Bou Ismaël - Castiglione
par Lucien Patania et Edgar Scotti ()
Ce centre a été créé en 1848
sur 1484 ha en coteaux, avec des travailleurs parisiens du 4e convoi partis
de Paris le 22 octobre de la même année. Arrivés le
4 novembre 1848 à Marseille, les 843 adultes furent aussitôt
embarqués sur la frégate " Montezuma " commandée
par le capitaine de vaisseau Cunéo d'Ornano. Ce convoi était
sous les ordres du chef d'escadron Durrieu du 3e Spahis et de l'adjudant-chef
Goy. Le chirurgien-major Mounier, du Val- de-Grâce, avait en charge
la santé des passagers destinés aux futurs villages de l'ouest
algérois, El Affroun, Castiglione, Bou
Haroun, Tefeschoun, Bérard
(Tagoureit).
Au cours de la construction du village, des tombes, des médailles,
une amphore servant d'ossuaire, des inscriptions chrétiennes du
lite siècle, ainsi que des colonnes d'une ancienne église
avec une colombe sculptée, furent découvertes. Mais rien
ne permit de donner un nom à la ville romaine qui s'étendait
sur ce site. Les premiers agriculteurs dont les noms suivent consacrèrent
aussitôt tous leurs efforts à défricher pour cultiver
: blé tendre, coton, tabac et même des arachides, dans des
sols sableux particulièrement propices à cette culture:
MM. Boucher, Chérot, Jean-Marie Crucy, Goubellon, Michel, Miguel,
Poincinet, Raynaud, Roux-Cuny, Schisler, Tardu, Tramu.
Cette commune de plein exercice prit le nom de la victoire que le général
Augereau remporta sur les Autrichiens le 15 août 1796 à Castiglione
delle Stiviere au nord- ouest de Mantoue. Avec une altitude de 75 m au-dessus
de la mer, le village est situé à 45 km à l'ouest
d'Alger et à 7 km de
Koléa.
Ce centre était desservi par deux routes, l'une longeant le littoral
par
Douaouda, Fouka-Marine,
Castiglione, l'autre passant par Oued el-Alleug.
A partir de 1892, les chemins de fer sur routes d'Algérie, les
CFRA, ouvrirent une ligne à écartement de 1,055
m, à traction vapeur partant d'Alger avec arrêts à
Pointe Pescade, Baïnem, Guyotville, Staouéli. À Zéralda
il y avait un embranchement sur Fouka et un autre sur Castiglione. En
1898, cette ligne était prolongée vers l'est par un tunnel
de 800 m creusé sous la pointe
El-Kettani débouchant sur le quai nord. Bien qu'envisagée
dès 1930, par M. Varcollier, directeur des CFRA, cette ébauche
de futur métro, ne sera jamais réalisée.
Elle aurait pourtant permis la desserte en site propre des actives régions
agricoles et des plages très fréquentées de l'ouest
et de l'est algérois.
En raison de son climat maritime avec des températures extrêmement
douces de 10 °C au-dessus de zéro en hiver et de 40 °C
en été, Castiglione était déjà en 1900,
une station balnéaire de premier plan dotée d'une belle
plage. Le village, relié à Alger par une ligne téléphonique,
avait une école de filles à trois classes et une école
de garçons à deux classes.
Avec 1510 habitants, l'activité de la population de Castiglione
était tournée vers la terre : vignobles, maraîchage
de primeurs, plantes à parfums, et vers la mer pour le cabotage:
pêche, conserverie, séchage ou saumurage des sardines et
anchois.
En raison de sa proximité avec de petits hameaux, comme Chaïba,
Berbessa, Messaoud, Chiffalo, Bou Haroun, le village de Castiglione constitua
très rapidement un pôle d'attraction et un débouché,
où agriculteurs et pêcheurs pouvaient écouler leurs
produits, faire leurs achats, réparer leurs outils, accomplir toutes
leurs formalités administratives. Les lieux de rencontres entre
habitants et agriculteurs des villages environnants y étaient particulièrement
nombreux.
Les sols légers de la région de Castiglione étaient
particulièrement propices à la culture de la vigne et notamment
du chasselas précoce. Les vins rouge et rosé étaient
appréciés.
Administration municipale en 1900
Maire : M. Edouard Guelpa; adjoint au maire: M.
Emile Thirion; secrétaire de mairie: M. Armand Delmas; architecte
communal: M. Hyacinthe Neige; cantonnier communal : M. Joseph Guerrier;
commissaire de police : M. Emile Germond; gardes-champêtres
: MM. François Turco et Hyppolite Chatton; receveur des contributions
diverses: M. Léon Gesta; postes des douanes: M. Isidore Pacou,
brigadier avec trois douaniers; garde-maritime: M. Vincent Garau;
médecin: Docteur Fernand Saint-Cyr; pharmacien: Louis Bressy
; sages-femmes : Mme Vve Baudry, Mile Lemaître; curé:
M. l'abbé Dubourg; instituteurs : MM. Hermitte père
et fils; institutrices: Mu" Abadie, Laroche, Léonie
Chétrit, Jeanne Motta; pensionnat des soeurs de la doctrine
chrétienne: Mme Alexandra, mère supérieure;
postes et télégraphe: M. Paul Revillet, receveur;
M. Emile Vasseur, facteur urbain; M. Adrien Daguilane facteur rural;
bureau de la Régie : M. Octave Vasseur; chef cantonnier départemental:
M. Eugène Benoît; cantonnier départemental :
M. Armand Capus; gardien du cimetière : M. Léon Christophe;
tambour de ville et afficheur: M. Raphaël Griffe.
Artisans et commerçants
en 1900
Bouchers : Mme Vve Laplanche et M. Louis Laplanche;
boulangers : MM. Francisi, Ferrer, Garcia et Lert; cafetiers: MM.
Martinez au " Café du Plateau ", Ferrer "
Café de Paris ", Sevin " Café de France
", Fuster " Café des Amis ", Garcia "
Le Glacier ", Mme Vve Triay " Café des Bains ",
M. Pascal " Café des Bellombras ", Mme Vve Goubillon
" Café Français ", M. Crispo " Café
Bellevue ", M. Pons " Café de la Marine ",
M. Vidal " Café du Sahel ", M. Molinès "
Café de Belle-Vue ", Etienne Billa, " Café
des Colons ", Poehner, " Café du Tapis Vert ",
M. Crespo, "Café de Valence ", Levère "
Café de la Plage "; charrons-forgerons: MM. Albertini,
Béranger et Revol; courtier en vins: M. Jean Matignon; distillateurs
de géranium: MM. Emile et Léon Novel; entrepreneurs
de travaux publics : MM. Joseph Escriva, Henri Melon, François
Pondié, Léon Coutton, Charles Garcia, Louis Pollastrini;
épiciers: MM. Delcroix, Décélis, Laroza, Mercurio,
Olive, Cauquil, Maladia, Marceau et Mathieu; ferblantier : M. Fernand
Rouget; hôteliers : MM. Pons " Hôtel de la Marine
", Sevin, " Hôtel de France ", Poehner "
Hôtel du Tapis Vert ", Ferrer " Hôtel de Paris
"; menuisiers : MM. Isner, Robichon, Tailleur; mercerie et
nouveautés: Melle Giovanelli, MM. Sutty et Honoré
Peillon; apprêteurs de poissons frais: MM. Décélis,
Salvo, Olive, Delcroix, Amato; quincailliers: MM. Delcroix et Rouget;
tailleuses couturières : Mmes Barthès, Pons, Maurel
et Melle Giovanelli ; transports maritimes : lignes côtières
algériennes : Schiaffino, lobez, Mathieu et Cie; agent consignataire
: M. Couturier; Prosper Durand et (' e : agent consignataire M.
Julien Matignon; syndicat des irrigations : M. Clément Humbert;
syndicat des viti( ulteurs : M. Victor Magnier; expert du service
du phylloxera : M. Joseph Sire; cercle civil: M. Jean Blüsset,
commandant en retraite, président; foudriers : MM. Léon
Méric, Paul Cauquil, Paul Jean; maréchaux-ferrants:
MM. Revoul et Gomez ; voitures publiques : de Castiglione à
Alger et de Castiglione à Cherchell Mme Vve Cazassus ; de
Castiglione à Alger et de Castiglione à Cherchell
Mme Vve Soubirous; de Castiglione à Blida : M. Bailly ; Castiglione
à Zéralda (gare) : M. Cazassus fils; entrepreneurs
de transport: MM. Jacques Lorca, Antoine Garcia; peintres en bâtiments
: MM. Poehner, Gonzalez et Brandi ; commerçant en grains
et farines : Mme Vve Vaillant; entrepreneur d'éclairage:
M. Alexandre Frémaux; détartreurs : MM. Savignac,
Durand, Borell et Roques ; coiffeurs : MM. Galiano et Laroza; cordonniers:
MM. Cantos et Belmontès; horloger: M. Barthès; collecteur
de marché: M. Félix Turco.
Parmi les viticulteurs citons MM. Eugène Benoît (père),
les héritiers Sidobre, MM. Veyre frères, Louis Casabonne,
les héritiers Santerre, les héritiers Chatelain, Mme
Irène Clavé,
Viticulteurs en
1900
MM. Jacques Clément, Félix Esposito,
Louis Davin, Charles Cornu, André Couturier, Bernard Crespo,
Antoine Crespo, Mme Vve Jean-Baptiste Cuq, MM. Emile Dangla, Eugène
Dangla, Henri Dangla, Auguste Descamps, Mme Vve Edouard Eloy, MM.
Paul Eloy, François Fuster, Henri Dangla, Aguste Descamps,
Mme Vve Edouard Eloy, MM. Paul Eloy, François Fuster, Mme
Vve André Gary, MM. Edouard Géronde, Charles Gontier,
Laurent Gontier fils, Laurent Gontier père, Victor Granier,
Eugène Guegan, Henri Guégan, les héritiers
Guégan, MM. Edouard Guelpa, Clément Humbert, Mme Jeanne
Humbert, MM. Louis Davezac, Armand Lorendeaux, Pierre Lorendeaux,
Julien Lorendeaux, François Liothaud, Jacques Lorca, Victor
Magnier, Mme Vve Claude Maire, MM. François Matignon aîné,
Henri Matignon, Jean-Julien Matignon, Alexandre Mauguin, Joseph
Tardy, Mme Marie Murgier, Mme Marie Nivon, MM. Emile Novel, Léon
Novel, Ernest Novel, Napoléon Pêcheur, Nicolas Poignault,
Constant Quennehen, Jacques Rey, Louis Rey, Marc Robichon, Jean-François
Rosset, Jean -Mathieu Sansorgne, Emile Thirion, Baptiste Tramu,
Ernest Tramu, Octave Vasseur, Jean Aubry.
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Des cultures intercalaires, entre les rangs de vigne permettaient de faire
une récolte de pommes de terre primeurs en février-mars
avant le débourrement des ceps de vigne.
À Castiglione, comme dans beaucoup d'autres villages de cette époque,
les veuves acquérirent un statut et un rôle social prédominant,
en raison de la disparition précoce des hommes,épuisés
par le travail, morts dans les conflits ou victimes des caprices du climat.
Aussi, afin de préserver le patrimoine jusqu'à la majorité
d'un fils, des femmes, qui n'avaient pas encore le droit de vote, prenaient
en mains la gestion de la ferme, de l'entreprise familiale, épicerie
ou auberge.
Les pêcheurs en
1900
Attirés par les fonds très poissonneux des
baies du Chenoua et de Castiglione, des pêcheurs et corailleurs
originaires de Sicile, de la région de Naples ou des autres rivages
de la Méditerranée, émigrèrent avec leurs
nombreuses familles à Bou Haroun, Chiffalo et Castiglione. Chaque
année dès le début du mois de juin, ils se déployaient
la nuit, avec leurs embarcations à environ deux milles, soit à
3,700 km, de la côte pour pêcher l'anchois selon un rite immuable.
Il s'agissait de tester la direction du courant et de mesurer à
quel niveau se situait la plus grande partie des poissons. Cet essai précédait
le largage du long filet dont on démaillera un à un les
anchois, avant le lever du soleil, afin de ne pas en altérer la
qualité.
Ces hommes ne parlaient qu'un français très approximatif.
Ils s'isolèrent sans acrimonie dans leurs métiers de pêcheurs,
d'agriculteurs ou de maçons. Respectueux des règles de la
République, ils accomplissaient leur service militaire dans la
Marine nationale ou dans les Zouaves, envoyaient leurs enfants à
l'école, au moins jusqu'au certificat d'études primaires.
Ils ne transposaient pas les difficultés qu'ils avaient dans leur
pays, à l'origine de leur émigration, vers les rivages algériens,
où ils s'installaient dans des baraques de fortune souvent construites
en toute illégalité, sur le domaine maritime.
Les premières familles de pêcheurs arrivèrent des
côtes espagnoles, maltaises, italiennes à la fin du xIxe
siècle. À Castiglione, elles étaient presque toutes
originaires des petits ports siciliens. Les Lucido arrivaient de Favarota,
suivis des Costagliola, Patania, originaires d'Augusta. Tandis que les
Lipari, Esposito venaient des rivages palermitains, alors que les familles
Aloï, Sienni, Capone quittaient leurs petits ports de la région
de Messine et les Di Marzo, Scarino, Basile, arrivaient des îles
Lipari à bord de balancelles. Bien d'autres, dont il n'est hélas
pas possible de citer les noms, étaient originaires de l'île
de Malte et du golfe de Naples dont la famille Scotto arrivée avec
sa pratique de la pêche au trémail ou tramail, ce long filet
composé de trois nappes superposées. Tous pratiquaient la
pêche à l'anchois et à la sardine et amenaient avec
eux des techniques de conservation par séchage ou saumurage. Ces
artisans de la capture et de la conservation du poisson surent évoluer
vers la pêche au large, dans les eaux internationales et l'emboîtage.
Jusqu'en 1962, Castiglione n'avait pas de port, les palangriers accédaient
à la plage par d'étroits passages ouverts parmi les bancs
de sable et les hauts fonds de roches. Il n'y avait pas de treuil et par
gros temps, il fallait à la force des bras, tirer les bateaux à
terre en les faisant glisser sur des tins, grosses pièces de bois
enduites de suif. Tirant un trait sur un passé difficile, ces hommes
voulaient donner un sens à leur vie, à celle de leurs enfants
en bâtissant leur avenir pour eux et pour tous ceux qui les entouraient.
Conscients de la nécessité d'épargner la ressource,
même si parfois, ils mouillaient leurs filets trop près du
rivage, ils étaient respectueux des périodes de reconstitution
de la faune marine et notamment de ses espèces les plus appréciées,
n'hésitant pas à remettre délicatement à la
mer une grosse langouste " grainée " c'est-à-
dire pleine d'oeufs en disant: " Voici notre pain de demain ".
Il fallut beaucoup de courage et d'intelligence à ces familles
pour construire sur cette côte dépourvue d'abris naturels,
une industrie de la pêche et de la conserverie créatrice
d'emplois et génératrice d'un apport complémentaire
de protéines. Ces activités reposaient sur un travail opiniâtre
et une volonté nettement affirmée de combler les déficits
alimentaires d'une Algérie exposée aux accidents climatiques
ou aux calamités.
Castiglione en 1955
En cette année, Castiglione était
la perle du littoral, avec ses 6000 habitants son équipe de foot
et son concours d'élégance automobile. Son corso fleuri,
l'élection de sa reine faisaient courir les foules, rêver
les jeunes filles en petites robes " Vichy " et enflammer les
coeurs des garçons. Sous son boulevard de la plage, ses "
voûtes " abritaient les estivants. Trop nombreux pour être
tous cités, ses restaurants étaient enveloppés des
suaves effluves de fritures de rougets et petites sépias. Ses hôtels
avaient la vue sur la mer, " Chez Vincent ", " l'Hôtel
de Paris ", " l'Hôtel du Plateau ", celui de "
La Plage ", " l'Hôtel de l'Oasis " et le
" Miramar ", sans oublier son " Grand vivier salubre "
avec ses dégustations d'huîtres, moules et langoustes avec
de grosses gambas rouges, les fameuses crevettes " Royales ".
Les soins médicaux étaient assurés par plusieurs
praticiens, dont les médecins MM. Rodolphe Balliste, Mereau et
Bernard Morla sur l'avenue de la mer. Deux dentistes MM. Pierre Gouin
et Reynaud ainsi que les pharmaciens: MM. Dumas, Morlot-Fournier, Urios
et Piétri, complétaient l'organisation de santé de
cette agréable petite ville. Plusieurs sages-femmes dont Mmes Louise
Adragna et Morla se déplaçaient, de jour comme de nuit,
pour aider les mamans à mettre au monde leurs bébés.
Depuis la fermeture en 1933, de la ligne des CFRA, les liaisons entre
Alger, Castiglione et Tipasa étaient assurées par les autobus
des " Messageries du littoral ", des Transports Mory et les
cars et camions de MM. René et Albert Roques.
Castiglione avait plusieurs succursales de banques, dont celles de la
Compagnie Algérienne, du Crédit Foncier d'Algérie
et de Tunisie, du Comptoir d'escompte, ainsi qu'une agence du Crédit
Agricole.
Plusieurs garages entretenaient automobiles et tracteurs des maraîchers,
producteurs de tomates et autres légumes de primeurs cultivés
en hiver, sous abris de diss les protégeant des embruns. Dans une
même rue, l'épicerie avec ses bidons d'huile d'olive, ses
sacs de semoule, pois chiches, haricots secs, ses barils de sardines salées,
était proche de la maison du chirurgien-dentiste, du studio du
photographe, de la boutique du marchand de tissus avec ses étoffes
de couleurs variées, de l'échoppe du cordonnier, de la boucherie
avec ses têtes de moutons pendues aux crochets de la devanture,
ou de la vitrine du boulanger-pâtissier. Descendants des colons
du 4e convoi, parti de Paris en 1848 et immigrés de toutes les
côtes méditerranéennes, labouraient, les uns la terre,
les autres, la mer pour en tirer des légumes ou des poissons. Tous
ces hommes partageaient une même volonté d'améliorer
la qualité de leur vie et de répondre en urgence aux besoins
alimentaires d'un pays où la largeur cultivable des plaines sublittorales
est très réduite, par rapport à celle des zones steppiques.
Les agriculteurs, travaillaient opiniâtrement à l'amélioration
de la précocité des récoltes d'aubergines, courgettes,
haricots verts, pommes de terre, poivrons et tomates pour arriver au plus
tôt sur les marchés métropolitains, en passant par
les stations de conditionnement des fruits et primeurs emballés
dans des cageots fabriqués par les établissements Ben Ouenniche
à Hussein-Dey. Venus de tous les ports de la Méditerranée,
les patrons des palangriers avaient une connaissance parfaite des fonds
sur les " Pierres de Bou Haroun " ou les " Pierres de corail
". Une carte provisoire au 1/500000e de toute la marge continentale
algérienne, avait été tracée, avec l'appui
de l'ingénieur général Gaston Bétier et de
M. Robert Lafitte, doyen de la faculté des sciences, par MM. André
Rossfelder, Lucien Leclaire et Jean-Pierre Caulet. Cette carte permit
aux maîtres de pêche d'approfondir leurs connaissances des
zones " chalutables " au large du Chenoua,
de Bou Haroun, Castiglione, à l'embouchure du Mazafran, dans leur
configuration et leur faune composée de poissons nobles. Ces informations
fort appréciées de tous les professionnels et notamment
des pêcheurs autochtones, leur permirent d'éviter les fosses
profondes et les rochers où les chalutiers accrochaient ou perdaient
leurs filets. L'expérience acquise dans la pratique des métiers
de la pêche est toujours utilisée par les professionnels
algériens de ce littoral dont pourtant les ancêtres n'étaient
pas des hommes de mer. La station expérimentale d'aquiculture et
de pêche fut créée à Castiglione en 1921 par
le professeur J.-P. Bounhiol, qui en fut le premier directeur jusqu'en
1926. C'est le professeur Louis Boutan qui lui succéda jusqu'en
1932. Cette station fut ensuite dirigée par M. André Curtès,
puis à partir de 1933 par le Dr Roger Dieuzeide. Cette station,
reconnue des scientifiques du monde entier, était plus connue des
professionnels, sous le nom " d'école de pêche ".
Elle mettait à leur disposition des données scientifiques
sur le peuplement et les méthodes de conservation du poisson notamment
par salaison et saurissage. Des scientifiques furent à l'origine
du développement de nombreuses usines de traitement des poissons
par salage, séchage, saurissage, saumurage, ou emboîtage.
Trop nombreuses hélas, pour être toutes citées, les
entreprises, " Sarthon ", " Papa Falcone ", "
Idéal ", employaient une nombreuse main-d'oeuvre féminine
locale, éviscérant prestement dès le matin, sardines
et anchois aux rutilants reflets bleus, de la pêche de la nuit.
L'exode de 1962
Après des drames atroces, agriculteurs,
pêcheurs, industriels et commerçants, petits-fils des colons
de 1848, des transportés politiques du Second empire, des Alsaciens
Lorrains ou des pêcheurs de corail venus de tout le bassin méditerranéen,
partirent, abandonnant, maisons, cultures, filets et bateaux, dont seulement
quelques-uns purent traverser la mer.
Traumatisés, meurtris par des pertes cruelles, ces hommes et ces
femmes n'ont rien pris à l'Algérie, ils ont laissé
à Castiglione, des amis de jeunesse, un appareil de production
en parfait état. Ils sont partis, n'emportant que la vision d'une
ville écrasée sous la terreur. Ils n'ont rien pris aux Algériens,
n'emportant que leur volonté de se reconstruire et d'ouvrir en
métropole ou ailleurs, sur mer ou sur terre, d'autres sillons.
Et même si, sur les quais de Port-Vendres à Saint- Tropez
et Nice, on retrouve encore au milieu de cette première décennie
du xxie siècle, quelques enseignes d'entreprises de Castiglione,
notamment (Falcone, Mercurio), leurs lointains descendants n'ont plus
tellement envie de faire le même métier que leurs aïeux.
L'Amicale du Souvenir Castiglionais entretient la mémoire collective
des hommes et femmes de cette région. Ces villages de Castiglione,
Bou Haroun, Tefeschoun ou Chiffalo, ont chacun une mémoire différente,
faite des souffrances de tous ces travailleurs immigrés qui, à
l'origine, étaient aussi pauvres que tous ceux qui les entouraient
et travaillaient avec eux sur terre ou sur mer. Leurs arrières-petits-enfants
sont maintenant les dépositaires de cette histoire. C'est à
eux qu'il appartient désormais d'enrichir et de développer
tout ce qui a été fait avant eux par d'humbles pêcheurs
ou agriculteurs. Ils peuvent être fiers de ce patrimoine commun,
mais complexe qui leur appartient. C'est à eux d'éviter
sa dilution en mémoires individuelles, au profit d'une mémoire
imposée et unique.
L'azur du ciel et de la mer, la beauté
des plages et des forêts ne laissèrent pas indifférents
des artistes qui créèrent le tango: " Sous le ciel
de Castiglione ", paroles de M. André Berthelot, musique de
M. Apollinaire Caratéro. Tandis que M. Cano, un peintre de talent,
immortalisa sur des toiles, la beauté de la mer, du ciel et le
travail des hommes.
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Bibliographie:
- Guides annuaires et documentation de l'époque.
- Patania (Lucien et René), Notre père Alfred, patron pêcheur
en Algérie, avec la participation de leurs frères Joseph
et Augustin.
- Histoire des prud'hommies de pêche varoises, de leurs origines
à nos jours, ouvrage collectif sous la conduite de MM. Lucien Patania
et Jacques Guillaume.
- Scotti (Edgar), Bou Haroun, ouvrage collectif rédigé avec
le concours de M. et Mm, Marc Heitzler et de tous les Bou Harounais.
- Martin-Larras (Émile et Simone), En chaland, de Paris à
Marseille en 1848.
Remerciements :
La documentation iconographique est due à Teddy Alzieu tirée
de son livre De Blida à Cherchell - À travers la plaine
de la Mitidja, collection " Mémoire en images ", éd.
Alan Sutton, 2004.
Il convient aussi d'exprimer nos plus vifs remerciements à toutes
les personnes qui, par leurs archives ou leurs souvenirs, contribuèrent
à cette évocation de quelques hommes qui furent à
l'origine de Castiglione. Le Dr Georges Duboucher, MM. Pierre Crucy, Louis
Crucy, Louis Dulac, Joseph Palomba et Jacques Piollenc, voudront bien
trouver ici, l'expression de notre très vive gratitude.
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