PARCOURS SCOLAIRE
Tout d'abord, je tiens à dissiper
toute inquiétude : je ne vous entretiendrai point de ma scolarité,
ni de la qualité, ni de la durée de mes études, ce
qui ne devrait intéresser que peu de personnes qui ne me liraient
dès lors que par pure politesse et sûrement pour m'être
agréable.
Non, je vais vous parler du trajet que j'effectuais, chaque jour, aller
et retour, cinq jours par semaine, pendant plusieurs années.
C'est ainsi que mon adolescence, s'est en partie, passée à
parcourir quotidiennement les principales artères de mon quartier,
Bab-el-Oued.
Ce parcours débutait place Dutertre,
et la descente de la rue Pierre Leroux que tout un chacun ne connaissait
que sous l'appellation " Côte de la Basetta ", étant
donné le lavoir que l'on découvrait à mi-pente sur
sa gauche, menait à l'avenue de la Bouzaréah. Ce raidillon,
aisé à descendre, se révélait un imposant
casse-patte, surtout pour les téméraires qui tentaient son
ascension à vélo. Aussi loin que je puisse me souvenir,
du temps des charrettes à cheval, je n'en ai jamais vu une seule
attaquer cette pente du bas vers le haut.
Au bas à droite se tenait le " Café de la Butte "
au nom bien choisi.
J'empruntais alors l'avenue de la Bouzaréah, direction de la place
des " Trois horloges " en laissant à gauche la "
Cité des Moulins " et le Marché.
Le trajet précédant, ma mère le faisait aussi chaque
jour. En ces temps les réfrigérateurs et congélateurs
n'étaient pas courants, et les achats se faisaient au quotidien.
Lorsque nous étions libres (vacances, et jours de congé)
nous l'attendions près du lavoir d'où l'on pouvait surveiller
les deux directions d'arrivée possibles, rue des Moulins et côte
de la Basetta, pour, dans cette partie la plus ardue, aller à ses
devants et la décharger du fardeau, couffin des provisions.
Au bas de la côte, on laissait à droite, la rue Léon
Roche puis la rue Fourchault. Tout ce pan d'immeuble n'existe plus désormais
puisque complétement ravagé lors des inondations de 2001
; à ce que l'on m'a dit, il a été rasé et
remplacé par un jardin.
Puis de la Place des Trois horloges, qui n'a rien d'une place, mais qui,
au confluent du Boulevard de Provence, n'est qu'un rond-point prolongement
de la Place de l'Alma, on pouvait aborder la partie plane de ce parcours.
Il était d'ailleurs emprunté par les T.A.
(Tramways Algériens) dont la station de départ était
à quelques pas, Place de l'Alma.
Curieusement, pour ce trajet scolaire, il ne m'est jamais venu à
l'idée d'utiliser ce mode de locomotion ; à l'époque
il n'était pas question d'autre déplacement qu'à
pied. " Pedibus cum jambis " disait-on alors.
Dans un virage abrupt, accompagné d'inquiétants grincements
stridents, le tram attaquait l'avenue de la Bouzaréah, " là
où le tram i s'tort " et commençait son périple
pour la traversée d'Alger.
Flanquée de part et d'autre de magasins, de cafés, et ils
étaient nombreux -j'en avais dénombré une bonne
trentaine- l'avenue coupait les rues Franklin et du Frais-Vallon,
plus tard devenue avenue " Général Verneau ".
On laissait à gauche le " Trianon ", seul cinéma
de l'avenue qui disparut de sa belle mort et donna naissance au "
Monoprix " de Bab-el-Oued.
Puis nous atteignons le début de l'avenue Durando, qui recélait
deux perles de notre mémoire : le cinéma " Marignan
" et le restaurant " Chez Alexandre ". Quand vous évoquez
l'avenue Durando, votre interlocuteur même étranger au quartier,
avec un grand sourire de connaisseur vous répond : " Ah !
Oui ! On y venait manger les brochettes et la loubia ". Ce si fameux
établissement était sis dans les escaliers de rue Montagnac,
et le soir les tables qui en occupaient la quasi totalité les éclairaient
de leurs lumignons.
Il faut croire que ce trajet, aller-retour biquotidien, ne nous suffisait
pas, car en groupe, le soir à la fraîche nous allions encore
" faire l'avenue ". Pour ce " paséo " hérité
de nos ancêtres ibériques, nous ne dépassions jamais
l'avenue Durando jusqu'à la balustrade de fer. Tout au plus au
retour changions-nous de trottoir et revenions de l'autre côté
de l'avenue en passant devant les établissements "Discophone"
au début de la rue Barla.
En poursuivant, j'arrivais au
Boulevard Guillemin, je devrais dire aux jardins Guillemin,
vaste esplanade de verdure, en pente, établie sur les anciens remparts
d'Alger. Par les escaliers, beaucoup plus rapides que par les rampes,
je grimpais jusqu'au collège Guillemin, destination finale de ce
parcours scolaire.
Bien entendu la plupart du temps, faisant halte, je retrouvais les copains,
dans les halls d'entrée des immeubles du boulevard par temps d'hiver
ou pluvieux, ou sur les bancs du dernier jardin. Problèmes de maths
ou idées de dissertations échangés nous étions
prêts à gravir les quelques mètres pour retrouver
l'entrée du Collège, dans un tournant de la Rampe Valée.
Au retour, surtout dans l'urgence quand le temps pressait, je faisais
quelquefois un détour, passant par la rue Mison ou par la rue Montaigne,
deux rues parallèles à l'avenue de la Bouzaréah et,
par les rues Franklin ou Suffren, rejoindre celle-ci. La fréquentation
piétonne et surtout la plus faible circulation automobile permettait
la course sur le trottoir et même au milieu de la rue.
Par tous temps, voilà ce qui constitua mon quotidien pendant deux
années.
L'année suivante, il me fallut prolonger mon parcours jusqu'au
Lycée Bugeaud, aux fins-fonds de Bab-el-Oued.
Lycée Bugeaud
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C'était par l'avenue de la Marne,
sous ses arcades, que je poursuivais dès lors jusqu'au lycée.
La demi-pension ne m'ayant jamais effleuré l'esprit, ni d'ailleurs
celui de mes parents, entre midi, sortie des cours et deux heures, reprise
de ceux-ci, cartable sous le bras, rentrer, prendre son repas à
la table familiale, et retourner au lycée, il ne me restait guère
de temps pour baguenauder et regarder le paysage. Mais en ces temps de
jeunesse ces parcours scolaires nous semblaient tout naturels et faisaient
partie de notre vie.
Dire qu'actuellement les autorités médicales préconisent
instamment la marche aux sédentaires bedonnants que nous sommes
devenus !!!
Qu'il était beau mon pays, maintenant avec le recul du temps.
Raphaël PASTOR
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