Louis Ancillon
peintre oranais de l'Algérie
1900 - 1987
Marion Vidal-Bué
Dans l'étude
de plusieurs pages que lui consacrait en mai 1950 la revue Algéria,
Jean Rousselot, particulièrement favorable aux arts, qualifiait
Louis Ancillon de " peintre optimiste " (Algéria,
n° 15, mai 1950, p. 29 à 32, " Les maîtres de
la peinture algérienne)
Dès les débuts du jeune artiste, en 1927, le critique
oranais Raymond Sélig lui ouvrait tous les espoirs en saluant
sa " peinture simple, saine, robuste, et qui tout en étant
de facture très moderne, demeure profondément dans la
tradition latine ".
C'est bien l'impression que nous éprouvons à notre tour,
plus de cinquante ans après, lorsque nous revoyons les tableaux
d'Ancillon à la lumière de notre propre expérience
de Français d'Algérie. Car ses toiles res- piraient en
effet, au plan technique, une vigueur et une modernité solidement
étayées par un métier très sûr, tout
en faisant ressentir à merveille, par leur sensibi- lité
dans le choix des sujets, la joie de vivre dans une nature privilégiée.
Ancillon traitait avec le même bonheur d'expression les paysages,
qu'il choisissait dans son environnement immédiat, le littoral
oranais d'abord, mais aussi l'Algérois et Paris où il
tra- vailla beaucoup, et les per- sonnages, qu'il prenait plaisir à
décrire dans des situa- tions agréables, sur les plages
ou dans les jardins par exemple. Ses natures mortes exprimaient la même
tonicité, la composition et le coloris parfaitement accordés
pour servir le propos: faire ressentir les choses de la vie avec un
réalisme joyeux.
Né à Misserghin, près d'Oran, le 11 novembre 1900,
mort à Sèvres dans la région parisienne le 13 mars
1987, Louis Ancillon illustre parfaitement le parcours des meilleurs
artistes algériens de la période moderne, ancrés
aussi bien à Paris que sur leur terre natale.
Son père, dont la famille était originaire des Deux-Sèvres,
était lui-même né en Algérie, et avait développé
un commerce dans la région oranaise avec son épouse, elle
aussi native du pays. Malgré le poids de neuf enfants à
élever, ils ne s'opposèrent pas au goût inné
de Louis pour le dessin et la peinture.
Celui-ci put donc s'inscrire à l'école des Beaux-Arts
d'Oran entre 1920 et 1922, et son premier maître, Augustin Ferrando,
le prépara avec le talent que l'on connaît à continuer
ses études à Paris. Ayant demandé un peu d'argent
à sa famille, Louis partit avec détermination pour les
Beaux-Arts de Paris et l'École natio- nale des arts décoratifs,
où il fut éga- lement reçu en 1923. Le jeune homme
s'enthousiasma totalement
pour la capitale et s'intégra fort bien au milieu artistique
parisien, qu'il ne devait cesser de fréquenter durant toute sa
carrière.
" Formé à l'école de Cézanne, de
Lhote, de Braque et de Villon, heureusement influencé par un
Matisse qui lui a com- muniqué son goût des couleurs claires
et franchement étalées ", selon les mots de Jean
Rousselot, Ancillon combinait en ses tableaux " la rigueur géométrique
des cubistes et néocubistes et la sensibilité chaude des
Méditerranéens ". Ses amis peintres, parmi lesquels
Brianchon et Legueult, se situaient comme lui dans ce que l'on appelait
le courant de la Réalité, ayant opté pour une figuration
indépendante et moderne de la vie quotidienne, résolument
éloignée des diktats de l'abstraction intégrale.
Ancillon avait choisi d'emblée d'ex- poser dans les Salons de
peinture accueillant les tendances les plus nouvelles : Tuileries, Automne,
Indépendants et la plupart du temps les critiques d'art remarquaient
les qualités de ses oeuvres parmi bien d'autres (
" Un fort bon paysage d'Ancillon ", Thiébault-Sisson,
Le Temps, Paris, 31 octobre 1931. " L 'Algérien Ancillon
est quelqu'un. Son " Port d'Oran est composé avec
intelligence, et les petits personnages qui l'animent sont d'une extra-
ordinaire justesse ", Thiébault-Sisson, Le Temps, 1935,
" Un bon paysage d'Ancillon, dessiné avec un sentiment des
rythmes et des proportions assez rares aujourd'hui pour être noté
", Raymond Cogniat, Beaux-Arts, Paris, 29 oct.
1937.).
La galerie Léon Zack de Saint- Germain-des-Prés lui offrit
en 1937 une exposition particulière, relatée en termes
flatteurs par la revue Beaux-Arts, où J. de Laprade rappelait
l'existence d'une " très vivante jeune école algérienne
" et appréciait le " sentiment franc et solide de
la compo- sition, l'instinct sûr des proportions et des rythmes,
le dessin enveloppant et souple " de l'Oranais.
Cette même année 1937, d'après les archives familiales,
Ancillon fut médaillé à l'Exposition internationa-
le de Paris, et une " Place du Gouvernement " à Alger
exposée en mai à l'hôtel Continental d'Oran fut
acquise par le Musée du Luxembourg à Paris (Voici
par exemple cette " Place du Gouvernement à Alger".
Combien de fois nous l'a-t-on présentée et sous com- bien
d'aspects? Cent artistes l'ont banalisée; deux ou trois, comme
Bascoulès, en ont tiré des pages admirables. Eh bien,
Ancillon nous la révéla à son tour, et nous avons
l'impression qu'elle nous était jusqu'ici demeurée inconnue
", Alfred Cazes, Oran Matin, mai 1937.)
Tipasa, la douane de mer.
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Il devait participer à d'importantes expositions de groupe, par
exemple à celle de la Société des peintres orientalistes
français orga- nisée à Paris sous le patronage
du Gouvernement général de l'Algérie, Galerie Charpentier
en 1938, et à celle destinée à promouvoir la peinture
fran- çaise à Londres en juin 1944. Le commissariat aux
Affaires étrangères français et le British Council
y avaient réuni quatre-vingts toiles et une soixantaine de dessins
de l'Éco- le de Paris et de l'École nord-africai- ne dans
la galerie de la " Royal Society of Watercolor " de la capitale
anglaise.
Il avait été sollicité pour participer à
la Biennale de Menton dès sa pre- mière session, en 1951,
alors qu'il vivait encore en Algérie, et y montra par exemple,
en 1953, les deux tableaux que nous reproduisons: " Les travailleurs
de la mer" et " Les lavandières ".
À Oran, Eugène Cruck qui assurait les " Notes d'art
" de l'Echo d'Oran l'avait suivi depuis ses débuts. Il encourageait
ses progrès à l'occasion d'un accrochage en 1927 dans
le hall de l'hôtel Continental, puis à nou- veau lorsque
l'artiste, encore au début de sa carrière en 1932, mon-
trait dans une exposition particuliè- re à la librairie-galerie
Heintz des toiles rapportées de France comme " Le jardin
du peintre Renoir à Cagnes-sur-Mer " particulièrement
apprécié, et des portraits ou des pay- sages algériens
" saisissants de caractère "; et encore en 1936, pour
sa prestation dans les mêmes locaux.
(Ce jeune artiste qui s'émeut devant la nature et qui la traduit
puissamment... est sur le chemin montant qui mène aux grandes
réussites ", Eugène Cruck, l'Écho d'Oran,
1927. " Ancillon expose à la librairie Heintz une vingtaine
de toiles, pour la plupart des paysages d'Espagne et des Baléares...
M. Ancillon... arrive à émouvoir avec peu d'effets...
son talent est sobre et puissant, sa palette lumineuse et franche ",
E. Cruck, L'Écho d'Oran, 1936).
Les meilleures galeries oranaises l'accueillirent tour à tour,
par exemple en 1934 celle de Marica Allée, rue d'Alsace-Lorraine,
où le peintre réunit quelques-uns de ses tableaux les
plus remarqués à Alger. Sa première exposition
particulière algéroise en mars 1934 à " L'Art
de France ", rue
Michelet, avait en effet connu un succès salué
par les critiques et matérialisé par plusieurs achats
du Musée national des Beaux-Arts.
Dans sa galerie Colline où il fit tant pour promouvoir les artistes
modernes en Algérie, Robert Martin montra régulièrement
les travaux de Louis Ancillon. Martin l'exposa également à
Paris, après l'indépendance de l'Algérie, alors
qu'il y avait monté une nouvelle galerie. C'est à Oran,
où il devait résider presque exclusi- vement à
partir de 1940, que Louis Ancillon développa ses relations avec
Jean Launois, l'un des plus remarquables parmi les peintres que le Prix
Abd-el-Tif amena en Algérie, ainsi qu'avec André Hambourg,
autre Abd-el-Tif très attaché à l'Algérie,
et Orlando Pelayo, artiste espagnol réfugié pour raisons
poli- tiques. Avec ses plus proches amis oranais, le sculpteur Georges
Hilbert, et surtout, le peintre Fernand Belmonte et sa femme, Odette
Aymé-Belmonte, il entretint une amitié de plus de quarante
ans. Leur relation chaleureuse devait se maintenir après le départ
d'Algérie, alors que les Belmonte s'étaient éta-
blis à Marseille.
À Alger, où il participa à plusieurs Salons des
artistes algériens et orientalistes, il était très
apprécié de l'om- nipotent conservateur du Musée
national des Beaux-Arts, Jean Alazard. Celui-ci lui témoigna
son intérêt et son soutien en effectuant des acquisitions
régulières: un " Bouquet " (1929), un
" Port de Mostaganem " (1937), une " Place
du Gouvernement à Alger " (datée 1937, acquise
en 1959, cette toile
tranche de la production habituelle en montrant la place sous la pluie),
des " Jeunes filles " (1940, acquis en 1953), un "
Port d'Oran " (1941 présenté à l'exposition
de l'Afrique française à Tunis), " La musique
" (1955). Selon les archives du MNBA d'Alger, Jean Alazard avait
égale- ment obtenu pour Ancillon en 1938, une subvention lui
permettant d'organiser une exposition à Paris (
Catalogue des peintures du Musée national des Beaux-Arts d'Alger,
(collections européennes), 1995, par Dalila Mahammed-Orfali,
p. 20.). Max-Pol Fouchet, qui fut l'adjoint d'Alazard au
musée, avant d'animer la revue Fontaine et d'exercer ses talents
de critique d'art dans l'Écho d'Alger parmi d'autres publications,
manifestait le même goût pour l'art de l'Oranais, "
d'une profonde honnê- teté, d'une émouvante simplicité
". Le professeur Jean Lusinchi, chargé du cours d'histoire
de l'art à la faculté d'Alger, ne lui ménageait
pas non plus les éloges dans Alger républicain. Le Grand
Prix artistique de l'Algérie décerné par le Gouvernement
général vint consacrer en 1943 un talent très
largement voué au pays, lui facilitant une nouvelle exposition
particulière à Alger, en octobre 1944 à la Galerie
Charlot. Eugène Cruck salua comme il se devait la qualité
des uvres et la " consécration légitime
" d'un artiste qui faisait " honneur aux peintres de l'Oranie
et à l'Algérie " tandis que le critique de La
Dépêche algérienne notait : " La peinture
d'Ancillon ne se borne pas à la représen- tation des objets,
mais dégage la psycho- logie des portraits, l'émotion
des pay- sages et dans les natures mortes l'esprit même des choses
" (La Dépêche algérienne,
octobre 1944).
Les plus jeunes artistes de l'École d'Alger, Sauveur Galliéro,
par exemple, puis Louis Nallard, Maria Manton, Marcel Bouqueton, reconnurent
en lui un des aînés qui leur avait montré la voie
dans le chemin de la modernité.
Des commandes du Gouvernement général honorèrent
l'artiste reconnu qui mit ainsi en place différentes décorations
dans sa région natale: " Collège moderne de Jeunes
filles d'Oran-Gambetta " en 1956 (conjointement avec Maurice Bouviolle),
" Lycée de Mostaganem " en 1958, " Lycée
d'Arzew ".
Lors de l'une des dernières grandes manifestations officielles
offertes aux peintres de l'Algérie, une exposition réunissant
des oeuvres des lauréats du Grand Prix artistique de l'Algérie
et les boursiers de la Casa Velasquez à la salle Pierre Bordes
d'Alger en avril 1958, Louis Ancillon montra pour sa part trois tableaux,
dont un beau " Port d'Oran ". Il est à
noter que l'actuel musée national Zabana d'Oran possède
toujours dans ses collections une toile de dimensions importantes, acquise
en 1936, qui semble être la même oeuvre (
D'après un document du musée Zabarta en 2002: " Port
d'Oran ", huile sur toile, 73x92 cm, entrée en octobre 1936.11
semble que ce soit la même oeuvre que celle exposée à
la salle Pierre Bordes, mais amputée sur la photo dune persienne
qui suggérait la perspective depuis une fenêtre sur la
droite.)
Après le départ d'Algérie, en 1962, Louis Ancillon
s'établit définitivement à Sèvres, aux portes
de cette capitale avec laquelle il avait toujours gardé le contact.
Il continua d'y peindre et de prendre part à des expositions
collectives, en France et à l'étranger, notamment sous
l'égide du Salon d'Automne dont il était sociétaire
depuis 1944.
Plusieurs de ses oeuvres avaient été acquises pour les
collections publiques françaises: Musée du Luxembourg
(achat de la Ville de Paris), Musée des Colonies, Musées
des Beaux-Arts d'Alger, d'Oran et de Tunis.
Certains tableaux de Louis Ancillon ont été présentés
en décembre 2003 à la galerie Danielle Bourdette-Gorzkowski,
à Honfleur, en même temps que d'autres tableaux d'artistes
de la dernière génération française en Algérie
avant le départ.o
(-Je prépare un livre sur le peintre André Suréda.
Je recherche tous docu- ments et/ou informations sur cet artiste. Je
vous remercie par avance de l'aide que vous pourrez m'apporter.
Marion Vidal-Bué, 150 rue de Longchamp, 75116 Paris.