Au fil des années, les souvenirs s'estompent
et si certains noms ont parfois des consonnances familières, leur
définition, toutefois, reste floue ou occasionne des confusions.
C'est ainsi que dans la marine, le nom de Siroco
rappelle d'abord un torpilleur de 1 300 tonnes, qui s'est distingué
le 22 novembre 1939, en coulant deux sous-marins allemands dans l'intervalle
de trois jours.
Dans le cas présent, nous allons parler du Centre Siroco où,
de 1945 à 1962, plusieurs " générations "
de fusiliers-marins ont appris le métier des armes. Depuis les
débuts de la guerre d'Indochine, en passant par les troubles de
Madagascar, jusqu'à la fin de la guerre d'Algérie, les instructeurs
ont dû " fournir ", comme s'ils alimentaient une chaîne
sans fin, des promotions d'officiers, d'officiers-mariniers, de quartiers-maîtres
et matelots, de spécialité fusilier, parfois certifiés
commandos ou amphibies, pour compléter, renouveler les effectifs
des unités opérationnelles de la marine.
Le site
Installé au cap Matifou dont le promontoire
escarpé, déchiqueté, enserre la magnifique baie d'Alger
au nord-est, le centre avait déjà été, au
cours de la Seconde Guerre mondiale, occupé par les chantiers de
jeunesse (Marine) que commandait le lieutenant de vaisseau Thévenet,
secondé par l'enseigne de vaisseau Devigot.
L'école des cadres se trouvait à Jean
Bart, à l'est de Matifou. Mario Faivre, un des conjurés
qui avait décidé de faire assassiner l'amiral Darlan, y
avait fait son service, en tant qu'inscrit maritime, mais surtout intéressé
par les dépôts d'armes pouvant servir à la cause .
Il était chargé du ravitaillement, assuré par des
convois de mules. Son père, propriétaire du domaine d'Ain
Hamedi, entre Ténès et Mostaganem, en possédait tout
un troupeau.
En dehors des liaisons terrestres reliant Alger au cap Matifou, en passant
par Maison
Carrée, Fort
de l'Eau et la
Pérouse, un chalutier armé, l'Angèle
Perce, effectuait les rotations des permissionnaires.
L'endroit est réellement privilégié. Un plateau bordé
de falaises dominant la mer, entrecoupé de petites criques de sable
de roche. Les rochers qui emergeaient de la mer, rappelaient facilement
un paysage du Finistère, surtout par gros temps.
L'école des fusiliers
En août 1945, le capitaine de corvette
Cornault, en provenance de l'aviso Commandant Dominé, remplace
le capitaine de corvette Célérier. Le camp abrite alors
le centre de formation jeunesse (Marine), l'école des mousses musulmans
et le centre de formation des recrutés et inscrits maritimes d'Afrique
du Nord, dont sera séparée la nouvelle école des
fusiliers.
Peu de temps après sa prise de commandement, Cornuault reçoit
un certain nombre de visites officielles. Le vice-amiral Ortoli, le général
Leclerc venu en inspection en Afrique du Nord, puis Louis Jacquinot, ministre
de la Marine. qui remet au " Pacha " de Siroco le valeureux
drapeau des fusiliers- marins.
Toutefois, la fréquence de ces visites ne freine en rien l'aménagement
de l'école. Des prisonniers allemands sont chargés de monter
le stand de tir. Des batiments à niveau du sol sont construits
pour les salles de cours, de sports, répartis de part et d'autres
d'une grande allée centrale, bordée de palmiers, qui part
de la porte principale jusqu'à l'autre extrémité
du camp. Des terrains de sports, des parcours du combattant et du commando
sont bientôt à la disposition de l'école.
Un fortin, dont l'origine remonte au temps des Turcs (Bordj
Tamendfous) détruit et restauré, sera utilisé
comme prison. Devant sa façade, un petit terrain pour tirs réduits
au mortier.
Les premières années, à l'imitation des camps d'entraînement
britanniques, une ring est élevé devant le fortin pour des
combats de boxe.
Devant le bâtiment de commandement, la statue en bronze du fusilier-marin,
baptisé " Jean- Louis ". Auparavant, elle était
à Saïgon...
Evolution de la spécialité
En avril 1946, le capitaine de corvette Kieffer,
premier commandant du ler bataillon de fusiliers- marins-commandos (France
Libre), parvient, avant de quitter la marine, à intéresser
l'état-major général à un projet de création
d'unités de commandos-marine.
Deux de ses adjoints, l'officier des équipages Lofi et l'enseigne
de vaisseau Sénée, suivi de deux instructeurs britanniques
des commandos, Frank et Coxton, rallient Siroco pour " monter "
cette nouvelle " boutique ",
Au premier stage d'officier commando, figure le lieutenant de vaisseau
de Joybert, futur chef d'état- major de la Marine, qui commandera
beaucoup d'unités opérationnelles et, agacé par certaines
réflexions du' clergé, enverra " paître "
les hauts dignitaires en robe.
Pour faire un fusilier, l'apprenti- marin fait d'abord ses classes au
Centre de Formation Maritime (CFM), à Pont-Réan, près
de Rennes, à Mimizan, dans les Landes ou même à Siroco
; Hourtin, près de Bordeaux, étant réservé
à ce moment là, au personnel de l'Aéronautique Navale..
Ensuite, six mois de cours de fusilier, suivi, éventuellement,
d'un mois préliminaire, pour ceux qui seront commandos, après
deux mois de stage. Pour ceux qui ne réussissent pas le stage commando,
il reste une alternative, le certificat de commando 'amphibie. '
Ce certificat s'obtient en conclusion d'un stage suivi au Centre d'Instruction
des Opérations Amphibies (CIOA ), installé à Arzew,
à 40 kilomètres d'Oran. Cette base, devenue rapidement interarmes,
est commandée par le capitaine de frégate Maggiar.
Autre évolution : le quartier- maître du Cadre Spécial
(CS), ouvert, non seulement aux fusiliers, mais également à
des quartiers-maîtres, souvent anciens d'autres spécialités.
L'avantage, en dehors de l'avancement, réside dans le port de la
tenue d'officier- marinier, grade de second-maître de 2e classe
avec des filets transversaux rouges. Cette distinction sera supprimée
après la guerre d'Algérie en faveur d'autres variantes,
apparemment peu satisfaisantes.
Arrivé en fin de commandement, Cornuault, est remplacé par
le capitaine de corvette Richard. Suivent les capitaines de frégates
Grincourt (1950), Legendre (1952), Degoy (1953), Tournyol du Clos (1955),
Garnier Marcel (1956), Merceron (1957), Ortolan (1958), Hinden (1960)
et Servent. Ce dernier va être chargé du déménagement
de l'école, lors de l'indépendance de l'Algérie (1962)
en direction de l'arsenal de Lorient. berceau de tradition, avant-guerre,
de l'école des fusiliers. Une base provisoire, en attendant les
nouveaux bâtiments, sera établie à bord du croiseur
ex-italien Chateaurenault. Un autre rapatrié est du voyage. "
Jean-Louis " qui trouvera, ultérieurement, sa place à
proximité du bâtiment de commandement.
Les opérations
de la guerre d'Algérie
Comme commandant militaire du secteur de
Matifou. le " Pacha " de Siroco dispose d'un groupement d'intervention,
susceptible d'être envoyé en opération avec des unités
d'autres armes.
Plusieurs dizaines d'opérations seront ainsi lancées auxquelles
vont participer autant les élèves que les cadres. Le 23
juillet 1957. lors d'une opération dans le secteur de Bou Keram.
l'officier des équipages Nozières est grièvement
blessé, ainsi que le second-maître Aubry. dit " Picpus
". Leurs camarades tentent de les ramener à l'abri, mais trois
d'entre-eux. l'aspirant Cahot, les matelots Vincent et Fournier, sont
mortellement blessés. Nozières mourra quelques jours plus
tard des suites de ses blessures. Une plaque à son nom sera posée
à l'entrée du stade.
Des officiers comme Garnier, Ortolan, Hinden, n'hésiteront pas
à mettre leurs gens sur le terrain, pour des marches forcées
autant que pour des opérations. En conclusion, on peut dire que
le Centre Siroco s'est révélé comme une base opérationnelle
très active et disponible à tous moments, garantissant une
tranquillité parfois insouciante parmi les populations des communes
environnantes.
Pourquoi ne pas terminer
ainsi ?
Le capitaine de frégate Garnier est
un personnage reconnu comme courageux. Ses deux campagnes d'Indochine
l'ont largement démontré. Blessé deux fois, la première
sur la rivière Claire (Tonkin) en octobre 1947, la seconde dans
le sud du delta, en février 1954.
Son bras droit, gravement atteint, l'obligera, plus tard, à saluer
de la main gauche, comme le maréchal Juin. Signe particulier, une
voix qui porte ; ses coups de " gueule " étaient entendus
de loin. En Indochine, il avait organisé sa famille comme un groupe
armé.
Chacun avait son poste de combat.
Comme commandant de Siroco, une histoire assez amusante nous a été
contée : un jour, en fin de matinée, le capitaine d'armes
du Centre frappe à sa porte. Un signe de Garnier l'invite à
entrer. Trois pas, salut imposant et claquement de talons, signes extérieurs
du militaire, très prisés par le " Pacha ".
- Mes respects, commandant, jesuis venu vous présenter un officier-
marinier, nouvel embarqué.
- Qu'il entre !
Le capitaine d'armes se retourne et fait signe à celui qui attend
dans le hall. Même cérémonial de la part du nouveau,
puis se découvrant, il clame :
- Maître canonier BS Arzul, en provenance du cours de Toulon.
Garnier s'apprêtait à lui dire quelques mots, quand, brusquement,
retentit la sonnerie du téléphone. Une unité de l'armée
de terre vient d'accrocher une bande rebelle et demande du renfort.
Comme la conversation semble se prolonger, le capitaine d'armes dit à
Arzul :
- Tu restes là, moi je vais à la signature du commandant
en second.
Resté seul en face du " Pacha ", il ne sait comment faire.
Soudain, Garnier dit :
- Appelez-moi Papa...
Soufflé, Arzul ne sait que faire. On lui avait bien dit que, parfois,
le commandant semblait un peu étrange, mais, connaissant les farces
faites au détriment des nouveaux embarqués, il n'avait pas
prêté attention. Là, il commençait à
se poser des questions...
Le malheureux ignorait que le chauffeur de Garnier s'appelait Papapopoulos.
Il était né d'une famille grecque naturalisée. Son
nom paraissait trop compliqué, tout le monde l'avait surnommé
" Papa ".
Ne voyant pas Arzul bouger, Garnier s'exclame, tout en mettant la main
devant le combiné :
- Je vous ai dit de m'appeler " Papa " !
Complètement perdu, ne sachant que faire, Arzul fait un geste timide
de la main, recule, puis avance... La panique. C'est là, qu'agacé,
Garnier hurle en se levant :
- Nom de Dieu, je vous ai dit de m'appeler " Papa " !
Alors, claquant de nouveau les talons et gonflant sa poitrine, Arzul clame
tout haut :
- A vos ordres, " Papa "...
|