Louis Granata
peintre algérois
1901-1964
Nous avons au Cercle de Hyères, un couple discret
et sympathique d'adhérents qui, au hasard des conversations,
nous a fait part de son attache familiale avec Louis Granata, le peintre
algérois.
La curiosité, tout autant que le devoir de mémoire, nous
pousse à nous remémorer la vie de cet artiste trop tôt
disparu.
Louis Granata est né le 10 décembre
1901 à Spezzano Grande; sa mère étant allée
accoucher en Italie avant de regagner Alger où elle vivait. Cela
se pratiquait beaucoup à l'époque, chez tous ceux dont
l'origine est méditerranéenne (Italiens, Corses, Espagnols,
Sardes, Maltais, Provençaux...).
La famille était implantée en Algérie de longue
date. Le grand-père, Jean Granata, le premier arrivé,
tailleur de pierre et maçon, s'était installé au
Clos Salembier où toute sa famille vivait dans une petite maison
qu'il avait achetée et qu'il agrandissait lui-même, au
gré des naissances et de sa situation financière. Le père
de Louis, sculpteur, habitait aussi au Clos
Salembier, dans une magnifique villa mauresque dont les plafonds
étaient " relevés " (peints). Cette demeure
jouxtait la propriété Lung. Louis avait deux soeurs plus
âgées que lui. L'aînée, Joséphine,
mariée à Antoine Mercurio, employé des Douanes,
et la cadette, Isabelle, mariée à Julien Albano, ébéniste
de son état, qui travaillait aux Établissements Lassalas
à Belcourt.
Le petit Louis commence à travailler avec son père qui
lui inculque les premiers rudiments de dessin. Doué, il est remarqué
et s'inscrit à l'école des beaux-arts d'Alger, rue
des Consuls, en 1912. Son travail assidu, associé
à un grand talent, lui fait obtenir, en 1916, le premier prix
de peinture pour un nu. C'est là que le maître Rochegrosse
le remarque et le prend dans son atelier. Il va le considérer
comme son propre enfant. Son amitié sera très bénéfique
à Granata. Il côtoie les peintres algérois et, parmi
tous ceux qu'il rencontre, Dinet.
Dinet
l'emmène dans le Sud. Ils vont travailler tous les deux la lumière
saharienne à Bou-Saâda. Louis ira d'un atelier à
l'autre entre ces deux peintres; il trouve là son accomplissement.
Il sera peintre et seulement peintre! Rochegrosse, le voyant travailler
de façon si ardue, le pousse à exposer et lui fait ouvrir
les salons du Bijou Concert,
rue d'Isly, en 1921: c'est un triomphe! Granata revoit souvent
son professeur, Jules Van Biesleweck, qui l'a initié à
l'art du pastel.
En 1922, l'État lui achète " L'aveugle et le paralytique
" à l'occasion de l'Exposition coloniale. Mais, il découvre
l'huile et se lance alors dans les portraits d'Arabes et peint aussi
des marines. Il va parcourir la Kabylie du Djurdjura avec son ami Charles
Savorgnan de Brazza, un remarquable aquarelliste.
Le 30 avril 1925, Louis Granata épouse Mireille Gisbert dont
le père, bourrelier, a un atelier contigu à celui de tonnellerie
appartenant à l'oncle d'un certain Albert Camus, à Belcourt.
Le jeune couple vit au 5 rue de Lorraine, puis au 18 rue Lamartine,
avec les beaux-parents. C'est là que naîtront deux fils
: Georges et Louis. Dans la grande maison de la rue Lamartine, Louis
a installé ses beaux-parents et son atelier. La famille partira
plus tard rue Darwin, à l'angle du chemin Fontaine Bleue, dans
une villa de style oriental typique et remarquée pour sa somptueuse
glycine.
En 1930, le peintre obtient le prix Dollin du Fresnel (dit Prix du centenaire)
de l'Union artistique de l'Afrique du Nord. En 1931, il fonde la Société
libre de l'artiste algérien, qui deviendra plus tard la Société
des arts et lettres de l'Afrique du Nord. Son éclectisme le pousse
à toucher à d'autres formes de l'art : c'est ainsi qu'il
crée, en 1936, le Club des cinéastes amateurs d'Algérie.
La reconnaissance de ses pairs et les critiques très favorables
vont lui valoir une médaille d'or hors concours en 1937 à
Alger, pour le classicisme de son style.
Granata n'est pas français. Il tient à obtenir la nationalité
française et pour cela, il va s'engager au 5e Chasseur (rue Marguerite),
de 1939 à 1940. Au sortir du régiment, il participe au
Salon des petits tableaux où il est primé en 1940.
En 1951, Granata sera officier d'académie pour les Beaux-Arts
et, en 1956, la ville d'Alger lui décerne une plaquette d'honneur.
Entretemps, Louis avait présenté ce qu'il considérait
comme son oeuvre maîtresse : une composition allégorique
inspirée d'un poème d'Edmond Rostand : " La Brouette
" : c'était en 1945 (cette toile sera sauvée par
le beau- père de son fils Georges, roulée et portée
en bandoulière). Ne disait-on pas aussi que ses toiles comme
" l'Achoura " ou " La Chanson de l'Aveugle " étaient
dignes d'un musée dédié à la vie arabe?
Louis Granata " Environs de Ténès
" 26 x 71 (coll. particulière).
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Sa fierté fut d'être cité dans le catalogue du Salon
des artistes français, dont il était sociétaire,
qui, à Paris en 1960, l'avait classé parmi les plus grands
orientalistes contemporains.
En 1961, à l'Exposition internationale de Vichy, il obtient le
prix du Public.
Les heures sombres arrivent. La belle maison rue Darwin est convoitée;
elle se trouve en effet face à la cité Mahiedine.
Granata reçoit des menaces. Il doit quitter précipitamment
sa villa en y laissant tous ses meubles, mais surtout une multitude
d'oeuvres qu'il ne reverra jamais.
Louis et sa femme vont s'installer à Salon-de-Provence, se rapprochant
ainsi de leur fils Georges qui a obtenu une mutation à Miramas.
Les voilà donc tous deux dans un tout petit studio en location,
le peintre obtenant un poste de " maître auxiliaire "
de dessin dans un collège de la ville.
Ses proches sont inquiets, il n'a pas grande envie de reprendre ses
pinceaux, les moyens lui manquent. Il monte tout de même une exposition
dans le hall de l'Antenne, à Marseille en octobre et novembre
1962. Sur le carton d'invitation qu'il fait parvenir à son beau-frère,
il s'excuse de ne pas avoir écrit plus tôt " car avec
tous ces événements, nous sommes tout désorientés...
".
C'est de désespoir que Louis Granata s'éteindra le 4 avril
1964.
Le jour même de son décès, ses enfants relèveront
dans sa boîte à lettres, sa nomination comme professeur
titulaire de dessin dans l'Éducation nationale. Son épouse
lui survivra une dizaine d'années, pour disparaître à
son tour le 6 mars 1974.
Jean-Jacques Tavera
Expositions :
- Première exposition à Bijou Concert, Alger, 1921.
- Salon de l'Union artistique de l'Afrique du Nord, Alger, 1928.
- " Arabe à la fontaine ", sujet de Bou-Saâda,
Alger, 1929.
- " Sud Algérien, Bou-Saâda ", galerie Salles-Girons,
Alger, 1930, 1935, 1938.
- Galerie du Crédit Municipal, marines, paysages, coins du Djurdjura
et de Kabylie, Alger, décembre 1938.
Nous remercions Mme Marion Vidal-Bué pour les reproductions de
tableaux illustrant cet article. Les oeuvres de ce peintre seront reproduites
dans son prochain livre
L'Algérie des peintres. 1830-1960, tome II, dont la parution
est prévue pour septembre 2002.
Galerie Colin
À la suite de la publication, dans le livre de Marion Vidal-Bué,
Alger et ses peintres - 1830-1960, d'une note en page 244 sur la galerie
Colin, la famille s'étant manifestée, l'auteur est en
mesure de rectifier et de donner des précisions : la maison Colin,
dont la vocation était " Tout pour la musique ", avait
été fondée en 1905 par M. Paul Marie Colin, facteur
de pianos à Nîmes, décédé en 1946
à Alger, puis gérée par son fils Paul Colin, né
à Nîmes en 1892 et décédé à
Alger en 1960, président du Syndicat commercial de la musique.
La famille Colin, issue d'un peintre ami de Delacroix et exécuteur
testamentaire de Géricault, Alexandre-Marie Colin, très
proche du monde artistique en général et de celui de la
peinture en particulier, a ouvert à Alger " la galerie Colin
" au 12 rue Dumont-d'Urville, dans la grande salle d'exposition
et de vente de la sodé- té. Cette galerie a notamment
fonctionné pendant les années de la Seconde Guerre mondiale,
exposant des peintres comme Bénisti, Bernasconi, Bouviolle, Caillet,
Claro, Galliero, Terracciano, Tona, etc.