Alger - l'Algérie

         BREVES MONOGRAPHIES COMMUNALES
Les trois communes de la proche banlieue d'Alger
BOUZAREA  ( ou La Bouzaréah)

Texte, illustrations : Georges Bouchet

mise sur site le 17-2-2008

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     o      BOUZAREA  ( ou La Bouzaréah)

La fondation de ce village de colonisation ne doit rien au plan Guyot de 1842, même si sa création, lui est postérieure.

Il a été créé près d’un petit fort militaire établi sur la plus élevée des collines du Sahel, juste au- dessus de Bab el-Oued. Que cette création ait attendu 13 ans après la conquête de la ville si proche, souligne bien l’indécision des dirigeants du Royaume sur la conduite à tenir en Algérie.

Il est vrai que ce massif est plus venteux, plus frais, plus humide que le reste du Sahel. Il est aussi à l’écart des  chemins principaux. Le site n’est guère attirant et le village de 1843 est resté longtemps au bout d’une impasse.

Quelques dates

1843 -
Création d’un centre de colonisation modeste
1870 -
Bouzaréa devient CPE, Commune de plein exercice
1888 -
Transfert  à Bouzaréa de l’Ecole Normale d’instituteurs inaugurée en 1866 à Mustapha ; bien que présenté comme provisoire pour atténuer l’opposition de tous, professeurs et élèves, mécontents d’être « exilés » si  loin de la ville,  ce transfert fut reconnu comme définitif dès 1897.
Vers 1890 -
Création du seul observatoire astronomique d’Algérie ; Après 1962 il devient le CRAAG ; Centre de Recherches en Astronomie, Astrophysique et Géophysique.
1891 -
Création de la Section Spéciale à L’Ecole Normale.
1940 -
Suppression, par Vichy, de cette Ecole Normale, comme de toutes les autres.
1942 -
Occupation américaine de l’Ecole Normale. C’est notamment l’Etat-Major du Général Hewitt, chargé de préparer le débarquement en Sicile qui y demeure jusqu’en 1944.
1945 -
Réouverture de l’Ecole Normale.
1957 -
Création d’une SAU (Section Administrative Urbaine) sur le modèle des SAS du bled.
1959 -
Intégration de la commune dans le 6è arrondissement du Grand Alger.

Le territoire communal

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Carte du territoire communal, avec texte
Carte du territoire communal, avec texte

Le village a été implanté un peu en arrière du sommet arrondi d’un vieux massif primaire très érodé. Mais ce massif, peu élevé (407m), est si près du littoral que, vu de la mer, il prend des allures de montagne. L’endroit est très pluvieux et le massif est entaillé de tous côtés par des ravins qui dévalent vers le littoral très proche à l’est et au nord. Les espaces aisément constructibles sont rares.

Il y a plus de broussailles ou de pauvres pâtures, que de culture ou de vraie forêt : la forêt de Baïnem n’apparaît que dans le coin N-O. La Tribu est le village arabe.

Au nord la limite de la commune court à mi-versant au-dessus de Saint-Eugène  et de Guyotville. Au sud elle suit les oueds Ben Lezzard (vers l’est) et Beni-Messous (vers l’ouest et Chéragas). A l’est elle domine la Basilique de N-D d’Afrique et suit le haut des carrières Jaubert. C’est là que se trouvent les meilleurs points de vue sur Saint-Eugène (Bologhine après 1962), Bab el-Oued et la baie d’Alger.

Le massif de Bouzaréa sert de château d’eau pour tout le Sahel oriental. Vers l’ouest l’oued Beni Messous est le moins torrentiel car il est le plus long et a donc une pente plus faible. Vers l’est l’oued Ben Lezzard (on dit aussi M’Kacel)  est le plus dangereux. Par le Frais Vallon il dégringole vers Bab-el-Oued  qu’il traverse enfoui dans un tunnel. Mais depuis 1962 le déboisement et les constructions anarchiques ont déstabilisé les sols et aggravé le danger des crues d’orage. Le 10 octobre 2001 une crue plus brutale que les autres a rempli de boue le tunnel et envahi la ville. On dénombra officiellement 712 morts et 115 disparus !

Le village-centre

Il n’est pas du tout conforme au schéma du village de colonisation classique : pas de plan en damier, pas de place centrale carrée ou rectangulaire ; juste un carrefour en Y au centre de la commune et en retrait du fort. Avec ses villas alignées le long de rues  sans plan d’ensemble, l’agglomération tient plus d’une banlieue inorganisée que d’un village créé ex-nihilo.

La rue principale, et la plus commode, est celle qui vient de Châteauneuf. C’est par là que passaient les trolleybus et les autobus venus d’Alger.

Sa desserte par les transports en commun

En 1962 3 lignes de bus de la RSTA (Régie syndicale des Transports Algérois regroupant depuis 1959  les deux réseaux de transports urbains) montaient d’Alger à Bouzaréa, carrefour central.
La plus ancienne est la ligne 6 (trolley, puis bus) de la place du Gouvernement, par Châteauneuf
La ligne 6 barré  vient de la Grande Poste par le Télemly et Châteauneuf
La ligne 16 est la plus récente, venue de la place du Gouvernement, par le Frais Vallon.

Les bâtiments et institutions notables sont l’observatoire et l’ENIB.

·         L’observatoire astronomique a été créé à une date que je ne connais pas avec précision, mais qui est très antérieure à 1894. La hauteur et la situation au-dessus des brumes du littoral, ainsi que la proximité de la capitale et de ses écoles supérieures expliquent  le choix de ce site pour l’implantation du seul observatoire algérien. Avec les bâtiments de service qui l’accompagnent il forme un hameau qui porte le nom délicieux de « village céleste » visible sur la carte au 1/50000.
C’est là qu’en 1916 l’astronome Frédéric Sy a découvert les astéroïdes 858 et 859 qu’il baptisa El Djezaïr et Bouzaréa. Cet observatoire est encore actif. Après 1962 l’observatoire est promu CRAAG Centre de Recherches en Astronomie, Astrophysique et géophysique.

·         L’ENIB ou Ecole Normale d’Instituteurs de Bouzaréa mérite  qu’on s’y arrête plus longuement qu’à l’observatoire.
Ce ne fut pas la seule Ecole Normale d’Algérie, mais ce fut la principale et en quelque sorte la clé de voûte de l’Enseignement  Primaire dans le bled car ce fut la seule E.N de garçons habilitée à former les instituteurs du cadre B destinés à l’enseignement des « indigènes », avant la fusion des cadres A et B en 1949. C’est là qu furent formés tous les instituteurs du bled.
L’ENIB avait été instituée, par décret impérial du 4 mars 1865, mais les bâtiments avaient été choisis en ville, à Mustapha Supérieur.
Ce n’est qu’en 1888 que l’E.N. dut déménager d’urgence à cause d’un glissement de terrain menaçant à Mustapha. Cet exil fut combattu par un front uni de professeurs et d’élèves contrariés d’être exilés si loin de la ville. On leur promit que ce serait provisoire ; en 2007 l’E.N est toujours à Bouzaréa. En octobre on emménagea, provisoirement croyait-on, dans un bâtiment pas terminé et  prévu à l’origine pour un asile d’aliénés ; les élèves le dénommèrent « Maboulville.
En 1891 est créée la « Section Spéciale » qui avait pour mission «  d’adapter les élèves-maîtres ayant achevé le cursus normal, à l’Enseignement des Indigènes ». Les élèves en question pouvaient être natifs de métropole ou d’Algérie. On avait prévu des promotions de 40 en 1891 : en réalité le chiffre a varié en fonction des créations de classes dans le bled ; par ex. 12 élèves  en 1896 et 54 en 1938.
Cette Section Spéciale » était également appelée la « Quatrième Année »
A la sortie de la Section Spéciale le nouvel instituteur obtient trois papiers. 
     Le Certificat d’Aptitude Professionnel (le C.A.P.)
     Le  Certificat d’Aptitude à l’Enseignement Agricole
     Le diplôme d’Hygiène et de Médecine usuelle.
En 1897 on fit savoir que le provisoire  deviendrait nécessairement définitif car de vastes terrains étaient indispensables pour mener à bien la nouvelle mission agricole de l’instituteur du bled ; or  à Bouzaréa l’ENIB disposait de 23 ha, et depuis 1895 d’une cheptel.
En 1914 le confort s’améliora : on installa l’électricité et l’eau courante.
En 1928 on fusionna les deux  concours d’admission européen et indigène jusque là séparés.
En octobre 1940 l’ENIB fut supprimée par le Gouvernement de Vichy, qui estimait que « ces séminaires laïcs » ne pouvaient soutenir les objectifs moraux de la « Révolution Nationale » prônée par Pétain. Les élèves-maîtres ne  perdirent pas leur statut (sauf les juifs, exclus) mais durent aller préparer le baccalauréat ailleurs. Il avait été prévu que la formation professionnelle serait assurée, après l’obtention du bac, par des IFPI (instituts de formation professionnelle interdépartementaux) et par des stages de trois mois dans des écoles.

Le débarquement américain du 8 novembre 1942 mit fin à cette législation : il n’y eut pas d’IFPI en Algérie et les juifs furent réintégrés. Mais l’ENIB ne rouvrit pas.

De 1942 à 1944 l’ENIB fut occupée par l’armé américaine. 


Les bâtiments de l’ENIB
Les bâtiments de l’ENIB
Et quelques villas proches
Après 1962 cette école devint Ecole Normale
  Supérieure
  
En octobre 1945 l’Ecole est réouverte avec des promotions de 2è, 3è  et 4è  année diminuées par la mobilisation, générale en Algérie après le débarquement du 8 novembre ; voire par la mort au Champ d’Honneur en Syrie, Italie, France, Autriche ou Allemagne.

Supplément facultatif

Je ne résiste pas à l’envie de placer  l’emploi du temps de 1866 et une photo de la section spéciale pour l’année scolaire 1925/1926 .

Une journée vécue par les 30 premiers élèves,
en 1866/1867

5h - Réveil ; puis prière et étude
7h - Petit déjeuner et repos
8h - Cours
12h - Repas et repos
13h - Etude surveillée
14h - Cours
18h - Repas et repos
19h - Etude
21h - Repas
22h - Extinction des feux après la prière

 Le jeudi après-midi était libre pour pouvoir recevoir des visites et rédiger sa correspondance. Le dimanche matin la messe est obligatoire, sauf pour les musulmans.

Jusqu’en 1884 les élèves ne pouvaient s’absenter durant les 10 mois et demi de l’année scolaire. En 1884 ils obtinrent le droit de sortir en ville, le dimanche, en uniforme bleu, avec casquette ou chéchia.

Photo des  élèves-maîtres la classe de la Section Spéciale en 1925/1926

Photo des élèves-maîtres la classe de la Section Spéciale en 1925/1926

            Voici trois destins tout à fait représentatifs des carrières des instituteurs du cadre B.
Un début dans un bled sans route, ni commerce, ni Européens à cette date ; et une fin à Alger

Louis a  occupé un poste à Agouni Gherrane au pied du Djurdjura, puis à Sétif, puis à Maison-Carrée.
            Il a terminé sa carrière comme Directeur à la Colonne Voirol.
            Il était natif de Draria et est mort à Paris.
Eloi a occupé  un poste à Agouni Ahmed (Kabylie des Beni Yenni), puis à Perrégaux, puis à Blida.
            Il a terminé sa carrière comme Directeur à Hydra.
            Il était natif de Cauterets et est mort à Cauterets
Marceau a occupé un poste à Aït Lahcene (Kabylie des Beni Yenni), puis à Médéa, Alger-Frais-Vallon.  
            Il a terminé sa carrière comme Directeur à  Alger-Guillemin.
            Il était natif de Draria et est mort à Sommières.