sur site le 29-04-2003
-Les Déportées en Algérie
Les transportés d'Afrique étaient divisés en 2 catégories l'une appelée Algérie +, avec emprisonnement dans un fort ou dans un camp, l'autre Algérie -, avec liberté de choisir sa résidence.
C'est l'absence de jugement qui indigna surtout les victimes de la répression. Les quelques 10 000 transportés d'Algérie, en débarquant sur la terre d'Afrique, manifestaient violemment en réclamant "des juges !". Ils refusaient de se livrer aux travaux qu'on prétendait leur imposer, et ceux-là même qui n'étaient astreints qu'à la résidence surveillée, voulurent considérer l'Algérie comme un bagne et ne contribuèrent en aucune façon à l'ceuvre de colonisation.

Extrait de la revue du gamt, n°69, 2000/1...adhérez..

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------Lorsque Louis Napoléon Bonaparte, Président de la République, effectua le 2 décembre 1851, le coup d'Etat qui aboutit à la remise entre ses mains du pouvoir absolu, les républicains essayèrent de réagir à Paris et dans quelques petites villes de province. Cette résistance fut faible, mais, pour enlever à ses adversaires tout espoir de revanche, le nouveau gouvernement fit procéder à un grand nombre d'arrestations. Dès le 8 décembre, les préfets reçurent le pouvoir de transporter sans jugement, à Cayenne ou en Algérie, les repris de justice ou les individus coupables d'avoir fait partie. d'une société secrète...
------Dans chaque département, une commission mixte fut constituée, composée du préfet, du procureur général et de l'officier supérieur commandant les troupes siégeant au chef-lieu et seule compétente pour statuer sur le sort de chaque inculpé. La procédure devait être secrète ; le détenu ne serait même pas entendu. Il s'agissait d'une mesure de sûreté générale et non d'un jugement.

------Les transportés d'Afrique étaient. divisés en 2 catégories l'une appelée Algérie +, avec emprisonnement dans un fort ou dans un camp, l'autre Algérie -, avec liberté de choisir sa résidence.

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C'est l'absence de jugement qui indigna surtout les victimes de la répression. Les quelques 10 000 transportés d'Algérie, en débarquant sur la terre d'Afrique, manifestaient violemment en réclamant "des juges !". Ils refusaient de se livrer aux travaux qu'on prétendait leur imposer, et ceux-là même qui n'étaient astreints qu'à la résidence surveillée, voulurent considérer l'Algérie comme un bagne et ne contribuèrent en aucune façon à l'ceuvre de colonisation. Graciés plus tard, ils retournèrent en France pour la plupart. Ceux qui restèrent étaient surtout des journalistes qui, profitant de la liberté relative dont jouissait à certains moments la Presse de ce pays, devinrent, à la fin de l'Empire, les véritables maîtres de l'opinion publique et surent admirablement monnayer leurs malheurs.

------La répression ne fut pas menée de la même manière dans toutes les régions de la France. La police arrêta beaucoup de femmes, mais elles ne furent frappées en général que d'expulsion ou mises en résidence surveillée. Les Commissions mixtes eurent la délicatesse de penser que la déportation n'était pas applicable aux personnes du sexe faible. Firent exception, celles de Paris (où bon nombre de républicaines avaient été prises les armes à la main sur les barricades), du Loiret, de la Nièvre et surtout de l'Hérault (à cause de la violence de l'action populaire à Bédarieux). 5

------Les prisonnières du Midi furent embarquées à Cette pour Bône et Alger sur deux bateaux : l'Eclaireur et le Grondeur. Cinq d'entre elles seulement devaient subir l'Internement
- Mme Elisabeth PALLES (ou PARUS) Vve Puis de Pézenas
- Mme Anne SINGLA (ou SANGLA) Vve CONNESCURE de Combescure, près Pézenas
- Mme Joséphine BRAS née BRAVIEL (ou PRABIEL) de Bessan (Hérault)
- Mme Louise CAZENEUVE (tenancière du Café de l'Avenir, à Auch)
------Parmi les trois autres, deux furent transportées au camp d'Ain Benian
- Mme Valentin DELMAS (née Marie CROS) de l'Hérault
- Mme Rose BIGNALET (née LAROCHE) des B. Pyrénées
- Nous ne savons pas où fut envoyée la 8ème .
Mme MAJUREAU née à Toulouse (aubergiste à Bédarieux)
(Liste figurant sur le registre du Bon Pasteur (*)

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Les dix transportées de Paris subirent de leur côté de rudes épreuves. Ce sont
- Mme Elisabeth GUILLARMET (née DECHEREN) marchande de nouveautés à Clamecy
-Mme Claudine HYBRUIT (née MONNIAT ou MONNIOT)
-Mme Armandine HUET (née DANGAY) femme d'un marchand de vin déporté
- Mme Vve Constance FRELIGNEE RIQUEBOURG (FREYLI), Créole née à la Guadeloupe
-Mme Augustine PEAN (blessée sur les barricades de déc.)
- Mme Eugénie CLOUARD (née MOUGAT) femme d'un cordonnier
-Mme Rosalie BERGEOIN (née GOBERT) femme d'un médecin
- Mlle Louise Fernanda ALLEMAND (jeune fille de 18 ans)
- Mme Héléna GAUSSIN (Vve PATAY) artiste dramatique, blessée aux barricades de décembre
- Mme Pauline ROLAND, publiciste
Cette dernière n'a été inscrite que le 28 juillet sur les registres du Bon Pasteur (*)

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------A la gare, trois files de soldats, baïonnette au canon, viennent surveiller l'embarquement. Des gendarmes prendront place dans les wagons, avec un agent de police chargé de prendre note de ce que diront les prisonnières.
------Au Havre, on les embarque sur le Magellan. C'est un soulagement, car les officiers de marine sont des hommes délicats qui les traitent avec bienveillance.

------Le 9 juillet, le bateau accoste à Oran, et l'on débarque le troupeau, pour lequel l'Administration militaire a préparé une étable, le fort Saint-Grégoire, sur une hauteur escarpée dominant la ville à l'ouest.

------L'escalade est pénible, en voiture, par une mauvaise route taillée dans le roc. Les femmes ont grand peur de se casser le cou et poussent des cris perçants. Enfin, il faut mettre pied à terre et terminer l'ascension jusqu'au sinistre château, où les républicaines s'entassent dans une petite pièce, sur la paille. Ni vin, ni café : rien que du pain noir.

------Cependant, ces transportées embarrassaient beaucoup le Gouverneur Général. Il n'existait pas en Algérie de prison pour les recevoir. Les femmes du Midi ne pouvaient rester longtemps au fort de Bab-Azoun, carcere duro des condamnés militaires à Alger. C'est pourquoi il avait décidé de les interner au couvent du Bon Pasteur, où l'évêque d'Alger pourrait tenter sur elles une cure spirituelle.

------L'accord conclu, il donna l'ordre de diriger sur Alger les dix captives du Fort Saint-Grégoire. On les fit coucher sur le pont de la frégate l'Euphrate, sans autre litière qu'une toile à voile et une mauvaise couverture de matelot. Elles furent durement secouées et arrivèrent plus mortes que vives au môle d'Alger. Depuis trois semaines, elles n'avaient pas couché dans un lit et elles n'avaient guère reçu de nourriture.

------Aussitôt débarquées, on leur fait gravir la falaise d'El-Biar. Dans la pièce qui leur avait été réservée, quinze grabats serrés laissaient seulement la place pour une longue table sur laquelle elles mangeaient en commun leur pitance. Un tout petit préau ; pas un arbre. Les prisonnières étaient invitées à travailler, mais ne recevaient aucun salaire.

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El-Biar jouit d'un climat salubre et doux, et beaucoup d'Algériens de la capitale et de l'intérieur vont y passer l'été. On était beaucoup mieux là qu'à Lambessa (qui, d'ailleurs, n'est pas un poste malsain) et surtout que dans les centres de colonisation de la Mitidja. Mais, ce qui faisait le plus souffrir les prisonnières, c'était d'être enfermées dans une sorte de prison pour filles publiques et elles accusaient le Gouvernement d'avoir voulu les confondre avec les pensionnaires habituelles de l'établissement. Elles ne pouvaient voir personne, que les religieuses, qui les pressaient de se réconcilier, et un aumônier, l'abbé Suchet, coadjuteur de Mgr Pavie. Ce dernier venait parfois leur rendre visite et laissait tomber en passant une promesse de grâce pour les brebis repentantes.
Lorsque les Parisiennes arrivèrent au couvent du Bon Pasteur, les religieuses furent émues par la mauvaise mine d'une des prisonnières. C'était Héléna GAUSSIN, mal remise de la fièvre typhoïde dont elle avait failli mourir. On s'empressa autour d'elle. On lui posa des questions...

------"Mes soeurs, savez-vous bien qui est votre prisonnière ? C'est la plus grande artiste de la Comédie Française". Mère Marie de Sainte-Philomène en est toute bouleversée. Cette illustre pensionnaire ne doit pas avoir une âme vulgaire. Que pense-t-elle de la Religion et du Gouvernement ? L'artiste est très "spirituelle", "très remplie de ses opinions philosophiques", et "démocrate", mais elle n'est pas aussi républicaine qu'on veut bien le dire. Hélas, les grands talents sont victimes de jalousies si affreuses !
------Héléna GAUSSIN est finalement mise en résidence surveillée à Alger, c'est à dire presque libérée.

 

-------Comment va-t-elle s'occuper, cette artiste qui n'a pour vivre, que sa beauté et son talent ? Peut-on priver le public algérois du plaisir sans précédent d'entendre une actrice de la Comédie Française ? Héléna demande au gouverneur général la permission de donner des représentations. Le maréchal Randon n'y voit pas d'inconvénient, à condition que l'apparition sur la scène de cette transportée ne donne pas lieu à une manifestation quelconque de caractère politique !...

------On ne sait si l'actrice joua sur la scène d'Alger, mais, pour prix de sa conversion, elle obtint bientôt d'être libérée. L'année suivante, elle voulut tenter fortune en Amérique. Hélas, elle mourut pendant la traversée (d'après Lelièvre, ce fut en juin 1854 à bord du Notre Dame des Victoires).-----Sur les quinze prisonnières d'El-Biar, Héléna ne fut pas la seule repentie.
------Les cinq femmes de Cette n'étaient pas toutes des louves, de l'aveu même de la Mère fondatrice du monastère. Elle distingua tout de suite une sympathique brebis, madame BRAS, née Joséphine PRABIEL, de Bessan dans l'Hérault. La pauvre femme était mère de trois enfants, toutes des filles, dont la dernière n'avait pas encore deux ans. Elle ne savait ni lire ni écrire, et déclarait que, poussée par la curiosité, elle s'était trouvée mêlée à la foule tumultueuse qui manifestait contre l'auteur du coup d'Etat. Au couvent elle fit preuve d'un si profond désespoir que les soeurs eurent peur de la voir tomber malade. La Mère supérieure supplia le Gouverneur de la faire mettre en liberté : "Je ne puis douter, répondit le maréchal, que, sous votre maternelle direction, cette femme, comme les autres, ne se repentent (sic) des écarts politiques de leur vie antérieure, et ne reviennent aux sentiments qui leur conviennent pour remplir leurs devoirs de bonne mère de famille et de bonnes épouses".(**) Mais la grâce ne pouvait être accordée que par le Président de la République, et il, fallut transmettre la requête à Paris. Deux mois après, le 15 septembre, le chef de l'Etat donnait l'ordre de rapatrier "Fine PRABIEL". La brebis égarée était, aussitôt rendue au bercail.


-------Armandine HUET avait été obligée d'abandonner à Paris un enfant de six ans. Elle eût sûrement supporté sa captivité si le sentiment maternel ne l'eût entraînée à tout pour tenter de revoir son petit garçon. Elle déclara qu'elle avait été précipitée dans le malheur par un homme pour qui elle nourrissait désormais la haine la plus vive. Elle regrettait amèrement sa vie passée. Mal lui en prit, car les bonnes soeurs, apprenant que le mari de cette dame était lui-même déporté en Afrique, on s'arrangea pour empêcher la réunion d'une femme travaillée par la grâce et d'un homme resté "grand ennemi de l'Eglise et de toute croyance". M. HUET fut amnistié et ramené en France et Armandine, sa femme, resta captive dans un village d'Algérie.
-----Plus étrange et plus obscure est la destinée de Louise ALLEMAND, dite Fernanda. C'était une jeune fille de dix huit ans, originaire .de Nîmes, qui vivait chez un oncle à Paris, au troisième étage d'une maison de la rue Transnonain. L'oncle avait donné asile à un lieutenant républicain qui avait combattu sur les barricades les 3 et 4 décembre 1851. La police fit une perquisition dans l'appartement, fouilla, et refouilla la chambre de la jeune fille, et finit par la trouver accrochée à la croisée, dans le vide. Louise fut tirée à l'intérieur, menée à Saint Lazare et désignée pour faire partie du troupeau d'Alger. Elle scandalisa le couvent par son mépris hargneux pour la religion chrétienne.

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------Cependant, peu à peu, les pénitentes quittaient la maison. Les converties d'abord, puis les irréductibles, enfin quatre autres dont on avait su utiliser l'impatience et qui acceptèrent de communier pour être libérées. Restée seule, Fernanda s'ennuya beaucoup. Elle accepta d'aider l'une des soeurs jardinières à bêcher la vigne. Elle fit grosse besogne, car elle était robuste, et elle s'aperçut que les religieuses lui savaient gré de son zèle. Elle devint plus conciliante...

------"Maintenant, écrit la Mère Marie de Sainte Philomène, elle remercie mille fois le bon Dieu de n'avoir pas été graciée par le Gouvernement, et, bien loin d'implorer 'sa liberté, elle n'a qu'un désir : vivre et mourir au Bon Pasteur !"

------Son désir fut bientôt contrarié. Si nous en croyons les mémoires de Lelièvre, le plus passionné, mais le plus exact des transportés politiques à Miliana, où elle fut mise en résidence forcée.

------Bientôt Fernanda se fit porter malade et envoyer à Alger, puis en France. Elle parcourut l'Angleterre, la Belgique, revint à Marseille, où elle entra au service de l'Evêque, puis se fixa à Oran. Aux gages tour à tour du parti républicain et du parti clérical, elle exploita les uns et les autres. C'est d'elle que Ribeyrolles tira une grande partie de sa documentation sur les "bagnes d'Afrique" et nous ne sommes pas étonnés de constater que ce livre est parsemé d'étranges légendes. Bref, cette Fernanda semble bien avoir été, comme le dit Lelièvre, "une très méchante gale".

------Voici donc le bilan des conversions opérées par les soeurs du Bon Pasteur.

------Sur les quinze prisonnières, sept ont quitté le couvent peu après leur arrivée. On les expédia à Alger, Oran, Dellys ou autres lieux, et la Mère Supérieure regretta de ne pas les avoir gardées assez longtemps pour que la grâce de Dieu et les enseignements du Père Suchet eussent pu les toucher.

------Deux des prisonnières ont fait bénir leur mariage.. et la Mère Supérieure s'est consolée en déclarant que "toutes quittèrent son établissement avec reconnaissance pour les bontés qu'on leur avait témoignées"... (à suivre)

(*) Archives du couvent du Bon Pasteur à EL-BIAR. Les noms entre parenthèses sont les variantes qu'on trouve dans le manuscrit de Lelièvre, ancien greffier de Tribunal.
(* *) Archives du G. G. d'Alger. Lettre de Randon à la Mère Supérieure, 17 juillet 1852.

Madiana DELAYE

Nota. - Il faut signaler encore. Mme GARREA U-GRENON qui avait accueilli à son foyer l'un des fils de Pauline ROLAND quand celle-ci fut déportée. Après l'attentat d'Orsini en 1858, elle fut condamnée à "Cayenne"... mais finalement mise en résidence forcée à Djidjelli bien qu'elle eut 3 enfants à charge!
Sources : "Pauline ROLAND et les déportées d'Afrique"par Marcel EMERIT, grand prix littéraire de l'Algérie. 1942
"Pauline ROLAND"par Benoîte GROULT.
Copi
N.D.L.R du GAMT- La dernière phrase de ce récit a attiré notre attention de Généalogiste, et nous avons fait des recherches pour retrouver quelles étaient ces 2 femmes, et avec qui elles s'étaient mariées. Nous avons ainsi découvert que
------1. Augustine, Armantine PEAN, qui avait été blessée sur les barricades en décembre 1851, était née le 8 août 1827 à GAULT ST DENIS (Eure & Loir). Arrivée en Algérie le 13 juillet 1852 à 25 ans, elle s'est mariée à Alger avec Louis Charles JOURDANT le 11 octobre 1870 (à 43 ans). Décédée avant 1884, son époux s'est remarié à ALGER avec Caroline LEZEBRE.
------2. Marie Alexandrine REVEILLE était née le 4 décembre 1823 à PEZENAS (Hérault). Arrivée en Algérie le 26 juin 1852, donc à 29 ans, elle est restée au Bon Pasteur comme couturière, et s'est mariée 5 mois plus tard, le 19 novembre 1852 à EL BIAR avec Jean SOUQUET originaire de BEZIERS et domicilié à AIN SULTAN.
Ont-elles fait souche en Algérie ? Y a-t-il un ou des adhérents qui seraient descendants de ces "héroïnes" ? Nous attendons vos réactions !