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Auteur : Georges
Bouchet
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PRESENTATION GENERALE
Je me propose d'évoquer le sort du Sahel d'Alger qui est entré dans notre histoire le 14 juin 1830 avec le débarquement des troupes du Général de Bourmont en 1830, et qui en est sorti le 3 juillet sans gloire, mais avec l'approbation de plus de 90% des votants métropolitains, ou plus de 65% des inscrits. Le Sahel est une région de collines s'étirant de la baie d'Alger qu'elles surplombent de 200 à 400m, jusqu'au massif du Chenoua près de Tipaza. Cette longue bande de collines, large de plus de 20km près d'Alger, se rétrécit vers l'ouest jusqu'à moins d'un kilomètre. Au-delà du territoire de la commune de Koléa sa largeur fut insuffisante pour la création de villages de colonisation ; les hauteurs du Sahel furent alors rattachées à des communes littorales, comme Castiglione, ou à des communes de la Mitidja, comme Attatba. Je limiterai donc mon survol des territoires des villages de colonisation du Sahel à ceux situés entre le hameau de Berbessa et la ville d'Alger. Cette petite région proche de la capitale a, pour les Français, une place symbolique tout à fait à part, tant au point de vue historique qu'au point de vue géographique. Présentation générale historique C'est dans le Sahel, dans la presqu'île de Sidi-Ferruch plus précisément, que l'armée française a commencé son débarquement le 14 juin 1830 vers 4 heures du matin. C'est au lieu-dit Staouéli que les Français ont remporté leur première victoire sur l'armée turque le 19 juin. C'est en traversant le Sahel parallèlement à l'oued Beni Messous, mais en se tenant à l'écart du talweg, que l'armée française a atteint à El Biar les collines dominant Alger. C'est là, entre Sidi-Ferruch et El Biar que les troupes du Génie ont tracé la première route carrossable, avec tous les kilomètres, une redoute pour surveiller et protéger cet axe indispensable au ravitaillement en munitions et en vivres du corps d'occupation d'Alger. C'est là, qu'avec le plan Guyot de 1842, a été mise en place une colonisation de peuplement officielle qui n'a pris fin qu'en 1928 avec le village de Médrissa en Oranie. En effet au début, l'installation de civils européens a été tolérée par les autorités, et pas du tout encouragée. Elle fut d'initiative privée. Ce sont d'ailleurs rarement des agriculteurs qui s'établissent près des postes militaires, mais des aubergistes, des cabaretiers ou des charretiers. Les premiers agriculteurs, minoritaires, destinaient leurs surplus de récoltes à une clientèle très proche, la seule alors accessible. La principale production était celle des fourrages pour les chevaux de l'armée. Il a fallu attendre plus de 10 ans après la prise
d'Alger pour que le Gouvernement décide de mettre en place, après
les désastres de décembre 1839, un réseau de villages
peuplés d'agriculteurs européens. Ce long délai mérite
une explication. En réalité la France de Louis-Philippe
ne savait que faire de la conquête de Charles X et se contentait
d'occuper durablement quelques villes, côtières le plus souvent.
Ce n'est que le 22 juillet 1834 qu'une ordonnance royale confirma la souveraineté
française sur ces points d'appui isolés les uns des autres. Ce désaccord sur ce texte ambigu fournit à Abd el-Kader le prétexte qu'il attendait pour proclamer le djihad lorsque le Gouverneur Général Sylvain Valée relia Sétif à Alger, avec 2500 soldats, entre le 25 octobre et le 2 novembre 1839. Le 20 novembre Abd el-Kader écrivit à Valée pour lui notifier la reprise des hostilités. Le même jour les Hadjoutes (tribus maghzen passées du service des Turcs à celui d'Abd el-Kader) massacrent par surprise un convoi militaire français au centre de la Mitidja ; malheur aux colons isolés dans toute la plaine ! Toutes les garnisons de la Mitidja sont évacuées, sauf 4. Le tocsin sonne aux portes d'Alger ; on signale des cavaliers arabes près de Kouba et d'Hussein-Dey : le Sahel paraît menacé. La panique saisit le territoire français, et l'espoir de chasser les Français gagne quelques tribus du Sahel qui s'en vont avec l'idée de revenir bientôt avec les vainqueurs. Le Gouvernement français hésite : faut-il évacuer, ou faut-il résister ? La décision est prise par le roi le 23 décembre 1839 : il faut riposter et consolider la présence française en commençant par le Sahel afin d'assurer une meilleure défense d'Alger. C'est Thiers, chef du Gouvernement, qui songe à envoyer le Général Bugeaud à Alger, mais c'est son successeur Guizot qui le nomme officiellement Commandant en Chef, puis Gouverneur Général avec la double mission de battre Abd el-Kader et de coloniser. Le nouveau chef a les mains libres pour mener ces deux missions comme il l'entend.
A Alger il y a depuis 1838 un Directeur de l'Intérieur
et de la colonisation très efficace et très motivé
: le comte Guyot. Bugeaud lui demande de réfléchir
à un plan de colonisation civile dirigée par l'Etat. Guyot
est favorable à ce projet et se met au travail aussitôt ;
son plan est prêt en mars 1842. Les historiens ont retenu comme
date de début de la colonisation systématique du Sahel le
12 mars 1842 qui est la date de l'envoi du texte au Ministre de
l'Intérieur à Paris. Même si quelques villages avaient
été créés auparavant, c'est bien ce texte
qui inaugure un siècle de colonisation de peuplement voué,
dès les origines, à l'échec car les populations locales
n'ont été ni éliminées, ni refoulées,
ni submergées par les colons, ni assimilées.
Le mot émigration fait allusion aux tribus qui sont parties à l'automne 1839, à l'occasion du djihad proclamé par Abd el-Kader. Elles espéraient se mettre à l'abri des combats probables entre les troupes de l'Emir et les soldats français, puis revenir après la victoire. Ces terres, arch pour la plupart (collectives) ont été saisies par la France. C'est la version 1839/1840 de ce que le Gouvernement de Ben Bella en 1962/1963 nommera Biens Vacants.
Les indemnisations furent refusées aux tribus qui avaient fui en décembre 1839 et que l'on soupçonnait, non sans raison, d'espérer la défaite de la France. Elles furent très difficiles à établir en l'absence de documents notariés ou simplement écrits établissant à coup sûr les limites des terres arch. Ces terres, qui servaient surtout de terrains de parcours pour les moutons et quelques vaches, nous paraissaient incultes ou mal utilisées. On n'a pas attendu la fin des interminables opérations de cadastrage et de vérification des titres, pour occuper les terres. Le régime des concessions gratuites avait été
déterminé par l'arrêté du 18 avril 1841. Il
prévoit que le concessionnaire doit posséder une somme disponible,
à son arrivée en Algérie, de 1200 à 1500 francs.
Il reçoit un titre provisoire pour un lot de terres pouvant aller
de 2 à 12ha. La moyenne s'établit à 8ha ; le minimum
de 2ha ne constitue qu'un appoint pour ceux qui s'établiraient
comme artisans. Tous ont droit, au village, à un lot à bâtir
avec jardin attenant. Le titre provisoire ne devient définitif
que lorsque la terre a été défrichée et qu'une
maison a été bâtie au village. Le délai le
plus fréquent est de l'ordre de 5 ans ; un Inspecteur de la Colonisation
se déplace pour vérifier que les engagements ont été
tenus.
Ces chemins furent effectivement aménagés en urgence, par le Génie, et le réseau n'a été que très peu retouché par la suite. Ils furent systématiquement établis sur les crêtes chaque fois que c'était possible. Mais il fallait bien, parfois, traverser un talweg au prix de quelques tournants. Les routes ne suivaient que très rarement le lit d'un oued, et jamais lorsqu'il était très encaissé.
Guyot admettait tout de même deux exceptions avec murailles pour les centres de Douéra (à créer) et de Koléa (ville ancienne avec garnison turque). A Douéra nous avions établi dès 1834 un important camp militaire pour surveiller la Mitidja et la première route d'Alger à Blida. En 1845 cette route fut détrônée par celle, plus courte et plus commode, passant par Birmandreis et Birkhadem.
Guyot ne prévoyait d'église à construire
qu'à Birkhadem, Draria, Douéra et Sidi-Ferruch. A Dély-Ibrahim
elle existait déjà (mais pas le presbytère). Guyot
espérait trouver " une mosquée ou un autre grand bâtiment
qu'il ne s'agira que de disposer convenablement ", notamment à
Sidi-Ferruch et à Koléa.
En 1842 il y avait déjà 4 brigades, à
Birkhadem, Dély-Ibrahim, Douéra et Kouba.
Les anciens dominateurs sont les Romains. Le réseau des chemins carrossables fut un peu plus long à construire, mais l'essentiel était achevé avant 1845 grâce aux soldats du Génie. Ces derniers furent mis à contribution également pour l'acheminement des matériaux de construction des maisons des colons ainsi que pour l'aménagement de la voirie dans les villages. Les dispositifs de sécurité, parapet, fossé et tours de guet, ont perduré jusqu'aux années 1870, puis ont cessé d'être entretenus ou ont été détruits. En 1962 ils avaient disparu du paysage et même des mémoires. Chaque village est au centre d'un territoire offert à la colonisation de l'ordre de 1000ha, surface du village compris, et est prévu pour recevoir entre 50 et 64 familles. Douéra et Koléa sont les exceptions qui confirment la règle en raison de leur rôle militaire. Elles ont des murailles, une grosse garnison et on envisage d'y installer plus de 200 familles sur les collines ou le plateau dominant la plaine de la Mitidja. La taille des communes était bien supérieure à celle des seules terres destinées aux colons. La carte de la page un souligne les différences de taille entre communes ; les plus petites sont au centre, El Achour et Baba-Hassen ; les plus étendues à la périphérie. Certaines débordent s d'ailleurs sur la Mitidja, surtout Koléa. En 1959, lors de la création du " Grand Alger
" les communes les plus proches d'Alger furent transformées
en arrondissement du nouvel ensemble :
Le Sahel est un bourrelet anticlinal d'âge pliocène (5 à 2 millions d'années) qui sépare de la côte la plaine de la Mitidja. Le paysage naturel, celui de 1830, à peu de choses près, est fait de collines hautes de 250 à 350m d'altitude et recouvertes de broussailles à palmiers doum ou palmiers nains (chamaerops humilis), diss (ampelodesma mauritanicum), lentisque (pistacia lentiscus) et sur les basses dunes littorales drinn. Ces collines dominent de façon assez abrupte la Mitidja au sud ainsi que la mer entre Alger et Guyotville, au droit de Bouzaréa et de la forêt de Baïnem. Elles culminent à 407m dans le massif de Bouzaréa. Au delà de Guyotville vers l'ouest, les pentes sont plus modérées et il s'intercale entre les collines et la mer de très bas plateaux qui offrent au regard un relief de plaine. Des rangées d'arbres ou de verdure soulignent les creux sinueux des talwegs encaissés, les plus longs étant l'oued Beni Messous vers l'ouest et la mer, et l'oued Kerma vers le sud et la Mitidja. Ces vallées étroites parcourues par des oueds aux crues brutales et dangereuses n'ont pas offert de sites commodes pour l'implantation des villages, ou ont exigé de gros travaux. C'est ainsi que l'oued Kniss, celui des ravins d'Hydra et de la femme sauvage, a dû être recouvert pour la traversée du centre de Birmandreis. Le cas de la vallée du Mazafran est tout à fait différent. Il s'agit d'une vallée alluviale à fond plat et large de 500 à 1000m, parcourue par une rivière pérenne aux méandres divagants, formée par la confluence des oueds Chiffa et Fatis. C'est le résultat d'une " percée antécédente " aux mouvements pliocènes : cela signifie que le Mazafran a creusé son lit en même temps que le bourrelet du Sahel se soulevait. L'alluvionnement est plus récent car il s'est produit lors des transgressions marines liées aux périodes interglaciaires, la dernière en date, la post-würmienne remontant à 10 000 ans environ. Le tracé actuel du littoral n'a été stabilisé que vers le XIIIè siècle de notre ère à la fin de la transgression flandrienne supérieure. A l'est de Guyotville il est rocheux et assez découpé, à l'ouest il est sableux, avec de toutes petites dunes, et rectiligne à l'exception des rochers auxquels s'accroche la presqu'île de Sidi-Ferruch. Le climat est un climat méditerranéen classique
à hiver doux (moyenne 10 à 12°) et été
chaud de l'ordre de 25° en moyenne. Le sirocco peut faire monter la
température à plus de 35°, mais ça ne dure pas.
Il pleut surtout en automne et hiver, et très peu en été.
Le total des précipitations est de l'ordre de 750mm par an, mais
avec de grandes variations selon les années. Il gèle et
il neige rarement : 1935 est restée dans les mémoires pour
un grosse chute de neige humide qui démolit quelques fils téléphoniques. En 1830 quelques grands domaines turcs ou arabes étaient
disséminés dans un paysage de broussailles et de terrains
de parcours. En 1935, année de la carte que j'utiliserai pour illustrer
les monographies communales, les paysages de " notre " Sahel
sont une pure création française : le voyageur attentif
pourrait, selon l'endroit, se croire dans le Gers avec ses vignobles,
ou en Toscane avec ses cyprès, ou en Alentejo avec les alignements
d'eucalyptus le long des routes. Les rangs de vigne dominent le paysage
tout comme le vin domine l'économie de la région. Tous les
4, 5 ou 6 km apparaissent, généralement sur une crête,
les toitures de tuiles rouges et le clocher de l'église d'un village
français. Un peu à l'écart quelques cyprès
indiquent l'emplacement des cimetières chrétiens de nos
familles, toujours entourés d'un mur de clôture avec un portail
métallique presque jamais fermé à clé. Dans
chaque village une mairie, une poste, le bâtiment des écoles
primaires de filles et de garçons, en général attenantes
; et après 1918 le monument aux morts de la guerre. Il y a le plus
souvent un square central avec l'église, plus rarement une fontaine
ou un bassin remontant à la fondation du village dans les années
1840/1850. Ces villages ont un plan en damier chaque fois que le relief
le permet, et des maisons très basses avec un toit à deux
pentes lorsqu'elles sont anciennes. Les rues ont toujours des trottoirs
avec des arbres bien alignés : micocouliers, faux poivriers, acacias
ou ficus. Depuis la route on ne voit que rarement les mechtas arabes ; et les mosquées sont peu visibles ou absentes. On pouvait traverser tout le Sahel sans voir d'autres traces de la majorité musulmane que les burnous, les gandouras et les haïks blancs aperçus dans les villages ou sur les chemins. On aurait pu se croire en Europe. Mais dans ce paysage de vignobles avec caves et clochers, la population est très majoritairement musulmane. Lors de leur création, les villages étaient sans doute européens à 100% ou presque, mais pas les territoires communaux, car les tribus d'avant 1839 n'avaient pas toutes fui, ou étaient revenues. Sur les cartes de 1935 nombreux sont les toponymes, douar, haouch, mechta, ouled sans oublier les deux villages arabes ou arabo-kabyles de Kaddous et de Tixeraïne dans les communes de Draria et de Birkhadem.
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