Chéragas
par la traverse
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-----Oui, pourquoi
? Voilà une question à laquelle tout Chéragassien,
d'origine ou d'adoption, aurait aimé pouvoir répondre de manière
satisfaisante. -----Combien de fois dans le cours de notre existence l'avons-nous entendue, là-bas et même jusqu'ici encore, cette question, agaçante par l'ironie sous-jacente perceptible dans le ton de l'interlocuteur et par le petit sourire moqueur qui l'accompagnait? Mais, plus encore que l'ironie du ton, c'était l'impuissance de chacun de nous à donner une réponse logique à cette énigmatique expression qui nous tracassait. En effet, personne, même parmi les anciens de la région, ne se trouvait en mesure d'avancer, peu ou prou, la moindre explication sur son origine.., ce qui laissait portes ouvertes à toutes les interprétations, même les plus fantaisistes. -----Mais où donc se nichait. cette satanée traverse, le trajet Chéragas -Alger par la R.N. 41 étant, à l'évidence, le plus court, le plus direct? Eh bien! certains la voyait passer à travers le territoire de Dély-Ibrahim, en direction de Ben Aknoun, d'autres la localisaient vers Beni -Messous, d'autres encore croyaient. la reconnaître dans quelque sentier serpentant au milieu des vignobles et aboutissant à Châteauneuf, et les Guyotvillois, eux, la situaient sur la route reliant leur centre à Chéragas. Bref, chacun possédait sa version quant à l'existence de cette "traverse et chacun était persuadé de la justesse de sa propre explication... -----L'hypothèse la plus logique, apparemment, intéressait les voyageurs qui, venant, du littoral ouest, voyaient leur trajet vers Alger se raccourcir notablement lorsqu'ils empruntaient, la R.N. 41 traversant Chèragas, de préférence à la R.N. 2 par Guyotville et Saint-Eugène. Interprétation que l'on pouvait objectiver sur la carte des environs d'Alger la RN. 41, presque rectiligne, formait, la corde de l'arc que traçait la R.N.2 , épousant les sinuosités de la côte. Personnellement, j'étais depuis longtemps rallié, tout comme notre ami Jean Brune qui n'oubliait jamais ses racines chéragassiennes, à cette explication. -----Une seule certitude l'expression "Chéragas par-la-traverse" avait cours déjà au début de ce siècle. Outre le témoignage des anciens, j'en avais découvert la preuve dans une correspondance datant de 1910. Mais c'était insuffisant pour satisfaire notre curiosité. Certes, il avait été question aussi d'une " traverse " à Chéragas, dès la fondation du centre, dans les années 1842-1845, à ses débuts le village ayant été construit quelque peu à l'écart de la route Alger-Koléa qui, à cette époque, prolongée et à peine améliorée, était toujours celle qu'avait tracée le corps expéditionnaire de 1830 de puis Sidi-Ferruch. Les premiers Chéragassiens réclamèrent.. aux autorités l'ouverture d'une "traverse " longue de 324 mètres, afin de relier leur centre à cette voie. Satisfaction leur fut donnée assez rapidement, car la route, enfin rectifiée, vint alors former la principale rue du village.., et l'on ne reparla plus de "traverse " jusqu'à... -----Aujourd'hui, Chéraga s'orthographie sans s final et la route a retrouvé son trajet initial, évitant de nouveau le centre et se raccordant du "Christ" au pont de l'oued Defla. -----Enfin, il y a quelques années, le hasard bienveillant, m'a fourni la clef de cette énigme, sous l'aspect d'un vénérable dossier, poussiéreux et jauni à souhait, consulté aux Archives d'Aix-en-Provence. Et les nombreux feuillets manuscrits de cette épaisse liasse ont reconstitué, sous mes yeux, la genèse d'une légende tenace. La clef de l'énigme -----Cela débute par le compte rendu, daté du il avril 1893, d'une séance du conseil municipal de Chèragas, présidée par le Dr Bordo, maire et conseiller général. Dans cette délibération, l'assemblée constate et déplore l'état, de dégradation avancée de la chaussée dans la traverse du village (nous dirions aujourd'hui "la traversée ~ sur le chemin de grande communication n° 15 (devenu plus tard la RN. 2 ) entre les points K 5910 et K 6231, détérioration redevable en majeure partie, selon les édiles municipaux, à l'intense trafic intercommunal qui s'effectuait sur cette voie de grande communication. Pour remédier à cet état de choses, la construction de bordures de trottoirs maçonnées et de caniveaux pavés est, préconisée. Le service vicinal du département d'Alger est sollicité pour une étude des travaux à entreprendre ainsi que l'évaluation de leur coût,. Le 30 septembre suivant, ce service remet un projet de travaux dont la dépense s'élève à 6.300 francs. Pour l'exécution de ces aménagements, le conseil général vote, au cours de sa séance du 31 octobre 1893, l'octroi d'une somme de 2.100 francs, égale au tiers de la dépense, à condition que la commune de Chéragas inscrive les 4.200 francs supplémentaires à son budget. Par délibération du 22 avril 1894, le conseil municipal de Chéragas fait savoir que la commune se trouve dans l'impossibilité de verser à la caisse départementale la somme qui lui est demandée. Il signale aussi que le centre n'a été doté, lors de sa création, ni de trottoirs, ni de caniveaux pavés, contrairement à ce qui se faisait cette année-là encore. Il émet en conséquence le vu qu'une subvention soit accordée par l'Etat à la commune pour permettre la réalisation du projet. Ce vu est vivement appuyé par l'agent voyer de la circonscription de Douéra, dont la commune dépendait alors, dans un rapport en date du 6 juillet, 1895, ainsi que par une lettre du préfet d'Alger (5 août 1895 ) qui estime que la construction de trottoirs et de caniveaux dans la "traverse " de Chéragas présente un caractère d'urgence très marqué, l'exécution des travaux projetés devant avoir d'heureux résultats au point de vue de la salubrité publique. Et le préfet sollicite du Gouvernement général une subvention, allouée sur le budget de la Colonisation, égale à la part contributive imposée à la commune de Chéragas. Une situation quasi-clochemerlesque -----La première
réponse, émanant de l'inspecteur général des
services de colonisation, est un refus ( 9 septembre 1895). Voir L'Algérianiste
n°22, de juin 1983). Il y écrit notamment :"La
demande du conseil municipal de Chéragas est d'autant plus inadmissible
que ce centre est de très ancienne création, qu'il est situé
à proximité d'Alger, qu'il se trouve dans d'excellentes
conditions de prospérité et que le but que l'on se propose
est surtout d'embellir les rues : si l'Etat donnait satisfaction à
cette demande, il n'y aurait pas de raisons pour qu'il ne prit pas à
charge une dépense analogue dans tous les anciens centres. Nous
sommes, on conséquence, d'avis qu'il n'y a pas lieu d'allouer la
subvention demandée." Gaston PALISSER. |