AU
PETIT LYCÉE DE BEN-AKNOUN
Nous avons tous, vivace
au fond de notre mémoire, l'image de nos premiers éveils
et l'époque où il commence à prendre conscience
du monde extérieur laisse toujours dans le cur de l'homme
une impression durable et profonde.
Heureuse, l'enfance qui n'a pas souffert, heureux celui qui, plus tard,
peut réveiller sans amertumes la petite momie aux bandelettes
bleues de sa lointaine adolescence.
J'ai visité Ben-Aknoun avec une certaine émotion, avec
le regret surtout de n'avoir pas eu sur mes sensations enfantines l'ombre
de ces jardins et de ces murs riants. Cette maison d'éducation
est bien née du rêve d'un poêle délicat, d'un
lettré, d'un homme de goût, et l'on ne s'étonne
plus lorsque l'on apprend qu'elle est l'uvre, une des uvres,
de M.
Charles de Galland.
Située à sept kilomètres d'Alger, à une
altitude toujours éventée,c'est une charmante solitude
au milieu d'un parc ombreux et, sans les vigoureuses couleurs de notre
terre africaine, on pourrait se croire sous ces ombrages élyséens.
dans quelque poème de M. de Noailles ou dans un paysage de l'Île
de France, ce qui, n'est-ce pas, est la même chose.
Au débouché d'une allée boisée, presque
un sous-bois, la façade, son vieux clocheton, son horloge font
songer aussitôt à quelque alumnat de Seine-et-Oise.
On ne pouvait rêver, pour entourer l'enfance studieuse, cadre
plus calme, sylve plus reposante, plus sereine.
Mais le Petit Lycée de Ben-Aknoun cache sous des apparences bien
françaises un cur africain.
Nous l'avons compris en pénétrant dans cette cour mauresque
qui. dans le plus secret de cette maison à la française,
en symbolise l'âme ardente.
Il n'y a rien surtout de scolaire ici. Ces galeries ensoleillées
et ces cours lumineuses n'évoquent nullement, dans notre pensée,
les tristes casernes d'autrefois où tant d'enfances s'étiolaient
aux rigueurs d'une discipline presque militaire.
Nous nous promenons, étonnés, à travers cette maison
claire et spacieuse où l'esprit comme le corps se sentent vraiment
à l'aise.
Celui qui a conçu cette uvre s'est constamment et profondément
inspiré du noble souci de reconstituer autour de l'enfant, avec
le plus de douceur possible. l'atmosphère familiale, dans un
ensemble à la fois de simplicité et de confort. Les salles
de classe et d'étude, d'art d'agrément, de bains, les
réfectoires et les dortoirs, tout est vaste, clair, aéré.
Nous assistons à une partie de tennis, puis à une joyeuse
baignade dans la piscine de plein air, enfin à une série
de jeux sur ce stade dont l'ovale harmonieux est encadré d'un
cirque de beaux arbres. On ne saurait rêver autour de l'enfant
séparé des siens une solitude plus maternelle. Ben-Aknoun
est à la fois la maison d'éducation et la maison de famille
par excellence.
Autour d'elle, s'étend une nature aux joyeuses couleurs. Voici
une orangerie de deux hectares, un vignoble de quatorze hectares - l'Université
coiffe ici le chapeau virgilien des Bucoliques et fait, elle-même,
chanter ses pressoirs, - voici encore un verger aux fruits savoureux,
une prairie en fleurs, des futaies aux milliers d'oiseaux.
Ainsi, dans cette retraite reposante, l'esprit et le corps se sentent
lentement pénétrés de sérénité
et de lumière.
Sans aucun doute, plus tard, ces enfants que nous voyons grandir librement
dans ce beau cadre d'élection éprouveront toute la bienfaisante
action d'une nature et d'une éducation l'une et l'autre maternelles.
Ils auront eu, mêlée à leurs premières sensations,
à leurs impressions les plus neuves, cette grande méditation
des arbres, dans une retraite d'ombre, de silence et de clarté
où se seront librement épanouis à la fois et leur
intelligence et leur chair.
Nous n'avons pas l'intention de rédiger ici un prospectus, de
donner, dans son ordre rigoureux et son horaire, l'emploi du temps au
Petit Lycée de BenAknoun.
Disons aussitôt que la plus grande cordialité préside
à l'instruction et à l'éducation des enfants. L'enseignement
y est en accord étroit avec le décor. Et de même
que celui-ci est plein de charme reposant, de même celui-là
est empreint d'égale douceur.
J'ai vu évoluer petits et grands élèves de Ben-Aknoun
dans leur cadre familier.
Partout, j'ai pu remarquer l'indulgente sollicitude des moniteurs et
des professeurs pour leurs petits élèves.
Rien dans leur formation intellectuelle et sportive n'a été
négligé. M. Laizé, le maître d'armes bien
connu à Alger, professeur d'escrime au
Grand Lycée, dispense à Ben-Aknoun son précieux
enseignement, parallèlement aux cours de gymnastique et d'éducation
physique, dans un milieu essentiellement propice et favorable.
Et les fréquentes visites de M. Paul Despiques, proviseur du
Grand Lycée d'Alger, qui a sous sa haute surveillance les
Petits Lycées de Mustapha et de BenAknoun ; l'administration
vigilante de M. Brenet, directeur de Ben-Aknoun ; la compétence
d'un personnel de choix assurent à cet établissement de
premier ordre une juste renommée.
Nous quittons à regret cette délicieuse retraite. Malgré
les rigueurs de la saison, une fraîcheur surprenante règne
autour de cette maison que les trembles argentés, les jeunes
chênes, les noyers d'Amérique, les eucalyptus protègent
de leurs hauts ombrages.
De la route poudreuse, plus rien n'apparaît.
Ben-Aknoun poursuit son rêve, enfoui dans la verdure et abritant
sous ses ailes maternelles les enfances studieuses qui conserveront
à jamais, mêlé aux premiers éveils de l'intelligence,
le souvenir profond de ce ciel adouci et de ces ombres bienfaisantes.