements en matières
premières, la pénurie de combustibles et de carburants,
la hausse des salaires, le manque de main-d'uvre sont autant de
facteurs qui ont une influence défavorable sur la bonne marche
des mines et carrières algériennes.
Les exploitations de fer et phosphates produisent dans la limite de leur
capacité technique. Les minerais de fer, qui constituent l'un de
nos principaux moyens de paiement pour l'étranger, étaient
vendus aux alliés, avant l'alignement monétaire de décembre
dernier, à des prix qui ne couvraient pas les prix de revient,
la différer-ce étant comblée par l'Office Algérien
du Commerce Extérieur. Le Gouvernement vient de prendre la décision
de rembourser ces déficits à l'Algérie et d'allouer
à l'avenir aux producteurs, des avances sous forme d'indemnités
compensatrices à la tonne. Il convient de signaler le cas de l'Ouenza,
principal centre d'extraction du minerai de fer, dont les installations
mécaniques de chargement du port de Bône ont été
détruites par les bombardements consécutifs au débarquement
allié en Afrique du Nord. La Société de l'Ouenza
a réussi à reconstituer un appareil de chargement avec les
débris restants, mais la cadence des opérations est considérablement
réduite.
La production de phosphates, en 1945, a dépassé 300.000
tonnes. Ce chiffre a pu être atteint du fait que leur exploitation
n'a pas connu les mêmes difficultés financières que
celles des minerais, leur vente étant encore assurée par
l'intermédiaire du Comptoir Nord-Africain des Phosphates. Les phosphates
métallurgiques ont, cependant, un prix de revient élevé,
et l'Administration algérienne a été conduite à
intervenir auprès du Gouvernement pour en assurer l'écoulement.
Les exploitations minières importantes sont sous le contrôle
direct de l'Algérie.
Le régime actuel de la Société de l'Ouenza découle
des conventions qui ont été passées entre l'Algérie
et la Société en 1913, 1925 et 1937.
L'Algérie, qui est propriétaire de 27,7 % du capital-actions
de la Société, perçoit, en outre, 50 % des bénéfices
nets réalisés après déduction des charges
de toute nature.
En vertu d'un accord passé en mai 1945 avec l'Algérie, et
qui est valable jusqu'au rétablissement des conditions normales
d'exploitation, la Société est remboursée par l'O.A.C.E.
du montant total de son prix de revient.
Les Houillères de Kenadza, Colomb-Béchar, n'ont pas été
concédées. Elles sont actuellement exploitées par
la Régie des charbonnages de Colomb-Béchar pour le compte
de l'Algérie.
Afin d'augmenter le plus possible les ressources minières de l'Algérie,
le Gouvernement se préoccupe de la mise au point de plans de recherches
et de développement de la production des substances minérales.
Un bureau de recherches de pétrole a été créé,
par ordonnance du 12 octobre 1945, ainsi qu'une Société
nationale de matériel pour la recherche et l'exploitation du pétrole.
Un texte en préparation prévoit la création d'un
Bureau national et d'un Bureau algérien de recherches minières
autres que le pétrole.
Ces organismes, dotés de la personnalité civile et de l'autonomie
financière, pourront notamment prendre des participations dans
les groupements publics, privés ou mixtes.
L'ÉNERGIE ÉLECTRIQUE.
L'exploitation rationnelle des richesses de l'Algérie et son industrialisation
dépendent en grande partie de la production suffisante, et à
prix intéressants, de l'énergie électrique.
L'utilisation des forces hydrauliques du pays, en permettant l'électrification
des lignes de chemins de fer et des campagnes, doit être un facteur
de confort et de prospérité économique, car elle
réduira d'autant les importations de charbon.
Les travaux entrepris en 1942 sont en voie d'achèvement et ont
déjà apporté, en 1945, un accroissement dé
la production de 22 millions de KWH. L'usine hydroélectrique de
Boghni-Aval vient d'être mise en service. A Béni-Bandel,
en attendant que l'usine définitive puisse fonctionner en 1946,
une petite usine provisoire a été installée.
Un plan d'équipement électrique qui a reçu l'approbation
du Gouvernement a été dressé, et une demande de matériaux,
avec priorité d'exécution, a été soumise au
pouvoir central pour l'achèvement de la première tranche
de ce programme.
L'année 1946 verra la mise en service des usines hydroélectriques
de Béni-Bandel, du Hamiz,
de Perrégaux, de Bakhada, de Bou-Hanifia. Les accroissements prévus
pour 1946, 1947 et 1950 sont respectivement : 23 millions, 68 millions
et 250 millions de KWH. L'exécution de ce programme ( Voir
Documents Algériens, Série Economique : l'
electrification de l'Algérie.)
sera facilitée et accélérée par la nationalisation,
dans un avenir très proche, des entreprises de production, de transport
et de distribution de l'énergie électrique.
LA MAIN-D'OEUVRE.
Il convient de terminer ce rapide examen du développement possible
de l'industrie algérienne par l'étude de la question de
la main-d'uvre.
L'Algérie passe pour un pays où a main-d'uvre non
spécialisée est abondante, et cependant presque tous les
industriels se sont plaints, ces dernières années, du recrutement
difficile de leurs ouvriers indigènes, alors qu'avant la guerre
la question ne se posait pour ainsi dire pas.
C'est là un phénomène social dû au bouleversement
des conditions économiques, qui disparaît d'ailleurs sensiblement
avec le redressement actuel de la situation générale. On
peut donc admettre que la main-d'uvre non spécialisée
peut être trouvée malgré l'état de fait actuel.
La question devient beaucoup plus difficile quand il s'agit d'ouvriers
spécialisés. L'Algérie compte, en temps normal, un
assez grand nombre d'ouvriers moyens, mais elle manque presque totalement
de bons ouvriers spécialisés et de cadres de " maistrance
" ; c'est là une des infériorités de son industrie
débutante. Pendant quelque temps encore, il lui faudra demander
à l'extérieur la main-d'uvre spécialisée
en attendant que la question de la formation professionnelle soit définitivement
mise au point en Algérie.
Possédant les seuls gisements de charbon importants de l'Algérie,
situé à proximité du Maroc dont il pourra recevoir
les excédents d'énergie hydraulique, point d'aboutissement
Nord du projet du Méditerranée-Niger, dont la réalisation
transformera la question industrielle en Afrique du Nord, le département
d'Oran paraît tout indiqué pour devenir le centre industriel,
non seulement de l'Algérie, mais de l'Afrique du Nord dont il occupe
précisément le centre ; c'est d'ailleurs vers cette région
que se sont portés la plupart des projets qui étaient en
cours de réalisation.
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