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BELCOURT, NOTRE QUARTIER -----OUI. Comment ne pas penser constamment... 30 années en Algérie, autant en France Métropolitaine et pourtant mon cur, tel une horloge est resté là-bas comme arrêté par une force magnétique à l'heure de notre départ avec comme un arrêt sur l'image en notre Beau Pays. -----Mes parents
se sont établis à Belcourt lorsque j'avais 8 mois en 1933... -----J'ai ouvert les yeux sur ma RUE ADOLPHE BLASSELLE. Tout au début en montant à gauche de cette rue se trouvait la " Brasserie Rialto ", propriété de mes parents, ensuite un tailleur "Le Chic de Paris, le père de Sydney, puis un marchand de vins et liqueurs en coin tenu par un certain Paul Pons, puis il fut géré par les parents de Jeanine... Après tant d'années ma mémoire défaille, certains noms de famille me sont sortis de l'esprit. Puis une ruelle et le garage sis sous l'immeuble du 3 où nous habitions au 4 , au coin de l'immeuble se trouvait à l'origine une église protestante, puis pendant la guerre ce fut un foyer de soldats alliés, ensuite ces lieux devinrent un magasin de télé-radio. Nous avions également un appartement au 9 de cette même rue. Passé le boulevard Auguste Comte se trouvait le " Bar des Amis " (que de parties de billards avec les copains...), puis des entrées d'immeubles coupées par une petite mercerie justement au 9, ma rue se terminant rue Darwin. Remontant sur la droite le " Café de la Gaieté ", puis un renfoncement de deux mètres carrés, c'était Richard, le marchand de brochettes qui excitait les papilles gustatives de tout le quartier par le fumet alléchant de ses grillades au feu de charbon de bois, à la suite c'était un marchand de légumes, Ah (remplacé plus tard par un magasin de chaussures) et le centre d'attraction du quartier le salon de coiffure des frères D'Accunto où l'on riait et plaisantait à longueur de journée, puis la boulangerie Garda, la droguerie Martinez, la crémerie Michaud et la charcuterie Mari, en coin... Traversant le boulevard déjà nommé un mini magasin de bonbons où nous allions nous approvisionner, puis un magasin mozabite face au 9, puis un atelier de cycles, plus haut la boulangerie de Maurice, le copain de mon père où j 'allais pendant la guerre (en cachette) prendre du pain chaud en son fournil joyeusement éclairé par un feu de bois. -----À la déclaration de la guerre 39-45 j'avais 6 ans et je me souviens du moment où, mangeant un bifteck Mme Stella, notre voisine est venue avec son accent italien dire à ma mère "Mme Couvillier, aïe mon Dieu, la guerre elle est déclarée ", et moi sans comprendre exactement qu'il s'agissait d'un moment historique je n'ai plus eu faim, tandis que toutes deux larmoyaient. A partir de cette époque commencèrent les restrictions, les tickets de rationnement et le "marché noir "... Le débarquement des alliés et c'est alors que l'aviation allemande arrosa notre ville de ses bombes aveugles et à chaque alerte c'était de jour et de nuit la course vers l'abri qui était en haut de notre rue près du coin de la rue Marey... Malgré ces inconvénients et ces instants de malheurs avec toute l'insouciance qui caractérise la jeunesse, ce fut pour nous, les enfants, la belle époque car nous pouvions enfin savourer le délicieux chocolat américain ou anglais, le chewing-gum " Sin-Sin-Gom" pour les anciens, fumer en cachette des cigarettes blondes et baragouiner en anglais avec tous ces soldats si sympathiques. Et puis, cette char. té, cette chaleur, ces regards enjoués, ces cafés d'où fusaient des rires, des réparties, toute la joie d'être, d'exister. Comme il nous ennuyait ce soleil qui plombait à midi et était restitué le soir par le sol et comme certains d'entre nous qui se plaignaient alors doivent actuellement le regretter ce soleil lourd et pesant, surtout s'ils sont obligés de vivre dans le nord qui n'est pas notre nord de l'Afrique. Mon soleil, je le revendique bien haut, cette clarté, ce bleu du ciel je ne l'ai plus revu depuis.. -----Laissant courir mon imagination, je revois en bloc les bigareaux, cette fête constante des couleurs éclatantes et fortement contrastées, les marchands de figues de barbarie, de cacahuètes, de calentita, les yaouleds, les oialhionnes (fours à chaud ou fouratcho "bons à rien "), qui rêvassaient sous le ciel, je sens encore l'odeur du grillage du café vert aux usines Nizière qui inondait tout le quartier de sa suave senteur. La pâtisserie Guisto, autre copain de mon père, et dont la spécialité était un gâteau que nous nommions "Russe ", sorte de meringue enrobée de crème et d'amandes concassées et tous les dimanches c'était la chaîne en son magasin, je revois aussi le Palais de la Bière, le boulevard Thiers, nos jeux de ballons, de noyaux, de billes rue du 8 Mai, nos parties de cartons de boîtes d'allumettes, de capsules de bouteilles de bière " La Gauloise ", les jeux de toupilles au milieu de la route et voici que défilent mes petits copains d'enfance Edgard Renaud (dont le frère fut tué à la guerre), Hervé Parent que j'ai revu à Marseille à la tête d'une nichée de quatre beaux enfants, Dédé Martinez que j'ai vu aussi à Marseille, Vitiello, Ripoll, Pépé, Andreu, Guy aux yeux de Chinois, et j'en oubli, qu'ils me pardonnent. Nos matches de foot contre A ? au foyer civique qui était encore un champ de manoeuvrel avant que l'on ne construise, nos bagarres, nos premiers émois, nos émotions lorsque nous allions épier les amoureux le soir autour de la Tour des parachutes du Champ de Manoeuvre, nos comparaisons anatomiques, nos concours de crachats, etc. -----Mais faisons
un retour en arrière, je me revois tremblant et pas fier du tout
lorsque mes parents me menèrent à 3 ans à l'institution
Ste Chantal tenue par des Soeurs. J'entends encore les rires de ma mère
lorsque je rentrais le soir à la maison avec l'accent inculqué
par les bonnes soeurs, qui venaient toutes de la Métropole. "Le
Rauz et le Roose ", et lorsque j'employais le mot terrine pour désigner
un récipient. Je restais en cette école jusqu'à l'âge
de 6 ans où je vécu comme dans un cocon, tout y était
gentil et tout y était beau, c'était quiétude et
douceur de vivre parmi les fleurs et les bougainvillées. C'est
là que j'ai planté et vu pousser mon premier plant de pomme
de terre et que j'ai vu le premier miracle de la reproduction, j 'avais
appris les bonnes manières au sein de cette institution, mais je
ne savais pas lire correctement. Je redescendis vite sur terre lorsqu'on
me mit à l'école de la rue Darwin, à côté
de chez Marcé, après tant d'années je sens encore
l'odeur de l'encre, celle des livres et des cahiers, celles piquante du
petit coin et surtout, souvenir inoubliable, je reçus mon premier
coup de poing qui me fit réellement voir des étoiles et
c'est là sur le tas que j'appris à ne plus tendre l'autre
joue mais à serrer les dents et à rendre... J'étais
sorti de l'enfance... -----Et pêle-mêle les images du dépôt des C.F.R.A., rue Alfred de Musset, et les tramway qui sortaient les matins vers 5, 6 heures et nous réveillaient avec leur klaxon, et je me rappelle mes jambes de 17 ans, agiles, courant pour prendre le tram en marche et en descendre de même, c'était un sport et c'eut été une honte de monter à l'arrêt, c'était comme à la plage où il était de bon ton de plonger en arrivant dans 30 cm d'eau en une sorte de "Pancha " en claquant fortement l'eau de nos bras tendus de manière à amortir le choc, et c'était vraiment spectaculaire... En face du café (Rialto), il y avait le cinéma Musset, la pharmacie Durand, le bar des Sports ; sur la rue de Lyon plus loin l'arsenal, le poussin bleu ou rose? le cinéma caméra, le Mondial, le Roxy, le Monoprix, l'allée des mûriers où nous allions nous approvisionner en feuilles pour l'élevage de nos vers à soie, le bar des Arcades, et je mélange tout emporté par la passion, la librairie Tabuteau, celle de Stoeckhin, la boulangerie Guirado où l'on affirmait avec sérieux dans le fournil même, toute la poésie de la longue et étroite rue Marey avec ce mélange de chèvrefeuille et de jasmin dont j'ai encore l'odeur en moi et que je ne puis vous transmettre ou transcrire sur ce modeste papier, les palmiers nains ornant les petits jardins avec leurs grappes de fruits oranges que nous nommions " cocosses " au goût acide, et cette allée des mandariniers que nous empruntions plusieurs fois par jour pour nous rendre à l'école de la rue Darwin, il y avait des hôtels troublants... et là je pense qu il y a prescription, nous enjambions les grilles des patios pour y dérober des mandarines et j'en garde un souvenir cuisant, celui du jour où la propriétaire est sortie et nous a traité de tous les noms et où en me sauvant mon pied s'est accroché dans la grille et je me suis brisé le poignet gauche, et le docteur Burr m'a immobilisé le bras durant 45 jours, quel supplice !... Chères ces mandarines. -----Au début du boulevard Auguste Comte existait une petite chapelle Don Bosco où nous allions au patronage y jouer et notre église était à son origine installée rue d'Ornans (oui, certains ne le savent peut-être pas, Saint-Paul, Sainte-Rita était en cette rue), ensuite durant de longues années elle fut boulevard Auguste Comte et c'est grâce à la ténacité du Père Roux que nous pûmes avoir la dernière qui fut construite en face vers 1955; c'est ce même père qui m'a baptisé, m'a fait faire la première communion et a béni mon union et j'ai appris récemment qu'il était décédé. Comme j'aurais aimé le revoir... -----Quelle tchatche, au fil de mes phrases je me suis emporté ou plutôt je me suis laissé guider et c'est comme si j'y étais et comme je serais heureux de pouvoir vous transmettre la flamme qui anime mon coeur et guide mes mains dont les doigts pianotent agilement sur les touches de ma machine à écrire... Eh! oui, je pourrais remplir des pages et des pages et arriver à vous lasser si ce n'est déjà fait ? Mais je voudrais être bref et vous parler d'un sentiment qui me tient à coeur et en particulier je m' adresse à mon grand fils et à tous les enfants de vous mes frères Pieds-Noirs en leur disant : " Soyez fiers de vos parents, de vos grands-parents, ne rougissez pas, vous n'avez pas le droit d'avoir de complexes et présentez-vous de suite en disant JE SUIS PIED-NOIR et FIER de l'être, et surtout ne tombez pas dans le piège qui consiste à se désolidariser en disant j'étais trop jeune, je ne me souviens plus, je ne suis pas comme les vieux... " Alors, je bondis et je réponds : " Nous sommes encore vivants les anciens (57 ans) et pourrons réparer toutes les lacunes qui vous font défaut et sachez en profiter pendant qu'il est encore temps car nous sommes les derniers témoins et acteurs du Drame de ceux qui ont vécus et connus le Paradis Perdu de 1'ALGERIE FRANÇAISE doux et joyeux, de ceux qui pourront vous parler de la douceur de vivre dans les mauvais comme dans les bons moments et que de plus nous avons payé très cher ce droit de nous dire PIEDS-NOIRS ou plutôt pour moi c'est un honneur. -----Et si vous
n'écoutez pas ce dernier conseil alors vous verrez que dans 20
ou 30 ans vos petits-enfants apprendront à l'école en quelques
phrases lapidaires que leurs arrières-grands-parents étaient
des profiteurs et des opprimeurs... -----TRES AMICALEMENT, Alain CUVILLIER.
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