Si, après avoir suivi la
rue Michelet où s'étalent de luxueux magasins,
l'avenue Foureau-Lamy longée par les jardins du Palais d'Été,
le
boulevard Bru et ses demeures bourgeoises, nous arrivons sur
le plateau où de très belles villas turques jouxtent le
grand ensemble de Diar
El Mahçoul, nous voici alors dans un quartier où
les rues portant des noms de fleurs : rue des Tulipes, rue des Coquelicots,
rue des Narcisses, ne se prolongent pas au-delà de la falaise,
car des cités entières faites de planches et de tôles
leur barrent le passage.
Villas turques, maisons bourgeoises, grands immeubles, bidonvilles, tel
se présente aujourd'hui le quartier du Clos Salembier.
En 1936, année marquée par les mauvaises récoltes,
commence à apparaître dans Alger un peuplement nouveau issu
de l'exode des paysans de l'intérieur. Les arrivants s'entassent
d'abord dans les quartiers existants, puis commencent à construire
à l'abri des regards des petites baraques en planches. Le Clos
Salembier n'est pas touché. Il reste le quartier aéré,
propre, agréable avec ses boutiques, ses maisons sans étage
et ses bouquets d'arbres.
Mais en 1942, la situation change brusquement. De Kabylie, du Titteri,
de l'Orléansvillois, les gens du bled arrivent en masse. La guerre
coupe l'Algérie de la Métropole. Les cartes de rationnement
entrent en vigueur. La misère grandit dans le bled où naissent
toujours autant d'enfants.
Genèse
des bidonvilles.
La ville devient le seul espoir. Et le grand exode commencent.
Tous les quartiers d'Alger et les bidonvilles déjà existants
sont rapidement saturés. Les nouveaux immigrants, à la recherche
d'un toit, envahissent le Clos Salembier. Les pièces les plus exiguës
abritent des familles entières. Les caves les plus malsaines se
transforment en habitations ; les maisonnettes se surélèvent
d'un étage où les nouvelles pièces sont louées
à un taux prohibitif.
La misère vite exploitée fait son entrée au Clos
Salembier.
Mais tout ce qui était disponible dans le quartier ne suffit pas
à abriter les immigrants qui de 1942 à 1945 arrivent de
toutes parts.
Le quartier éclate donnant naissance à de nombreux bidonvilles.
L'arrivée des troupes alliées provoque une augmentation
des prix accentuée par la rareté des produits. Le marché
noir se développe, un véritable trafic de cartes de ravitaillement
se crée. Mais les habitants déshérités des
bidonvilles savent tirer profit de cette situation qui leur
permet de se procurer de l'argent sans trop d'efforts. C'est pourquoi
il n'est pas surprenant de trouver encore aujourd'hui dans les bidonvilles
des hommes peu aptes à un travail régulier.
La paix revenue, les mouvements migratoires continuent mais à un
rythme atténué. Les événements de 1954 vont
les amplifier de nouveau. Des zones cultivées deviennent zones
interdites ; les jeunes cultivateurs sont à tout instant susceptibles
d'être enlevés et transformés en moussebilines. L'impôt
déjà levé par l'Administration l'est aussi par les
rebelles. Aussi, la plupart de ceux qui ont un membre de leur famille
à Alger s'empressent de le rejoindre. Le problème devient
crucial, aucune solution apportée.
En 1954 sont construits les grands ensembles de Diar
El Mahçoul et de Diar
Es Saada totalisant 2.282 logements. Mais ces constructions
nouvelles ne diminuent en rien le volume des bidonvilles dont les occupants
ne jouissent pas de revenus fixes. Quelques centaines d'habitants seulement
sont recasés par l'Administration dans des baraques plus salubres,
mais offrant des conditions de vie encore précaires.
En 1956, la bataille d'Alger limite le courant des migrations et l'on
note même un très léger reflux sur les campagnes En
effet, tous ceux qui, compromis dans la rébellion avaient trouvé
refuge dans les incontrôlables bidonvilles, s'inquiètent
à nouveau et quittent la ville. A la même époque est
décidée l'implantation des Sections administratives urbaines
(S.A.U.) qui aussitôt entreprennent un travail de recensement, de
contrôle et d'organisation des populations.
De 1956 à 1960, la population des bidonvilles du Clos Salembier
n'a pratiquement pas varié. On note même une légère
régression provoquée par un contrôle très strict
des immigrants et par la démolition de plusieurs centaines de baraques
dont les habitants sont relogés dans des immeubles récemment
construits.
Le Clos Salembier qui, en 1900, sur ses 117 hectares, ne comprenait que
six familles européennes compte en 1960, 42.000 habitants dont
15.000 résident en bidonvilles.
Des gens normaux
poussés par la nécessité.
Dans les bidonvilles, où n'apparaissent que la
promiscuité, le manque d'hygiène et la malpropreté,
on pourrait croire que seuls des clochards ou des parias peuvent habiter
entre ces planches et ces tôles. Il paraît utile de faire
tomber ces préjugés sur les bidonvilles où vivent
des hommes comme les autres ayant peut-être davantage souffert.
Il faut avant tout comprendre que seule la nécessité a poussé
ces familles à venir se réfugier ici.
Le chef de famille n'est pas parti pour la ville au hasard. Le petit lopin
de terre qu'il possédait a été confié à
un khammès avec mission d'en tirer le maximum de profit. Puis un
ami lui a avancé les frais de voyage. Et quand il a pris le chemin
d'Alger, il savait qu'un parent déjà établi dans
la cité pourrait le nourrir et peut-être lui procurer un
emploi temporaire. Il s'est installé chez son parent, a trouvé
un peu de travail au port et s'est procuré quelque argent. Et un
jour au bain-maure, il rencontre des gens de son douar qui vivent groupés
dans un bidonville. Une baraque est encore disponible mais le propriétaire
est fort exigeant. Peu importe, il empruntera. Et le nouvel arrivant rejoint
dans le bidonville ceux de sa tribu. Ayant à peu près réussi
sa première expérience, il ne tarde pas à faire venir
sa famille. La baraque est petite, mais ils se serreront. Femmes et enfants
arrivent, dépaysés. Mais, l'épouse dans sa baraque
et dans sa courette reprend peu à peu les habitudes de sa mechta.
Les voisins sont du pays. Le groupement par affinité d'origine
a donné à ce quartier de bidonville un petit air de famille.
L'argent cependant vient à manquer ; au port, on ne travaille que
quelques jours par mois et cela ne suffit pas pour vivre. On demande alors
l'aide du service social.
Le surpeuplement
destructeur de la vie familiale.
Un jour, arrive du bled un cousin qui lui aussi veut s'établir
à Alger. Mais il n'y a plus de logement. On décide de l'héberger
provisoirement. Puis, ce provisoire devient définitif et le cousin
fait venir sa famille. Alors, si c'est possible, on agrandit légèrement
la baraque et on la divise en deux ou bien on transforme une partie de
la cour en chambre. Et bientôt, les deux familles, à force
d'ingéniosité, parviennent à habiter la même
baraque.
Mais, peu à peu, le surpeuplement du bidonville lui fait perdre
son caractère original.
L'arrivée de familles nouvelles d'origine ethnique différente,
les conditions de logement rendues plus précaires ont changé
l'aspect tribal que présentaient les bidonvilles à leurs
débuts. La cellule familiale en subit rapidement les conséquences.
La cohabitation de plusieurs familles dans un seul logement n'est pas
propice à la bonne entente. Des querelles éclatent provoquant
le plus souvent la désunion des ménages.
Les problèmes
qu'a posés la résorption.
Résorber les bidonvilles consiste sur le plan technique
à remplacer des taudis par des logements évolutifs. A l'échelon
de la ville d'Alger les opérations actuellement en cours sont des
résorptions partielles n'entrant dans aucun cadre général.
En ce qui concerne le Clos Salembier, ces opérations ont été
entreprises par le seul Office Public des H.L.M.
Le premier problème auquel l'O.P.H.L. M. s'est heurté est
celui posé par l'achat des terrains Il se trouve qu'au Clos Salembier
la majorité des bidonvilles sont implantés sur des terrains
privés et que hors ces terrains il n'existe pas d'autres emplacements
aptes à recevoir des constructions nouvelles. Il a donc fallu étudier
le problème de l'achat du terrain et celui du recasement provisoire
de ses occupants.
La valeur d'un terrain dépendant en partie de sa nature juridique,
il s'agissait en premier lieu de déterminer si un terrain implanté
de bidonvilles devait être considéré comme terrain
nu ou comme terrain bâti. D'où conflit entre le propriétaire
et l'Etat, le propriétaire fondant sa défense sur la carence
de l'Etat qui s'était révélé incapable d'empêcher
l'implantation des bidonvilles, l'Etat se retournant contre le propriétaire
en prétextant que si les terrains avaient été clôturés
les bidonvilles ne s'y seraient pas implantés. Ce conflit persiste
et menace de durer.
Les Pouvoirs Spéciaux ont heureusement permis la réquisition
des dits terrains et dans le cadre du programme d'urgence la construction
sur un terrain requis mais non exproprié, a été tolérée.
Cette tolérance a d'ailleurs grandement facilité les opérations
de résorption car en Algérie n'est pas applicable la nouvelle
procédure d'expropriation en usage en Métropole. Si en Métropole
un juge unique peut procéder en six mois à l'expropriation
d'un terrain, il faut en Algérie trois ans pour que experts et
commission arbitrale puissent prendre la même décision. Il
était bien évident que le programme de construction fondé
sur le plan quinquennal de Constantine ne pouvait attendre trois ans avant
de recevoir un début d'exécution.
Le financement nécessite de multiples concours.
L'O.P.H.L.M. construisant sur des terrains habités, le recasement
provisoire des habitants est une nécessité. Deux solutions
s'offrent : ou bien l'Office prend à sa charge la construction
d'une cité provisoire très sommaire mais dont les frais
de construction grèvent d'autant le prix d'achat du terrain, ou
bien il sollicite de l'Administration ou d'organismes divers la prise
en charge du recasement provisoire.
Cette deuxième solution a été adoptée au Clos
Salembier : d'une part la ville d'Alger a supporté les frais de
construction d'une cité rudimentaire de transition et d'autre part,
la S.A.U. s'est employée à résorber l'excédent
des personnesà recaser en procédant d'un point à
l'autre de son territoire à de nombreux transferts de baraques.
L' O.P.H.L.M. est l'organisme public d'une collectivité locale.
En tant que tel, il possède une autonomie complète de gestion.
Pour cet office, le coût d'une construction doit obligatoirement
être équilibré par le montant des loyers à
percevoir. Quand il s'agit d'une opération de résorption
de bidonvilles, l'O.P.H.L.M. s'adresse à des gens dont les revenus
sont extrêmement faibles et en conséquence la modicité
du taux de location devient l'objectif principal.
L'Office ne peut à lui seul supporter les frais d'une opération
de résorption. Plusieurs textes, en particulier l'arrêté
du 20 mai 1959 lui permettent de faire appel à différentes
sources de financement soit sous forme de prêts, soit sous forme
de subventions.
Cette deuxième solution a été adoptée au Clos
Salembier : d'une part la ville d'Alger a supporté les frais de
construction d'une cité rudimentaire de transition et d'autre part,
la S.A.U. s'est employée à résorber l'excédent
des personnesà recaser en procédant d'un point à
l'autre de son territoire à de nombreux transferts de baraques.
L' O.P.H.L.M. est l'organisme public d'une collectivité locale.
En tant que tel, il possède une autonomie complète de gestion.
Pour cet office, le coût d'une construction doit obligatoirement
être équilibré par le montant des loyers à
percevoir. Quand il s'agit d'une opération de résorption
de bidonvilles, l'O.P.H.L.M. s'adresse à des gens dont les revenus
sont extrêmement faibles et en conséquence la modicité
du taux de location devient l'objectif principal.
L'Office ne peut à lui seul supporter les frais d'une opération
de résorption. Plusieurs textes, en particulier l'arrêté
du 20 mai 1959 lui permettent de faire appel à différentes
sources de financement soit sous forme de prêts, soit sous forme
de subventions.
En résumé, une opération de résorption est
théoriquement financée :
- par l'organisme constructeur dans une proportion de 10 %,
- par prêts du Fond de Dotation de l'Habitat dans une proportion
de 90 %.
|
|
Mais le coût de l'opération étant
toujours supérieur au prix plafond fixé par les textes,
l'excédent de dépenses doit faire soit l'objet de nouveaux
prêts, soit l'objet de subventions.
Il est à souligner que le Plan de Constantine, en augmentant considérablement
les crédits mis à la disposition du Fond de Dotation de
l'Habitat, a grandement facilité l'exécution des programmes
de résorption des bidonvilles actuellement en cours.
Cliquer sur
chaque image pour l'agrandir
|
L'affligeant spectacle du bidonville "Nador" en voie de
disparition
|
et l'immeuble de recasement "Dar-el-Brahim" au Clos-Salembier
|
" Éponger"
entièrement les bidonvilles est illusoire.
L'habitant du bidonville recasé dans un immeuble
aura à s'acquitter tous les mois de son loyer. On ne peut recaser
que les familles solvables. Un critère de solvabilité a
donc été établi. Compte tenu de ce que le loyer actuellement
le plus bas, celui d'un logement ; une pièce, loggia, est de l'ordre
de 3.000 fr par mois, une étude des budgets familiaux a permis
de définir ce critère de solvabilité sur la base
de 10 % du revenu mensuel. Donc, seules les familles disposant d'un revenu
mensuel égal ou supérieur à 30.000 fr peuvent actuellementêtre
recasées dans les immeubles récemment construits.
En 1959 parmi la population des bidonvilles d'Alger, 46 % seulement des
habitants possédaient de tels revenus. Au Clos Salembier, des enquêtes
effectuées, il résulte qu'en 1960 le pourcentage des familles
solvables est encore inférieur à celui indiqué par
le Service des Statistiques.
Il apparaît donc que plus de la moitié des familles résidant
actuellement en bidonvilles ne pourront être recasées par
suite de l'insuffisance de leurs revenus. On peut penser qu'une partie
des familles ayant immigré en raison du seul fait politique rejoindront
leurs douars d'origine, la guerre terminée.
Mais quel que soit le cours (les événements, il restera
toujours dans les bidonvilles des insolvables dont le cas pose un nouveau
problème.
Cliquer sur
l' image pour l'agrandir
|
Symbole
matériel et moral d'ascension : en haut, l'imposant immeuble
de l'O.P.H.L.M. en voie de finition ; en bas, la masse informe des
baraques.
|
Pour le résoudre certains ont envisagé l'octroi d'une allocation-logement,
formule qui semble devoir être rejetée car elle entraînerait
fatalement des injustices ; d'autres ont pensé qu'une certaine
partie du loyer pourrait être versée sous forme de prestations
au bénéfice de la collectivité, formule ne pouvant
être généralisée mais pouvant être appliquée
à quelques cas particuliers ;
une troisième formule consisterait à tolérer, à
des emplacements déterminés et selon des règles très
strictes d'urbanisme et d'hygiène, la construction de baraquements
améliorés à loyer excessivement bas ; des baraques
très sommaires seraient implantées à distance des
quartiers d'habitation, des jardins mis à la disposition des habitants.
La culture et la vente des produits maraîchers permettraient aux
insolvables de s'acquitter d'un loyer très réduit tout en
subvenant à leurs besoins.
PRIORITÉ
A LA PROMOTION HUMAINE?
Étant donné la brutalité
avec laquelle se trouvent constituées ces nouvelles collectivités
humaines, n'y-a-t-il pas danger à créer des conditions de
vie moderne avant d'avoir promu des hommes modernes ?
Le problème des bidonvilles et de leur résorption, étudié
dans la perspective d'une promotion humaine, fait intervenir le facteur
souvent déterminant de la mise en condition propre à tous
les problèmes de masse.
Vivant hier encore dans ses gourbis, cette population mi-pastorale mi
nomade a-t-elle au moins tous les atouts pour se promouvoir elle-même.
Nous pensons que le principal obstacle à toute évolution
réside dans la précarité des conditions de vie. Par
contre, nous estimons que l'amélioration de son habitat est susceptible
de lui donner l'élan nécessaire à sa transformation.
De plus les besoins nouveaux ainsi créés feront de cet élan
une impulsion permanente à la recherche de revenus durables.
Mais si cette mise en condition est nécessaire, et pour donner
un esprit, voire une âme à la nouvelle collectivité,
il est indispensable de l'organiser et d'en diriger les premiers pas.
Après une courte période de dépaysement provenant
d'une brutale transplantation et de la rupture avec d'ancestrales habitudes,
la famille appréciera rapidement les avantages de la superficie,
les commodités de l'eau courante et les bienfaits de l'électricité.
Ce qui ailleurs apparaîtrait comme un minimum prendra ici l'allure
de confort.
Des besoins nouveaux engendreront une nouvelle conception du travail,
une nouvelle organisation de la cellule familiale, un esprit nouveau.
L'atmosphère sera plus détendue, la vie de famille deviendra
plus intime. Du moins, tous les atouts nécessaires auront été
donnés dans ce but.
Mais il importe que ces atouts soient au mieux utilisés. Or, le
plus souvent, l'usager de l'habitat ne sait pas quel est son bien. Il
a besoin d'un éducateur et d'un guide.
Dans ce domaine et compte tenu de la conjoncture actuelle, il eût
été souhaitable que dans chaque habitat soit réservé
à l'élément européen un certain pourcentage
de logements. La présence dans un même immeuble d'européens
et de musulmans ayant des problèmes communs eût été
bénéfique.
Au cours des réunions du syndic comme dans la vie quotidienne la
connaissance réciproque, les échanges eussent été
la source d'enrichissements mutuels. à condition bien entendu que
dès le départ l'accès à la nouvelle collectivité
ait été interdit à tous les préjugés.
De l'amélioration du cadre de vie découlent inévitablement
de nouveaux besoins. L'électricité appelle la radio ou la
télévision ; une large pièce aux murs en équerre
permet l'installation d'un mobilier moderne ; la cabine de douche peut
contenir une baignoire d'enfants. Pour que ces besoins soient satisfaits,
il faut que les revenus augmentent.
Dans le bidonville, le chef de famille n'avait guère d'autres soucis
que de subvenir aux besoins vitaux des siens.
Son ambition se limitait à la recherche du gain minimum obtenu
par le travail le moins pénible. Maintenant, il prend conscience
des incidences du travail sur le pouvoir d'achat. Il en découle
une certaine ardeur au travail jusqu'alors inconnue.
Mais les nouveaux locataires qui con-naissent encore mal leurs besoins
ont souvent tendance à confondre le superflu et le nécessaire.
Une expérience
de la S.A.U.
En vue de faire connaître aux nouveaux locataires
leurs véritables besoins, la S.A.U. lors d'une récente opération
de recasement, a tenté une expérience. Dans un appartement
laissé à sa disposition avait été rassemblé
et ordonnétout ce qui pouvait améliorer les conditions de
vie de la cellule familiale. Des étiquettes mentionnaient le prix
de chaque objet. Une personne bénévole remplissait le rôle
de conseillère et prenait les commandes. De grandes facilités
de paiement avaient été obtenues grâce à la
complaisance et au sens social de fabricants et de directeurs de grands
magasins. L'expérience de cet appartement pilote a été
une réussite ; de nombreuses commandes ont été passées.
Outre l'organisation de la vie familiale et collective, l'organisme de
tutelle doit au maximum s'efforcer de promouvoir et de rapprocher les
individus. Les garderies et les équipes sportives seront des communautés
d'enfants. Des salles réservées aux cours d'adultes recevront
tour à tour les hommes et les femmes désireux de s'instruire.
Le centre médico-social, le centre commercial deviendront des lieux
de rencontres et d'échanges.
Éviter
aux nouveaux logis l'entassement des bidonvilles.
Il est enfin essentiel de se montrer très strict
quant à la limitation des a apports familiaux ".
L'ancien fellah qui possède un sens inné de l'hospitalité
accepte dans sa nouvelle demeure comme il les acceptait dans son bidonville
les parents et les amis qui peu à peu se cristallisent autour de
la famille allant jusqu'à l'étouffer. C'est pourquoi il
est indispensable d'empêcher que derrière les façades
modernes se recrée l'entassement des bidonvilles.
L'autorité a dans ce domaine plus qu'un rôle à jouer,
une mission à remplir : celle de préserver à tout
prix l'unité de la cellule familiale base de toute communauté
humaine.
Pour le passant attentif, le premier contact avec le bidonville est empreint
de compassion et de crainte. Compassion pour ces êtres dont les
conditions de vie inspirent la souffrance, crainte, car l'image vivante
de l'inégalité sociale rappelle bien des désordres.
Mais au-delà de la première rencontre, s'ouvre l'inconnu
d'un monde à la fois si semblable et si différent des autres.
Ce monde offre des visages et ces visages exigent la compréhension,
appellent la solidarité. Dans toute son acuité, se pose
alors le problème de l'homme.
A celui qui cherche plus profondément, il apparaît que si
les hommes ont le pouvoir d'asservir la nature, ils ont aussi celui d'agir
sur eux-mêmes et sur leurs semblables. Est-ce une utopie de croire
à la promotion des exilés des bidonvilles ?
Par contre, les hésitations de l'économiste et du financier
devant les problèmes posés par cette population qui représente
beaucoup plus une charge qu'une source de production, et la crainte suscitée
par une courbe démographique croissante sont-elles justifiées?
pleinement justifiées ?
L'essentiel :
tout orienter dons le sens de l'homme.
Et pourtant, la résorption des bidonvilles est
entreprise : l'essentiel n'est plus de savoir si le problème est
soluble mais de rechercher en toutes choses la promotion de l'homme.
S'attacher à cette entreprise est peut-être un acte de foi
mais surtout une croyance au " mobilisme " issu de la dépendance
étroite entre les êtres et les choses. La réciprocité
de cette influence peut devenir promotion à condition que le mouvement
d'ensemble soit orienté dans le sens de l'homme.
Enfin, si c'est une hérésie de recaser dans un habitat moderne
des individus inadaptés, ce n'est pas une gageure de croire que
l'homme auquel seront données de nouvelles possibilités
puisse parvenir à se dépasser en prenant conscience de son
devoir. Par là même, il accentuera le " mobilisme "
de l'économie comme celui de sa propre évolution.
Résorber un bidonville, ce n'est pas désenlaidir un quartier,
ni même libérer une conscience du remords mais le témoignage
d'une civilisation humaine constructive.
(Etude et documents de la S.A.C. du Clos-Salembier.)
|