Clos-Salembier
Les bidonvilles: genèse et résorption
Perspectives de promotion humaine
l'expérience du Clos-Salembier

Enfin, si c'est une hérésie de recaser dans un habitat moderne des individus inadaptés, ce n'est pas une gageure de croire que l'homme auquel seront don-nées de nouvelles possibilités puisse parvenir à se dépasser en prenant conscience de son devoir. Par là même, il accentuera le " mobilisme " de l'économie comme celui de sa propre évolution.

Résorber un bidonville, ce n'est pas désenlaidir un quartier, ni même libérer une conscience du remords mais le témoignage d'une civilisation humaine constructive.


mise sur site le 14-6-2006
Tiré de Alger-Revue, printemps 1961

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panoramique clos-salembier
Pris du bois des Arcades ce saisissant panoramique illustre en une seule fois les différentes phases de progression d'habitat d'après la formule dite . opération tiroir " : 1) La masse informe du bidonville d'origine. 2) L'îlot des baraquements de recasement d'urgence. 3) La cité de transit = Les Acacias ". 4) Immeuble en copropriété. 5) Cité de Diar-el-Mahçoul. Au premier plan, l'autoroute des hauts d'Alger, en voie de construction.

Si, après avoir suivi la rue Michelet où s'étalent de luxueux magasins, l'avenue Foureau-Lamy longée par les jardins du Palais d'Été, le boulevard Bru et ses demeures bourgeoises, nous arrivons sur le plateau où de très belles villas turques jouxtent le grand ensemble de Diar El Mahçoul, nous voici alors dans un quartier où les rues portant des noms de fleurs : rue des Tulipes, rue des Coquelicots, rue des Narcisses, ne se prolongent pas au-delà de la falaise, car des cités entières faites de planches et de tôles leur barrent le passage.
Villas turques, maisons bourgeoises, grands immeubles, bidonvilles, tel se présente aujourd'hui le quartier du Clos Salembier.

En 1936, année marquée par les mauvaises récoltes, commence à apparaître dans Alger un peuplement nouveau issu de l'exode des paysans de l'intérieur. Les arrivants s'entassent d'abord dans les quartiers existants, puis commencent à construire à l'abri des regards des petites baraques en planches. Le Clos Salembier n'est pas touché. Il reste le quartier aéré, propre, agréable avec ses boutiques, ses maisons sans étage et ses bouquets d'arbres.

Mais en 1942, la situation change brusquement. De Kabylie, du Titteri, de l'Orléansvillois, les gens du bled arrivent en masse. La guerre coupe l'Algérie de la Métropole. Les cartes de rationnement entrent en vigueur. La misère grandit dans le bled où naissent toujours autant d'enfants.

Genèse des bidonvilles.

La ville devient le seul espoir. Et le grand exode commencent.

Tous les quartiers d'Alger et les bidonvilles déjà existants sont rapidement saturés. Les nouveaux immigrants, à la recherche d'un toit, envahissent le Clos Salembier. Les pièces les plus exiguës abritent des familles entières. Les caves les plus malsaines se transforment en habitations ; les maisonnettes se surélèvent d'un étage où les nouvelles pièces sont louées à un taux prohibitif.

La misère vite exploitée fait son entrée au Clos Salembier.
Mais tout ce qui était disponible dans le quartier ne suffit pas à abriter les immigrants qui de 1942 à 1945 arrivent de toutes parts.

Le quartier éclate donnant naissance à de nombreux bidonvilles. L'arrivée des troupes alliées provoque une augmentation des prix accentuée par la rareté des produits. Le marché noir se développe, un véritable trafic de cartes de ravitaillement se crée. Mais les habitants déshérités des bidonvilles savent tirer profit de cette situation qui leur
permet de se procurer de l'argent sans trop d'efforts. C'est pourquoi il n'est pas surprenant de trouver encore aujourd'hui dans les bidonvilles des hommes peu aptes à un travail régulier.

La paix revenue, les mouvements migratoires continuent mais à un rythme atténué. Les événements de 1954 vont les amplifier de nouveau. Des zones cultivées deviennent zones interdites ; les jeunes cultivateurs sont à tout instant susceptibles d'être enlevés et transformés en moussebilines. L'impôt déjà levé par l'Administration l'est aussi par les rebelles. Aussi, la plupart de ceux qui ont un membre de leur famille à Alger s'empressent de le rejoindre. Le problème devient crucial, aucune solution apportée.

En 1954 sont construits les grands ensembles de Diar El Mahçoul et de Diar Es Saada totalisant 2.282 logements. Mais ces constructions nouvelles ne diminuent en rien le volume des bidonvilles dont les occupants ne jouissent pas de revenus fixes. Quelques centaines d'habitants seulement sont recasés par l'Administration dans des baraques plus salubres, mais offrant des conditions de vie encore précaires.

En 1956, la bataille d'Alger limite le courant des migrations et l'on note même un très léger reflux sur les campagnes En effet, tous ceux qui, compromis dans la rébellion avaient trouvé refuge dans les incontrôlables bidonvilles, s'inquiètent à nouveau et quittent la ville. A la même époque est décidée l'implantation des Sections administratives urbaines (S.A.U.) qui aussitôt entreprennent un travail de recensement, de contrôle et d'organisation des populations.

De 1956 à 1960, la population des bidonvilles du Clos Salembier n'a pratiquement pas varié. On note même une légère régression provoquée par un contrôle très strict des immigrants et par la démolition de plusieurs centaines de baraques dont les habitants sont relogés dans des immeubles récemment construits.

Le Clos Salembier qui, en 1900, sur ses 117 hectares, ne comprenait que six familles européennes compte en 1960, 42.000 habitants dont 15.000 résident en bidonvilles.

Des gens normaux poussés par la nécessité.

Dans les bidonvilles, où n'apparaissent que la promiscuité, le manque d'hygiène et la malpropreté, on pourrait croire que seuls des clochards ou des parias peuvent habiter entre ces planches et ces tôles. Il paraît utile de faire tomber ces préjugés sur les bidonvilles où vivent des hommes comme les autres ayant peut-être davantage souffert. Il faut avant tout comprendre que seule la nécessité a poussé ces familles à venir se réfugier ici.

Le chef de famille n'est pas parti pour la ville au hasard. Le petit lopin de terre qu'il possédait a été confié à un khammès avec mission d'en tirer le maximum de profit. Puis un ami lui a avancé les frais de voyage. Et quand il a pris le chemin d'Alger, il savait qu'un parent déjà établi dans la cité pourrait le nourrir et peut-être lui procurer un emploi temporaire. Il s'est installé chez son parent, a trouvé un peu de travail au port et s'est procuré quelque argent. Et un jour au bain-maure, il rencontre des gens de son douar qui vivent groupés dans un bidonville. Une baraque est encore disponible mais le propriétaire est fort exigeant. Peu importe, il empruntera. Et le nouvel arrivant rejoint dans le bidonville ceux de sa tribu. Ayant à peu près réussi sa première expérience, il ne tarde pas à faire venir sa famille. La baraque est petite, mais ils se serreront. Femmes et enfants arrivent, dépaysés. Mais, l'épouse dans sa baraque et dans sa courette reprend peu à peu les habitudes de sa mechta. Les voisins sont du pays. Le groupement par affinité d'origine a donné à ce quartier de bidonville un petit air de famille. L'argent cependant vient à manquer ; au port, on ne travaille que quelques jours par mois et cela ne suffit pas pour vivre. On demande alors l'aide du service social.

Le surpeuplement destructeur de la vie familiale.

Un jour, arrive du bled un cousin qui lui aussi veut s'établir à Alger. Mais il n'y a plus de logement. On décide de l'héberger provisoirement. Puis, ce provisoire devient définitif et le cousin fait venir sa famille. Alors, si c'est possible, on agrandit légèrement la baraque et on la divise en deux ou bien on transforme une partie de la cour en chambre. Et bientôt, les deux familles, à force d'ingéniosité, parviennent à habiter la même baraque.

Mais, peu à peu, le surpeuplement du bidonville lui fait perdre son caractère original.

L'arrivée de familles nouvelles d'origine ethnique différente, les conditions de logement rendues plus précaires ont changé l'aspect tribal que présentaient les bidonvilles à leurs débuts. La cellule familiale en subit rapidement les conséquences. La cohabitation de plusieurs familles dans un seul logement n'est pas propice à la bonne entente. Des querelles éclatent provoquant le plus souvent la désunion des ménages.

Les problèmes qu'a posés la résorption.

Résorber les bidonvilles consiste sur le plan technique à remplacer des taudis par des logements évolutifs. A l'échelon de la ville d'Alger les opérations actuellement en cours sont des résorptions partielles n'entrant dans aucun cadre général.
En ce qui concerne le Clos Salembier, ces opérations ont été entreprises par le seul Office Public des H.L.M.

Le premier problème auquel l'O.P.H.L. M. s'est heurté est celui posé par l'achat des terrains Il se trouve qu'au Clos Salembier la majorité des bidonvilles sont implantés sur des terrains privés et que hors ces terrains il n'existe pas d'autres emplacements aptes à recevoir des constructions nouvelles. Il a donc fallu étudier le problème de l'achat du terrain et celui du recasement provisoire de ses occupants.

La valeur d'un terrain dépendant en partie de sa nature juridique, il s'agissait en premier lieu de déterminer si un terrain implanté de bidonvilles devait être considéré comme terrain nu ou comme terrain bâti. D'où conflit entre le propriétaire et l'Etat, le propriétaire fondant sa défense sur la carence de l'Etat qui s'était révélé incapable d'empêcher l'implantation des bidonvilles, l'Etat se retournant contre le propriétaire en prétextant que si les terrains avaient été clôturés les bidonvilles ne s'y seraient pas implantés. Ce conflit persiste et menace de durer.

Les Pouvoirs Spéciaux ont heureusement permis la réquisition des dits terrains et dans le cadre du programme d'urgence la construction sur un terrain requis mais non exproprié, a été tolérée. Cette tolérance a d'ailleurs grandement facilité les opérations de résorption car en Algérie n'est pas applicable la nouvelle procédure d'expropriation en usage en Métropole. Si en Métropole un juge unique peut procéder en six mois à l'expropriation d'un terrain, il faut en Algérie trois ans pour que experts et commission arbitrale puissent prendre la même décision. Il était bien évident que le programme de construction fondé sur le plan quinquennal de Constantine ne pouvait attendre trois ans avant de recevoir un début d'exécution.

Le financement nécessite de multiples concours.
L'O.P.H.L.M. construisant sur des terrains habités, le recasement provisoire des habitants est une nécessité. Deux solutions s'offrent : ou bien l'Office prend à sa charge la construction d'une cité provisoire très sommaire mais dont les frais de construction grèvent d'autant le prix d'achat du terrain, ou bien il sollicite de l'Administration ou d'organismes divers la prise en charge du recasement provisoire.

Cette deuxième solution a été adoptée au Clos Salembier : d'une part la ville d'Alger a supporté les frais de construction d'une cité rudimentaire de transition et d'autre part, la S.A.U. s'est employée à résorber l'excédent des personnesà recaser en procédant d'un point à l'autre de son territoire à de nombreux transferts de baraques.

L' O.P.H.L.M. est l'organisme public d'une collectivité locale. En tant que tel, il possède une autonomie complète de gestion. Pour cet office, le coût d'une construction doit obligatoirement être équilibré par le montant des loyers à percevoir. Quand il s'agit d'une opération de résorption de bidonvilles, l'O.P.H.L.M. s'adresse à des gens dont les revenus sont extrêmement faibles et en conséquence la modicité du taux de location devient l'objectif principal.

L'Office ne peut à lui seul supporter les frais d'une opération de résorption. Plusieurs textes, en particulier l'arrêté du 20 mai 1959 lui permettent de faire appel à différentes sources de financement soit sous forme de prêts, soit sous forme de subventions.

Cette deuxième solution a été adoptée au Clos Salembier : d'une part la ville d'Alger a supporté les frais de construction d'une cité rudimentaire de transition et d'autre part, la S.A.U. s'est employée à résorber l'excédent des personnesà recaser en procédant d'un point à l'autre de son territoire à de nombreux transferts de baraques.

L' O.P.H.L.M. est l'organisme public d'une collectivité locale. En tant que tel, il possède une autonomie complète de gestion. Pour cet office, le coût d'une construction doit obligatoirement être équilibré par le montant des loyers à percevoir. Quand il s'agit d'une opération de résorption de bidonvilles, l'O.P.H.L.M. s'adresse à des gens dont les revenus sont extrêmement faibles et en conséquence la modicité du taux de location devient l'objectif principal.

L'Office ne peut à lui seul supporter les frais d'une opération de résorption. Plusieurs textes, en particulier l'arrêté du 20 mai 1959 lui permettent de faire appel à différentes sources de financement soit sous forme de prêts, soit sous forme de subventions.

En résumé, une opération de résorption est théoriquement financée :
- par l'organisme constructeur dans une proportion de 10 %,
- par prêts du Fond de Dotation de l'Habitat dans une proportion de 90 %.

Mais le coût de l'opération étant toujours supérieur au prix plafond fixé par les textes, l'excédent de dépenses doit faire soit l'objet de nouveaux prêts, soit l'objet de subventions.
Il est à souligner que le Plan de Constantine, en augmentant considérablement les crédits mis à la disposition du Fond de Dotation de l'Habitat, a grandement facilité l'exécution des programmes de résorption des bidonvilles actuellement en cours.

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L'affligeant spectacle du bidonville "Nador" en voie de disparition
L'affligeant spectacle du bidonville "Nador" en voie de disparition
et l'immeuble de recasement "Dar-el-Brahim" au Clos-Salembier
et l'immeuble de recasement "Dar-el-Brahim" au Clos-Salembier

" Éponger" entièrement les bidonvilles est illusoire.

L'habitant du bidonville recasé dans un immeuble aura à s'acquitter tous les mois de son loyer. On ne peut recaser que les familles solvables. Un critère de solvabilité a donc été établi. Compte tenu de ce que le loyer actuellement le plus bas, celui d'un logement ; une pièce, loggia, est de l'ordre de 3.000 fr par mois, une étude des budgets familiaux a permis de définir ce critère de solvabilité sur la base de 10 % du revenu mensuel. Donc, seules les familles disposant d'un revenu mensuel égal ou supérieur à 30.000 fr peuvent actuellementêtre recasées dans les immeubles récemment construits.

En 1959 parmi la population des bidonvilles d'Alger, 46 % seulement des habitants possédaient de tels revenus. Au Clos Salembier, des enquêtes effectuées, il résulte qu'en 1960 le pourcentage des familles solvables est encore inférieur à celui indiqué par le Service des Statistiques.

Il apparaît donc que plus de la moitié des familles résidant actuellement en bidonvilles ne pourront être recasées par suite de l'insuffisance de leurs revenus. On peut penser qu'une partie des familles ayant immigré en raison du seul fait politique rejoindront leurs douars d'origine, la guerre terminée.
Mais quel que soit le cours (les événements, il restera toujours dans les bidonvilles des insolvables dont le cas pose un nouveau problème.

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Symbole matériel et moral d'ascension : en haut, l'imposant immeuble de l'O.P.H.L.M. en vc finition ; en bas, la masse informe des baraques.
Symbole matériel et moral d'ascension : en haut, l'imposant immeuble de l'O.P.H.L.M. en voie de finition ; en bas, la masse informe des baraques.



Pour le résoudre certains ont envisagé l'octroi d'une allocation-logement, formule qui semble devoir être rejetée car elle entraînerait fatalement des injustices ; d'autres ont pensé qu'une certaine partie du loyer pourrait être versée sous forme de prestations au bénéfice de la collectivité, formule ne pouvant être généralisée mais pouvant être appliquée à quelques cas particuliers ;

une troisième formule consisterait à tolérer, à des emplacements déterminés et selon des règles très strictes d'urbanisme et d'hygiène, la construction de baraquements améliorés à loyer excessivement bas ; des baraques très sommaires seraient implantées à distance des quartiers d'habitation, des jardins mis à la disposition des habitants. La culture et la vente des produits maraîchers permettraient aux insolvables de s'acquitter d'un loyer très réduit tout en subvenant à leurs besoins.

PRIORITÉ A LA PROMOTION HUMAINE?

Étant donné la brutalité avec laquelle se trouvent constituées ces nouvelles collectivités humaines, n'y-a-t-il pas danger à créer des conditions de vie moderne avant d'avoir promu des hommes modernes ?

Le problème des bidonvilles et de leur résorption, étudié dans la perspective d'une promotion humaine, fait intervenir le facteur souvent déterminant de la mise en condition propre à tous les problèmes de masse.

Vivant hier encore dans ses gourbis, cette population mi-pastorale mi nomade a-t-elle au moins tous les atouts pour se promouvoir elle-même. Nous pensons que le principal obstacle à toute évolution réside dans la précarité des conditions de vie. Par contre, nous estimons que l'amélioration de son habitat est susceptible de lui donner l'élan nécessaire à sa transformation. De plus les besoins nouveaux ainsi créés feront de cet élan une impulsion permanente à la recherche de revenus durables.

Mais si cette mise en condition est nécessaire, et pour donner un esprit, voire une âme à la nouvelle collectivité, il est indispensable de l'organiser et d'en diriger les premiers pas.

Après une courte période de dépaysement provenant d'une brutale transplantation et de la rupture avec d'ancestrales habitudes, la famille appréciera rapidement les avantages de la superficie, les commodités de l'eau courante et les bienfaits de l'électricité. Ce qui ailleurs apparaîtrait comme un minimum prendra ici l'allure de confort.

Des besoins nouveaux engendreront une nouvelle conception du travail, une nouvelle organisation de la cellule familiale, un esprit nouveau.

L'atmosphère sera plus détendue, la vie de famille deviendra plus intime. Du moins, tous les atouts nécessaires auront été donnés dans ce but.

Mais il importe que ces atouts soient au mieux utilisés. Or, le plus souvent, l'usager de l'habitat ne sait pas quel est son bien. Il a besoin d'un éducateur et d'un guide.

Dans ce domaine et compte tenu de la conjoncture actuelle, il eût été souhaitable que dans chaque habitat soit réservé à l'élément européen un certain pourcentage de logements. La présence dans un même immeuble d'européens et de musulmans ayant des problèmes communs eût été bénéfique.

Au cours des réunions du syndic comme dans la vie quotidienne la connaissance réciproque, les échanges eussent été la source d'enrichissements mutuels. à condition bien entendu que dès le départ l'accès à la nouvelle collectivité ait été interdit à tous les préjugés.

De l'amélioration du cadre de vie découlent inévitablement de nouveaux besoins. L'électricité appelle la radio ou la télévision ; une large pièce aux murs en équerre permet l'installation d'un mobilier moderne ; la cabine de douche peut contenir une baignoire d'enfants. Pour que ces besoins soient satisfaits, il faut que les revenus augmentent.

Dans le bidonville, le chef de famille n'avait guère d'autres soucis que de subvenir aux besoins vitaux des siens.

Son ambition se limitait à la recherche du gain minimum obtenu par le travail le moins pénible. Maintenant, il prend conscience des incidences du travail sur le pouvoir d'achat. Il en découle une certaine ardeur au travail jusqu'alors inconnue.
Mais les nouveaux locataires qui con-naissent encore mal leurs besoins ont souvent tendance à confondre le superflu et le nécessaire.

Une expérience de la S.A.U.

En vue de faire connaître aux nouveaux locataires leurs véritables besoins, la S.A.U. lors d'une récente opération de recasement, a tenté une expérience. Dans un appartement laissé à sa disposition avait été rassemblé et ordonnétout ce qui pouvait améliorer les conditions de vie de la cellule familiale. Des étiquettes mentionnaient le prix de chaque objet. Une personne bénévole remplissait le rôle de conseillère et prenait les commandes. De grandes facilités de paiement avaient été obtenues grâce à la complaisance et au sens social de fabricants et de directeurs de grands magasins. L'expérience de cet appartement pilote a été une réussite ; de nombreuses commandes ont été passées.

Outre l'organisation de la vie familiale et collective, l'organisme de tutelle doit au maximum s'efforcer de promouvoir et de rapprocher les individus. Les garderies et les équipes sportives seront des communautés d'enfants. Des salles réservées aux cours d'adultes recevront tour à tour les hommes et les femmes désireux de s'instruire. Le centre médico-social, le centre commercial deviendront des lieux de rencontres et d'échanges.

Éviter aux nouveaux logis l'entassement des bidonvilles.

Il est enfin essentiel de se montrer très strict quant à la limitation des a apports familiaux ".

L'ancien fellah qui possède un sens inné de l'hospitalité accepte dans sa nouvelle demeure comme il les acceptait dans son bidonville les parents et les amis qui peu à peu se cristallisent autour de la famille allant jusqu'à l'étouffer. C'est pourquoi il est indispensable d'empêcher que derrière les façades modernes se recrée l'entassement des bidonvilles.

L'autorité a dans ce domaine plus qu'un rôle à jouer, une mission à remplir : celle de préserver à tout prix l'unité de la cellule familiale base de toute communauté humaine.
Pour le passant attentif, le premier contact avec le bidonville est empreint de compassion et de crainte. Compassion pour ces êtres dont les conditions de vie inspirent la souffrance, crainte, car l'image vivante de l'inégalité sociale rappelle bien des désordres. Mais au-delà de la première rencontre, s'ouvre l'inconnu d'un monde à la fois si semblable et si différent des autres. Ce monde offre des visages et ces visages exigent la compréhension, appellent la solidarité. Dans toute son acuité, se pose alors le problème de l'homme.

A celui qui cherche plus profondément, il apparaît que si les hommes ont le pouvoir d'asservir la nature, ils ont aussi celui d'agir sur eux-mêmes et sur leurs semblables. Est-ce une utopie de croire à la promotion des exilés des bidonvilles ?
Par contre, les hésitations de l'économiste et du financier devant les problèmes posés par cette population qui représente beaucoup plus une charge qu'une source de production, et la crainte suscitée par une courbe démographique croissante sont-elles justifiées? pleinement justifiées ?

L'essentiel : tout orienter dons le sens de l'homme.

Et pourtant, la résorption des bidonvilles est entreprise : l'essentiel n'est plus de savoir si le problème est soluble mais de rechercher en toutes choses la promotion de l'homme.

S'attacher à cette entreprise est peut-être un acte de foi mais surtout une croyance au " mobilisme " issu de la dépendance étroite entre les êtres et les choses. La réciprocité de cette influence peut devenir promotion à condition que le mouvement d'ensemble soit orienté dans le sens de l'homme.

Enfin, si c'est une hérésie de recaser dans un habitat moderne des individus inadaptés, ce n'est pas une gageure de croire que l'homme auquel seront données de nouvelles possibilités puisse parvenir à se dépasser en prenant conscience de son devoir. Par là même, il accentuera le " mobilisme " de l'économie comme celui de sa propre évolution.

Résorber un bidonville, ce n'est pas désenlaidir un quartier, ni même libérer une conscience du remords mais le témoignage d'une civilisation humaine constructive.

(Etude et documents de la S.A.C. du Clos-Salembier.)