Une ville d'Algérie :
Bougie
en 1837

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Extrait de la revue du Cercle algérianiste, n°119 , septembre 2007 avec l'autorisation de la direction de la revue "l'Algérianiste"

mise sur site : avril 2012

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Bougie en 1837

Evariste Bavoux, conseiller d'État, visitait en 1837 l'Algérie. De passage à Bougie, il écrivait: " Il est indispensable de conserver Bougie L...]. Il est du plus haut intérêt, en nous réservant ce port, de l'ôter à l'ennemi anglais, russe, ottoman ou africain qui, dans une guerre maritime, ne manquerait pas de s'en emparer, et couperait ainsi la communication entre deux points importans de nos possessions d'Afrique ".
C'est le rapport complet qu'il rédige sur cette ville que nous publions ci-après en respectant l'orthographe de l'époque.


Bougie, en arabe Boudgeia, est située à quarante-cinq lieues de Bône et trente lieux d'Alger. C'est l'antique Salda, suivant Shaw; selon d'autres, l'ancienne Baga ou Vaga, ou bien encore l'ancienne Choba.

Le fleuve qui l'avoisine, le Nasabath (La Soummam), que Ptolémée appelle le Nasava, se jette en cet endroit dans la mer.

On aperçoit au sommet de l'une des hautes montagnes qui entourent Bougie, un ancien Marabout qui est devenu le fort Gouraia, élevé à l'extrémité d'une roche immense, abrupte et escarpée, haute de 670 m. Une route arrive par des rampes multipliées à ce fort Gouraia, construit à 4 000 m de la ville. Il forme comme la clé imprenable de cette position qu'il domine et maîtrise.

La ville est construite sur le double versant intérieur des deux collines où elle semble blottie comme un oiseau. Les maisons, séparées les unes des autres par des jardins, lui donnent l'aspect d'une réunion de campagne plutôt que d'une ville. Dominée par les hauteurs qui s'élèvent en amphithéâtre et presqu'à pic derrière elle, cette position sur le flanc de la montagne, ses maisons écartées et les masses d'orangers, de grenadiers et de figuiers de Barbarie qui les entourent, rendent son site éminemment pittoresque.

Il n'existe qu'un seul débarcadère, étroit et peu commode devant la Porte de la marine, unique entrée de la ville sur cette face. Cette partie a sur la baie la physionomie d'un panorama charmant. Le commandant de notre bateau à vapeur nous fit, en partant, la galanterie de promener son bâtiment sur la ligne circulaire de la rade pour nous faire jouir de ce délicieux spectacle sous ses différents aspects; puis nous gagnâmes le large.

Les Français n'occupent que la ville elle-même; les environs sont fort dangereux, au point qu'à cent et cent cinquante pas des murs, on aperçoit des blockhaus, dont on ne va relever les factionnaires qu'avec des escortes. Toutes ces montagnes sont peuplées de Kabayles intraitables et cruels. Au surplus ce n'est pas nouveau; sous le gouvernement même du Dey, ces Kabayles étaient également insoumis et indomptables : pirates montagnards, ils étaient inaccessibles au milieu de leurs rochers; fiers de cette supériorité que leur donnait la nature, ils refusaient le transit aux habitans de la Régence, aux troupes du Dey lui- même qui, malgré tous ses efforts, vit son pouvoir absolu forcé à s'incliner devant ces hôtes sauvages de la montagne, et réduit à leur payer tribut pour obtenir droit de passage sur leur territoire. Bougie possède un assez bon port: ouvert au vent nord-est comme tous les ports d'Afrique, parce que ce vent est peu redoutable sur ces côtes, il est protégé par la terre contre le vent du sud, et contre les vents ouest, nord et nord-ouest par un rocher qui forme l'anse Sidi-Yahïa, laquelle offre un fort bon mouillage, mais seulement à très peu de navires, une quinzaine environ.
" Pendant l'hiver rigoureux que nous venons de passer ici (de 1834 à 1835), dit M. Segrétier, capitaine de corvette, nous avons reçu plusieurs coups de vent; dans toute l'étendue de la baie, la mer était extrêmement grosse et ne formait qu'un brisan. Quelques navires se sont trouvés au mouillage SidiYahia et, durant tous ces mauvais temps, il n'y a eu que deux chaînes et un câble cassés. Les vents se sont bien faits sentir par fortes rafales, dans cette petite baie, mais la mer n'a jamais été assez forte pour nous empêcher de communiquer d'un bâtiment à l'autre, Deux chaloupes de l'administration de la guerre, un chalan et la chaloupe du Liamone, ont toujours été sur leurs amarres et n'ont jamais couru aucun danger ni même éprouvé d'avaries ".

Le mouillage de Bougie peut être d'un grand secours pour les bâti- mens qui, pendant l'hiver, font le service d'Alger à Bone; à peu près à égale distance de ces deux points, c'est une station à peu près sûre et commode qu'il est important de nous assurer.

Voici sur cette place les renseignemens que nous trouvons dans les documents officiels, distribués aux Chambres ( Tableau des établissements français dans l'Algérie, février 1838, tome 1, page 85, appendice II): " Cette ville indique, par les ruines nombreuses qui composent le sol sur lequel elle repose, une grande importance passée et une haute antiquité Elle formait probablement la limite orientale de la Mauritanie Césarienne ". Occupée successivement par Aroudj Barberousse, par Charles-Quint qui, après sa fameuse expédition contre Alger, fut poussé par la tempête en relâche à Bougie, elle reçut de tous ceux qui s'y sont établis et ont reconnu son importance des développements considérables. " L'enceinte des Romains est reconnaissable et debout sur un assez grand nombre de points. Les travaux que les Espagnols exécutèrent après la conquête en 1510, sont encore entiers. Ce sont le fort Moussa, élevé par Pierre de Navarre, et la Casbah par Ferdinand-leCatholique et CharlesQuint. A cette époque, Bougie contenait 8 000 maisons et un grand nombre de beaux édifices publics " . Cette prospérité décrut sous la domination espagnole, mais surtout sous le feu de la guerre ouverte qui éclata entre le Dey et les Kabyles. Telle était la situation de cette ville lorsqu'elle fut prise par nos troupes, le 29 septembre 1833. Elle fut confiée au commandement éclairé du brave Duvivier qui, là comme à Guelma, sut mettre l'empreinte de son énergie et de son autorité. Aujourd'hui que devons-nous faire de Bougie? Il est indispensable de la conserver : indépendamment de son importance comme relâche pour nos bâti- mens, il est du plus haut intérêt, en nous réservant ce port, de l'ôter à l'ennemi anglais, russe, ottoman ou africain qui, dans une guerre maritime, ne manquerait pas de s'en emparer, et couperait ainsi la communication entre deux points importans de nos possessions d'Afrique : une flotte française perdrait en même temps l'avantage de mouiller à l'est de la Régence, à portée d'agir au besoin et immédiatement sur Alger et sur Bone. Ainsi conservons sans aucun doute Bougie.